«Résistance dogmatique incompréhensible»
Des conclusions qui révoltent Me Simon Ntah, avocat de la famille du défunt. «Les expertes qui n’ont aucune expérience en matière de violences policières se rangent derrière une position de principe à la limite de la mauvaise foi, dénonce-t-il. En se basant sur des études cliniques qui montrent que certaines personnes résistent plusieurs minutes dans cette position, elles concluent que l’immobilisation à elle seule n’est pas de nature à causer la mort. Avec un tel discours, on légitime les violences policières. Il faut avoir le courage d’admettre la réalité lorsqu’elle saute aux yeux. S’il n’avait pas été arrêté et roué de coups, s’il n’avait pas été Noir, Mike serait vivant.»
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N’est-il pas normal que les expertes fassent preuve de prudence scientifique? «Il y a une différence entre tirer des conclusions hâtives et nier l’évidence, juge Me Simon Ntah. Dans le cas présent, on est face à une résistance dogmatique incompréhensible.» En cas d’acquittement, le message serait désastreux pour la communauté noire en Suisse, avertit-il. «Acquitter ces policiers reviendrait à octroyer un permis de tuer», lâche l’avocat, qui compte même demander que le chef d’accusation soit requalifié en homicide intentionnel par dol éventuel.
La défense dénonce un «combat politique»
Du côté de la défense, l’avocat d’un des six policiers poursuivis, Me Christian Favre, estime que son client n’a fait que son travail. «Il a tenté d’immobiliser Mike Ben Peter selon une pratique conforme à la formation du policier, aucune pression n’a été faite sur le cou», affirme-t-il, précisant que l’interpellé était d’une corpulence nettement plus importante que lui. «Le plaquage ventral n’est certes pas une position agréable, mais il est scientifiquement admis qu’elle ne provoque pas d’asphyxie», souligne-t-il, relayant ainsi les conclusions des médecins légistes.
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A ses yeux, l’élément central du dossier réside dans la montée de stress subie par Mike Ben Peter, conjointement à ses antécédents de santé. «Un contrôle policier est déjà un facteur de stress, encore plus lorsqu’on est porteur de drogue et qu’on décide de prendre la fuite.» Cela suffit-il à expliquer l’issue tragique de cette interpellation? Si Me Christian Favre juge légitime d’investiguer les causes du décès, il déplore que la partie plaignante mène aujourd’hui un combat politique. «Il ne faudrait pas faire d’amalgames avec des cas américains dont on ne connaît rien», estime l’avocat qui plaidera l’acquittement. Les médecins légistes seront encore entendus en juillet ou en septembre avant la tenue probable d’un procès.
Pratique controversée
Survenue dans un contexte de vives critiques envers la police vaudoise suite à une série d’arrestations controversées, l’affaire de Mike Ben Peter questionne le bien-fondé des méthodes de contrainte, l’usage de la force et le respect la proportionnalité. Souvent pointé du doigt, le plaquage ventral reste autorisé en Suisse sous certaines conditions. «La pratique est strictement encadrée, confirme Jean-Christophe Sauterel, porte-parole de la police vaudoise. Il faut réduire au strict minimum la durée du positionnement ventral, ne pas obstruer les voies respiratoires et parler continuellement à la personne appréhendée.» Sur le terrain, certains commandants et chefs opérationnels proscrivent toutefois la technique, jugée trop risquée.
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Pour Frédéric Maillard, formateur et conseiller en gouvernance auprès de plusieurs polices suisses, les récentes affaires médiatisées cachent un malaise plus profond. «La mort de Mike Ben Peter comme celle de George Floyd provoquent des cas de conscience dans les rangs de la police suisse, avance-t-il. On sait que des pratiques disproportionnées et discriminatoires existent au sein des patrouilles généralistes. De nombreux policiers m’ont confié avoir frôlé l’incident avec comme conséquence des traumatismes graves.»
Frustrations et dérapages
Dans ses analyses des pratiques policières sur le terrain, Frédéric Maillard observe d’importantes frustrations chez les policiers qui peuvent conduire à des dérapages. Comment les expliquer? «Il y a d’une part des erreurs de casting qui poussent certaines personnes à s’engager dans la police essentiellement pour jouer les caïds, estime-t-il. Une faiblesse institutionnelle, d’autre part. Insuffisamment formés, les jeunes policiers se retrouvent rapidement livrés à eux-mêmes et peuvent être confrontés à une grande violence en particulier la nuit. Ils n’ont alors pas droit à l’erreur.»
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Enfin, la pression du groupe pousse, selon lui, à l’intervention, même lorsque ce n’est pas nécessaire. «Le policier a pourtant le droit de renoncer à une action s’il juge qu’il y a un risque de discrimination ou d’atteinte à l’intégrité physique, rappelle Frédéric Maillard. Or, ce pas de côté est rarement utilisé car peu valorisé par les hiérarchies.» Tous ces facteurs peuvent, à ses yeux, pousser certains policiers à s’obstiner dans une interpellation quitte à la voir dégénérer. «Le risque, c’est que la phase de neutralisation devienne une phase punitive où le policier outrepasse ses droits dans la proportion et dans la temporalité.»
La jeunesse noire mobilisée
Face aux dérives, la jeunesse noire clame son désarroi. Président de l’association A qui le tour, née suite au décès d’Hervé à Bex, Chancel Soki milite depuis plusieurs années pour faire bouger les choses. «En tant que Suisse d’origine congolaise, je ne me sens pas en sécurité dans mon propre pays, déplore le trentenaire. A tout moment, je peux être confondu avec un dealer ou un voyou en faisant mon jogging et risquer un contrôle potentiellement violent.» Loin de s’arrêter aux violences policières, Chancel Soki s’attaque aussi au racisme ordinaire. «Il est temps que les politiques, les institutions s’emparent du problème, les réponses au racisme doivent être fermes», plaide-t-il, précisant que l’association a déposé une demande d’autorisation pour manifester la semaine prochaine à Lausanne en l’honneur des «trop nombreuses vies fauchées».