Denez Prigent
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Propos recueillis par Stéphane Guihéneuf M La Music : Votre dernier album a reçu un accueil plus que favorable. C’est encourageant ? Denez Prigent : Cela m’encourage surtout à aller plus loin. Je chante pour donner quelque chose. Quand cela marche, la pari est gagné. C’est l’essence même de notre discipline artistique : il faut se donner, aussi bien en studio que sur scène. MLM : Contrairement aux précédents albums, "Sarac’h" est plus acoustique. Pourquoi ce choix ? DP : C’est un album sur lequel j’ai travaillé pendant presque deux ans. Pendant treize-quatorze ans, j’ai vécu à Rennes en milieu urbain. Mes albums comme "Me’Zalc’h Ennon Ur Fulenn Aour" sont plus électroniques car cela correspondait à ma façon de vivre à l’époque. J’avais envie de revenir à quelque chose de plus naturel, d’être plus proche de la nature. Depuis deux ans, je réside à la campagne, à Lanvellec. J’ai retrouvé le silence que j’avais oublié à Rennes, les nuits étoilée et le bruissement du vent dans le feuillage d’où le titre de l’album et le choix de lui donner un son plus acoustique pour être plus proche de cette nature retrouvée. Il y a encore de l’électronique sur ce disque, mais elle est moins présente. MLM : Alors que votre premier album ("Ha Daouarn") était plus traditionnel, "Sarac’h" est plus couleur du monde, pourquoi cette évolution ? DP : Ma démarche est celle de l’ouverture. Elle prend appui sur les rencontres. Cela vient de mes origines. Les Bretons ont toujours été de grands voyageurs. Le vent est porteur de sel et de parfums d’Orient. J’ai invité des musiciens d’Orient comme Latif Khan aux tablas, Marcel Aubè au violon chinois ou Farhat Bouallagui au violon arabe. Il y a aussi des musiciens de Bretagne comme Le Bigot qui m’a apporté un instrument de son jardin secret. On y retrouve la bombarde, la flûte irlandaise, l’uilleann pipe et la cornemuse écossaise. Finalement "Sarac’h" c’est tout ce mélange, de notes et d’instruments, qui fait que ma musique devient de plus en plus musique du monde. Mais, si elle est moins traditionnelle ce n’est pas pour autant qu’elle est moins ancrée dans la tradition.
MLM : Vous poursuivez vos collaborations avec des voix, mais cette fois-ci, il s’agit uniquement de voix féminines comme Lisa Gerrard, Mari Boine ou encore Louise Ebrel. Pourquoi ces choix ? DP : Les voix féminines sont toujours intéressantes au niveau musical. J’ai été initié au chant par ma grand-mère qui m’a transmis sa passion du chant. Puis il y a les soeurs Goadec. Cela a été pour moi une révélation. Louise Ebrel, la seule chanteuse bretonne présente sur l’album, est d’ailleurs la fille d’Eugénie Goadec. Comme elle, mon chant, c’est la gwerz (chant dramatique, NDRC) ou le kan an diz kan (chant festif, NDRC). De toute façon, la Bretagne a toujours été une société où les femmes ont tenu une place prépondérante. En plus de Louise Ebrel avec qui je chante "E Garnison !", il y a Yanka Rupkina, la soliste du Mystère des voix bulgares. Lisa Gerard a accepté de chanter avec moi. C’est notre deuxième collaboration. Il y a bien évidemment ma cousine celtique, Karen Matheson, dont la voix douce est à l’opposée de la mienne. Et puis la chanteuse Mari Boine, que je ne connaissais pas. C’est en la découvrant lors d’un reportage que j’ai souhaité chanter avec elle. Dans cette collaboration, chacun garde sa personnalité, sa culture, sa différence. L’essentiel est de trouver le lien commun. MLM : Dans votre précédent album, "Irvi", vous chantiez avec Bertrand Cantat. Y a-t-il un chanteur avec qui vous souhaiteriez chanter ? DP : Oui, j’aimerais bien faire quelque chose avec Danyel Waro. Il chante le maloya (musique réunionaise, NDRC) comme personne.
MLM : Vous chantez toujours la Bretagne et un peu plus le monde. Vous sentez-vous barde ? DP : J’écris avec l’esprit bardique. C’est un style magnifique qui correspond à mon tempérament. L’élément relaté est extérieur : c’est le propre du chant. Je suis un chanteur de chants et non un chanteur de chansons. Les chants parlent de la communauté alors que la chanson est plus personnelle. Dans le chant, la mort revient tout le temps. La gwerz est intemporelle et transmet une émotion au-delà des mots. MLM : Justement, vous aviez dit ne pas souhaiter traduire vos chants à l’image des chanteurs de langue anglaise qui ne traduisent pas les leurs. Or dans le livret de "Sarac’h", des chants ont été traduits. Pourquoi ce revirement ? DP : Avant tout par besoin d’expliquer. De nombreuses personnes m’ont dit qu’elles aimeraient comprendre ce que je chante. Cependant je n’ai traduit que ce qui était traduisible car tout ne l’est pas, comme la rime et l’humour. Une gwerz, c’est assez difficile à traduire en français. MLM : Enfin, en tant qu’artiste, que pensez-vous du problème des intermittents ? DP : Je n’existerais pas sans l’intermittence. Le système m’a aidé à une époque où je n’étais pas connu. Cela m’a permis de sortir. Aujourd’hui, il y a confusion entre culture et divertissement. MLM : Vous qui sortez vos disques chez Universal, que pensez-vous du phénomène "Star Academy" ? DP : "Star Academy", ce n’est pas de la musique ni même de la culture. Ce n’est que du divertissement, et le divertissement n’a qu’une vision à court terme. La culture fonctionne sur le long terme. Il faut parfois plusieurs années pour qu’un artiste sorte. Le divertissement, c’est de la culture Kleenex. MLM : Si la production vous demande de chanter à la Star Academy ? DP : Jamais. Cela ne m’intéresse pas. par Photo médaillon : Stéphane Guihéneuf RubriquesArticles similaires
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