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Katia BÉGUIN, Les princes de Condé. Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du grand siècle, Seyssel, Champ Vallon, 1999, 463 p.
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Comptes rendus

Katia BÉGUIN, Les princes de Condé. Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du grand siècle, Seyssel, Champ Vallon, 1999, 463 p.

Robert Descimon

Texte intégral

1Ce livre remarquable appelle un conseil initial : lisez-le ! Le parcours apparent des Condé de la révolte à la domestication, tel que l'analyse Katia Béguin, est en effet une grande leçon d'histoire écrite dans un style toujours limpide et parfois d'un exceptionnel bonheur. Le lignage des premiers princes du sang opère une mutation révélatrice de toute l'évolution de la société politique du XVIe siècle au début du XVIIIe. K. Béguin pense ce mouvement avec force et prudence dans les termes de la doctrine historique classique en France. Ne soyons pas indifférents à la portée méthodologique générale de l'analyse présentée.

2Les révoltés se sont donc faits des fidèles et dignes serviteurs des ministères (Richelieu, puis paradoxalement Colbert), ce que K. Béguin nomme "les épousailles insolites des Condé et de la docilité". La base de ce renversement paraît d'abord matérielle. Le pauvre prince, peut-être bâtard, descendant officiel des chefs du parti huguenot, brièvement héritier du trône avant le second mariage d'Henri IV et la naissance de Louis XIII, l'animateur des révoltes de la régence de Marie de Médicis, se mua en un richissime grand seigneur, âme du parti dévot, gorgé par Richelieu des dépouilles de son beau-frère, le duc de Montmorency décapité, et des profits des finances extraordinaires qui alimentaient la politique belliqueuse de la monarchie. Les chiffres parlent d'une éloquence simple : au début du XVIIe siècle, Henri II de Condé aurait joui de 10 à 12 000 livres de rente ; à sa mort, ses revenus avaient été multipliés par cent (il laissa 16 millions de livres). Cet enrichissement fabuleux avait pour corollaire la participation au pouvoir, tout au moins aux conseils de gouvernement. Ainsi le prince Henri II établit une stratégie familiale qui ne se démentit pas par la suite. L'exceptionnelle gloire militaire de son fils Louis II apporta à cet édifice le supplément de justification qui assura sa paradoxale durée. La Fronde des princes et la longue absence du grand Condé, passé au service de l'Espagne entre 1652 et 1659, apparaissent ainsi, non comme le retour à l'ancienne posture du "devoir de révolte", mais comme un accident sans conséquence. K. Béguin démontre d'ailleurs que la monarchie évita toujours de qualifier comme trahison le passage à l'ennemi de son principal chef militaire. Après 1660, les bases sur lesquelles Henri II de Condé avait construit son pouvoir, c'est-à-dire la richesse foncière et la fidélité au roi, furent entretenues dans la plus parfaite continuité. La trajectoire lignagère des Condé apparaît encore plus cohérente que ne la décrit K. Béguin, peut-être trop sensible aux accusations de servilité que portent Saint-Simon et les contemporains à l'encontre du prince Henri Jules. Sans cette dévotion au roi et à sa politique, l'élévation d'un Condé, devenu simple duc de Bourbon, au statut de principal ministre entre 1723 et 1726 aurait-elle été imaginable ? Peut-on penser situation plus opposée aux principes fondamentaux du règne personnel de Louis XIV ? Et pourtant cette victoire de l'ambition condéenne ne porta nul dommage à l'absolutisme, ce bref ministère fixa même définitivement les traits conservateurs de la monarchie française. La cohérence de la stratégie lignagère des Condé apparaît quasi fabuleuse, tant sa réussite sur un long siècle de bouleversements semble avoir déjoué les pièges de l'histoire. Les "noces" de la puissance et de la docilité apparaissent comme une donnée fondamentale de la monarchie en quête de son absolu.

3Le secret de la réussite des Condé résidait dans leurs capacités de patronage. La question des fidélités et clientèles, naguère mise en lumière par Roland Mousnier et depuis traitée dans une perspective très fonctionnaliste par les historiens américains, au premier chef S. Kettering, constitue le cœur des préoccupations de K. Béguin. LesPrinces de Condé est désormais le livre qu'il faut lire sur la question. Le croisement de deux analyses permet de reconstruire la dynamique des clientèles princières : la première, globale, définit la maison domestique comme noyau central et définit un pôle d'institutionnalisation ; la seconde, appliquée, décrit la dynamique du réseau révélée par la reproduction sociale du monde des serviteurs autour d'une trilogie domestique : mariages, charges publiques et pensions que ménageait le prince. La maison princière forme ainsi un milieu social doté d'autonomie, dans la mesure où, le service étant un métier, les carrières commensales assurent à la fois un statut et des opportunités lignagères. La sociologie de la maison domestique est menée à partir des contrats de mariage et des inventaires concentrés dans l'étude notariale des princes, trait en lui-même significatif. Le fonctionnement et la structure internes du réseau sont contrôlés par les domestiques supérieurs qui président à la répartition foncièrement inégale des faveurs au profit des familles déjà les mieux établies. Des hommes comme l'intendant Gourville ou le président de la chambre des comptes de Paris Jean Perrault apparaissent comme les organisateurs d'un système qui est une société en miniature où la conquête d'une complicité d'intérêts avec le prince par une minorité suppose la subordination étroite où est cantonnée la masse des clients promis à la médiocrité. Les modalités (féodalité, territorialité, traditions familiales) du patronage condéen sont analysées avec une admirable acuité.

4Les relations des Condé avec les financiers et avec les magistrats des cours souveraines qui disent tous l'empressement à servir les princes du sang semblent relever d'une symbiose, la monarchie ayant constitué autour d'elle une sorte de bloc de pouvoirs. La centralisation du patronage voulue par les cardinaux ministres et Louis XIV laissa ainsi une grande place à l'initiative de grands, moins nombreux et donc plus puissants. On peut de la sorte se demander si l'exemple des Condé, pour significatif qu'il fût, ne constitua pas par son exceptionnelle réussite un cas limite. La concentration des fortunes accompagnait la concentration des clientèles, car les Condé ont recueilli non seulement les héritages des Montmorency, mais aussi leurs dépendants, ainsi que ceux de maisons tombées en déshérence, comme celle des Gonzague-Nevers. Comment l'influence politique ne serait-elle pas née des concentrations des richesses et des clientèles ? En effet l'édifice reposait sur l'exercice de charges d'État par les princes, celle de grand maître de la maison du roi (dispositif essentiel de la curialisation) ou les gouvernements de province (en Bourgogne, Condé restait "le roi en la province" selon des modalités que Katia Béguin décrit de façon très nouvelle) et sur l'exercice de commandements militaires. Grâce à leurs propres offices, les Condé contrôlaient la distribution d'une masse de charges publiques que le roi leur confiait par délégation. Ainsi le patronage princier entretenait avec le patronage royal et ministériel une relation dialectique, car, comme l'écrit Daniel Roche dans l'avant-propos du livre, "les liens de fidélité, les réseaux des familles sont là moins pour contester la monarchie que pour assurer une domination d'ensemble". L'analyse en profondeur du mécénat des Condé illustre cette complémentarité fonctionnelle au sein d'un système politique qui met en scène son autorité exclusive tout en tolérant le développement de pôles alternatifs. "L'académie Bourdelot", cénacle scientifique peu conformiste en un temps d'orthodoxie officielle, dévoile les contradictions de la politique culturelle de princes plutôt conformistes (y compris Louis II dans son âge mûr) qui protègent des hétérodoxes divers. K. Béguin montre comment l'indifférenciation idéologique de ce mécénat s'explique par la logique générale du patronage nobiliaire, tant la spécificité des activités "culturelles" est peu perçue par les mentalités des puissants, même aussi bien éduqués et aussi savants que les Condé. Il faut lire ces pages novatrices consacrées à la cour de Chantilly.

5L'évolution du système politique français au temps de l'absolutisme apparaît donc faite de compromis négociés en permanence entre l'État monarchique et ses soutiens naturels, c'est-à-dire les "élites du pouvoir". W. Beik avait déjà décrit le jeu de ces transactions perpétuelles dans le Languedoc du XVIIe siècle. La richesse du livre de K. Béguin n'est pas épuisée par la généralisation au royaume de ce constat : un pan de l'histoire religieuse du XVIIe siècle est éclairé par les reclassements opérés autour du prince Henri II, né protestant, mais mué en un champion intransigeant de la cause catholique ; l'histoire des pratiques de justice se trouve enrichie par la description du pouvoir d'intercession judiciaire des princes et du rôle de leur conseil dans l'entretien de leur fortune ; l'histoire sociale se complète de l'heureuse prosopographie de la clientèle des Condé que le livre fournit en annexe dans la manière souple et non formalisée de Daniel Dessert, qui semble un des modèles suivis par K. Béguin. Mais il est un apport majeur qu'on ne saurait passer sous silence : la question de la Fronde des princes reçoit un éclairage nouveau dans ce livre. Une découverte liée au fonctionnement du système des clientèles permet cette relecture : la maison princière rétablie en 1660 a eu les mêmes bases et a presque mobilisé les mêmes hommes que la maison d'avant Fronde, héritée de Henri II de Condé. Le parti condéen, coalition composite et instable dans les années 1650-1652, ne se fonde que très marginalement sur la maison domestique des princes. Mais l'engagement frondeur du grand Condé n'en fut pas moins une conséquence des difficultés qu'il rencontra dans l'extension idéalement indéfinie de son réseau de fidélités face aux appétits de Mazarin, lui-même contraint par sa position de principal ministre de se constituer un vaste ensemble de dépendants avec l'assentiment de la régente. La logique de la distribution des places, dont la multiplication se heurtait à des limites politiques après tout mal élucidées, rendait inévitable le conflit entre Mazarin et Condé. Pour l'auteur, dans l'hiver 1649, le ralliement à la Fronde parlementaire des secondes figures du lignage, le prince de Conti et le duc de Longueville, frère et beau-frère du grand Condé, manifesta l'impuissance du prince comme patron. K. Béguin semble hésiter ici entre deux interprétations : l'une, qui pèche sans doute par excès de fonctionnalisme, explique la révolte de Conti et Longueville par leur mécontentement, déception devant l'impuissance du chef du clan à leur apporter des surcroîts de faveur ; l'autre avance que la révolte de ses plus proches compromit le crédit politique du prince et le contraignit à le restaurer symboliquement en se jetant dans un affrontement avec le ministre et la régente. Si les princes furent poussés dans le camp de la Fronde par leur velléités d'indépendance et l'agacement qu'ils éprouvaient face aux succès et au loyalisme du chef du lignage, la politique en un sens large retrouverait une place dans la crise frondeuse. Katia Béguin a apporté au passage de la Fronde parlementaire à la Fronde des princes une solution élégante et convaincante qui avait échappé aux historiens les plus réfléchis (comme E. Kossman) et les plus imaginatifs (comme O. Ranum). C'est un des grands mérites des ouvrages d'A. Jouanna et de K. Béguin d'avoir redonné une certaine place aux représentations de la légitimité politique que se faisaient les acteurs des troubles de l'absolutisme naissant, mais aussi à leur compréhension plus ou moins profonde du système monarchique. Dans ce jeu, les Condé furent certainement maîtres.

6D'entrée, cette recension attirait l'attention sur l'intérêt méthodologique des Princes de Condé. Le lecteur averti remarquera que K. Béguin ne met pas en lumière les désaccords qu'elle exprime avec d'autres historiens : sa bibliographie montre qu'elle n'ignore pas grand chose, mais sa tactique d'exposition est de faire silence sur les interprétations qui diffèrent des siennes. La démarche de K. Béguin s'inscrit dans le droit fil de la tradition historique française de l'empirisme, à laquelle son maître Daniel Roche ne se rattache d'ailleurs pas vraiment. Fondé sur une érudition sans faille et très large, le livre penche toujours du côté de la doxa, tout en ouvrant les voies de lectures critiques. Cette posture d'exposition plus que de recherche entraîne au moins trois conséquences. 1/ Le rapport entretenu avec les sciences sociales et leurs concepts n'est pas explicité. Aujourd'hui, les historiens français, en rupture avec l'enseignement de Marc Bloch ou de Fernand Braudel, ne pensent pas que l'histoire soit une science sociale, ni qu'il soit utile de connaître les classiques de la sociologie, de l'anthropologie ou de la pensée politique, lesquels font indéniablement au moins indirectement partie de la culture de K. Béguin. Une tactique de références doctrinales implicites s'est imposée dans ce travail, par exemple à propos des principaux concepts de la théorie des réseaux et des clientèles, théorie sociologique s'il en est et qui est au cœur de la réflexion de K. Béguin. Dans ce cadre, les institutions apparaissent entièrement dominées par les relations qu'entretiennent les hommes qui les composent : chez les meilleurs spécialistes comme chez K. Béguin, la démonstration de la souplesse des liens personnels en fait des figures occasionnelles et transitoires de l'histoire sociale. Le danger d'institutionnaliser ce qui n'est pas institution demeure cependant et il amène à solliciter les données empiriques : ainsi quand l'homonymie de Jacques Doujat, trésorier du duc dernier de Montmorency, et de la famille des magistrats parisiens, sert à expliquer des liaisons que la parenté supposée des divers Doujat (qui ne descendaient nullement de magistrats toulousains) ne saurait expliquer puisqu'elle est très lointaine ou inexistante. L'explicitation d'un cadre théorique aide toujours à l'interprétation des données empiriques utilisées, car leur adéquation réciproque fonde la pertinence de toute problématique. 2/ La tradition française est prise pour point de référence par K. Béguin, qui porte une faible considération aux remises en cause venues de la tradition anglo-saxonne qui a dissout la curialisation des grands et l'absolutisme de Louis XIV dans les théories des réseaux et de l'information. Si les travaux de J. Bergin et de W. Beik sont discutés avec profit, les relectures révisionnistes de R. Mettam, de D. Parker, de P. Burke (traduit) ou de N. Henshall (un des plus radicaux) ne sont pas prises en compte, alors qu'elles dominent actuellement l'historiographie internationale du règne de Louis XIV. K. Béguin en produit par sa recherche même une critique à mes yeux efficace et convaincante, mais qui sera moins bien reçue en raison de ce silence. Les comptes rendus en langue anglaise des Princesde Condé présenteront de ce fait le plus grand intérêt, s'il en paraît, car aujourd'hui l'ignorance réciproque caractérise les historiographies française et anglo-saxonne de la France moderne. 3/ La rencontre de ces deux tactiques du non dit aboutit à privilégier chez Katia Béguin des explications qu'on dira de type fonctionnaliste qui sont celles dont s'accommode le mieux le "bon sens" invoqué par les historiens qui se disent de terrain, espèce dominante en France. Or le fonctionnalisme est une vision du monde temporellement déterminée par les expériences intellectuelles des hommes du XXe siècle et il apparaît démodé à côté des approches culturalistes. La reconstitution de la vision du monde des hommes du XVIIe siècle dans ses particularités historiquement irréductibles n'est pas au centre du projet de K. Béguin : pour prendre un exemple, les rares imprécisions du livre concernent le vocabulaire du droit. Pourquoi dire que la Bourgogne était pour les Condé un "apanage sans le nom", alors qu'ils y exerçaient un pouvoir plus étendu que celui des apanagistes, comme Gaston ou Philippes d'Orléans, dans leur apanage ? À la page 279, concernant la dot de l'épouse d'Henri Jules, l'ameublissement est manifestement confondu avec son contraire, l'emploi en fonds d'héritage ; à la page 285, un "arrêt de règlement" intervient dans une opération (la soumission des forêts du Bourbonnais à l'ordonnance de 1669) dont les conditions juridiques ne semblent pas saisies dans leur complexité. K. Béguin, en maintes occasions (depuis la gestion quotidienne des terres jusqu'au mariage du duc de Montmorency-Luxembourg), montre à quel point la politique princière reposait sur la force, voire la violence, plutôt que sur le droit. Mais le droit n'en était pas moins, avec la théologie, la principale "théorie indigène" produite par la société d'Ancien Régime. Ses formulations fondaient l'apparence de l'action légitime, nécessaire aux succès de fait comme à la promotion de l'image princière ; elles ne sauraient jamais être négligées dans la reconstitution des contextes de l'analyse historique.

7Ces commentaires osent dire combien Katia Béguin est une historienne dont l'exceptionnelle valeur n'attend pas au nombre des années. Une de celles qui pourraient, si elle en a la volonté académique, refonder sur de meilleures bases l'historiographie française.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Robert Descimon, « Katia BÉGUIN, Les princes de Condé. Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du grand siècle, Seyssel, Champ Vallon, 1999, 463 p.  »Cahiers d'histoire [En ligne], 46-1 | 2001, mis en ligne le 13 mai 2009, consulté le 25 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/ch/98 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ch.98

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