A l’aube de l’indépendance (en 1991), nous avions cru, avec l’ardeur de la jeunesse, que notre langue kazakhe injustement bannie [au profit du russe] allait enfin pouvoir s’épanouir dans notre Etat souverain. Au bout de bientôt deux décennies, nous devons hélas reconnaître qu’il n’en est rien. Pourtant, ceux qui désirent l’apprendre ont aujourd’hui tous les outils à leur disposition : manuels intelligemment conçus, supports audio et vidéo, enseignants de qualité, cours gratuits – publics comme privés. En outre, la nécessité de maîtriser le kazakh pour décrocher un emploi de fonctionnaire devrait constituer une forte stimulation.
Pourtant, notre pays compte de plus en plus de russophones et a même vu grandir toute une génération qui ne connaît pas sa vraie langue maternelle. Les jeunes nés au moment de la désintégration de l’URSS sont aujourd’hui diplômés de l’université, mais, quand il s’agit de parler kazakh, ni bilmes [il n’y a plus personne]. Et le mauvais exemple vient d’en haut. Certains responsables politiques ne voient aucun inconvénient à porter des toasts en russe devant de respectables aksakals [vieillards, sages]. Au détriment de notre propre langue, nous persistons à nous accrocher à celle d’un Etat voisin, ami, certes. Nos chaînes de télévision, journaux et radios s’expriment majoritairement en russe.
A l’époque soviétique, les parents sensés qui vivaient en ville envoyaient leurs enfants passer les vacances à l’aoul [au village] afin qu’ils y renouent avec leurs racines et apprennent le kazakh au contact de leurs grands-parents. Désormais, les grands-parents eux-mêmes vivent en ville, appartiennent à une génération qui parle essentiellement russe et se trouvent incapables de transmettre la moindre tradition. Les choses ne sont pas plus réjouissantes du côté des rapatriés, qui ne parviennent pas à se faire une place. En dix-huit ans, un peu plus de 700 000 d’entre eux sont revenus au pays, mais certains sont déjà repartis. Leur ignorance du russe les empêche de trouver du travail et leur complique la vie au quotidien. Dans ces conditions, comment pouvons-nous espérer attirer plus de 5 millions de nos compatriotes qui habitent hors de nos frontières ? Et comment atteindre le seuil de 20 millions d’habitants fixé par le président Nazarbaev ?
Il arrive que l’on voie à la télé des jeunes aux traits slaves qui parlent kazakh sans accent, de belles Maïa ou Oksana, et cela fait chaud au cœur. Il faut rendre hommage au Premier ministre Karim Massimov, qui semble faire des efforts pour apprendre la langue nationale et, parfois même, anime des réunions du gouvernement en kazakh. Cependant, dans aucun Etat de l’espace postsoviétique la langue nationale n’est aussi peu utilisée que chez nous. Serions-nous d’incorrigibles paresseux ? A présent, les jeunes se ruent sur l’anglais. Nous risquons d’avoir bientôt une jeunesse cultivée qui pourra déclamer du Shakespeare, mais ne connaîtra toujours pas sa propre langue. Berik Abdygaliev, directeur du Fonds présidentiel de développement de la langue kazakhe, constate avec raison que “tôt ou tard le problème va devenir politique”. Il ajoute que “ceux qui parlent kazakh se radicalisent” et que “le moindre conflit social sera un jour susceptible de dégénérer en affrontement” entre locuteurs et non-locuteurs kazakhs.
* Vice-président du Parti démocratique Adilet.
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