Bref historique des services de renseignement et de sécurité français contemporains
Résumés
Guerre froide, terrorisme international, intelligence économique : les services de renseignement et de sécurité français ont dû, ces soixante dernières années, s’adapter à la situation internationale et s’organiser en conséquence. Ils ont néanmoins conservé leurs rôles respectifs, hérités de la période fondatrice qu’a été la Seconde Guerre mondiale. Depuis, les actions qu’ils ont entreprises ont toujours obéi à la mission nationale fixée par le gouvernement.
Texte intégral
1Héritiers d’organismes nés au cours de la Seconde Guerre mondiale, les services de renseignement et de sécurité français sont marqués dès l’origine par les conflits, ceux entre les nations et ceux entre les hommes. Fin juin 1940, alors qu’une partie de la France est occupée par l’armée allemande, une structure clandestine de renseignement est mise sur pied au sein de l’armée française d’armistice, avec l’aval du ministre de la Défense nationale, le général Weygand. Placés sous la responsabilité du colonel Louis Rivet, chef du SR/SCR (service de renseignement/section de centralisation des renseignements) du 2e bureau, ces services s’organisent sous la couverture de l’Office national du retour à la terre, du ministère de l’Agriculture. Le mois suivant, le SR/Guerre, futur SR/Kléber du lieutenant-colonel André Perruche, et le service de contre-espionnage offensif du capitaine Paul Paillole, sous la couverture de l’entreprise des travaux ruraux (TR), commencent leur action souterraine contre l’occupant allemand et italien. Un SR/air et un SR/marine clandestins se mettent également en place. Ainsi, dans une France divisée, non seulement par l’occupant, mais également entre ceux qui soutiennent le régime de Vichy et ceux qui s’y opposent, une organisation clandestine de renseignement s’installe rapidement.
2À Londres, après avoir appelé les Français à la résistance, le général de Gaulle crée un 2e bureau au sein de son état-major de la France libre. Dirigé par le capitaine André Dewavrin (Passy), ce service a pour mission de se renseigner sur la situation en métropole et d’apporter un appui à la résistance qui s’y organise. Deux ans plus tard, le 28 juillet 1942 à Londres, naît le BCRA (Bureau central de renseignement et d’action), successeur du 2e bureau de la France libre. Jean Moulin, qui a été parachuté en métropole, début janvier, va bénéficier de son aide dans la mission d’unification de la Résistance que lui a confiée de Gaulle. Ce dernier, devenu président du Comité national français (CNF), sorte de gouvernement en exil à Londres, a chargé le BCRA de coordonner son action politico-militaire auprès des personnalités politiques de la résistance, hostiles à ce qu’un chef militaire soit aussi un dirigeant politique. Le 15 novembre, une semaine après le débarquement américano-britannique en Algérie et au Maroc, le colonel Rivet, qui a rejoint l’armée d’Afrique du général Henri Giraud, est nommé à la tête de la Direction des services de renseignement et de la sécurité militaire (DSR/SM). Deux mois plus tard, le commandant Paillole arrive à Alger et prend en mains la sécurité militaire. Les réseaux de renseignement, mis en place en métropole, sont pris en charge par le lieutenant-colonel Henri Navarre.
3Le 22 mai 1943, le général Giraud, devenu commandant en chef de l’administration civile et militaire de l’Afrique du Nord (AFN) et de l’Afrique occidentale française (AOF), crée la Direction des services spéciaux (DSS), confiée au général Georges Ronin. Une unité militaire chargée des opérations spéciales est constituée sous le nom de « bataillon de choc », dirigé par le commandant Fernand Gambiez. Arrivé à Alger au début du mois de juin, le général de Gaulle est nommé, avec le général Giraud, à la tête du Comité français de la libération nationale (CFLN), sorte de gouvernement provisoire des territoires français libérés. Des oppositions entre les deux hommes apparaissent au grand jour, sur les questions militaires et politiques et sur les services spéciaux : pour le général Giraud, ils « appartiennent à l’autorité militaire », alors qu’ils sont « d’essence gouvernementale » pour le général de Gaulle. Le 25 septembre, ce dernier devient seul président du CFLN. Il crée, le 27 novembre, la Direction générale des services spéciaux (DGSS), successeur de l’éphémère SRA (Service de renseignement et d’action), victime des rivalités entre gaullistes et giraudistes. Dirigée par Jacques Soustelle, la DGSS est chargée de coiffer l’action du BCRA et de la DSR/SM auprès de la résistance en métropole et de l’armée d’Afrique, en liaison avec les services alliés. Elle doit également apporter son aide à la résistance en Indochine, une colonie française occupée par le Japon, allié de l’Allemagne.
4Le 21 janvier 1944, dépendante jusque-là des services du commissariat à l’Intérieur, la DGSS est rattachée au cabinet du président du CFLN, c’est-à-dire au général de Gaulle. Le 26 août, ce dernier s’installe à Paris, libéré la veille par la Résistance et les forces françaises. À la tête du gouvernement provisoire de la République, il prépare les institutions de l’après-guerre. Ancien officier du BCRA et adjoint de Soustelle à la DGSS, André Pélabon est nommé directeur de la Sûreté nationale. Deux mois plus tard, le 26 octobre, la DGSS devient Direction générale des études et recherches (DGER). Dirigée par Soustelle, celle-ci reste sous le contrôle direct du chef du gouvernement.
5Selon l’article 3 du décret de sa création, la DGER a tout pouvoir en matière de contre-espionnage intérieur et extérieur, ce que contestent plusieurs hauts fonctionnaires et personnalités politiques. Le 16 novembre, la Direction de la surveillance du territoire (DST), dissoute deux ans auparavant, est officiellement reconstituée. Dépendante du ministère de l’Intérieur, elle est chargée de « la recherche et la centralisation, en vue de leur exploitation sur le territoire soumis à l’autorité du ministère de l’Intérieur, des renseignements de contre-espionnage ». La DST est placée sous la direction de Roger-Paul Warin, dit Wybot, un temps responsable de la section de contre-espionnage du BCRA. Au même moment, Germain Vidal, directeur des Renseignements généraux (RG), réorganise son service.
6Le 16 avril 1945, Soustelle est remplacé par le colonel Dewavrin, qui se lance dans une importante restructuration interne de la DGER. Le 8 mai, la capitulation de l’armée allemande met fin à la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement à l’installation des troupes alliées à Berlin, des postes de renseignement, américains, britanniques, soviétiques et français, se mettent en place dans la capitale allemande. Avec Vienne, Berlin devient la plaque tournante de l’espionnage en Europe. En France, le Parti communiste accuse la DGER d’être une police politique dirigée contre lui. Le 22 septembre, la présidence du Conseil décide de transférer au ministère de l’Intérieur le service de censure postale et de contrôle des communications, dépendants jusque-là de la DGER. Deux mois plus tard, le général de Gaulle est confirmé dans ses fonctions de chef du gouvernement provisoire, auquel participent cinq communistes. Lors du Conseil des ministres du 28 décembre, il est décidé de dissoudre la DGER pour la remplacer par le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE). Maintenu sous le contrôle des services du président du Conseil et sous la direction du colonel Dewavrin, le SDECE est chargé de « rechercher à l’étranger tous les renseignements et toute la documentation susceptibles d’informer le gouvernement ; détecter et signaler aux administrations intéressées les agents des puissances étrangères dont l’action serait susceptible de nuire à la défense nationale ou à la sûreté de l’État ». Constitué en majorité de militaires, de socialistes et de gaullistes, le SDECE apparaît comme l’héritier du BCRA. Son maintien, alors que la paix est rétablie, obéit à une double inquiétude : la menace communiste et le réarmement de l’Allemagne.
7Le 20 janvier 1946, le général de Gaulle démissionne, remplacé à la tête du gouvernement par le socialiste Félix Gouin. Dix jours plus tard, le général de Lattre de Tassigny, chef de l’armée de Terre, crée pour elle un nouveau service de sécurité, le Service de sécurité militaire (SSM), dirigé par le commandant Bonnefous. La sécurité navale, commandée par le capitaine de frégate Labarère, et la sécurité de l’air, confiée au colonel Sérot, ont été reconstituées, la première, en septembre 1944, la seconde, en février 1945. Parallèlement, une réorganisation du 2e bureau, chargé du renseignement militaire, est entreprise au sein des états-majors des trois armées.
8Le 26 février, le député socialiste Henri-Alexis Ribière devient directeur général du SDECE. Il remplace le colonel Dewavrin, accusé d’avoir constitué illégalement un trésor de guerre destiné à financer la résistance à une éventuelle prise du pouvoir par le Parti communiste. Le 7 mai, afin de clarifier les attributions du SDECE en matière de contre-espionnage, l’instruction 525, signée du directeur adjoint de ce service, le colonel Pierre Fourcaud, précise que le SDECE « dirige à l’échelon gouvernemental la recherche, la centralisation et l’exploitation de tous les renseignements de contre-espionnage ; exerce le contre-espionnage à l’étranger, y compris en territoires occupés [zones françaises en Allemagne], et assure le maniement exclusif des agents doubles et la direction de l’intoxication ; informe la Présidence du gouvernement, l’état-major général de la défense nationale et les ministères intéressés sur les ingérences et l’espionnage étranger ». Cette note, qui concerne aussi les services de sécurité de l’armée, stipule que ceux-ci « assurent, dans leurs domaines respectifs : l’ensemble du contre-espionnage dans les armées de Terre, de Mer et de l’Air ; la protection du moral des Armées, du secret militaire, des points sensibles militaires et l’instruction des Armées à ces points de vue ; la répression de l’espionnage militaire en liaison directe avec les services de Police spécialisée (en France et en Afrique du Nord) ; la centralisation de toutes les questions d’expertise concernant les secrets militaires et de toutes les questions de fournitures de renseignements militaires destinées à l’entretien d’agents doubles ou à l’intoxication ».
9Dans le cadre de la restructuration de l’armée française et dans le contexte de la guerre froide qui s’installe en Europe, le député Jean-Marie Bouvier-O’Cottereau propose que le gouvernement crée une organisation spéciale regroupant les anciens agents et parachutistes qui agissaient pour le compte du BCRA. C’est ainsi que le 1er septembre, le bataillon de choc aéroporté voit le jour. Dirigée par le capitaine Edgar Mautaint, cette unité est chargée de former des militaires aux techniques des opérations spéciales, en liaison avec le SDECE. Pendant ce temps en Indochine, malgré le cessez-le-feu conclu avec les dirigeants du Viêt-minh, partisans de l’indépendance, un incident avec la flotte française, fin novembre à Haïphong, marque le début du conflit. Le 16 janvier 1947, dans un climat social difficile, le socialiste Vincent Auriol devient le premier président de la IVe République. Paul Ramadier est nommé chef d’un gouvernement au sein duquel les communistes ne restent que quatre mois. En juin, le bataillon de choc est rebaptisé 11e bataillon de choc. Face à l’agitation sociale qui augmente, les autorités politiques, craignant que le Parti communiste organise des émeutes, renforce les moyens des forces de l’ordre.
10Le 31 janvier 1948, le Service de sécurité des forces armées (SSFA) se substitue aux services de sécurité militaire, navale et aérienne, sous l’autorité directe du ministre des Armées. Le SSFA, confié au colonel Sérot, est chargé de « prévenir l’espionnage et les propagandes sensibles au moral et à la discipline dans les forces armées ; de protéger le secret militaire ; de participer à la protection des points sensibles militaires ; de prévenir le sabotage dans les forces armées, services et établissements dépendant du ministre des forces armées ». Quatre mois plus tard, un Bureau technique de liaison et de coordination (BTLC) est créé au sein du ministère des Colonies, afin de centraliser les informations provenant des colonies françaises.
11À l’automne 1949, éclate l’» affaire des généraux », après la découverte, dans les affaires du président des étudiants vietnamiens en France, de plusieurs exemplaires du rapport secret du général Revers sur la situation en Indochine. L’enquête menée par la DST, qui révèle que deux généraux et un homme politique auraient vendu ces documents, déclenche un règlement de comptes entre responsables de la DST et du SDECE, ainsi qu’une attaque des gaullistes et des communistes contre le gouvernement en place. Le 6 octobre, Henri Queuille démissionne de la présidence du Conseil pour être remplacé par Georges Bidault. À l’Assemblée, le député Eugène Delahoutre pointe la faiblesse des services en dénonçant « des rivalités se transformant parfois en lutte ouverte ». Il suggère qu’un « remède soit apporté à cette situation, dans le sens du regroupement et de la coordination », sans résultat.
12L’année suivante, au printemps 1950, le directeur de la Sûreté nationale, Pierre Bertaux, est remplacé par Robert Hirsch, et le directeur général du SDECE, Henri Ribière, par Pierre Boursicot, ancien directeur de la Sûreté. Le chef de la DST, Roger Wybot, est maintenu à son poste. En Indochine, la guerre s’enlise et des
tensions naissent entre Français et Américains à propos de l’indépendance de ce pays. La Direction générale de documentation (DGD), créée au début de l’année sous la conduite du colonel Gracieux, s’efforce de coordonner l’action des services de renseignement civils et militaires qui foisonnent. En vue de neutraliser l’action révolutionnaire du Viêt-minh, le haut commandement décide d’adopter une nouvelle tactique, basée sur l’action psychologique et l’emploi d’unités spéciales, entraînées à la « guerre non conventionnelle ». Le 7 avril 1951, le général de Lattre de Tassigny, haut-commissaire et commandant en chef de l’armée française en Indochine, signe la décision 174 : « En accord avec la direction générale du SDECE de la présidence du Conseil, et par analogie avec l’organisation métropolitaine, un “service action” est créé à compter du 10 avril 1951 et intégré aux services déjà existants du SDECE en Indochine. Le “service action” est à l’entière disposition du commandant en chef. » Le commandant Henri Fille-Lambie, chef du service action du SDECE en métropole, rejoint l’Indochine pour mettre en place cette nouvelle structure. Une unité, chargée d’exécuter les opérations montées par le service action local, est constituée sous le nom de Groupement des commandos mixtes aéroportés. Le GCMA est placé sous le commandement du lieutenant-colonel Edmond Grall, remplacé un peu plus tard par son adjoint, le commandant Roger Trinquier. Parallèlement, sont mises en place de petites unités de contre-espionnage offensif, en liaison avec les postes du Service de sécurité des forces armées (SSFA), implantés sur place. Le 14 décembre 1953, le SSFA prend le nom de Service de sécurité de la défense nationale et des forces armées (SSDNFA). Le 23 décembre, René Coty est élu président de la République, alors qu’en Indochine les attaques des forces du Viêt-minh contre les troupes françaises se multiplient. Cinq mois plus tard, le 7 mai 1954, la chute du camp français de Diên Biên Phu sonne la fin de la guerre d’Indochine. Le 19 juin, Pierre Mendès France devient président du Conseil.
13En Algérie, le bureau politique du comité révolutionnaire algérien crée, en octobre 1954, le Front de libération nationale (FLN) et appelle à la rébellion contre la France. Celle-ci est déclenchée le 1er novembre par une série d’attentats contre les Européens résidant en Algérie. Les unités militaires sur place sont renforcées. Un groupement de marche du 11e bataillon de choc s’installe en Algérie et la question algérienne devient prioritaire pour l’ensemble des services de renseignement et de sécurité français. Le 4 juin 1955, après que le SDECE a reçu la mission de mettre hors d’état de nuire l’organisation politico-militaire du FLN, la 11e demi-brigade parachutiste de choc (11e DBPC) est créée sous les ordres du lieutenant-colonel Pierre Decorse. Cette unité, dont fait partie le 11e bataillon de choc, est chargée d’exécuter les opérations spéciales montées par la direction du SDECE et de participer aux missions de recherche en renseignement opérationnel, planifiées par l’état-major.
14Le 31 janvier 1956, le socialiste Guy Mollet est nommé président du Conseil, six mois après l’instauration de l’état d’urgence en Algérie. En juin, s’inspirant de ce qui a été mis en œuvre en Indochine sur la base du système RAP (renseignement, action, protection), l’état-major décide la mise en place d’un système équivalent en Algérie. Ainsi est créé le Centre de coordination interarmées (CCI). Placé sous le commandement du colonel Léon Simoneau, le CCI est chargé de combiner l’action des différentes unités agissant dans la recherche du « renseignement de terrain ». De son côté, le Centre de renseignement opérationnel du gouvernement général (CROG) centralise, à l’échelon du gouverneur général de l’Algérie, toutes les informations recueillies par les différents services de renseignement et de sécurité tels que la DST, les RG, la gendarmerie, le SSDNFA, le 2e bureau et le SDECE, ainsi que les SAS (Sections administratives spécialisées). Au cours de l’année, la Tunisie et le Maroc accèdent à l’indépendance, ce qui renforce la détermination des Algériens à obtenir la leur.
15Le 7 janvier 1957, alors que le général Salan est le chef des armées en Algérie, les pouvoirs de police pour le département d’Alger sont confiés au général Jacques Massu, patron de la 10e division parachutiste (10e DP). Parmi ses adjoints se trouvent le colonel Yves Godard, ancien patron du 11e choc, pour l’action psychologique, et le colonel Trinquier, ancien chef du GCMA, pour la sécurité publique. Le commandant Aussaresses, prédécesseur du colonel Godard à la tête du 11e choc, participe à la lutte contre le terrorisme. Au cours du mois de juin, le général Paul Grossin est nommé directeur général du SDECE. De nouvelles opérations sont montées contre les marchands d’armes qui fournissent la rébellion algérienne et contre les bateaux qui transportent ce matériel. De son côté, la DST démantèle plusieurs réseaux du FLN.
16L’échec de la guerre d’Indochine et de l’expédition de Suez, les difficultés de la « pacification » en Algérie et l’instabilité du pouvoir en place, provoquent une fracture entre l’armée et les autorités politiques. Le 13 mai 1958, après avoir pris le contrôle du gouvernement général d’Alger, les partisans du maintien de l’Algérie française constituent un comité de salut public. Sous la conduite du général Massu, les membres de ce comité réclament le retour du général de Gaulle au pouvoir. Le 1er juin, ce dernier reçoit l’investiture de l’Assemblée nationale pour diriger un nouveau gouvernement. Six mois plus tard, le 21 décembre, il devient le premier président de la nouvelle Ve République.
17Le 8 janvier 1959, Michel Debré est nommé Premier ministre. La veille, le général de Gaulle a signé l’ordonnance 59-147 sur l’organisation générale de la défense. L’article 13 précise que « sous l’autorité du Premier ministre, l’orientation et la coordination des services de documentation et de renseignement sont assurés par un comité interministériel du renseignement (CIR) ». Celui-ci agit en étroite collaboration avec le Comité permanent du renseignement (CPR), chargé de définir les grands axes de recherche dans ce domaine. L’amiral Georges Cabanier est nommé à la tête du SGDN (Secrétariat général de la défense nationale), chargé d’assister le gouvernement en matière de politique de défense. Il a également la responsabilité du CIR et du CPR.
18Le 28 mars 1960, tandis que la guerre en Algérie s’accentue, est créé le Groupement interministériel de contrôle (GIC). Placé sous l’autorité directe du chef de gouvernement, le GIC assure « l’ensemble des écoutes et enregistrements téléphoniques et télégraphiques sur fils ainsi que des renvois sur réseau PTT des écoutes microphoniques, ordonnées par les autorités gouvernementales. (…) Il dispose, pour assurer sa mission, de personnels mis pour emploi à la disposition du Premier ministre par le SDECE, le ministère de l’Intérieur, le ministère des Armées, le ministère des PTT ainsi que des installations d’écoutes et d’enregistrements existant dans les différents ministères et services pratiquant actuellement des interceptions téléphoniques. »
19Un an plus tard, le 5 avril 1961, un nouveau décret réorganise la Direction de la sécurité militaire (DSM) : « Service spécialisé dont disposent les différents échelons du commandement pour leur permettre d’assurer la protection des personnels, des documents, des matériels et des établissements contre les ingérences et menées subversives de tous ordres. » Le général Charles Feuvrier est nommé à la tête de ce service. Une de ses tâches est d’empêcher le noyautage de l’armée à la fois par le FLN algérien, par les services spéciaux des pays de l’Est et par l’OAS (Organisation de l’armée secrète), un groupuscule clandestin rassemblant les partisans de l’Algérie française, qu’ont rejoint plusieurs officiers français. À cette date, les RG sont dirigés par Jules Plettner, le SDECE, par le général Paul Grossin, et la DST, par Gabriel Eriau, remplacé peu après par Daniel Doustin. Le 18 mars 1962, un accord de cessez-le-feu entre le FLN et le gouvernement français est signé à Évian. Le 2 juillet, la République algérienne est proclamée. Avec la fin de la guerre d’Algérie, les services de renseignement et de sécurité français portent désormais leur effort sur les services secrets des pays de l’Est et l’espionnage industriel et militaire. Entre-temps, Georges Pompidou est devenu Premier ministre.
20L’année suivante, au cours de l’été 1963, le 13e régiment de dragons parachutistes (13e RDP) devient l’unité terrestre de recherche du renseignement stratégique et opérationnel, au profit direct de l’état-major des armées. Le 31 décembre, la 11e DBPC, commandée par le colonel Albert Merglen, est dissoute. Parmi les cadres du Centre national d’entraînement commando (CNEC), installé à sa place, se trouvent trois officiers qui, trente ans plus tard, deviendront de hauts responsables des services de renseignement : le capitaine Jean Pons, futur directeur du renseignement de la DGSE, le lieutenant Jean Heinrich, futur directeur de la DRM, et le lieutenant Jacques Dewatre, futur directeur général de la DGSE.
21Huit mois plus tard, le 26 août 1964, un nouveau décret fixe les attributions respectives de la DST et du SDECE. Ce dernier agit à l’étranger, pour détecter et contrôler « les activités d’espionnage et d’ingérence dirigées contre la France ou les intérêts français ». La DST lutte en France et dans les territoires français contre « les activités d’espionnage et d’ingérence des Puissances étrangères ». Les missions des deux services sont supervisées par un« Comité de coordination qui anime et oriente deux sous-comités : un sous-comité de Contre-espionnage extérieur et un sous-comité de Contre-espionnage intérieur ».
22Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka, leader de l’opposition marocaine, est enlevé à Paris. L’affaire éclabousse la France et ses services. Le SDECE n’est pas responsable de l’enlèvement, mais il est néanmoins sanctionné le 23 janvier 1966, en passant sous le contrôle des services du ministre des Armées. Son directeur général, le général Paul Jacquier, est remplacé par le général Eugène Guibaud. Au cours de l’été, la section de contre-espionnage du service des Renseignements généraux de la Préfecture de police de Paris (RGPP) est transférée à la DST.
23Sous la présidence de Georges Pompidou, certaines têtes vont encore changer, et les structures se préciser. Le 10 novembre 1970, Alexandre de Marenches prend la direction du SDECE, tandis que le général André Thozet devient directeur de la sécurité militaire et que Jean Rochet reste à la tête de la DST. Au sein de l’état-major des armées (EMA), on crée le Centre de formation interarmées du renseignement (CFIR) et le Centre d’exploitation du renseignement (CER). Cette évolution se poursuit sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, avec la création, en 1976, du Centre d’exploitation du renseignement militaire (CERM). Chargé de centraliser et d’exploiter le renseignement au profit de l’EMA, auquel il est directement rattaché, le CERM est confié au colonel Jacques Laurent.
24Le 10 mai 1981, le socialiste François Mitterrand est élu président de la République. Il nomme Pierre Mauroy à la tête d’un gouvernement auquel participent quatre communistes. Pour la première fois depuis 23 ans, la gauche, socialiste et communiste, est au pouvoir. Un climat de méfiance s’installe entre les nouvelles autorités politiques et les services. Le 17 juin, Pierre Marion est nommé directeur général du SDECE en remplacement d’Alexandre de Marenches, tandis que Paul Roux se voit confier les RG. Alors que certains l’avaient envisagé, la gauche ne supprime pas les services spéciaux. Le 20 novembre, la Direction de la sécurité militaire (DSM) est dissoute. Elle est remplacée par la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), chargée de « coordonner les mesures nécessaires à la protection des renseignements, objets, documents ou procédés intéressant la défense, au sein des forces armées ou des organismes qui lui sont rattachés ainsi que dans les entreprises titulaires de marchés classés de défense nationale passés par le ministère de la Défense ». Le général Michel Jorant en prend la direction, avant de céder la place au général Armand Wautrin. Cinq mois plus tard, le 2 avril 1982, c’est au tour du SDECE d’être remplacé par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) dont la mission reste identique : « Rechercher et exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France, ainsi que détecter et entraver, hors du territoire national, les activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français afin d’en prévenir les conséquences. » Le 10 novembre, la DGSE accueille un nouveau chef, l’amiral Pierre Lacoste. Le même jour, Yves Bonnet est nommé directeur de la DST, à la place de Marcel Chalet.
25Trois ans plus tard, le 10 juillet 1985, éclate l’affaire Greenpeace : du nom de l’association écologiste dont le bateau, Rainbow Warrior, a été coulé par une équipe de nageurs de combat de la DGSE, provoquant la mort d’un membre de l’équipage. Tout comme l’affaire Ben Barka, celle-ci rejaillit sur l’image de la France et de ses services. Elle entraîne la démission du ministre de la Défense et celle du chef de la DGSE, remplacé par le général René Imbot. Le 11e bataillon de choc est reconstitué pour être mis à la disposition du service action de la DGSE, sous le nom de 11e régiment parachutiste de choc (11e RPC). En mars 1986, après la victoire de la droite aux élections législatives, Jacques Chirac devient Premier ministre. Une première cohabitation entre un président de la République de gauche et un chef de gouvernement de droite commence, qui va perturber le fonctionnement des services de l’État. Le renseignement militaire poursuit sa mutation. Le 1er septembre, l’état-major de l’armée annonce la création de l’École interarmées du renseignement et de l’étude des langues (EIREL). Installée à Strasbourg, elle regroupe le CFIR (Centre de formation interarmées du renseignement), le CIRIP (Centre d’instruction du renseignement et d’interprétation photographique), le CLEEM (Centre des langues et d’études étrangères militaires), le Centre d’enseignement de l’allemand, rattaché à la gendarmerie des Forces françaises en Allemagne, et le Groupement 309 des Écoles de l’armée de l’Air.
26Le 8 mai 1988, François Mitterrand est réélu président de la République et la gauche gagne les élections législatives. Le socialiste Michel Rocard est nommé Premier ministre, mettant fin à la cohabitation gauche-droite. À la direction des RG, Philippe Massoni cède sa place à Jacques Fournet, tandis que Guy Fougier est nommé à la tête du SGDN. Le 22 mars de l’année suivante, le préfet Claude Silberzahn prend la direction de la DGSE à la place du général Mermet. Il entreprend une importante restructuration interne du service et lance un plan de recrutement dont le but est d’augmenter les effectifs du personnel civil de la DGSE. Le 20 avril, le Premier ministre signe un nouveau décret concernant la réorganisation du Comité interministériel du renseignement (CIR). Le 23 août 1990, il se rend au siège de la DGSE et présente les grandes lignes d’un plan quinquennal de réforme du service. Trois mois plus tard, le 18 novembre, lors du sommet de la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), la guerre froide entre l’Est et l’Ouest est officiellement close. Désormais, les grands axes de recherche des services de renseignement et de sécurité concerneront le terrorisme international, l’intelligence économique, la prolifération d’armes de destruction massive et le crime organisé.
27Sur le plan intérieur, la priorité est donnée aux crises traversées par la société française. Comme le précise la circulaire de 1991, la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) doit s’attacher à « la prévision et à la mesure des évolutions de l’opinion publique au travers de ses multiples canaux d’expression ; à l’examen attentif de l’expression des revendications sociales dont le caractère multiforme exige une vigilance constante ; à une intervention accrue dans les secteurs économique et financier, en particulier pour aider au repérage des circuits de recyclage des capitaux illicites ; à une étude approfondie des tensions et évolutions au sein de la société civile ».
28La participation des forces françaises à la guerre du Golfe, en 1991, débouche sur une nouvelle réforme. Une étude, réalisée par le ministère de la Défense, révèle les faiblesses du renseignement militaire. Le 16 juin 1992, est créée la Direction du renseignement militaire (DRM). Selon le décret fondateur, son directeur « assiste et conseille le ministre chargé des armées en matière de renseignement d’intérêt militaire ». La DRM dispose « du concours de l’ensemble des organismes contribuant au renseignement d’intérêt militaire, notamment de ceux qui relèvent de la gendarmerie nationale et de la délégation générale pour l’armement. Elle élabore et met en œuvre les orientations en matière de renseignement d’intérêt militaire. Elle exerce en ce domaine une fonction d’animation et de coordination ». La DRM chapeaute le 2e bureau de chacune des trois armées, le CERM (Centre d’exploitation du renseignement militaire), le CIREM (Centre d’interprétation du renseignement électromagnétique), le CFIII (Centre de formation et d’interprétation interarmées de l’imagerie) et l’EIREL (École interarmées du renseignement et de l’étude des langues). Le général Jean Heinrich, précédent directeur des opérations à la DGSE, est nommé à la tête de la DRM.
29Huit jours plus tard, le ministère de la Défense annonce la création du Commandement des opérations spéciales (COS). Placé sous la
responsabilité du général Maurice Lepage, le COS est chargé de planifier et coordonner l’exécution d’opérations spéciales décidées par l’état-major des armées. Il peut faire appel au 1er RPIMA (1er régiment parachutiste d’infanterie de marine), au CPA 10 (Commando parachutiste de l’air no 10), au GSIGN (Groupement de sécurité et d’intervention de la Gendarmerie nationale), à la DOS/AA (Division des opérations spéciales de l’armée de l’Air), aux commandos de la marine, et, en cas d’intervention antiterroriste, au GIGN (Groupement d’intervention de la Gendarmerie nationale).
30L’année suivante, le 29 mars 1993, à l’issue des élections législatives gagnées par la droite, Édouard Balladur est nommé Premier ministre, entamant une seconde cohabitation gauche-droite. Au cours du printemps, un groupe informel, constitué de hautes personnalités, se prononce en faveur de la création de deux organismes qui réuniraient, l’un, les services de sécurité intérieure tels que les RG, les RGPP et la DST, l’autre, les services de renseignement extérieur tels que la DRM et la DGSE. Mais le projet n’aboutit pas. Début juin, le préfet Jacques Dewatre est nommé à la tête de la DGSE. Deux mois plus tard, le 1er septembre, suite logique de l’étude réalisée au lendemain de la guerre du Golfe et de la création de la DRM, la Brigade de recherche et de guerre électronique (BRGE) est officiellement constituée. Cette nouvelle unité regroupe le 13e régiment de dragons parachutistes (13e RDP), le 7e régiment d’artillerie (7e RA), et les 44e et 54e régiments de transmissions (44e et 54e RT).
31À la fin du mois de juin 1994, les RG sont accusés d’avoir écouté les débats du conseil national du Parti socialiste qui se déroulaient à huis clos. Le directeur des Renseignements généraux de la Préfecture de police de Paris (RGPP), Claude Bardon, est remplacé par Jean-Pierre Pochon. Sept mois plus tard, le 16 janvier 1995, un nouveau décret précise les missions des RG. Désormais, concourant « à la mission générale de sécurité intérieure », ils ne doivent plus enquêter sur les formations politiques. Le 7 mai, Jacques Chirac est élu président de la République. Alain Juppé devient Premier ministre. En juillet, le premier satellite européen de renseignement militaire, Hélios I, est lancé avec succès. Deux ans plus tard, le 2 juin 1997, après la victoire de la gauche aux élections législatives, le socialiste Lionel Jospin est nommé Premier ministre, entamant une première cohabitation entre un président de droite et un chef de gouvernement de gauche. Le mois suivant, le général Claude Ascensi est nommé à la tête de la DPSD. Peu après, Jean-Jacques Pascal, ancien directeur des RG, prend la direction de la DST à la place de Philippe Parant, tandis que le préfet Dewatre reste à la tête de la DGSE. L’année suivante, le 21 janvier 1998, le vice-amiral Yves de Kersauson devient directeur de la DRM. Six mois plus tard, Jean-Claude Mallet est nommé à la tête du SGDN, à la place d’Isabelle Renouard, première femme a avoir occupé ce poste.
32À l’automne 1999, une proposition de loi pour la création d’une délégation parlementaire pour les affaires de renseignement, destinée à associer le Parlement à la politique de renseignement du gouvernement, est déposée à l’Assemblée nationale, sans suite. Le 3 décembre, un nouveau satellite d’observation militaire est lancé. Début février 2000, Jean-Claude Cousseran devient directeur général de la DGSE. Quelques mois plus tard, la direction du renseignement de ce service est réorganisée en profondeur. Durant l’été, le contrôleur général Dominique Conort prend la direction de la DPSD.
33À partir de l’automne 2001, après l’attentat du 11 septembre à New York, les missions des différents services de renseignement et de sécurité se recentrent sur le terrorisme islamique. Le 15 mai 2002, à peine réélu, Jacques Chirac signe un décret portant création du Conseil de sécurité intérieure (CSI), chargé de définir « les orientations de la politique menée dans le domaine de la sécurité intérieure ». Cette nouvelle autorité est confiée à Philippe Massoni, ancien directeur des RG. Durant l’été, les capacités d’intervention des forces spéciales sont accrues par le rattachement du 13e RDP au COS. Le 24 juillet, trois semaines après la nomination de Pierre de Bousquet de Florian à la tête de la DST, Pierre Brochand devient directeur général de la DGSE. Le lendemain, afin de définir les relations entre le 2e bureau de chacune des armées et les attachés de défense, un arrêté du ministère de la Défense stipule que le directeur de la DRM « dirige et coordonne, dans le cadre des directives du chef d’état-major des armées, l’action des attachés de défense et des attachés spécialisés en matière de renseignement militaire ».
34Fin décembre 2003, suivant les recommandations d’un rapport parlementaire, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin nomme Alain Juillet haut responsable chargé de l’intelligence économique. En janvier 2004, Pascal Mailhos devient directeur des RG. Au cours de l’été, Francis Delon prend la tête du SGDN, tandis que l’EIREL passe sous le commandement du colonel Gonnet et que le CEERAT (Centre d’enseignement et d’études du renseignement de l’armée de Terre), créé deux ans plus tôt, se renforce en moyens. L’année suivante, le général Denis Serpollet succède au général Michel Barro à la direction de la DPSD, et le général Michel Masson remplace le général André Ranson, à celle de la DRM. En mars 2006, Joël Bouchité prend la direction des RG. Un projet de regroupement géographique de la DST, des RG et de la DNAT (Direction nationale antiterroriste) est mis en œuvre. Le 1er juillet suivant, l’EIREL devient Centre de formation interarmées au renseignement (CIFAR), sous les ordres du colonel Tilly.
35Aujourd’hui, l’ensemble des services de renseignement et de sécurité français, constitué de la DST et de la DCRG, pour l’Intérieur, de la DPSD, de la DRM et de la DGSE, pour la Défense, représente un effectif d’environ 13 800 personnes, pour un budget de près de 735 millions d’euros.
Pour citer cet article
Référence papier
Claude Faure, « Bref historique des services de renseignement et de sécurité français contemporains », Revue historique des armées, 247 | 2007, 70-81.
Référence électronique
Claude Faure, « Bref historique des services de renseignement et de sécurité français contemporains », Revue historique des armées [En ligne], 247 | 2007, mis en ligne le 01 août 2008, consulté le 05 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/rha/1843
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