Nous tenons à remercier Jean-Jacques Cleyet-Merle pour l’accès aux collections des fouilles récentes de La Micoque ainsi que l’équipe du MNP, Peggy Bonnet-Jacquement, Bernard Nicolas, Stéphane Madelaine, Catherine Cretin, Marie-Dominique Dehé, Alain Turq et André Morala pour leur aide et leur accueil chaleureux. Jean-Philippe Rigaud a accueilli cette étude avec enthousiasme et a mis à disposition son fond documentaire au musée, nous l’en remercions. Merci à Laurence Bourguignon et Cyril Viallet pour les relectures attentives et leurs nombreux conseils ainsi qu’à Christophe Falguères pour avoir répondu à nos questions. Nous tenons également à remercier Jean-Pierre Texier pour ses précisions et éclaircissements sur les modalités de dépôt et le cadre chronologique, ainsi que deux rapporteurs anonymes dont les remarques ont permis d’enrichir le manuscrit. Cette étude, réalisée dans le cadre d’un travail doctoral, a bénéficié du soutien financier de l’Université de Perpignan Via-Domitia, de l’UMR 7194 HNHP ainsi que de l’ED 544 Inter-Med.
1En Europe, les premières manifestations du Paléolithique moyen sont souvent liées à l’émergence de nouvelles méthodes de débitage, en particulier celles associées au concept Levallois, ainsi qu’à la disparition des bifaces (Bordes 1950). Les données actuelles indiquent que le Paléolithique moyen ancien (MIS 10 à 6) est bien plus diversifié et ne peut se réduire à cette seule apparition du débitage Levallois et à la disparition progressive des bifaces. Ainsi, durant cette phase initiale du Paléolithique moyen ancien, de nombreux systèmes de production d’éclats et de façonnage coexistent au sein des séries lithiques. La variabilité des assemblages de cette période est attestée tant sur le plan régional que chronologique dans le Sud de la France (Brenet et al. 2008 ; Colonge et al. 2010 ; Brenet et al. 2014 ; Moncel et al. 2014 ; Hérisson et al. 2016 ; Carmignani et al. 2017). Les éléments pouvant expliquer la diversité dans la composition des assemblages lithiques sont aussi bien d’ordre économique que fonctionnel (contexte pétrographique, fonction du site, durée d’occupation) ou environnemental (contexte climatique, périodes glaciaires ou interglaciaires) ou encore culturel (traditions régionales, invention ou diffusion de phénomènes techniques). La durée de la période au sein de laquelle se développent les occupations du Paléolithique moyen ancien – soit entre les MIS 10 et 6 – ainsi que l’aire géographique concernée – européenne – rendent complexe l’appréhension des facteurs de cette variabilité.
2En Dordogne, peu d’indices d’occupations sont recensés pour le Pléistocène moyen avant le MIS 10. Pour la période du Paléolithique moyen ancien juste postérieure, le nombre est plus important. Ces occupations sont localisées principalement dans trois zones : la vallée de l’Isle au nord, la vallée de la Vézère et la vallée de la Dordogne au sud (Sarladais et Bergeracois).
3Des occupations du MIS 9 et 8 sont ainsi présentes à Petit-Bost (Bourguignon et al. 2008). A proximité, le site des Tares a été rattaché sur des bases géoarchéologiques aux MIS 9/8, bien que non daté par des méthodes radiométriques (Rigaud et Texier 1981 ; Geneste et Plisson 1996). Les niveaux inférieurs de la grotte Vaufrey, même s’ils ne renferment que peu de matériel lithique, pourraient être attribués au MIS 8 voire au MIS 10. Par ailleurs, un Moustérien décrit comme typique est présent dans les niveaux des MIS 7 à 5 du gisement (Rigaud 1988 ; Hernandez et al. 2014).
4À partir du MIS 7 et au MIS 6, les niveaux d’occupations sont de plus en plus nombreux. On peut mentionner par exemple les sites du Pech de l’Azé II c. 6 à 9 (Bordes 1971), les niveaux inférieurs de Combe-Grenal (Bordes 1971), Combe-Brune 2 (Brenet et al. 2008 ; Brenet 2011 ; Frouin et al. 2014), Cantalouette 1, Combe-Brune 3 (Brenet et al. 2006) ou encore Barbas C’4, C’3 base (Boëda et Kerzavo 1991 ; Boëda et al. 1996 ; Valladas et al. 1999). Parmi ces sites coexistent des industries attribuées tantôt à l’Acheuléen, à l’Acheuléen méridional (Bordes 1971) ou au Paléolithique moyen ancien.
5Le site de La Micoque s’intègre dans les phases anciennes du Paléolithique moyen et de manière générale parmi les plus anciens gisements stratifiés du Périgord par la présence de niveaux plus anciens que le MIS 7.
- 1 Du nom de l’ancienne ferme érigée à 500 m du site (Peyrony 1938).
6Le gisement de La Micoque1 est situé sur la commune des Eyzies-de-Tayac, en Dordogne (Nouvelle-Aquitaine ; fig. 1). Il est situé sur le flanc gauche de la vallée du Manaurie (affluent de la Vézère), à une vingtaine de mètres au-dessus du lit du ruisseau. La vallée est creusée dans les calcaires du Coniacien, tandis que le plateau est recouvert d’altérites, reprises par colluvionnement sur les versants (Texier 2006).
Figure 1 - Localisation du site de La Micoque.
7À l’origine, rien ne laissait présager un gisement paléolithique en ce lieu puisqu’il se présentait comme un talus en pente de 30°. On doit les premiers signalements à l’exploitant agricole qui montra du matériel recueilli en surface à P. Fournier, alors en train de fouiller Laugerie-Haute à 500 m de là (Peyrony 1938). Ce dernier fit alors part de l’information à E. Rivière. Les premières fouilles du gisement remontent à l’année 1896 et ont été effectuées par G. Chauvet et E. Rivière (Chauvet et Rivière 1896) d’une part puis par L. Capitan (Capitan 1896). À la fin du XIXe, des fouilles ont également été réalisées par E. Harlé (1897) et D. Peyrony (1898). Au début du XXe siècle, les fouilleurs sont toujours aussi nombreux : L. Coutil de 1903 à 1905, E. Cartailhac en 1905, O. Hauser en 1906 et 1907, des scientifiques berlinois en 1912 (Rosendahl 2006) et enfin de nouveau D. Peyrony de 1929 à 1932. Dans les années 50, F. Bordes entreprend également des recherches sur le gisement par le biais d’un sondage (1956 ; Bordes 1984).
8Après une reprise générale de la stratigraphie par H. Laville et J.-Ph. Rigaud (Laville 1975 ; fig. 2), plusieurs campagnes de fouilles ont été menées par J.-Ph. Rigaud et A. Debénath de 1983 à 1997 (Debénath et Rigaud 1988 ; Debénath et al. 1991). Le matériel étudié dans ce travail est issu de ces dernières campagnes de terrain, réalisées selon une méthodologie rigoureuse.
Figure 2 - Photographie de la stratigraphie de La Micoque, relevé Laville et Rigaud (in : Laville1975) et position de la couche L2/3.
9L’histoire du site et de son exploitation rendent par conséquent complexes les tentatives de correspondances entre certaines collections. Un travail de corrélations stratigraphiques, notamment entre les données de D. Peyrony et d’O. Hauser a déjà été réalisé (Rosendahl 2006).
10En ce qui concerne le matériel qui nous intéresse ici, le niveau L2/3 des fouilles d’A. Debénath et J.-Ph. Rigaud, il correspondrait à la couche 5 et à la subdivision L de la seconde stratigraphie de D. Peyrony (Peyrony 1938) ainsi qu’à la couche 5’ de F. Bordes. Il semble également correspondre aux subdivisions F et G d’O. Hauser (Hauser 1916 ; Rosendahl 2006).
11Trois types de processus sédimentaires sont à l’origine de la mise en place des dépôts de La Micoque : des coulées de débris, des phénomènes gravitaires (éboulis) et des processus fluviatiles (largement dominants) (Texier et Bertran 1993 ; Texier 2006). D’après ces auteurs, la séquence comporte trois ensembles sédimentaires. Les ensembles inférieur et moyen (couches A à N de Peyrony) correspondent à des terrasses emboîtées du Manaurie édifiées lors de périodes froides et arides tandis que l’ensemble supérieur (non-identifié antérieurement) correspond à des colluvions holocènes.
12À partir de l’analyse de la dynamique de dépôt, ils proposent un certain nombre d’hypothèses paléoenvironnementales. Ainsi, les dépôts alluviaux témoignent du fonctionnement d’une rivière à chenaux tressés avec un très fort débit concentré sur une courte période de l’année et présentant un écoulement faible à très faible pendant le reste de l’année. Les structures lamellaires identifiées dans les rares dépôts limoneux de l’ensemble moyen sont interprétées comme le résultat de la formation de lentilles de glace de ségrégation et témoignent donc d’un contexte climatique froid (Texier 2006).
13Du point de vue chronologique, les nappes alluviales des ensembles inférieur et moyen ont été corrélées respectivement avec les nappes Fw1 et Fw2 de la Vézère (Texier 2006). D’après les données recueillies dans les différentes vallées du nord de l’Aquitaine, cet auteur attribue la nappe la plus ancienne au MIS 12, entre 470 et 440 Ka, et la nappe la plus récente au MIS 10, entre 370 et 350 Ka. Le surcreusement qui les sépare de même que les alluvions argileuses situées à la base de l’ensemble moyen sont rapportés au MIS 11 (440-370 Ka).
14Ces hypothèses chronologiques sont en partie corroborées par les datations radiométriques les plus récentes réalisées pour l’ensemble moyen (Falguères, Bahain et Saleki 1997). Les niveaux E à L peuvent être attribués à une période comprise entre 350 et 300 ka, au MIS 10 lors d’une période semi-aride froide (Falguères, Bahain et Saleki 1997 ; Texier et Bertran 1993). Falguères, Bahain et Saleki (1997) ont ainsi obtenu trois dates par ESR/U-Th pour la couche L2/3 : 313 ± 47, 293 ± 44 et 291 ± 44 Ka. Les auteurs concluent que ces dates confirment l’hypothèse émise par Texier et Bertran (1993) d’un dépôt au cours du MIS 10.
15La séquence de La Micoque est connue comme éponyme de deux techno-complexes du Pléistocène moyen d’Europe de l’Ouest : le Micoquien (couche 6) et le Tayacien (couches 4 et 5) définis par l’Abbé H. Breuil d’après le matériel des fouilles Peyrony (Breuil 1932). Toutefois, les altérations taphonomiques (et particulièrement mécaniques) affectant certaines couches altèrent leur identification, notamment pour la présence d’encoches et de denticulés caractérisant le Tayacien.
16Lors des premières fouilles, G. Chauvet et E. Rivière qualifient l’industrie mise au jour de « chélléo-moustérienne », en raison de la découverte de plusieurs types de « haches » associées à des racloirs moustériens (Chauvet et Rivière 1896). Ce sont ces pièces, des bifaces amygdaloïdes, qui caractériseront le Micoquien de la couche 6.
17Dans les années 1930, H. Breuil et D. Peyrony redéfinissent les types d’industries (Breuil 1932 ; Peyrony 1938). F. Bordes reprend également l’étude du site et donne ses propres attributions culturelles des séries (Bordes 1969) (tabl. 1). Les derniers travaux sur La Micoque ont permis de retrouver la plupart des couches archéologiques décrites antérieurement à l’exception de la couche Micoquienne qui se trouverait en position terminale à la base des colluvions holocènes.
Tableau 1 - Attribution culturelles des niveaux de la Micoque.
* : déterminations réalisées d’après leurs propres collections.
18La production lithique de la couche L2/3 a été déterminée comme à débitage d’éclats et rares bifaces (Delpech et al. 1995).
19Le matériel lithique étudié est issu de la couche L2/3 des fouilles A. Debénath/J.-Ph. Rigaud dont le matériel est conservé au Musée National de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac. L’étude a été réalisée sur l’ensemble du matériel, incluant le matériel coordonné et celui issu des refus de tamis.
20Une analyse technologique visant à déterminer les objectifs de production a été réalisée. Elle a pour but de mettre en évidence les concepts de débitage et de façonnage mis en œuvre pour répondre à la production des supports recherchés. Ces concepts peuvent être variés au Paléolithique moyen ancien. Concernant les modes de production d’éclats, on retrouve principalement des débitages S.S.D.A. (Ashton 1992 ; Forestier 1992, 1993), Levallois (Boëda 1986), Discoïde (Boëda 1993 ; Peresani 1998) ou encore Quina (Bourguignon 1997) et Trifacial (Boëda 1997 ; Chevrier 2006). Ces production peuvent être simples, complémentaires ou ramifiées (Bourguignon, Faivre et Turq 2004 ; Faivre 2008).
- 2 Boëda définit une Unité Techno-Fonctionnelle comme « un ensemble d’éléments et/ou caractères techni (...)
21Les pièces confectionnées (retouchées et façonnées) ont été analysées selon une approche techno-morpho-fonctionnelle développée depuis les années 1990 (Lepot 1993 ; Bourguignon 1997 ; Boëda 1997, 2013). Ce type d’analyse vise à mettre en exergue les parties constitutives de l’outil (transformatives, réceptrices de l’énergie et préhensives) et la façon dont elles sont agencées sur le support (structure). En s’intéressant au tranchant et non pas à la seule localisation de la retouche sur le support, on appréhende plus précisément les parties recherchées sur l’outil (Boëda 2013). D’après les récurrences et les ruptures sur l’outil sont définies ainsi différentes unités : des Unité Techno-Fonctionnelles2 de Contact Transformatif (UTF CT) et de Contact Préhensif/Réceptif de l’énergie (UTF CP/CR). Dans certains cas, ces unités peuvent être considérées comme bivalentes (Viallet 2016), c’est-à-dire que la zone de contact, de par sa morphologie ainsi que son angulation, peut correspondre à une zone de maintien ou à une zone transformative. Ces zones sont nécessairement associées à une autre zone de contact transformatif.
22Si l’assemblage est largement dominé par l’utilisation du silex (98,83 %, n = 3869, tabl. 2), la désilicification avancée rend complexe voire impossible la détermination précise du type employé. D’après l’observation des cortex, des silex alluviaux et issus des altérites ont été utilisés, très probablement des affleurements du Sénonien au sens large de la vallée de la Vézère (fig. 3 – 1 et 2).
Tableau 2 - Décompte du matériel lithique de la couche L2/3 selon les matières premières.
23Malgré une patine systématique et totalement couvrante, des macro-fossiles sont visibles à l’œil nu sur un grand nombre de pièces. Il s’agit essentiellement de Bryozoaires et d’ostracodes, généralement pris dans de la silice micritique de texture mudstone (fig. 3 - B) parfois packstone à nombreux pellets et intraclastes roulés (fig. 3 - C). Ces fossiles semblent suggérer l’utilisation de faciès du Crétacé supérieur (Séronie-Vivien et Séronie-Vivien 1987 ; fig. 3 : A, B et C).
Figure 3 - Photographies des matières premières utilisées.
1 et 2 : silex du Sénonien, 3,4 et 5 : deux types de quartz. A, B et C : bioclastes du silex du Crétacé supérieur. Bryoz : Bryozoaire.
24Deux types de quartz ont également été utilisés même s’ils restent largement minoritaires (fig. 3 – 3 à 5). Le premier correspond à un quartz dont les cristaux sont grossiers mais semblant disposer de bonnes qualités à la taille. Il est marqué par des imprégnations d’oxydes de fer. Le second est un quartz blanc translucide à cristaux plus fins.
25Enfin, un galet fracturé en grès grossier est présent dans l’assemblage. L’altération des surfaces ne permet pas d’identifier d’éventuels stigmates.
26L’étude a porté sur l’ensemble du matériel issu des fouilles d’A. Debénath et J.-Ph. Rigaud, soit un total de 3 915 pièces, essentiellement composées d’éclats et d’esquilles (tabl. 2). L’ensemble du matériel a été récolté (coordonné et refus de tamis), et on retrouve ainsi dans l’assemblage de nombreux éclats de retouche, des esquilles et des débris.
27Bien que le matériel soit fortement désilicifié, il n’a que rarement subi une altération gênant la lecture, à l’inverse des niveaux sus-jacents et sous-jacents dont les pièces présentent un aspect fortement roulé.
28La présence des éléments les plus petits (esquilles, éclats de retouche, fragments d’éclats) indique une mise en place des dépôts ayant faiblement remanié le matériel. Deux remontages ont par ailleurs été effectués, sans qu’une recherche systématique ait été réalisée.
29Différentes étapes des chaînes opératoires semblent présentes sur le site puisque 18,9 % des éclats présentent des résidus de cortex (présence d’éclats à cortex résiduel, d’éclats semi-corticaux et d’éclat corticaux dont des éclats d’entame entièrement en cortex ; tabl. 3). Les différents débitages sont réalisés indifféremment sur des blocs et des galets de silex (pas de sélection préférentielle). Les rares pièces en quartz montrent potentiellement une chaîne opératoire de débitage segmentée (dans le temps et l’espace ?). Si l’hypothèse de percuteurs fracturés est envisageable (esquilles résultant de la fracturation), de véritables éclats sont toutefois présents dans la série. Très peu d’éclats portent des restes de cortex (13,3 %) alors qu’il est reconnu que les zones corticales offrent de meilleures surfaces de plan de frappe pour ce matériau (Tavoso 1978). Le caractère incomplet de la chaîne de débitage sur quartz est induit par l’absence de nucléus dans la série.
Tableau 3 - Caractéristiques des faces supérieures d’éclats.
30Le débitage du niveau L2/3 se caractérise par la recherche de produits allongés à dos. Ainsi, 70,6 % des éclats entiers ont un indice d’allongement supérieur à 1 et 33,6 % supérieur à 1,5 (fig. 4). Nous distinguons ces éclats allongés des lames dont l’indice d’allongement est supérieur à 2 (L =2xl). Outre leur rapport L/l, les lames attestent également de l’utilisation de concepts de débitage spécifiques.
Figure 4 - Allongement des éclats entiers.
31Parallèlement à cette recherche dominante, plusieurs concepts de débitage cohabitent et montrent une variété plus grande dans les produits recherchés. Les débitages algorithmiques au sens large (Ashton 1992 ; Forestier 1993) sont les plus représentés par les nucléus (33,3 % ; n =14), suivis par les concepts de débitage sur éclats (23,8 % ; n =10) et le débitage Levallois (16,7 % ; n =7). Quelques blocs testés (n =6) ainsi que des nucléus indiquant des débitages alternants (n =3) complètent la série (tabl. 4).
Tableau 4 - Débitages identifiés d’après les nucléus.
32Les productions algorithmiques (clactoniennes ou S.S.D.A., Ahston 1992 ; Forestier 1992, 1993 ; tabl. 5 ; pl. 2) peuvent être divisées en plusieurs catégories, en fonction du type de produit recherché mais aussi en fonction du nombre de surfaces de débitage et/ou de plan de frappe ainsi que du volume utile exploité par rapport au volume global du nucléus.
Tableau 5 - Méthodes algorithmiques et unipolaires allongées d’après les nucléus.
33Les produits principalement recherchés sont des éclats laminaires à dos majoritairement corticaux (ils peuvent occasionnellement être semi-corticaux ou bruts de débitage). Ces éclats sont en majorité obtenus dans le cadre d’un débitage algorithmique unipolaire ou bipolaire (pl. 1). Les convexités latérales ne semblent pas aménagées d’après les négatifs visibles sur les faces supérieures des éclats et seul le plan de frappe est aménagé. La présence d’un dos cortical étant recherchée, le débitage est latéralisé. Si cette production est très bien représentée parmi les éclats, il existe une sous-représentation des nucléus associés à cette production. En effet, seules quelques séquences unipolaires allongées sont attestées par des nucléus à surfaces hiérarchisées non-Levallois (plan de frappe aménagé, débitage sécant à subparallèle, absence d’aménagement des convexités) ou des séquences brèves unipolaires sur quelques nucléus.
Planche 1 : Débitages unipolaires allongés.
A et B : remontages de deux éclats à dos ; C et D : éclats allongés unipolaires.
34Les séquences unipolaires ou unipolaires avec la recherche de produits allongés ont lieu généralement sur deux surfaces (dont une sert ensuite de plan de frappe). Des productions dont les objectifs sont similaires sont réalisées successivement sur le nucléus (e.g. gestion matricielle successive identique). Dans quelques cas (n =2), les surfaces sont hiérarchisées et le débitage, sécant, a lieu préférentiellement sur une surface, témoignant d’un investissement plus important par rapport au volume initial du nucléus.
35Deux remontages, comportant à chaque fois deux éclats, attestent de ce type de débitage (pl. 1, A : O25-523 et 526 ; B : P25-61a et b).
36Seuls deux nucléus témoignent d’une exploitation bipolaire à deux surfaces de débitage, la majorité des nucléus algorithmiques renvoie à des exploitations mixtes correspondant à des gestions matricielles successives différenciées (n =5). Là encore, ce sont majoritairement deux surfaces qui sont exploitées suivant des associations diverses entre les débitages unipolaires, bipolaires, centripètes ou encore croisés. Ce type d’exploitation ne confère pas aux nucléus de morphologies spécifiques. Les produits recherchés sont variés (à dos, quadrangulaires, plus larges que longs).
37Enfin, deux nucléus présentent une exploitation de quatre et cinq surfaces alternativement de débitage/plan de frappe, conférant au nucléus une morphologie finale quadrangulaire ou polyédrique (pl. 2). Les produits sont généralement courts, de morphologie quadrangulaire.
Planche 2 - Nucléus S.S.D.A.
A : à deux surfaces de débitage ; B : à quatre surfaces de débitage ; C : à cinq surfaces de débitage.
38Le débitage sur éclat est important puisqu’il totalise 23,8 % des nucléus (n =10 ; tabl. 6). Ce débitage prend des formes variées avec un débitage Kombewa à la fois récurrent et linéal (n =7) ainsi que du débitage sur face supérieure d’éclat (n =2) voire sur les deux faces (n =1).
Tableau 6 - Méthodes de débitage sur éclats d’après les nucléus.
Tableau 7 - Méthodes de débitage Levallois d’après les nucléus.
39Si le débitage de concept Kombewa est le plus représenté dans sa globalité (70 %, n = 7), différentes méthodes sont employées.
40Parmi les méthodes linéales, deux nucléus montrent le détachement d’un premier éclat Janus tandis qu’un second éclat est obtenu suivant le même axe de débitage. Ce débitage secondaire représente une forme de récurrence avec deux produits obtenus de caractères morpho-techniques bien différenciés notamment en termes de morphologie en section.
41Les méthodes Kombewa récurrentes (n =3 ; pl. 3) correspondent à un débitage depuis la partie proximale et les bords (bord droit, bord gauche ou bilatérale). Deux catégories de produits sont obtenues : des produits minces allongés ou des produits courts quadrangulaires. Les plans de frappe sont systématiquement aménagés et le plan de détachement des produits est majoritairement sécant.
42Les produits issus du débitage sur face inférieure d’éclat sont plutôt bien représentés par rapport au nombre de nucléus puisque 12 sont présents dans la série (pl. 3).
Planche 3 - Nucléus sur éclat et produits Kombewa.
A et B : éclats Kombewa ; C et D : nucléus sur éclat récurrents.
43Le fort pourcentage de nucléus sur éclat sous-tend l’existence de chaînes opératoires ramifiées (Bourguignon, Faivre et Turq 2004). Aux nucléus sur faces inférieures et supérieures d’éclats s’ajoutent deux nucléus alternants dont le support est un éclat.
44Même si le concept de débitage Levallois ne domine pas dans ce niveau, son emploi est attesté par des éclats (n = 17) comme par quelques nucléus (16,7 % ; n =7 ; tabl. 7 et pl. 4). Des modalités linéales et récurrentes ont pu être identifiées. Ces dernières témoignent majoritairement d’une exploitation unipolaire ou bipolaire.
Planche 4 - Produit Levallois (A) et nucléus (B).
45Le débitage Levallois identifié peut se répartir en deux catégories : un débitage Levallois classique (Boëda 1986) et un typo-Levallois (fig. 5). Dans ce dernier, le volume du nucléus n’est ni configuré ni exploité dans son intégralité. Seule une partie du volume de la matrice est concernée par le débitage. Dans le cas du nucléus présenté en figure 5 par exemple, la plupart des critères définis par É. Boëda (Boëda 1986) sont présents : nucléus conçu en deux surfaces asymétriques sécantes se recoupant en un plan d’intersection (ici partiel), surfaces hiérarchisées, aménagement du plan de frappe, détachement des produits parallèle au plan d’intersection et percussion dure minérale. Seul l’aménagement des convexités est ici minimisé. Toutefois, les deux enlèvements latéraux préfigurent la morphologie et rectifient les convexités pour le détachement de l’éclat central.
Figure 5 - Nucléus typo-Levallois dont l’intégralité du volume n’est pas exploité, typo-Levallois.
46Dans l’autre cas, à savoir un débitage Levallois classique, l’ensemble de la structure volumétrique est intégré pour le débitage de telle sorte que bloc et nucléus ne font plus qu’un.
47Dans tous les cas une attention particulière peut être portée aux plans de frappe alors que cette surface elle-même peut être aménagée à minima. Elle est visible sur les nucléus et les éclats dont le talon est facetté ou dièdre.
48Trois nucléus montrent une gestion alternante de deux surfaces de débitage sans qu’ils puissent être raccordés avec certitude au concept Discoïde. Les séquences sont courtes et les produits de nature différente. Deux de ces nucléus sont par ailleurs réalisés à partir d’éclats épais.
49Des blocs avec un ou deux enlèvements sont également présents. Ces blocs sont juste testés et l’arrêt du débitage est très probablement lié à la qualité médiocre des blocs sélectionnés.
50Les proportions dans l’assemblage des concepts de façonnage sont très faibles (0,46 %). Une seule pièce façonnée bifaciale (fig. 6) a été réalisée bien que des éclats caractéristiques de ce mode de production soient présents (n = 17). Cette pièce témoigne d’une exploitation sans doute mixte (débitage/façonnage ; Brenet et al. 2014) avec une phase de mise en forme du support qui peut également avoir eu un objectif productionnel à l’instar du Trifacial (Boëda 1991). Cette première phase a lieu successivement sur les deux faces du support, par des enlèvements unipolaires envahissants voire très envahissants. Du cortex subsiste sur les deux faces du support délimitant une zone proximale corticale. Puis, dans un second temps, une phase de retouche vient régulariser les tranchants de l’outil tandis qu’une autre vient régulariser la zone de contact préhensif supposé opposée au tranchant.
Figure 6 - Pièce bifaciale et unités identifiées.
51Deux unités potentiellement transformatives (UTF CT) peuvent être individualisées sur cette pièce. La première se trouve en position distale gauche et est courte (21 mm), convexe en plan, rectiligne en profil d’une angulation de 65°. Elle est bi-plane en section. La seconde unité est située en partie proximale et mésiale gauche. Elle est denticulée en plan, rectiligne en profil et de section biplane ou concavo-plane. Son extension est plus grande (55 mm) tandis que l’angulation varie entre 70° et 80°. Cet angle assez ouvert rend cette unité bivalente, pouvant également correspondre à une zone de maintien possible.
52La zone supposée préhensive (UTF CP/CR) correspond à la partie corticale en zone proximale ainsi qu’au bord droit. Une phase de régularisation concerne cette unité.
53Au sein de l’assemblage, 54 pièces présentent des retouches régulières (soit 1,38 % du matériel total). Les pièces présentant des retouches pouvant être liées à des altérations taphonomiques (notamment les pièces à retouches abruptes alternes etc.) ont été écartées de l’étude. Quinze autres pièces ont été également éliminées de l’étude techno-morpho-fonctionnelle bien que la retouche soit intentionnelle. Il s’agit d’une part, des pièces très altérées dont les angles des tranchants n’étaient pas mesurables et d’autre part, des fragments d’outils.
54L’étude a donc porté sur 39 éclats retouchés (tabl. 8). D’un point de vue typologique, l’ensemble est dominé par les racloirs (n =20 ; 51,28 %) suivi du groupe des encoches et des denticulés (n = 7 ; 17,95 %). Les autres catégories d’outils sont des pointes, des grattoirs ainsi qu’une pièce dont le dos a été aménagé.
Tableau 8 - Classes typologiques des outils sur éclats.
55La retouche modifie peu les supports. Elle est majoritairement peu envahissante et ne concerne que rarement plus de la moitié de la surface de la pièce. Les éclats de retouche (n =272), répartis en différents types (Bourguignon 1997) montrent une retouche qui se limite à un, deux voire trois rangs (90,1 % pour les types 0, I et II). Il s’agit en majorité d’éclats d’aménagement de racloirs, seuls sept éclats d’encoche ont été identifiés (2,6 %).
56Les outils sont constitués en grande majorité d’une seule unité transformative potentielle (n =29). Il existe plusieurs catégories de tranchants : linéaires (n =14), pointes (n =6), bord-pointes (n =4), bord-pointe-bords (n =2) ou denticulés (n =3) (tabl. 9). Sur certains supports on peut individualiser plusieurs unités (n =10), qu’elles soient identiques (répétition de l’outil) ou différentes (complémentarité ou recherche fonctionnelle différente). Dans la plupart des cas deux unités sont associées. Seules trois pièces présentent trois unités associées. Il existe également une pièce retouchée sur tout le pourtour pour laquelle la détermination des unités n’a pas été concluante (absence de régularité ou de rupture significative en termes en plan, profil, section ou angulation). Nous avons fait le choix de ne pas proposer d’hypothèse quant à ses parties constitutives et ses orientations fonctionnelles.
Tableau 9 - Types de tranchants identifiés sur les outils, angulation et étendue.
57Il s’agit de la configuration la plus employée dans le niveau, avec 14 pièces pour les unités uniques auxquelles on peut ajouter 11 occurrences d’unités associées. Les zones de préhension (UTF CP) semblent être assez normalisées avec l’emploi majoritairement de supports à dos (corticaux, bruts de débitage).
58Plusieurs catégories de contacts transformatifs peuvent être distinguées : rectilignes (pl. 5) et sinueuses (avec deux groupes d’angles) ainsi que convexes et concaves. À l’exception des tranchants sinueux, tous ces types se retrouvent dans les outils à unités transformatives multiples.
Planche 5 - Analyse techno-morpho-fonctionnelle des outils sur éclats.
A : racloir simple latéral ; B : denticulé convergent (« Pointe de Tayac ») ; C : dos aménagé ; D : grattoir.
59Ces groupes sont très diversifiés et témoignent à chaque fois de peu pièces. Plusieurs catégories et sous-catégories peuvent être individualisées.
60Pour les pointes (pl. 5), celles-ci pourront être rectilignes, mousses (de deux groupes d’angles) ainsi qu’en « bec » (deux encoches ou surfaces concaves se rejoignant en une pointe, sur la même face ou non).
61Concernant les bord-pointes, les associations entre un bord et la pointe sont variées : rectilignes, pointe adossée à une surface de fracture (type « burin »), bord denticulé, ou encore bord rectiligne et pointe convexe. Théoriquement, bien d’autres associations sont possibles. Ici se pose la question de la complémentarité dans l’activé du bord associé à la pointe.
62Ce type de tranchant est assez peu représenté (trois unités uniques et trois associées). Une difficulté majeure subsiste quant à la zone véritablement recherchée dans l’unité : le creux de l’encoche (concavo-plan ou concavo-convexe, d’angulation élevée) ou le denticule/bec d’angle (biplan et dont l’angulation diffère entre 5 et 10°). Ainsi, des tranchants à la fois linéaires concaves et punctiformes peuvent être utilisés, ils peuvent être utilisés conjointement (de cette manière toutes les caractéristiques seraient recherchées dès le départ) ou indépendamment (un des deux tranchants serait alors simplement la conséquence du tranchant principalement recherché).
63Comme nous l’avons vu, neuf supports présentent plusieurs unités transformatives. Au sein de ces outils se trouvent des unités qui ne sont pas matérialisées par une phase de confection (tranchants bruts). Ainsi, les unités associées retouchées peuvent parfois correspondre à des zones d’accommodation de la zone préhensive par leur caractère bivalent (pouvant à la fois être utilisées mais dont l’angulation permet le maintien) (pl. 5).
64Ce niveau se caractérise par une production principale qui correspond à un débitage algorithmique unipolaire latéralisé et occasionnellement bipolaire visant à produire des supports normalisés, allongés et à dos. La sous-représentation des nucléus associés à ce concept est à souligner. Pour l’expliquer, il est possible que les nucléus aient été exploités suivant d’autres objectifs de production, dénaturant ainsi le nucléus initial (gestions matricielles successives différenciées). Les nucléus pourraient également se trouver hors de la zone fouillée. L’introduction de produits allongés sur le site peut être envisagée bien qu’aucun élément ne permette d’étayer véritablement cette hypothèse. Les études récentes menées sur les productions laminaires et allongées du Sud-Ouest de la France montrent un séquençage important de ces chaînes opératoires (Ortega et al. 2013)
65Associées à cela, des productions diversifiées existent. D’autres méthodes algorithmiques, sur éclats, Levallois ou encore alternantes sont présentes. Les supports produits sont tout aussi variés que les concepts de débitages qui y sont associés. Le concept Trifacial évoqué précédemment (Delpech et al. 1995) n’est pas présent dans la série.
66Après étude il apparaît que l’outillage sur éclat soit très peu normalisé et ce, malgré le manque de diversité visible au travers des classes typologiques identifiées (50 % de racloirs). Si au sein des supports retouchés une recherche de pièces à tranchants linéaires semble prépondérante, dans le détail, ces derniers offrent des caractéristiques morphologiques très diversifiées avec six groupes identifiés. Une recherche de contacts punctiformes est aussi présente avec cinq groupes identifiés. Certaines pièces comprennent également des tranchants linéaires ainsi que des contacts punctiformes, répartis en cinq catégories.
67Excepté pour les tranchants linéaires qui sont sur des supports de plein débitage, ce sont surtout des sous-produits des chaînes opératoires qui sont sélectionnés pour être retouchés : éclats corticaux, semi-corticaux et à cortex résiduel.
68Si aucune normalisation n’est perceptible pour la confection de l’outillage, elle existe dans le mode de production de supports allongés à dos (majoritairement corticaux). Ces produits offrent des caractères morpho-techniques très proches avec un tranchant linéaire rectiligne opposé à un dos, souvent envahissant, parfois débordant. Ainsi, l’outil brut ne nécessiterait aucun aménagement a posteriori de sa zone préhensive puisque prévue et intégrée par le débitage. Quelques-uns de ces produits ont été utilisés pour la confection d’outils à contacts linéaires.
69Le façonnage n’est représenté que par une pièce bifaciale de petites dimensions qui peut également être pourvoyeuse d’éclats, eux même potentiellement sélectionnés pour être utilisés.
70Parmi les supports disponibles, peu sont sélectionnés parmi le mode de production principal (unipolaire asymétrique) pour être confectionnés. Dans le cas des contacts linéaires, la retouche n’est utilisée que pour régulariser le tranchant ou le délimiter, ou bien pour accommoder probablement une zone de maintien opposée au contact linéaire laissé brut (comme c’est le cas des pièces présentant plusieurs unités transformatives potentielles associées). À l’inverse, la retouche a un véritable rôle dans la mise en place des contacts punctiformes (pointe, bord-pointe et bord-pointe-bord), pour lesquels il est difficile d’obtenir ces morphologies uniquement par débitage.
71Ainsi, du point de vue de la composition de la série, de ses traits technologiques ainsi que de sa position chronologique, ce niveau de la Micoque s’intègre parfaitement parmi les premières manifestations du Paléolithique moyen aquitain tel que défini actuellement. Chronologiquement, c’est l’industrie du niveau 2 de Petit-Bost (MIS 9/8) qui serait à rapprocher de ce niveau. Technologiquement, on note cependant un certain nombre de différences. À Petit-Bost, le façonnage bifacial est plus fréquent et une production trifaciale est présente (Bourguignon et al. 2008 ; Mathias et Bourguignon en préparation). Le débitage Levallois est plus représenté et un débitage Quina a également été identifié (Bourguignon et al. 2008). En ce qui concerne les traits communs, outre la présence du Levallois, une production algorithmique unipolaire, ainsi que des chaînes opératoires ramifiées, sont employées.
72À partir du MIS 8 et jusqu’à la fin du MIS 6, l’utilisation du débitage Levallois semble se généraliser au sein des industries de la région même si elle est parfois minoritaire voire absente de certains sites. En dehors du débitage Levallois, de nombreux autres concepts sont utilisés : Bifacial, Trifacial, Discoïde, Quina, Laminaire et algorithmiques s.l.. L’Aquitaine montre donc des indices d’une grande diversité technique, notamment aux MIS 7/6 (Brenet et al. 2014).
73Si on ne considère que la production d’éclats allongés à dos par des méthodes unipolaires, dans le Paléolithique moyen ancien local elle est présente dès le MIS 9 dans le niveau 2 de Petit-Bost (Bourguignon et al. 2008) ou plus récemment au MIS 6 à Combe-Brune 2 (Brenet 2011).
74Si la production d’outils bifaciaux dans ce niveau de la Micoque est anecdotique (une seule pièce façonnée et quelques éclats), la persistance d’une tradition bifaciale en Aquitaine à des périodes plus récentes est avérée : niveau 6 de La Micoque (Rosendahl 2006) ou encore au MIS 6 dans le Bergeracois de Barbas C’3 base (Boëda et al. 1996 ; Boëda 2001) ou de Combe-Brune 2 (Brenet 2011). Pour les trois derniers sites mentionnés, le caractère très spécifique des industries du Bergeracois peut être évoqué (qualité et modules du silex maastrichtien). Il n’en est pas de même pour la Micoque où les ressources minérales disponibles sont identiques à celles des autres niveaux. Cette persistance de traditions « acheuléennes » n’est pas un cas unique dans le Sud de la France puisqu’on la retrouve par exemple dans les Alpes-Maritimes, sur le site du Lazaret daté du MIS 6 (Lumley et al. 2004).
75La présence conjointe de séries avec le « tout éclat » et de séries utilisant le façonnage bifacial ouvre le débat sur l’existence possible de deux traditions culturelles différentes, de la coexistence envisageable de plusieurs groupes sur un territoire restreint au cours d’une période relativement longue ou du rôle des activités menées ainsi que du type de site (occupations de plein-air, occupations en grottes) ou encore de sa fonction dans le territoire. La diversité de la composition des assemblages lithiques régionaux pourrait être le témoignage des différents contacts entre groupes distincts ou à l’inverse le témoignage de résistances culturelles (maintien de comportements quels que soient les échanges), pouvant varier au cours de cette période en fonction des systèmes de mobilités de ces groupes. Ceci pourrait expliquer la grande diversité technique que l’on rencontre dans ces industries du Paléolithique moyen ancien. Les comportements techno-économiques de cette période en Aquitaine sont d’ailleurs considérés comme préfigurant la complexité du Paléolithique moyen classique (Brenet et al. 2014).
76À une échelle plus large, la moitié sud de la France livre des sites du Paléolithique moyen ancien à débitage Levallois : en Ardèche, à Orgnac 3 au MIS 9/8 dans les niveaux 3, 2 et 1 (Combier 1967 ; Moncel 1999 ; Moncel et al. 2012), dans le Lot sur le site des Bosses (Jarry et al. 2007) ou encore au MIS 8 à la Baume-Bonne (Gagnepain et Gaillard 2003). Ces débitages sont systématiquement associés à quelques pièces bifaciales. Les proportions du concept Levallois ne sont toutefois pas les mêmes que dans la couche L2/3 de La Micoque où le débitage Levallois reste faiblement utilisé.
77Dans la vallée du Rhône, où le débitage Levallois apparaît de façon précoce et ramifiée dans les niveaux supérieurs d’Orgnac 3 (Moncel 1999 ; Mathias 2016), il existe une diversité d’industries qui semble assez proche de celle du Paléolithique moyen ancien aquitain dans un contexte où le silex est également utilisé quasi-exclusivement. Ainsi au MIS 7 à Payre (Moncel 2008 ; Carmignani et al. 2017), des pièces bifaciales sont associées à un débitage Discoïde et orthogonal, tandis que sur l’autre rive du Rhône, au Bau de l’Aubesier toujours au MIS 7, un débitage Levallois récurrent centripète est associé à un débitage laminaire volumétrique, sans pièces bifaciales (Carmignani et al. 2017).
78Des industries particulières ont été définies dans le bassin de la Garonne à des périodes similaires. L’Acheuléen Pyrénéo-Garonnais se caractérise ainsi par la production de grands supports associés notamment à des hachereaux (Mourre et Colonge 2007 ; Turq et al. 2010).
79L’Acheuléen Pyrénéo-Garonnais et le Paléolithique moyen ancien de cette région pourraient se développer en parallèle à l’instar de ce que l’on connaît en Dordogne entre le MIS 9/8 et le MIS 6 pour les sites de Duclos et Romentères (Hernandez et al. 2012).
80Plusieurs raisons peuvent être à l’origine de la diversité des assemblages lithiques du Paléolithique moyen ancien. Ces éléments sont les mêmes que ceux évoqués pour expliquer les différents faciès du Moustérien : environnementaux et climatiques (Rolland 1988), chronologiques (Mellars 1989), fonctionnels, systèmes de mobilités (Binford et Binford 1966), degré d’utilisation des outils et ravivages éventuels (Dibble 1984) ou encore traditions culturelles (Bordes et Bourgon 1951).
81Entre le MIS 10 et le MIS 6, nous disposons de données inégales, concernant notamment les comportements de subsistance avec l’absence de restes fauniques sur les sites de plein-air. De la même façon, nous disposons de trop peu de ce type de sites pour percevoir des différences entre ces occupations (La Micoque, Petit-Bost et plus récemment les sites du Bergeracois) et celles en grotte (Vaufrey, Pech de l’Azé II). Les matières premières peuvent influencer les assemblages, ainsi des différences entre les sites du Bergeracois et ceux du Sarladais ou de la vallée de la Vézère sont clairement visibles. Malgré cela, une grande variabilité existe au sein même de ces zones, rendant caduque ce déterminisme minéral (Boëda et al. 1996 ; Brenet et al. 2008, 2014 ; Turq et al. 2017).
82Au vu des données archéologiques dont nous disposons, aucune hypothèse n’explique entièrement cette variabilité. La diversité observée au Paléolithique moyen ancien, résultat de phénomènes multifactoriels, préfigure assurément la complexité du Moustérien des MIS 5 à 3.
83Les systèmes techniques identifiés dans la couche L2/3 de La Micoque témoignent d’une production orientée vers des supports à dos, obtenus par des méthodes algorithmiques unipolaires ou bipolaires. Autour de ces méthodes gravitent une grande variété d’autres concepts de production, parmi lesquels des méthodes de débitage sur éclats ou Levallois.
84L’utilisation du débitage Levallois, la présence de chaînes opératoires ramifiées, une normalisation des produits, sont autant d’éléments caractérisant ce Paléolithique moyen ancien daté du MIS 10/9. Le débitage Levallois, bien que souvent minoritaire au sein de l’industrie, a donc été utilisé dès cette date dans la vallée de la Vézère. Il est employé sans équivoque à partir du MIS 9 dans la région entre autre dans les niveaux 1 et 2 de Petit-Bost (MIS 9 et MIS 8/7) où il est associé à d’autres concepts de débitage et de façonnage (Bourguignon et al. 2008). La particularité de ce niveau de La Micoque réside avant tout dans les proportions des différents types de débitages employés.
85La part des produits confectionnés, tout en étant diversifiée, est faible (1,38 %), et ne présente qu’une unique pièce bifaciale Ce sont surtout des tranchants linéaires bruts qui sont présents en grande quantité, avec un dos opposé et issus du principal mode de production algorithmique.
86Du point de vue des concepts de débitages utilisés, l’assemblage de la couche L2/3 de La Micoque s’intègre parfaitement au sein de la variabilité identifiée dans le Paléolithique moyen ancien d’Aquitaine et plus largement d’Europe de l’Ouest.