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L’ibâḍisme, une minorité au cœur de l’islam
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Première partie

L’ibâḍisme, une minorité au cœur de l’islam

Cyrille Aillet
p. 13-36

Texte intégral

  • 1 Ce dossier prend place dans le cadre du programme de l’Agence Nationale de la Recherche que nous di (...)

1Parmi les courants qui composent l’islam, l’ibâḍisme est l’un des plus méconnus1. Aujourd’hui réduit à une minorité infime – sans doute moins de trois millions de personnes –, il n’a survécu qu’à Oman, le seul pays où il est dominant, sur la côte orientale de l’Afrique (principalement à Zanzibar) et au Maghreb. En Libye, les Ibâḍites sont implantés dans le Djebel Nafûsa et à Zuwâra, en Tunisie sur l’île de Djerba, et en Algérie à Ouargla et dans le Mzâb, leur principal bastion. Des flux migratoires parfois anciens ont rajouté des points d’ancrage à cet archipel dynamique, à la fois sincèrement attaché à ses îlots de culture traditionnelle et profondément soucieux de développer son insertion dans des réseaux internationaux plus larges.

2Bien qu’ils récusent cette parenté, les Ibâḍites sont généralement considérés comme les derniers descendants de la troisième branche de l’islam, le khârijisme, naguère singularisée par sa contestation d’un califat héréditaire et absolutiste réservé aux seuls Quraysh. L’apparition de l’ibâḍisme à Baṣra, vers la fin du ie/viie siècle, est toutefois indissociable de la recherche d’une solution de compromis et de coexistence avec les autres courants de l’islam. Ses pères fondateurs – parmi lesquels figurait peut-être le mystérieux Ibn Ibâḍ – récusaient en effet l’intransigeance des Azraqites, dont la politique de terreur est à l’origine de la légende noire qui entoure le khârijisme. L’ibâḍisme n’en a pas moins hérité de ce courant une vision élective et collégiale du pouvoir qui met en avant le choix de la communauté et l’exemplarité religieuse du gouvernant, dont la destitution est jugée légitime en cas de rupture du pacte initial.

3Dans le contexte actuel des révolutions arabes, les Ibâḍites aiment d’ailleurs à se définir comme des « démocrates de l’Islam » (Koribaa, 1991 ; Ghubash, 1998). Au Maghreb, l’historiographie rappelle volontiers leur participation aux révoltes qui secouèrent l’empire omeyyade finissant, leur rôle actif dans la propagation de l’islam en milieu berbère et jusqu’en Afrique noire, l’engagement de leurs intellectuels dans la Nahḍa et dans la contestation anticoloniale dès la fin du xixe siècle, ainsi que leur lutte contre le « tyran » Kadhafi. Du côté d’Oman, devenu la vitrine mondiale de l’ibâḍisme, le discours officiel vante la « renaissance » impulsée par le sultan Qâbûs grâce aux ressources de l’or noir, mais aussi l’esprit de « tolérance » qui caractériserait la société locale. Refusant d’être cantonnés dans une périphérie, les Ibâḍites revendiquent au contraire une place à part entière au sein de l’orthodoxie, et un rôle possible dans la rénovation de l’islam.

4Ce volume tisse une réflexion sur la façon dont cette minorité s’est façonnée au cœur de l’Islam. L’accent sera mis sur les modèles et sur les enjeux de mémoire de ce courant singulier, constamment appelé à composer avec les orthodoxies dominantes.

L’épouvantail politique du khârijisme

5La division du champ doctrinal de l’islam dépend d’une terminologie et d’une arborescence directement issues des nomenclatures dressées dans les traités hérésiographiques. C’est ainsi qu’aux branches rivales du « sunnisme » et du « shiʿisme » s’en rajoute une troisième, le « khârijisme », si impitoyablement élaguée au cours de l’histoire qu’il ne s’y rattacherait plus qu’un rameau vivant : l’ibâḍisme. La logique classificatoire de la division en « sectes » (tafrîq) réduit donc l’ibâḍisme à l’image d’un isolat, doublement marginalisé par son poids démographique infime et par son identification au khârijisme, d’ailleurs vivement contestée par cette famille religieuse qui se présente au contraire volontiers, de nos jours, comme la cinquième école (madhbab) du sunnisme.

6L’étiquette du khârijisme désigne une véritable nébuleuse de mouvements, principalement actifs aux deux premiers siècles de l’islam et qui dérivent du tronc commun de la Muḥakkima. Tel est en effet le nom donné à ceux qui, en 36/657, s’opposèrent à la décision du quatrième calife ʿAlî d’interrompre la bataille de Ṣiffîn en s’en remettant à un arbitrage humain (taḥkîm) pour départager les belligérants, et qui proclamèrent l’absolue transcendance de la volonté divine sur à l’égard des décisions humaines (lâ ḥukm ilà li-llâh). Les khârijites seraient donc « sortis » (kharaja) de Kûfa, ou du camp de ʿAlî, pour se réfugier d’abord à Ḥarûra – un village d’après lequel on leur donnera aussi le nom de Ḥarûriyya – avant d’affronter les troupes du calife à al-Nahrâwân, où ils furent décimés. L’étude d’Adam Gaiser s’attaque justement ici à ce monument conflictiel de mémoire en s’interrogeant sur la consignation du débat (munâẓara) qui aurait opposé le parti de ʿAlî aux Muḥakkima à Ḥarûra. Bien que des études précédentes aient déjà effleuré ce sujet (Djaït, 1989 ; Gouja, 2006), cet essai préliminaire ouvre une belle enquête sur la contre-mémoire ibâḍite de la fitna, en recueillant les éléments hérités du khârijisme, mais en reconstituant aussi les avatars successifs du récit et sa circulation dans des cercles plus larges, notamment ceux du sunnisme. À partir d’une minutieuse enquête sur les strates et les filières de récit, l’auteur montre en effet clairement la constitution dans l’ibâḍisme de deux courants historiographiques, omanais et maghrébin. Mieux encore, il établit que le courant maghrébin, qui charriait des matériaux très anciens venus de Baṣra et de Kûfa, a largement alimenté les textes sunnites.

7À la suite de Nahrâwân, la tradition historiographique retient que la sécession (khurûj) serait devenue le maître mot du khârijisme. Ses courants les plus activistes auraient alors prêché la révolte et l’affrontement armé systématiques contre les « tyrans » omeyyades, prônant l’usage de l’assassinat politique (istiʿrâḍ), dont ʿAlî fut la première victime. Ces soulèvements débouchèrent sur la constitution de territoires affranchis de toute domination impie et baptisés « domaine de l’hégire » (dâr al-hijra). Enfin, les khârijites les plus virulents auraient proclamé l’exclusion des autres musulmans, considérés comme des polythéistes (mushrikûn) dont le sang, les biens et la réduction en esclavages étaient licites. Oublieuse des multiples nuances de cette famille idéologique, en réalité extrêmement morcelée par des débats internes et des schismes répétés entre les adeptes de la ligne dure du khurûj et ceux qui mettaient plutôt en avant le quiétisme (quʿûd) et la coexistence pacifique, la postérité n’en a guère retenu que la manifestation la plus spectaculaire : la secte des Azraqites, illustrée par ses deux légendaires desperados Nâfiʿ b. al-Azraq et Qaṭarî b. al-Fujâ’a. L’hérésiographie et la littérature ont puissamment contribué à faire fusionner dans ces deux personnages la figure du bandit de grand chemin, sans foi ni loi, et celle du fanatique indomptable faisant de la terreur son arme absolue. Femmes enceintes éventrées, enfants passés au fil de l’épée, raids contre les villes d’Irak, interminables poursuites contre cet ennemi insaisissable : la saga meurtrière des Azraqites – « bêtes féroces parmi les Arabes » (sibâʿ al-ʿarab, al-Ṭabarî, 1429/2008 : 3/1184) – fait du khârijisme l’incarnation du mal absolu. Sans doute dès l’époque omeyyade, cette famille contestataire a été présentée dans la littérature officielle comme une dangereuse survivance de l’individualisme anarchique de la Jâhiliyya, comme une forme nocive sécrétée par la fitna, dont seule l’éradication pouvait permettre à l’État de se construire. Caricaturant les interminables schismes internes, l’anti-autoritarisme et le relatif égalitarisme de cette mouvance comme autant de preuves de son incapacité à gérer la Cité, assimilant bien souvent les révoltes à des actes de brigandage, l’orthodoxie triomphante a fait du khârijisme un anti-modèle, voire un épouvantail politique nécessaire à sa propre définition.

  • 2 On pardonnera à l’auteur de s’abstenir volontairement de mentionner précisément ces sites que l’on (...)

8Cette imagerie, stéréotypée et manichéenne mais ô combien puissante, s’est profondément ancrée dans l’imaginaire collectif jusqu’à aujourd’hui, où le terme de « khârijite » alimente encore la polémique et sert quelquefois à désigner le terrorisme jihâdiste, nouvel avatar de la secte des Azraqites pour quiconque se montre peu soucieux de nuances historiques (Kenney, 2006). On comprend donc que la dénomination « khârijite » soit vivement contestée par les auteurs ibâḍites actuels qui, à la suite du grand « pôle » de l’ibâḍisme, Muḥammad b. Yûsuf Aṭfayyesh (m. 1914) n’en retiennent que l’idée de révolte contre les pouvoirs impies (Prevost, 2010 : 90). La phrase al-Ibâḍiyya laysû khawârij (« les Ibâḍites ne sont pas des khârijites ») revient donc dans les écrits ibâḍites comme un bouclier contre les attaques dont ils font encore l’objet, et dont la toile du Net rend parfaitement compte2. On y trouve en effet toujours quelques prédicateurs ou idéologues plus ou moins amateurs pour rappeler, sur des sites consacrés à la « défense du sunnisme », l’appartenance de l’ibâḍisme au « khârijisme ». Cet environnement de pensée, entretenu par la mouvance salafiste, explique que les Ibâḍites aient réagi en produisant de nombreuses brochures et des sites Internet où la question « Qui sont les Ibâḍites ? » (man hum al-Ibâḍiyya ?) sert d’amorce à la réfutation de tout lien avec le khârijisme et à la revendication d’une appartenance de droit au sunnisme. Pourtant, l’accusation de khârijisme peut aisément se retourner contre ceux qui la brandissent, puisque le wahhâbisme saoudien a lui aussi qualifié de « nouveau khârijisme » par ses contempteurs.

9Bien que ces polémiques stériles relèvent plus de l’idéologie que d’une approche scientifique, elles démontrent à quel point l’arsenal hérésiographique mis en place à partir de l’époque ʿabbâsside met en difficulté toute appréhension rationnelle de la diversité doctrinale en Islam. L’historiographie moderne n’a d’ailleurs guère songé à déconstruire cette doxa, oubliant de s’attaquer à l’enjeu le plus important : l’identification de cette constellation de courants politiques et religieux hétérogènes. Le terme même de « khârijisme » pose d’ailleurs problème dans la mesure où il souligne une forme de « déviance » et occulte ce qui constitue le trait d’union de ces mouvements, qu’ils soient quiétistes ou bien partisans du khurûj : la défense d’un pouvoir anti-absolutiste, électif et collégial. Néanmoins, la légende noire du khârijisme a pu se déployer dans un champ libre de tout témoignage adverse, puisque les manifestations politico-religieuses antérieures à l’ibâḍisme n’ont laissé aucune trace écrite directe. Il n’en demeure pas moins possible d’identifier, pour certains de ces mouvements, des visions alternatives comme celle qu’offre du leader Ḥamza b. Âdharak la chronique anonyme du Târikh-e Sistân (1976 : xxxi-ii et 123-5). Soulevé contre le fisc ʿabbâsside dans les campagnes du Sistân entre 182/798 et 213/828 et classé parmi les khawârij, Ḥamza est rangé dans la longue liste de ces « shurât », un terme qui désigne les individus prêts à « vendre leur vie » pour lutter contre les « tyrans ». Or le Târîkh i-Sistân, dont la première partie illustre le revival de la prose persane au ve/xie siècle, célèbre l’insurgé comme un héros de la lutte contre le pouvoir oppresseur des ʿAbbâssides. Il voit en lui un acteur pionnier de l’émancipation de la région vis-à-vis du pouvoir arabo-musulman central. Il faut également souligner qu’une certaine ambiguïté transparaît dans les écrits des auteurs de l’ère ʿabbâsside, car ces groupes partageaient avec le pouvoir issu de la révolution de 132/750 un vif sentiment anti-omeyyade. Lors du soulèvement d’Abû Muslim dans le Khurasân, ses partisans firent d’ailleurs parfois cause commune avec les Khârijites contre leur ennemi commun (al-Ṭabarî, 1429/2008 : 4/1503). Des bannières noires apparurent fugacement aux côtés du shârî ibâḍite Abû Ḥamza al-Mukhtâr lorsqu’au cours du pèlerinage il prêcha la désobéissance aux Marwânides (al-Ṭabarî, 1429/2008 : 4/1505). Certes, un lecteur orthodoxe ne pouvait pas adhérer au discours violemment anti-Quraysh qu’il aurait prononcé à Médine après s’être emparé de la ville pour le compte de l’imâm Ṭâlib al-Ḥaqq (129/746-747). Cependant, les textes soulignent (al-Ṭabarî, 1429/2008 : 4/1512-1516) qu’il aurait si bien traité les Médinois que ces derniers s’inclinaient devant lui lorsqu’il proclamait l’un des principes du khârijisme : « Quiconque a forniqué est un infidèle » (man zanà fa-huwa kâfir) ! À la dénonciation des dérives du khârijisme se mêle intimement, dans le discours ʿabbâsside, la récupération de leur discours anti-omeyyade et l’expression d’une certaine gêne vis-à-vis du piétisme et de l’ascétisme que ces mouvements plaçaient au centre de leur doctrine.

10Comme ces notes le suggèrent, il serait temps de revisiter entièrement la mémoire de la fitna (Martinez-Gros et Tixier du Mesnil, 2011) qui, tout entière canalisée par l’orthodoxie qui s’imposa in fine sous les ʿAbbâssides, continue d’imposer une lecture hérésiographique des différences doctrinales dans l’Islam des premiers siècles. Poser la question de l’appartenance de l’ibâḍisme au khârijisme constitue donc une forme d’adhésion, volontaire ou non, à la nomenclature hégémonique imposée par l’historiographie. Le problème qui nous semble donc avoir le plus de sens est la définition même de cet ensemble que l’on réunit sous le nom de khârijisme, et l’analyse de ses relations avec les milieux doctrinaux des premiers siècles de l’Islam (voir sur ce point les remarques convergentes de Gaiser, 2010 : 5-6).

Le façonnement d’une mémoire des origines

11On peut toutefois retenir que les partisans d’un imâmat électif et anti-absolutiste furent amenés, après l’échec de la première vague de révoltes en 79/698, à rechercher des formes nouvelles de compromis avec leurs adversaires. Ce serait dans ces décennies que la bouillonnante métropole du sud de l’Irak, Baṣra, aurait vu se développer un courant que John Wilkinson qualifie d’« unitarisme khârijite » (Wilkinson, 2010 : 155-6). Favorables à l’abandon ou à la mise en sommeil des armes, ses membres se prononcèrent en faveur de la coexistence avec les autres musulmans, dénonçant les formes les plus extrêmes de confrontation militaire et l’usage indiscriminé de la violence par les Azraqites et la Najdiyya (Ashʿarî, 1369/1950 : 161-4 ; Crone et Zimmermann, 2001 : 99-111). Refusant de considérer les autres musulmans comme des polythéistes (mushrikûn), les Ibâḍites leur reconnaissaient le statut de « gens de la qibla », donc de croyants avec qui le mariage et tout type de transaction étaient licites. Mais ils les rangeaient dans la catégorie intermédiaire des « hypocrites » (munâfiqûn), et plus tard dans celle des coupables d’infidélité mineure ou kufr niʿma, une forme d’« oubli des bienfaits divins » promise au châtiment dans l’Au-Delà si l’individu ne faisait pas pénitence (Cuperly, 1984 : 329 ; Crone et Zimmermann, 2001 : 195-8). Dans les débats contemporains sur le statut du pécheur, les Ibâḍites conservèrent en effet une vision tranchée, bien que beaucoup plus modérée que celle des autres sectes dites « khârijites » : à la wilâya – ou « communion de solidarité » avec tous les vrais « musulmans » – s’oppose la « dissociation » (barâ’a) à l’égard des pécheurs et des imâms injustes (Cuperly, 1984 : 130-136).

12À partir de la rupture avec les Azraqites – en 64/683, selon la version traditionnelle, mais en réalité peut-être plutôt au début du iie/viiie siècle – l’ibâḍisme allait finalement se structurer dans un milieu tiraillé entre la voie du quiétisme (quʿûd), d’une part, et celle de la sécession (khurûj) et du sacrifice (shirâ’), d’autre part. Abû Bilâl Mirdâs (m. 61/680), l’un des ancêtres affichés par l’ibâḍisme bien qu’on ignore son affiliation exacte, illustre parfaitement cette ambivalence : rescapé de Nahrawân, il prêcha ensuite la coexistence pacifique, avant de se révolter contre le gouverneur omeyyade local (Watt, 1961 : 217).

13Les conditions d’émergence de ce « proto-ibâḍisme » (Wilkinson, 2010 : 183) sont toutefois plongées dans l’obscurité, d’autant plus que la littérature ibâḍite postérieure se montre assez fluctuante dans l’identification et la hiérarchie de ses pères fondateurs. Quant au « modèle monolinéaire des origines de l’ibâḍisme » – qui prend pour point de départ Ibn ʿAbbâs et s’appuie ensuite sur Jâbir b. Zayd, Abû ʿUbayda Muslim b. Abî Karîma et al-Rabîʿ b. Ḥabîb al-Azdî –, il laisse dans l’ombre des personnages fondamentaux. De plus, il procède d’un effort de rationalisation tardif, dans lequel les sources maghrébines postérieures à la chute de Tâhart (en 296/909) ont apparemment joué un rôle déterminant (Wilkinson, 2010 : 165-6, 176, 183). Cette chaîne de transmission s’appuie sur des figures consensuelles, reconnues aussi par le sunnisme, comme Ibn ʿAbbâs ou Jâbir b. Zayd. Les disciples de ce dernier, qu’Ibn Saʿd ne classe pas parmi les Ibâḍites, étaient d’ailleurs affiliés à plusieurs cercles doctrinaux (Lewicki, 1975 ; Wilkinson, 2010 : 183-205). L’ibâḍisme naquit donc dans un contexte de profonde interaction entre les mouvements intellectuels qui se montraient critiques vis-à-vis du pouvoir en place (van Ess, 1991 : 2/4-429) : le murji’isme, auquel réplique Sâlim b. Dhakwân au iie/viiie siècle (Crone et Zimmermann, 2001 : 114-27, 219-43), le qadarisme et le muʿtazilisme. Avec ce dernier, qu’il combattra pourtant par les armes de la parole jusqu’aux contrées arides du Mzâb au ve/xie siècle, si l’on en croit le récit des chroniqueurs (Abû Zakariyyâ’ al-Warjilânî, 1985 : 255 ; al-Darjînî, s.d. : 1/184), l’ibâḍisme partage plusieurs points communs. Les deux mouvements nourrissent en particulier le même rejet de l’« anthropomorphisme » et du littéralisme, leur préférant une interprétation métaphorique des versets coraniques décrivant Dieu. Enfin, ils défendent aussi la croyance dans la nature créée du texte sacré (Cuperly, 1984 : 213-257).

14L’un des articles de ce numéro témoigne des circulations intellectuelles qui ont prévalu dans la constitution de l’ibâḍisme. À partir d’un cas d’étude précis, le montant de la zakât sur le bétail – fixé à trente têtes dans le sunnisme et le shiʿisme, mais à seulement cinq têtes chez les Ibâḍites –, Ersilia Francesca souligne à quel point cette disposition juridique apparemment marginale n’a en réalité rien de spécifiquement ibâḍite. On en trouve en effet la trace discrète dans les corpus sunnites, ce qui montre qu’elle provient d’un milieu baṣrien encore très ouvert au brassage doctrinal et qu’elle fut ensuite abandonnée par la majorité des juristes lors de la première grande phase de fixation du droit au iiie/ixe siècle. Le manuscrit inédit qu’examine cette islamologue, constitué de questions juridiques attribuées au célèbre Successeur du Prophète (tabiʿî) Qatâda b. Di‘âma (m. c. 117/735), comporte des matériaux issus de traditions dogmatiques croisées, qui ne portent ni le sceau exclusif de l’ibâḍisme ni celui d’une orthodoxie identifiable comme « sunnite ».

15Comme tous les récits des origines, celui des Ibâḍites a fait l’objet de réécritures et de réappropriations constantes, au Maghreb comme à Oman. Néanmoins, l’étude critique de ce façonnement mémoriel n’en est qu’à ses prémices. Parmi les débats qui traversent l’historiographie actuelle figure la discussion autour de ʿAbd Allâh b. Ibâḍ, personnalité éminemment évanescente mais à laquelle on rattache le nom du groupe. On ne connaîtrait pratiquement rien sur cet individu, qui brille plutôt par son absence des sources anciennes, si on ne lui attribuait pas deux lettres. Encore sont-elles conservées dans des ouvrages pour le moins tardifs : le Kitâb al-jawâhir al-muntaqât d’Abû l-Faḍl al-Barrâdî, écrit à Djerba dans la seconde moitié du viiie/xive siècle, et le Kashf al-ghumma, achevé à Oman en 1141/1728 par Sirḥân b. Saʿîd al-Izkawî (m. 1150/1737) à partir de sources antérieures. Depuis que Michael Cook (1981 : 51-67) a attribué la première de ces lettres à Jâbir b. Zayd et défini son destinataire comme le gouverneur de Baṣra ʿAbd al-Mâlik b. Muhallab (m. 102/720) – écartant ainsi l’identification habituelle au calife ʿAbd al-Mâlik b. Marwân (65-86/685-705) –, le rôle historique d’Ibn Ibâḍ a été amplement remis en cause. À l’aide de nouveaux matériaux, Wilferd Madelung s’est concentré sur la seconde lettre, adressée à un interlocuteur shiʿîte, établissant un parallèle avec une controverse qu’Ibn Ibâḍ aurait engagée avec un poète de cette confession vers 142/759 (Madelung, 2006 et 2011). Déplaçant lui aussi la datation la plus haute, J. Wilkinson s’est entretemps attaqué à l’hypothèse de M. Cook en soulignant que l’attachement de l’auteur de cette missive aux révoltes khârijites du passé tranchait avec le quiétisme de Jâbir b. Zayd. Repoussant le « mythe d’Ibn Ibâḍ » sans toutefois réussir à imposer un auteur alternatif, l’historien anglais estime que le destinataire pourrait être ʿAbd al-Mâlik b. ʿUmar, le fils du calife ʿUmar II (99-101/717-720) que les Ibâḍites tentèrent de rallier à leurs vues par l’envoi d’une délégation (Wilkinson, 2010 : 170-171 et 202-205). Ce volume présente la réponse de W. Madelung qui, tout en intégrant une partie du raisonnement de son collègue, recolle les morceaux du puzzle biographique d’Ibn Ibâḍ pour formuler une proposition nouvelle. Celle-ci donne enfin une certaine consistance à l’appellation collective (al-Ibâḍiyya) que les membres de cette école de pensée finirent pas adopter, sans doute au cours du iiie/ixe siècle, après se l’être vus imposer par leurs adversaires.

16Si Jâbir b. Zayd passe, à tort ou à raison, pour le principal inspirateur du droit ibâḍite (aṣl al-madhhab selon al-Shammâkhî, 2010 : 1/182 ; voir aussi Bakûsh, 1986 : 9-73), Abû ʿUbayda Muslim b. Abî Karîma a pour sa part été investi par la tradition – principalement maghrébine – de la fonction d’organisateur du mouvement. On lui prête en effet la formation des « porteurs de science » (ḥamalât al-ʿilm) qui, à partir de Baṣra, auraient essaimé la doctrine avec succès en direction de l’Arabie et du Maghreb. Mais une fois de plus, l’image d’Abû ʿUbayda comme chef d’un « gouvernement révolutionnaire » (Lewicki, 1975) dans les récits tardifs est peut-être trop nette pour être tout à fait exacte. Des recherches récentes (Wilkinson, 2010 : 175-6) affirment qu’il est éclipsé dans les sources omanaises au profit d’al-Rabîʿ b. Ḥabîb, l’une des autorités majeures en matière de droit dans l’ibâḍisme, et d’Abû Sufyân Maḥbûb b. al-Raḥîl al-ʿAbdî, le dernier imâm de Baṣra et l’auteur présumé d’une compilation historique sur les premiers temps de la secte qui a irrigué la littérature ibâḍite, et dont Adam Gaiser nous reparle dans cette revue. Il faut donc peut-être déplacer vers les premières décennies du iie/viiie siècle la constitution d’un mouvement politico-religieux apte à prendre la tête de révoltes en Tripolitaine (à partir de 127/744), à s’emparer deux ans plus tard du Yémen sous la direction de Ṭâlib al-Ḥaqq, le premier imâm « manifeste » de l’ibâḍisme, avant de s’installer en Oman (al-Rawas, 2000 : 109-27) en mettant en place l’imâmat de Julandâ b. Masʿûd (132/749-134/751).

L’ère des imâmats et la formation de l’archipel ibâḍite

17Cette phase « révolutionnaire » montre bien l’importance du khurûj dans la doctrine ibâḍite des premiers siècles. La thématique de la révolte, associée à la proclamation de l’égalité des peuples au sein de l’islam et à la remise en cause des hiérarchies ethnico-politiques prévalentes, trouva un terreau fertile parmi les populations persanes en Orient, et de façon beaucoup plus durable parmi les tribus berbères du Maghreb. Lorsque le Maghrébin Ibn Sallâm retrace les premiers temps du mouvement, il insiste sur la nécessité du soulèvement contre les souverains injustes, célèbre des listes entières de martyrs tombés au combat, et transmue les luttes au Maghreb en opposition manichéenne entre « Arabes » et « Berbères » (Schwartz, 1983 ; Ibn Sallâm, 1986). L’article de Virginie Prevost, consacré à la bataille de bataille de Mânû (283/896), au cours de laquelle les troupes de l’émir aghlabide Ibrâhîm II mirent fin au contrôle de la côte tripolitaine par les Ibâḍites du Jabal Nafûsa, met en lumière l’importance de cette mémoire martyrologique, et des recompositions successives qu’elle subit dans les ouvrages biographiques maghrébins (siyar). Au Maghreb comme à Oman, l’historiographie médiévale ibâḍite possède en effet un caractère apologétique et hagiographique très prononcé, que les historiens ne prennent pas toujours suffisamment en compte alors qu’il filtre soigneusement les faits du passé.

18Après une phase d’instabilité marquée par plusieurs tentatives infructueuses de se doter d’assises territoriales stables en Arabie (Lewicki, 1959 ; Maʿrûf, 2004) et au Maghreb (Maḥmûd, 1985), l’ibâḍisme se mue en doctrine d’État à la fin du iie/viiie siècle. À Tâhart, malgré l’insistance des sources sur le caractère collégial de l’élection de ʿAbd al-Raḥmân b. Rustum en 160/777 (Ibn Ṣaghîr, 1975 : 321-7), celui-ci met en place une dynastie. Lorsque les géographes orientaux Ibn Khurradâdhbih et al-Yaʿqûbî se rendent au Maghreb (vers 232/845 pour le premier, une quarantaine d’années plus tard pour le second), les Rustumides atteignent leur plus grand rayonnement. Ils dominent alors un espace qui, largement ouvert sur les marges sahariennes, comprend la majeure partie du Maghreb central, tout le sud de l’Ifrîqiyya, le Jabal Nafûsa et la Tripolitaine (Dangel, 1977 ; Baḥâz, 1994). Tâhart, qualifiée par al-Yaʿqûbî d’« Irak du Maghreb » fait alors figure de capitale cosmopolite, à la croisée des idées et des routes marchandes (al-Yaʿqûbî, 1861 : 141-3), et peut apparaître comme la nouvelle terre d’élection du mouvement (Aillet, 2011). Ses imâms doivent toutefois affronter plusieurs schismes (Lewicki, 1956) que l’on peut interpréter comme des manifestations des tensions qu’engendre chez les Ibâḍites la monopolisation du pouvoir par une même famille. Les études d’Allaoua Amara et de Mohamed Hassen témoignent toutes deux, pour des espaces différents, de la diversité interne de l’ibâḍisme médiéval et de la persistance des tendances religieuses hostiles à la doctrine officielle, le wahbisme. Les prérogatives des souverains rustumides, tempérées par le poids des institutions tribales et par la relative autonomie des régions comme le Jabal Nafûsa (Mazhûdî, 2003 : 119-33), apparaissent pourtant essentiellement limitées à la fiscalité, à la conduite de la guerre et à la définition de l’orthodoxie. Dès cette époque, le domaine ibâḍite apparaît au Maghreb comme une forme de confédération de régions et de tribus dont l’unité est garantie par l’autorité charismatique de ses imâms juristes – comme Aflaḥ (208/823-4 à 250/864-5) – ou théologiens – comme Abû l-Yaqẓân (254/868-9 à 281/894-5), auteur d’une épître sur la création du Coran (Cremonesi, 1966 ; Cuperly, 1984 : 218-34). L’autonomie des différents ensembles territoriaux se renforce encore après la défaite de Mânû face aux Aghlabides (283/896), dont Virginie Prevost a souligné les conséquences dans ce volume.

19À Oman, dominé depuis l’époque préislamique par la famille des Julandâ, l’imâmat restauré passa pour un siècle (177/793-280/893) sous la mainmise de la tribu des Banû Yaḥmad, sans toutefois que la succession suivît une quelconque ligne héréditaire (al-Rawas, 2000 : 129-69). Bien au contraire, elle fit l’objet de conflits chroniques à l’échelle des clans dirigeants et des tribus rivales, jusqu’à ce que cette situation dégénère en guerre civile après la déposition de l’imâm al-Salṭ b. Mâlik al-Kharûṣî en 272/886 (Dridi, 2009 : 212-22). Le pays se scinda alors durablement en factions rivales, dont l’histoire demeure éminemment confuse mais qui permirent aux ʿAbbâssides de reprendre le contrôle de la région en 280/893 (al-Rawas, 2000 : 171-201). Dès lors, tandis que le littoral passait sous la tutelle des puissances régionales successives jusqu’au vie/xiie siècle (les ʿAbbâssides et leurs vassaux Ṣaffârides jusqu’en 320/922, les Qarmates de 318/930 à 375/985 en alternance avec les Bûyides, puis les Seljûkides au ve/xie siècle), l’espace intérieur des oasis et des montagnes devint le véritable bastion de l’ibâḍisme, une fonction qu’il continua à jouer pendant des siècles et qui n’empêchait pas la coexistence avec les pouvoirs et les populations installés sur la façade côtière (Wilkinson, 2010 : 328-34). Autour de la question du renversement de l’imâm al-Salṭ, cette période de deux siècles vit fleurir une ample littérature de siyar – des épîtres politico-religieuses, dans cette acception du terme. Celle-ci opposait principalement « l’école » de Rustâq à celle de Nizwa, l’ancienne capitale de l’imâmat, dans des joutes théoriques dont l’enjeu réel était de définir et de délimiter les prérogatives attachées à l’imâmat, lui-même occupé de manière intermittente à cette époque par des personnalités assez évanescentes (Salimi, 2010 : 139-45 ; Wilkinson, 2010 : 336-43, 366-8). Ces siècles, souvent qualifiés d’obscurs, furent pourtant les témoins de l’apparition de la littérature ibâḍite omanaise, seule expression de ce courant de l’islam en Orient, alors même que la doctrine s’étiolait dans le Ḥaḍramawt (Wilkinson, 2010 : 285-7, 410-2). Ils ne remirent pas non plus en cause le dynamisme des ports locaux, qui jouaient un rôle important dans le trafic maritime entre l’océan Indien et les provinces limitrophes du Golfe : Julfâr, Dibâ, Sûr et surtout Ṣuḥâr, « vestibule de la Chine, entrepôt de l’Orient » (Dridi, 2009 : 334-8).

20L’ère suivante, celle du premier règne des Nabhânides (549/1154-906/1500), n’est pas mieux lotie dans l’historiographie (Salimi, 2010 : 156). Issus d’une tribu anciennement alliée à la famille régnante des Julandâ, et donc tenus à l’écart du pouvoir après la chute de cette dernière, les Banû Nabhân sont victimes d’une véritable damnatio memoriæ de la part des sources omanaises (al-Ḥârithî, 2011 : 66-69). Ils sont en effet accusés d’avoir usurpé l’imâmat et de n’avoir pas résisté à la conquête portugaise du début du xe/xvie siècle (Prevost, 2010 : 12-3 ; Wilkinson, 2010 : 398-403). Pourtant, cette dynastie royale, alliée des Bûyides et tournée vers le détroit d’Ormuz et la rive persane du Golfe, donna une impulsion nouvelle à l’expansion maritime du pays. D’abord installés à Ṣuḥâr, ils contribuèrent à faire de Qalḥât le plus grand port de la côte omanaise, à une époque où les premières colonies stables de marchands ibâḍites s’établissaient sur les côtes d’Afrique orientale, où les Portugais firent leur rencontre à la fin du ixe/xve siècle. Les Nabhânides durent cependant faire face à l’hostilité des tribus ibâḍites de l’intérieur, qui réussirent à rétablir l’imâmat à Nizwa entre 839/1435 et 846/1443, puis derechef entre 885/1480 et 906/1500 (al-Ḥârithî, 2011 : 55-61). De cette confrontation témoigne l’imposant fort de Bahlâ, édifié à peu de distance du siège de leurs adversaires.

21Dans l’historiographie omanaise, l’idée d’un pays constamment assiégé par les puissances étrangères mais défendu par les Ibâḍites depuis leur forteresse montagneuse du Jabal Akhdar semble récurrente. Cette vision dichotomique et continuiste tente de démontrer l’existence d’une nation depuis l’ère préislamique, et son lien intrinsèque avec l’ibâḍisme. On retrouve aussi cette thèse chez J. Wilkinson (2010 : 3-65), pour qui « le grand Oman » constituait déjà une entité pourvue d’une « identité » tribale et culturelle distincte et cohérente avant le rattachement à l’islam. Cette représentation de l’histoire régionale paraît cependant minimiser les phénomènes de complémentarité qui unissaient des espaces clivés par le morcellement tribal, certes, mais également ouverts sur les horizons maritimes. Des espaces où la composante ibâḍite, loin d’être confinée dans l’isolement et le repli du « secret », sut négocier sa place dans des circuits d’échange souvent contrôlés par les puissances régionales voisines.

22On peut donc opposer, dans l’histoire de l’ibâḍisme, un long iiie/ixe siècle marqué par l’existence de modèles étatiques, fortement idéalisés par la tradition postérieure et par une première floraison juridique et théologique, à la période suivante qui se caractérise par l’émiettement politique et l’insertion dans des ensembles politiques plus puissants. En Orient, après l’effacement des noyaux baṣrien, irakien, khurasânien et yéménite, l’ibâḍisme reflua progressivement vers Oman. Au Maghreb, la dispersion mais aussi l’extension géographiques ne firent que se renforcer après la chute de l’imâmat de Tâhart, balayé par les Fâṭimides en 296/909. Les chroniqueurs racontent que le dernier imâm rustumide, Yaʿqûb b. Aflaḥ, aurait alors fui avec les siens vers le nord du Sahara, à Warjlân où un noyau de peuplement ibâḍite s’était peut-être déjà installé dans la vallée de l’oued Mya. Il aurait cependant renoncé à son titre d’imâm, titre qui tomba désormais en désuétude parmi les Ibâḍites du Maghreb. Comme le rappellent Cyrille Aillet et Sophie Gilotte, la mémoire de l’imâm Yaʿqûb est toujours célébrée localement lors d’une « visite » (ziyâra) annuelle à sa tombe, située près du cimetière de Sedrata, à une dizaine de kilomètres au sud de l’actuelle Ouargla. Dans leur essai, ces deux chercheurs s’intéressent à la découverte de ce site archéologique dans le sillage de l’exploration du Sahara à partir des années 1860, puis aux fouilles qui y ont été menées. Les ruines de cet établissement correspondent très certainement au lieu-dit « Warjlân », amplement documenté par les sources comme l’un des centres majeurs de l’ibâḍisme médiéval. Il s’agit donc d’un lieu de mémoire crucial pour les Ibâḍites du Maghreb, et comme tel il a fait l’objet de multiples réappropriations symboliques jusqu’à nos jours.

23L’effondrement de l’État rustumide favorisa une fragmentation de l’ibâḍisme en plusieurs ensembles spatiaux, connectés mais autonomes. Le Djérid, au sud de la Tunisie actuelle, fut l’une des régions les plus dynamiques de cet archipel ibâḍite, principalement entre le ive/xe et le ve/xie siècle (Prevost, 2008), avant de céder ce rôle à Djerba, qui jusqu’à nos jours conserve une importante communauté ibâḍite. Toutefois, à la même époque, l’ibâḍisme se diffusait dans les régions sahariennes et prenait le contrôle de plusieurs oasis qui lui servirent de relais dans la constitution d’un réseau commercial qui s’étendait de l’Afrique subsaharienne aux contrées méditerranéennes (Lewicki, 1961b) à travers une série de nœuds de contrôle intermédiaires comme le Zâb, le Djérid, ou l’arc montagneux allant des Maṭmâṭa au Jabal Nafûsa, qui surveillait le grand couloir de la Jeffâra. Attesté dans le Fazzân et à Ghadamès (Thiry, 1995 : 337-9, 377-8), l’ibâḍisme était surtout bien implanté dans un chapelet d’oasis nichées dans les oueds Sûf (El Oued), Rîgh (Tuggurt), Mya (Warjlân), Mzâb (Ghardaïa et les autres qṣûr de la Pentapole mozabite) et Saggûr (al-Manîʿa), qui formaient autant de points de transit pour le commerce transsaharien (Chekhab, 2012).

24On connaît cependant très mal l’histoire propre de chacun de ces territoires, et l’on manque aussi d’une vision d’ensemble. Cela fait d’ailleurs toute la valeur des monographies inédites proposées respectivement par Allaoua Amara, qui se penche sur le Zâb, entre les Aurès et les premières oasis sahariennes, et par Mohamed Hassen, qui déchiffre l’histoire du Jebel Demmer à travers le cas ibâḍite. Ces deux études portent sur des zones à forte composante rurale, documentées de façon discontinue par les sources, et pour lesquelles le recours aux données de l’archéologie et de la toponymie historiques s’avère indispensable. Elles démontrent tout d’abord l’importance de la circulation des savants au sein de cet archipel ibâḍite apparemment disloqué, mais en réalité uni par des flux d’échange importants. Au ve/xie siècle, la formalisation par Abû ʿAbd Allâh Muḥammad b. Bakr (m. 440/1048-9) de l’ensemble des dispositifs qui allaient constituer l’institution de la ḥalqa – cette assemblée d’oulémas, appelés ʿazzâba par les Ibâḍites, qui présidait à la vie morale, religieuse et juridique de chaque îlot conséquent de population  – ne fit que renforcer cette cohésion. En effet, le caractère déambulatoire de la quête du savoir religieux (ʿilm) permettait de tisser des liens intellectuels, mais aussi commerciaux, permanents. Ce type de gouvernement collégial, conforté par le poids des assemblées locales de notables, rejoignait les idéaux du mouvement en imposant un processus collectif de consultation et de prise de décision. Dans le même temps, l’imâmat se transformait en un dispositif très largement théorique, ce qui se traduisit par la construction d’une représentation du passé bientôt amenée à se propager en Oman. Il s’agissait de la distinction entre quatre cycles historiques (Gaiser, 2010 : 9-11) : l’ère glorieuse de la « manifestation » (ẓuhûr) du mouvement, qui pouvait se traduire par la formation d’États ; les épisodes de crise qui obligeaient les fidèles à adopter une position de « défense » (difâʿ) ; les contextes de menace extrême où le « sacrifice » (shirâ’) s’imposait ; et enfin, le temps de la cohabitation et de la coexistence forcées avec un pouvoir non-ibâḍite, qui contraignait les fidèles à la pratique du « secret » (kitmân). En dehors de deux grands soulèvements contre les Fâṭimides – dont le premier avait été mené par le Nukkârite Abû Yazîd, « l’homme à l’âne », entre 332/943 et 336/947 (Le Tourneau, 1953) – toute l’histoire postérieure à la chute de Tâhart relevait pour ces auteurs de ce quatrième stade. L’élection d’un imâm y semblait inutile, contrairement à Oman où l’on préférait s’accommoder d’un imâm « faible » (ḍaʿîf) (Gaiser, 2010 : 111-38).

25L’autre apport d’A. Amara et de M. Hassen consiste précisément à osculter l’impact des grandes ruptures de l’histoire du Maghreb sur la minorité ibâḍite. Leurs études montrent d’abord la lenteur de propagation du mâlikisme dans les espaces considérés : si dans le Zâb l’ibâḍisme semble s’éteindre sous la vague du soufisme au viie/xiiie siècle, dans le Jebel Demmer il ne disparaît peut-être qu’à la fin de la période ḥafṣide. Quelques faits marquants, dont l’interprétation gagnerait à être approfondie, semblent pourtant contribuer à la marginalisation de cette doctrine. Dans la seconde moitié du ve/xie siècle, la série de mutations que l’on regroupe sous le vocable si discuté d’« invasions hilâliennes » engendre des phénomènes migratoires et des tensions inter-tribales qui atteignent le Djérid, l’arc Maṭmâṭa-Demmer-Nafûsa et les oasis méridionales. Ces dernières furent aussi la cible de plusieurs expéditions de la part des grandes dynasties septentrionales, qui tentaient ainsi de prendre le contrôle des routes du commerce vers le grand Sud. Ainsi Warjlân fut-elle convoitée vainement par les Fâṭimides et par les Almohades, capturée temporairement par les Banû Ḥammâd et les Ḥafṣides, et ravagée en 626/1228 par les Banû Ghâniyya, auxquels on attribue la ruine de Sedrata. Toutefois, loin de se réduire à l’histoire d’un dépérissement, l’évolution de l’ibâḍisme se caractérise à cette époque par des reconfigurations territoriales et des migrations qui renforcèrent le poids démographique et culturel de Djerba et du Mzâb à la fin de la période médiévale.

26L’ère du kitmân n’est donc pas, au Maghreb comme en Oman, synonyme de repli sur soi ou d’isolement, mais bien au contraire d’interaction renforcée avec les autres courants de l’islam. C’est ainsi qu’au Maghreb, malgré des épisodes de vive confrontation avec l’ismaʿîlisme au milieu du ive/xe siècle, un certain statu-quo s’établit ensuite. De même, la mâlikisation du Maghreb se déroula de façon très lente, et des régions entières comme Djerba ou le Jabal Nafûsa demeurèrent pendant longtemps pratiquement autonomes, alors même qu’elles étaient théoriquement intégrées à des ensembles politiques plus larges ralliés à l’orthodoxie désormais triomphante. Les circulations savantes – y compris celles toujours intenses qui reliaient Oman et le Maghreb – et l’insertion dans des réseaux commerciaux d’envergure assuraient la cohésion de ces régions spatialement déconnectées. En parallèle, à partir de la fin du ve/xie siècle et plus clairement encore au siècle suivant, se manifesta un processus de systématisation et de rationalisation du savoir historique (Lewicki, 1961a). Les siyar d’Abû Zakariyyâ’ al-Warjilânî (m. après 504/1110-1), d’al-Wisyânî (m. 2e m. du vie/xiie siècle) et d’Abû l-ʿAbbâs al-Darjînî (m. 2e m. du viie/xiiie siècle) avaient pour vocation de rassembler la mémoire des compagnons du passé. Parallèlement, le savoir juridico-théologique fut rassemblé sous la forme de grandes sommes systématisées, parmi lesquelles se distingue l’œuvre d’Abû Yaʿqûb al-Warjilânî (m. 570/1174-5). John Wilkinson qualifie de « madhhabisation » cette dynamique, voulant signifier que l’ibâḍisme se constitua alors en « école » juridique, à l’instar de ses adversaires sunnites et pour mieux leur faire face, et s’aligna notamment sur leur pratique de l’isnâd dans la recension des ḥadîth-s (Wilkinson, 2010 : 413-37).

Des histoires locales à l’intégration nationale (époques moderne et contemporaine)

27On connaît peut-être plus mal encore l’évolution de l’ibâḍisme au Maghreb à l’époque moderne, car elle se confond très largement avec celle de ses trois principaux bastions. L’histoire du Jabal Nafûsa est un véritable trou noir, une lacune mal compensée par l’image stéréotypée d’une enclave montagneuse à l’insoumission endémique. Il faut dire que la région semble être restée relativement autonome vis-à-vis des autorités espagnoles, puis turques, qui ne s’exerçaient guère de façon directe que sur la côte de Tripolitaine. La prise de contrôle des terres intérieures par les Ottomans entre 1251/1835-6 et 1274/1857-8 suscita une vive résistance. Pendant toute cette période, le Jabal continua à fournir à l’ibâḍisme quelques-unes de ses plus grandes familles de savants, souvent attestées dès le viiie/xive siècle. Au siècle suivant, Abû l-ʿAbbâs al-Shammâkhî (m. 928/1522), rassembla dans une visée encyclopédiste la plus grande somme biographique consacrée à l’ibâḍisme occidental et oriental (Custers, 2006b : 271-9). Cet entrelacement entre un ancrage local et l’insertion dans des réseaux intellectuels et économiques bien plus amples caractérise aussi l’itinéraire des membres de la famille al-Barûnî (Custers, 2006a : 2/77-95). Actifs à Djerba à partir du xe/xvie siècle surtout, fortement liés aussi à l’histoire du Mzâb, les Bârûnî prirent une importance nouvelle à la fin du xixe siècle en participant activement à la renaissance culturelle de l’ibâḍisme et aux premières manifestations d’un panarabisme anticolonial. C’est ainsi qu’une longue existence militante amena Sulaymân al-Bârûnî (1870-1940) à lutter tout d’abord contre la domination ottomane, tout en s’inspirant du modèle des Jeunes Turcs, puis contre l’entreprise coloniale italienne en Libye à partir de 1911 (Veccia Vaglieri, 1975). Après des études à la Zaytûna de Tunis, il s’installa au Caire où il participa en 1880 à la fondation de l’imprimerie al-Maṭbʿa al-Azhâr al-Bârûniyya avec son frère Muḥammad b. Yûsuf (m. 1927). Cette maison d’édition contribua puissamment à la redécouverte du patrimoine culturel ibâḍite en publiant une soixantaine de « classiques » du passé, auxquels s’ajoutaient aussi les œuvres des grandes autorités de leur temps, comme Muḥammad b. Yûsuf Aṭfayyesh (Custers, 2006b : 7-29). La figure de Sulaymân al-Bârûnî ne peut toutefois se réduire à la seule dimension communautaire, même s’il a été aussi l’un des grands artisans de la mémoire historique de l’ibâḍisme avec son Kitâb al-azhâr al-riyâḍiyya (1325/1907-8). Après l’invasion italienne, il fut surtout l’un des principaux organisateurs de la résistance en Libye et fut alors nommé pacha par Istanbul, où il se réfugia avant de revenir clandestinement dans son pays en 1916 pour y mener de nouvelles opérations. Son soutien au projet rapidement avorté d’une « république tripolitaine » berbère, de 1918 à 1921, l’obligea cependant à partir en exil. Accueilli par le sultan à Muscate en 1924, puis par l’imâm à Nizwa, il occupa à la fin de sa vie de très hautes fonctions en Oman.

28L’implication de la composante ibâḍite dans les enjeux de l’histoire du Maghreb et de la Méditerranée se manifeste aussi pleinement à Djerba, comptoir commercial stratégique qui fut dès l’époque médiévale un objet de convoitise pour les grandes puissances voisines. Les Normands puis les Aragonais de Sicile s’en emparèrent à plusieurs reprises du vie/xiie au ixe/xve siècle, tandis que les Ḥafṣides tentaient de s’en assurer le contrôle. En 916/1510, une flotte espagnole conduite par Pedro de Navarra et García de Toledo tenta de nouveau de prendre possession de l’île, mais elle fut repoussée après un siège que retrace une source ibâḍite anonyme (Lewicki, 1961a : 133-4). Les Djerbiens passèrent ensuite sous l’autorité des Ottomans. Soulevée à plusieurs reprises contre la politique fiscale des gouverneurs turcs de Tripoli, Djerba demeurait ibâḍite – de tendance wahbite mais aussi nukkârite – dans sa grande majorité. Haut lieu de formation et d’accueil des lettrés ibâḍites depuis au moins le viie/xiiie siècle (Prevost, 2008 : 316-8), l’île conserva ce rôle au moins jusqu’au xie/xviie siècle. La première madrasa mâlikite n’y fut implantée qu’en 1674, mais à la fin du siècle les deux cinquièmes de la population appartenaient à cette école (Brunschvig, 1931 : 283).

29À l’époque ottomane les savants du nord se dirigaient cependant de plus en plus vers le Mzâb, devenu la place-forte de l’ibâḍisme au Maghreb. Bien que l’histoire des premiers établissements du Mzâb soit encore très confuse et légendaire, la version commune (Ḥâj Saʿîd, 1238/2006 : 15-9) affirme qu’aux trois qṣûr initiaux du ve/xie siècle (El ʿAṭeuf qui serait né en 402/1012, Bû Nûra en 457/1065, Ghardaïa en 477/1085), deux autres fondations seraient venues s’ajouter au viiie/xive siècle (Beni Isguen en 720/1321 et Melika en 756/1355), faisant de cet ensemble une Pentapole. Les plus anciens manuscrits copiés dans le Mzâb datent de cette période, et le plus vieux document d’archive connu à ce jour date du tout début du ixe/xve siècle et provient des actes de délibération de l’assemblée du Mzâb (les ittifaqât). On attribue à un savant djerbien, le shaykh ʿAmî Saʿîd (m. 927/1521), l’essor culturel de l’oued grâce à la réorganisation du système de la ḥalqa et de l’assemblée du Mzâb et à la constitution du premier fonds bibliographique conséquent, destiné à la grande mosquée de Ghardaïa (Ḥâj Mûsà, 1427/2006). La tradition populaire lui impute même la codification du système de répartition des eaux, bien que ses écrits ne comportent rien de semblable (entretien avec Muḥammad Ḥâj Saʿîd, 05 mai 2011). Un troisième palier de croissance fut atteint au ixe/xviie siècle avec la création des cités extérieures de Guerrara (1039/1630) et de Berriane (1090/1679). Enfin, la seconde moitié du xiie/xviiie siècle vit éclore dans le Mzâb, mais en interaction avec d’autres grands centres intellectuels arabes comme Tunis et Le Caire, les premiers signes de la Nahḍa ibâḍite du siècle suivant, notamment avec le Kitâb al-Nîl (Custers, 2006a : 2/308-17), le grand opus théologique de ‘Abd al-‘Azîz b. Ibrâhîm al-Thamînî (m. 1223/1808). C’est donc plutôt à l’époque moderne que le Mzâb semble avoir prospéré en tant que foyer de pensée et centre de transit du commerce caravanier. Malgré le paiement épisodique d’un tribut d’esclaves au Bey ottoman de Constantine, destiné avant tout à obtenir la protection des marchands mozabites face aux tribus bédouines lorsqu’ils voyageaient vers le Tell ou vers Alger – où ils étaient nombreux à s’être installés (Ḥâj Saʿîd, 1238/2006 : 68-9) – l’oued resta autonome jusqu’à sa mise sous protectorat par la France en 1853, puis son annexion en 1882 (Ourghi, 2008 : 99-102).

30L’article de Valerie Hoffman et de Sulaiman bin Ali bin Amir al-Shueili d’une part, celui d’Augustin Jomier d’autre part, coïncident dans leur intérêt pour le mouvement intellectuel mozabite, dont ils suivent le développement et les nouvelles orientations, de la fin du xixe siècle jusqu’aux décennies qui suivirent l’indépendance de l’Algérie. L’activité débordante de Muḥammad b. Yûsuf Aṭfayyesh (1820-1914), disciple d’al-Thamînî et auteur de plus d’une centaine d’écrits qui structurent toujours la culture ibâḍite (Custers, 2006a : 2/132-67 ; Ourghi, 2008), constitua une première réaction à la situation coloniale. Le Quṭb, comme le soulignent V. Hoffman et S. al-Shueili, se fit le promoteur d’une réforme morale et intellectuelle interne de l’ibâḍisme, dont les échos atteignirent aussi bien Oman que Zanzibar. Fustigeant indirectement le modernisme arabe sous influence occidentale, son approche était traditionnaliste sans prôner pour autant un quelconque littéralisme. Son frère Abû Ishâq Ibrâhîm (1886-1965), qui affichait plus ouvertement son combat anticolonial, fit de la revue al-Minhâj la vitrine des idées de la « renaissance islamique », mais dut passer sa vie en exil (Custers, 2006a : 2/126-32). Le commentaire coranique d’Ibrâhîm b. ‘Umar Bayyûḍ (1899-1981), tout en témoignant de contacts avec la pensée de Muḥammad ‘Abduh et de Rashîd Riḍâ, relève plutôt du modèle de pensée de son prédécesseur et se montre tout aussi rétif aux idées libérales du réformisme arabe. Augustin Jomier complète à merveille ce portrait du « néo-ibâḍisme » mozabite (Wilkinson, 1987 : 243) et du shaykh Bayyûḍ, car il insiste plutôt sur la stratégie des leaders et sur les institutions qu’ils mirent sur pied pour diffuser leurs idées et s’imposer localement. Son analyse explore les dessous du discours officiel sur l’iṣlâḥ et déconstruit l’idée d’un lien naturel avec le nationalisme algérien. Il relate au contraire par quels processus le réformisme mozabite s’est inséré dans le nouvel État-nation.

31L’évolution de l’ibâḍisme au Maghreb à l’époque moderne paraît donc se dérouler dans des foyers qui, tout en étant interconnectés et reliés à Oman et Zanzibar, semblent obéir à des histoires locales bien distinctes. À la fin du xixe siècle, le bouillonnement contestataire contre l’empire ottoman et l’intrusion des pays européens provoqua l’émergence de plusieurs déclinaisons locales du réformisme panarabe et de la Nahḍa, dans lesquelles l’ibâḍisme joua un rôle non négligeable. Tout en suscitant l’éclosion d’un néo-traditionnalisme aux accents parfois anti-libéraux, ce contexte favorisa aussi l’intégration de cette minorité dans les réseaux panislamiques internationaux caractéristiques de cette première mondialisation.

32Plus qu’une renaissance, c’est en vérité une série de revivals que semble avoir traversé l’ibâḍisme, bien que cette image discontinue soit aussi due au manque de repères qui affectent notre vision de ce courant de l’islam à l’époque moderne. De plus, Oman possède un modèle de développement distinct du xvie au xixe siècle. Cette longue période y est en effet considéré comme un âge d’or, fortement investi par la symbolique nationale. Oman subit aussi les conséquences de l’expansion maritime européenne, puisque les Portugais débarquèrent à Muscate en 1507 et s’emparèrent d’une partie de son littoral pour y fonder des comptoirs commerciaux qui captaient le commerce de l’océan Indien. La résistance aux Portugais, puis leur éviction définitive en 1060/1650 par la nouvelle dynastie imâmale des Yaʿrûba, sont toutefois considérés comme l’un des actes fondateurs de la nation omanaise (Le Cour Grandmaison, 2000 : 106-18). Car c’est véritablement entre le xviie et le milieu du xixe siècle que se situe le premier apogée d’Oman. Les navigateurs omanais constituent alors un empire maritime multiculturel (Le Cour Grandmaison, 2000 : 117-28) qui, vers 1850, s’étend des côtes d’Afrique orientale (du Kenya à la Corne de l’Afrique, avec pour principaux points d’appui Pemba, Zanzibar et Kilwa) à la rive orientale du Golfe, où les marchands de Muscate possèdent une zone d’influence directe sur une série de ports qui s’étalent entre Bandar Abbâs (en Iran) et Gwandar (actuel Pakistan). Oman, dirigé à partir de 1164/1749 par la famille encore au pouvoir de nos jours, les Âl Bû Saʿîd, se couvre de forts et de résidences palatines à l’aspect imposant, mais dont les intérieurs – comme à Jabrîn – témoignent des contacts artistiques avec l’Inde moghole et la Perse. La prospérité de cette thalassocratie bicéphale (Muscate et Zanzibar) sombre cependant sous les coups assenés par une entreprise impériale de plus grande ampleur, celle de l’Angleterre. Le pays et ses dépendances africaines sont placés sous protectorat à la fin du xixe siècle, et les Anglais détournent les bénéfices du commerce naval et étouffent la flotte locale sous la puissance de la nouvelle marine à vapeur. Confronté au colonialisme, fût-il déguisé sous les traits de l’Indirect rule, déchiré par la lutte entre ses imâms réfugiés dans l’intérieur du pays et ses sultans soumis à la tutelle étrangère, Oman se tourne vers l’effervescence intellectuelle de la Nahḍa sans toutefois en retenir les aspects les plus libéraux (Wilkinson, 1987 : 230-45 ; Ghazal, 2010a : 91-109). C’est alors que le pays accueille plusieurs des figures intellectuelles de l’ibâḍisme maghrébin, favorisant une convergence entre ces deux pôles géographiques, éloignés mais toujours étroitement complémentaires. La vie de Nûr al-Dîn ʿAbd Allâh al-Sâlimî (1869-1914), personnalité influente au-delà de ses talents de théologien et d’historien (Custers, 2006a : 1/260-77), reflète des préoccupations proches du milieu intellectuel mozabite, réformiste mais traditionnaliste, dominé par son mentor Muḥammad b. Yûsuf Aṭfayyesh (Wilkinson, 1987 : 244-5). Dans sa Tuḥfat al-aʿyân bi-sîrat ahl ʿUmân, à la récapitulation didactique du passé s’ajoute l’exaltation de l’imâmat, conçu comme un modèle national garant de l’indépendance d’Oman face aux influences extérieures.

33Initiée par des relances plus précoces de l’activité intellectuelle, la Nahḍa ibâḍite de la fin du xixe et du début du xxe siècle ne peut être réduite à un simple épiphénomène communautaire, ou à une dérivation locale du flux principal de la Nahḍa. Les personnalités intellectuelles qui l’ont illustrée ont été marquées par leur fréquentation des métropoles du renouveau arabe. Leur adhésion aux idéologies panislamistes et anti-coloniales les a rapproché des milieux intellectuels sunnites. Néanmoins, dans ce grand bouillonnement d’idées, les penseurs ibâḍites adhérèrent plutôt à une vision « salafiste » (Ghazal, 2010b), ou traditionnaliste, qui faisait du retour vers un islam purifié de ses dogmatismes et de ses superstitions l’une des conditions de la réaction spirituelle et culturelle contre l’hégémonie occidentale. Cette dynamique donna toutefois aux foyers où se développait le réformisme ibâḍite une projection extra-régionale, qui favorisa à la fois l’expression et la défense d’intérêts locaux et leur inscription dans des gestes nationales légitimatrices. L’œuvre de Muḥammad ‘Alî Dabbûz, décryptée ici par Augustin Jomier, est tout à fait significative de cette double rhétorique. Sous le titre « Grande histoire du Maghreb » (Târîkh al-Maghrib al-kabîr), son essai, paru peu de temps après l’indépendance de l’Algérie (Dabbûz, 1963), avait en réalité pour principal objet l’histoire des Ibâḍites et des Mozabites. Il y soulignait qu’en tant qu’héritiers de l’imâmat de Tâhert, ils avaient été à l’origine du premier État « algérien », et que leur adhésion à la langue et à la culture arabes faisaient d’eux des Arabes algériens plus que des Berbères !

Horizons actuels : une minorité au cœur de la mondialisation

34L’intégration des foyers de peuplement ibâḍite aux États nationaux eut des résultats inégaux. À Oman, pays où ce courant doctrinal était sinon majoritaire du moins prépondérant, la construction d’un État centralisé et supra-tribal s’opéra au détriment du paradigme de l’imâmat. En 1959, le dernier imâm qui dirigeait depuis Nizwa la résistance à la dynastie sultanienne des Âl Bû Saʿîd fut renversé avec l’appui des troupes anglaises (Le Cour Grandmaison, 2000 : 150-5). Tandis que les derniers confettis d’empire disparaissaient avec la cession de Gwadar au Pakistan en 1958 et l’indépendance de Zanzibar en 1964, La découverte du pétrole et le lancement des premières exportations en 1967 précipita l’évolution d’Oman. En 1970, la destitution par son fils Qâbûs du sultan Saʿîd b. Taymûr, depuis lors érigé en symbole du despotisme monarchique, ouvrit une ère nouvelle que les média omanais présentent comme une nouvelle « renaissance » (Valeri, 2007 : 204-6). Il fallut toutefois attendre la fin du conflit avec le Dhofar et la réintégration de cette province en 1976 pour que les fruits de la croissance commencent à affluer. Grâce au retour des Omanais de l’extérieur, grâce aussi au recours massif à l’immigration – une politique aujourd’hui infléchie au profit de « l’omanisation » du marché du travail –, le pays connut un développement rapide de ses infrastructures et de son système éducatif. Le pouvoir légitima en effet l’extrême timidité de ses mesures de démocratisation politique par l’interventionnisme de « l’État providence » (Valeri, 2007 : 111-44). Tout en se réappropriant l’idéal ibâḍite de la shûra sous la forme d’un Conseil consultatif d’État aux prérogatives limitées (1992), le modèle mis en avant par le sultan Qâbûs repose sur l’invention parfois folklorique d’une « omanité » consensuelle, où la différenciation doctrinale sunnites-ibâḍites est effacée au profit de la promotion d’un islam soft et intégrateur, et en communion avec la modernité et le progrès matériel (Valeri, 2007 : 195-200). Pour illustrer cette « tolérance » omanaise, on cite souvent le fait que tous les musulmans y prient dans les mêmes mosquées. Ces édifices flambant neufs, financés par l’État, ont d’ailleurs remplacé les vieilles mosquées ibâḍites dans les plus grandes villes (Mermier, 2002 : 254-6 ; Valeri, 2007 : 195-200). Cet « islam générique » (Eickelman, 1990 : 117) se propose donc de dépasser des clivages tribaux et doctrinaux jugés révolus, au risque peut-être que cette synthèse œcuménique ne soit en réalité qu’une surface lisse masquant les lignes de fracture potentielles. Toutefois, même si l’apport de l’ibâḍisme est « à la fois magnifié et occulté » dans la culture omanaise contemporaine (Mermier, 2002 : 255), la volonté de préserver et de divulguer le patrimoine textuel des Anciens n’en a pas moins débouché, surtout depuis une vingtaine d’années, sur une entreprise éditoriale imposante, principalement dirigée par le « Ministère du patrimoine collectif et de la culture ». Aux yeux des Ibâḍites du Maghreb, le dynamisme et la prospérité de la société omanaise constituent donc un modèle enviable, qui attire parmi eux de plus en plus de travailleurs qualifiés.

35Les Ibâḍites du Maghreb, dont une partie importante vit dans les grandes villes du nord ou en Occident, sont confrontés d’une autre manière au défi du désenclavement de leur culture. Dans leurs assises géographiques traditionnelles, ils subissent toujours la menace des communautarismes et des sectarismes rivaux, qui habillent volontiers les tensions sociales d’une parure de confessionnalisme ou d’antagonisme arabo-berbère, comme l’ont démontré les affrontements de Berriane dans le Mzâb en 2008. À Djerba, où s’est déversé le tourisme de masse depuis les années 1980 et où le pluralisme religieux a subi des atteintes irréversibles avec les attentats de 2002 contre le judaïsme local, l’ibâḍisme maintient une présence discrète. L’île conserve précieusement l’un des patrimoines les plus riches de Tunisie en matière d’architecture sacrée et de manuscrits. Beaucoup plus durement éprouvée, la minorité berbérophone ibâḍite du Jabal Nafûsa a fait les frais des persécutions du régime Kadhafi. Ses élites ont été plus d’une fois inquiétées – l’exemple le plus célèbre étant celui de ʿAmrû Khalîfa al-Nâmî, disparu dans les geôles libyennes après un brillant parcours intellectuel entamé à Cambridge –, ses populations déplacées, ses villages et ses mosquées rasés, ses bibliothèques dispersées (voir le récit de Prevost, 2012). Dans la situation confuse de l’après-Kadhafi, l’une des plus grandes fiertés des Ibâḍites est toutefois d’avoir participé à la brigade descendue du Jabal Nafûsa pour s’emparer de Tripoli.

36Aujourd’hui, c’est donc dans le Mzâb que se situe le foyer culturel le mieux préservé, même si désormais l’essor des études ibâḍites, notable en Algérie depuis les années 1990, se déroule plutôt dans les universités, qui comptent plusieurs chercheurs mozabites mais où il existe aussi un intérêt croissant pour cette question en dehors de toute considération communautaire. Le Mzâb sert toutefois de vivier à ces recherches, grâce à l’ouverture croissante de ses bibliothèques aux milieux académiques de tous horizons et à l’activité des associations de sauvegarde des manuscrits, dont le travail de catalogage, de numérisation et de protection des quelques douze mille manuscrits de la vallée est désormais bien avancé. Classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO depuis 1982, lieu d’attraction international avant la décennie noire des années 1990, le Mzâb a fait l’objet d’une véritable patrimonialisation. La vallée cultive la réputation d’être le laboratoire d’une nouvelle forme de tourisme responsable au Maghreb, attentive aux écosystèmes et aux sensibilités culturelles locales. Les efforts de protection de ce fragile paysage se heurtent pourtant à l’expansion incontrôlée de l’urbanisation, due à la fois au rôle de Ghardaïa comme préfecture de wilâya et à la présence d’importants gisements de gaz à quelque distance. Cet afflux de populations a déjà renversé l’équilibre démographique en faveur des non-Ibâḍites.

37Face à ces nouveaux défis, les Ibâḍites semblent avoir délibérément adopté une stratégie d’ouverture et de divulgation de leurs référents culturels, d’une part, et d’insertion dans les réseaux élargis de la mondialisation, d’autre part. Cette politique se traduit par une politique éditoriale très active, où se mêlent toujours la volonté d’édification et d’instruction (biographies des grands oulémas, innombrables traités didactiques sur l’ibâḍisme dans l’islam...) et le souci dévot d’une patrimonialisation des héritages culturels. C’est ainsi que l’immense fonds de textes médiévaux inédits dont disposent les bibliothèques d’Oman, de Djerba ou du Mzâb fait l’objet de publications menées à un rythme effréné. Parallèlement, les Ibâḍites se montrent très favorables au développement des études scientifiques, en langue arabe comme en langues européennes, comptant sur leur caution pour écarter les préjugés encore solidement enracinés dans les sociétés islamiques et pour secouer le carcan de la vision hérésiographique traditionnelle. À l’ère du kitmân pourrait donc avoir succédé, pour les Ibâḍites, celui du Global Village, où la carte du pluralisme culturel et des appartenances « identitaires » constitue un atout de légitimation et de revendication irremplaçable pour les minorités capables d’investir les réseaux de diffusion. Or les Ibâḍites se montrent habiles dans l’exploitation de leur capital symbolique, dont ils tirent des labels identitaires tout à fait adaptés au contexte des sociétés islamiques actuelles : « authenticité » d’un islam dont l’ancienneté, la rigueur et la conformité aux vrais préceptes du Prophète sont sans cesse rappelés, entrant ainsi en résonance avec les salafismes contemporains ; caractère « démocratique » d’un islam de résistance, voire de révolte, contre l’arbitraire et la tyrannie ; nature « égalitaire » d’un islam où les différences de richesse apparentes sont nivelées, et où le pluralisme ethnique est revendiqué (arabité, amazighité, voire persanité et africanité) ; « tolérance » d’un islam habitué à la coexistence et au « dialogue » inter-religieux ; « conformité » enfin à l’orthodoxie dite « sunnite », dont l’ibâḍisme constituerait la cinquième école. Cette nouvelle Nahḍa communautaire, dont l’enjeu n’est rien moins que la reconnaissance d’une pluralité interne de l’islam, ouvre donc à la recherche des pistes d’une richesse inégalée.

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Notes

1 Ce dossier prend place dans le cadre du programme de l’Agence Nationale de la Recherche que nous dirigeons. Intitulé « Maghribadite », il est consacré à l’histoire de l’ibâḍisme au Maghreb médiéval. Pour en savoir plus, on peut consulter le site www.maghribadite.hypotheses.org.

2 On pardonnera à l’auteur de s’abstenir volontairement de mentionner précisément ces sites que l’on peut aisément localiser sur le Net arabophone.

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Pour citer cet article

Référence papier

Cyrille Aillet, « L’ibâḍisme, une minorité au cœur de l’islam »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 132 | 2012, 13-36.

Référence électronique

Cyrille Aillet, « L’ibâḍisme, une minorité au cœur de l’islam »Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 132 | 2012, mis en ligne le 08 avril 2013, consulté le 23 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/remmm/7752 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remmm.7752

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Auteur

Cyrille Aillet

Université Lyon 2, CIHAM-UMR 5648

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