Le président philippin, qui n’a pas pour habitude de mâcher ses mots, a aussitôt déclaré que Boracay était devenu un «cloaque» et annoncé la fermeture de l’île pour six mois, depuis la fin du mois d’avril. Les touristes qui tenteraient de s’y aventurer seront éconduits par des policiers stationnés sur la plage. «Ce n’est pas trop tôt, juge Abigail Aguilar, de l’antenne locale de Greenpeace. L’île est complètement saturée par le tourisme et n’a même pas de station d’épuration.»
On amène une foule de gens dans des lieux relativement isolés et difficiles d’accès, dépourvus d’infrastructures pour traiter les déchets. Tout cela va forcément finir dans la mer et sur la plage
Douglas Woodring, fondateur de l’ONG Ocean Recovery Alliance
Boracay n’est pas la seule destination de rêve à ployer sous le poids du tourisme. Maya Bay, une anse de sable blanc bordée de falaises en calcaire dans le sud de la Thaïlande, ne désemplit pas depuis que le film The Beach y a été tourné en 1999. Elle accueille près de 4000 visiteurs par jour. Cet afflux a pratiquement fait disparaître les coraux et la vie sous-marine autrefois abondants dans ce parc naturel marin. La plage est jonchée de déchets abandonnés par les touristes. Résultat, le gouvernement thaïlandais a décidé d’interdire l’accès à la plage durant quatre mois à partir de juin, pour donner le temps à cet écosystème fragile de se régénérer. Cette pause sera reconduite chaque année et le nombre de touristes limité à 2000 par jour. Deux autres îles, Koh Yoong et Koh Tachai, ont été interdites aux touristes en 2016 déjà.
4,8 millions de tonnes de déchets annuels
A Bali, autre paradis tropical prisé des touristes, les plages sont recouvertes de monceaux de plastique. «Les déchets s’accumulent dans le lit des rivières durant la saison sèche, et lorsque les pluies arrivent, ils sont charriés jusqu’à la mer. Les forts vents qui accompagnent les tempêtes tropicales les ramènent ensuite vers les côtes», explique Roger Spranz, de l’ONG Eco Bali. La situation est telle que le gouvernement a dû décréter un état d’urgence entre décembre et mars de cette année. Certains jours, près de 100 tonnes de déchets étaient récupérées sur les plages de l’île.
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Le tourisme de masse a provoqué une bonne partie de ces problèmes. La Thaïlande a vu le nombre de ses visiteurs passer de 5,3 à 35,4 millions entre 1990 et aujourd’hui. En Indonésie, ils sont passés de 2,2 à 13,7 millions durant la même période. «On amène une foule de gens dans des lieux relativement isolés et difficiles d’accès, dépourvus d’infrastructures pour traiter les déchets. Tout cela va forcément finir dans la mer et sur la plage», souligne Douglas Woodring, le fondateur de l’ONG Ocean Recovery Alliance.
Les Nations unies estiment que les touristes génèrent 4,8 millions de tonnes de détritus par an. Une étude a en outre montré qu’en vacances, les gens en produisent quatre fois plus qu’à la maison. «Les hôtels ont aussi leur part de responsabilité, juge Julie Andersen, qui dirige la fondation Plastic Oceans. Ils ne cessent de distribuer des bouteilles en plastique, des flasques avec du shampooing, des pailles et des cartes magnétiques pour entrer dans les chambres.»
Nestlé devrait en faire plus pour limiter les quantités de plastique à usage unique utilisées dans ses produits. Une entreprise de cette taille se doit de montrer l’exemple
Graham Forbes, chargé de la campagne sur les océans chez Greenpeace
Nestlé en ligne de mire
Tout n’est toutefois pas imputable aux touristes. L’Asie compte de nombreux pays avec une vaste population vivant près des côtes, dépourvus d’infrastructures pour recycler ou incinérer les déchets et dotés de gouvernements pour lesquels la protection de l’environnement ne représente pas une priorité. «A eux seuls, la Chine, l’Indonésie, le Vietnam, les Philippines et la Thaïlande génèrent la majeure partie du plastique qui finit dans la mer», indique Julie Andersen. La rivière Yang-Tsé, qui traverse l’Empire du Milieu avant de se jeter dans l’océan, en charrie 1,5 tonne par an. «Aux Philippines, nous avons une loi qui oblige les autorités à récolter et traiter les détritus, mais la plupart des municipalités locales ne la respectent pas», note Abigail Aguilar. A cela s’ajoutent les importations de déchets plastiques depuis le monde occidental, une pratique courante en Asie. «Souvent, ils sont mélangés avec des emballages à usage unique ou des couches-culottes, précise la militante. Et comme ceux-ci ne sont pas recyclables, ils n’ont pas de valeur marchande et finissent dans la nature.»
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Greenpeace a analysé les objets en plastique retrouvés sur une plage au sud de Manille sur une période de huit jours en 2017. Sur les 54 260 détritus examinés, 9143 avaient été produits par Nestlé. Il s’agissait de la marque la plus représentée, devant Unilever, Procter & Gamble ou Colgate-Palmolive. «Nestlé devrait en faire plus pour limiter les quantités de plastique à usage unique utilisées dans ses produits, juge Graham Forbes, chargé de la campagne sur les océans chez Greenpeace. Une entreprise de cette taille se doit de montrer l’exemple.»
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