«Je vous surprendrai par ma démagogie.» La phrase a dix ans et est désormais fameuse. Lâchée par Jacques Chirac à un proche au début de sa campagne présidentielle de 1995, elle sonne toujours comme sa matrice politique. Le président de la République ne revendique qu'une idéologie : le pragmatisme. Il s'adapte à tout. Et à tous. Premier Premier ministre de cohabitation sous Mitterrand, Président cohabitationniste durant cinq ans avec Jospin, libéral version Thatcher dans les années 80, héraut du volontarisme politique dix ans plus tard avec la fracture sociale... à laquelle il renoncera pour la rigueur économique cinq mois après son élection.
Don Quichotte planétaire aujourd'hui, il se rêve en idole des damnés de la terre et vend du vent sur les estrades. Le verbe toujours et encore comme moyen d'action pour contourner les réalités. Comme si, pour lui, discourir était agir. Pompier du globe, apôtre du développement durable, champion de la biodiversité, défenseur du multilatéralisme, ami des peuples premiers et des cultures minoritaires. Le dérapage sur «le bruit et les odeurs» des immigrés africains est oublié, le Président est prêt à tout pour laisser son nom à la postérité.
Jacques Chirac dit ressembler à son peuple. Plutôt que de tracer une voie pour lui, il l'accompagne dans tous les chemins de traverse. Pour toujours, il a épousé les contradictions des Français. Râleur, généreux, conservateur, individualiste, de gauche, de droite... Le chef de l'Etat est tout à la fois, et plus encore. Tel un être protéiforme, il se métamorphose au gré des difficultés ou des émotions. C'est sa marque de fabrique et sa seule constance.
A peine élu en 1995, son premier geste de portée internationale est de relancer les essais nucléaires français dans le Pacifique, au mépris de l'environnement et des peuples riverains. «Notre maison brûle», lance-t-il au sommet de la Terre à Johannesburg en 2002 en théorisant cette fois la fracture planétaire. Qu'importe la schizophrénie. En France, son gouvernement supprime les aides aux transports collectifs, il renonce à instaurer une taxe sur les véhicules polluants, il traîne des pieds pour les écocertifications et défend l'agriculture productiviste et subventionnée.
En 2004, au Guatemala, Jacques Chirac vante les vertus de l'impôt sur le revenu et de la redistribution. Mais début 2005, il réitère sa promesse de faire baisser de 30 % cet impôt en France pendant son quinquennat tout en sachant l'objectif inatteignable. Pour ratisser le plus large possible, il n'hésite jamais à brusquer son camp, comme sur l'Irak, ou à le prendre à revers en prônant une taxe internationale pour financer le développement. Lorsqu'il trouve un filon, il ne le lâche pas. En 2002, ce sera l'insécurité. Le président sortant ira jusqu'à faire le lien entre son unique thème de campagne et la tuerie perpétrée par un déséquilibré à la mairie de Nanterre. Ce qui ne l'empêchera pas de se désoler de voir Le Pen au deuxième tour de la présidentielle... pour mieux se poser nouveau personnage en père de la Nation garant des valeurs de la République. Mais, au fait, qui est Jacques Chirac ?