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Franz Stock, Journal de guerre, 1940-1947. Écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien
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Comptes rendus

Franz Stock, Journal de guerre, 1940-1947. Écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien

Édition établie sous la direction de Jean-Pierre Guérend. Introduction de Étienne François. Préface de Stephan Jung et Stéphane Chmelewsky, Paris, Éditions du Cerf, 2018, 437 p.
Paul Airiau
p. 413-416
Référence(s) :

Franz Stock, Journal de guerre, 1940-1947. Écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien. Édition établie sous la direction de Jean-Pierre Guérend. Introduction de Étienne François. Préface de Stephan Jung et Stéphane Chmelewsky, Paris, Éditions du Cerf, 2018, 437 p.

Texte intégral

1La guerre, c’est bien connu, est une histoire de violence, subie, imposée ou exercée. Il est même des circonstances dans lesquelles d’aucuns s’engagent ou doivent s’engager dans une sauvagerie qui dépasse assez largement toute mesure – si tant est qu’il puisse y avoir une mesure en ces matières-là, même si la guerre a toujours été une activité normée. Ainsi, dans les « terres de sang » de l’Europe de l’Est, entre 1939 et 1945, il est sans doute beaucoup de soldats et policiers allemands et supplétifs locaux à avoir directement exécuté chacun, avec un degré d’implication variable, et selon des modalités variables, aux alentours de 100 personnes, à l’instar des membres du 101e bataillon de réserve de la police allemande entre juillet 1942 et novembre 1943 (Christophe Browning, Des hommes ordinaires, 1992) ou des soldats de la brigade Dirlewanger, entre février 1942 et le milieu de 1944 (Christian Ingrao, Les chasseurs noirs, 2006). Et beaucoup ont vraisemblablement assisté à la mise à mort de plus de 100 personnes, tant les fusillades génocidaires et répressives ont pu être des opérations spectaculaires pour les troupes qui y procédaient – sans compter le travail de destruction des cadavres.

2Mais il est sans doute peu d’hommes ayant volontairement assisté à la mort et à l’inhumation de plus de 800 exécutés, au nom de sa conscience, des devoirs qu’on estime attachés à sa charge et de ce que l’on doit à ceux qui ont été condamnés à mourir, et ayant par la suite rencontré leur famille pour leur transmettre les messages et objets confiés et relater ce qui s’était passé. Tel fut l’abbé Franz Stock (1904-1948), prêtre (1932) du diocèse de Paderborn, recteur de la Mission allemande de Paris (1934-1944) – sa biographie par Raymond Loonbeek, Franz Stock. La fraternité universelle, Paris, DDB, 1993, a été recensée par Émile Poulat, ASSR, 84, 1993, p. 322. Ce prêtre, philo-français, proche des milieux pacifistes démocrates-chrétiens, accepta, à la fin de 1940, la charge d’« aumônier militaire à titre accessoire », ce qui lui permit de visiter les prisons de la Seine (le Cherche-Midi, Fresnes, la Santé) dans lesquelles le Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF, Haut commandement militaire allemand dans la zone occupée), puis le RHSA, ainsi que la police française, enfermaient tous ceux qui étaient accusés d’actes de résistance ou d’hostilité à l’occupant. À ce titre, il assura donc l’assistance spirituelle des condamnés à mort, fusillés très ponctuellement à Fresnes, davantage au polygone de tir de Balard, et surtout au Mont Valérien, avant d’accompagner leurs corps au cimetière. Parmi eux, notamment Honoré d’Estienne d’Orves, Gabriel Péri, Missak Manoukian.

3De cette expérience, il a laissé un journal, tenu de janvier 1942 au 13 août 1944, recensant 736 exécutions (mais il n’identifie que 520 fusillés), édité par le Franz Stock Komitee et les Amis de Franz Stock, avec le soutien de la Fondation Robert Schuman, du Konrad Adenauer Stiftung et de la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives du Ministère des armées. À ce diaire (appelé par l’édition le « Journal des Fusillés ») sont associés trois autres textes de Stock : le journal tenu d’août 1944 à janvier 1945 lorsqu’il était prisonnier des Américains à Cherbourg (le « Journal de Cherbourg »), les souvenirs (rédigés en 1947) sur le séminaire ouvert pour les séminaristes allemands prisonniers de guerre, de sa création à Orléans jusqu’à son transfert à Chartres (le « Séminaire derrière les barbelés », couvrant la période mars-août 1945) et le discours de Stock lors de la fermeture de ce même séminaire (26 avril 1947). Une longue introduction d’Étienne François, professeur émérite à l’Université Paris Panthéon-Sorbonne propose une lecture historique de l’ensemble des documents. Onze annexes accompagnent ces quatre textes, dont certains plutôt destinés aux lecteurs allemands (une édition allemande parallèle à la française a été réalisée) : repères biographiques sur Stock, données sur les prisons, lieux d’exécution, cimetières parisiens et réseaux de résistance, brève présentation des églises parisiennes citées par Stock, sorties culturelles de la mission allemande de Paris, bibliographie, liste des séminaristes allemands internés à Orléans et Chartres, liste des fusillés cités et index.

4S’il faut se réjouir de la publication de ces textes (et l’on ne dira jamais assez combien les procès de béatification, tel celui en cours pour Stock depuis 1992, permettent aux historiens d’avoir accès à des sources précieuses), on peut regretter certains choix et certaines légèretés éditoriales. Certaines légèretés d’abord : les notes, rejetées après les textes, sont regroupées par année, et la pagination indiquée, dont on pourrait penser qu’elle renvoie aux pages traitant de l’année dans le livre, renvoie en fait aux pages auxquelles se trouvent les notes ; l’annexe IX ne comprend que la présentation des « Chartrenreser », c’est-à-dire des séminaristes internés à Orléans puis Chartres, mais non la liste de ces mêmes séminaristes, pourtant annoncée ; dans le cahier photographique hors texte, la photo de l’exécution de quatre membres du réseau Manouchian est datée du 22 février 1944, alors qu’elle eut lieu le 21 ; la source des photos n’est pas indiquée (presque toutes proviennent sans doute du fonds Stock des archives de l’archidiocèse de Paderbon ou du Franz Stock Komitee) ; il aurait pu être précisé que la photo de l’exécution de quatre membres du groupe Manouchian est une des trois seules photos connues des fusillades du Mont Valérien, prise par le sous-officier de la Feldgendarmerie Clemens Rüther, offerte au Franz Stock Komitee en 1985, remise à l’ECPAD en 2003 (http://www.mont-valerien.fr/​comprendre/​le-mont-valerien-pendant-la-seconde-guerre-mondiale/​les-fusilles/​), et identifiée par Serge Klarsfeld en 2009 comme celle du passage par les armes du groupe (http://www.fondationresistance.org/​pages/​rech_doc/​photographie-execution-mont-valerien-membres-groupe-manouchian_photo15.htm). Certains choix ensuite. Afin de restituer une continuité chronologique (argument avancé p. 50), la fin du diaire de 1941-1944 et le début du diaire de Cherbourg ont été complétés avec des passages du manuscrit inédit dans lequel Stock avait raconté l’histoire du « séminaire des barbelés ». D’autres morceaux de ce manuscrit ont aussi été insérés, sans que cela soit mentionné, dans le diaire cherbourgeois, repérables au changement de ton et au caractère remémoratif du texte : les 19 octobre 1944 (p. 243-244), 4 décembre 1944 (p. 267-270), sans doute 24 décembre 1944 (p. 276), et 31 décembre 1944 (p. 278). Enfin, la description par Stock des détails liturgiques de la messe de Noël 1944 a été supprimée, sans explication. Est perdu en rigueur scientifique ce que l’on espère gagner en accessibilité.

5Quoi qu’il en soit, l’apport essentiel qu’est le diaire de 1941-1944 est intégralement disponible, et permet d’ouvrir la réflexion sur deux questions connues des historiens du religieux, qui mériteraient d’être traitées de manière plus approfondie. La première est celle de la pastorale des hommes mourants ou destinés à mourir. On le sait, l’objectif de la pastorale de la mort est de sacramentaliser cette dernière étape du cycle de la vie, de faire de la confession, de l’extrême-onction et du viatique les derniers rites de passage et, si possible, d’obtenir une « bonne mort ». On le sait aussi, la chose est compliquée à obtenir d’un certain nombre d’hommes, qui maintiennent jusque-là la distance qu’ils ont prise avec l’institution catholique. Enfin, la réconciliation in articulo mortis d’un certain nombre d’hommes célèbres, connus pour leur anticléricalisme ou leur écart envers le catholicisme, a servi d’argument apologétique et de victoire pour l’Église jusque dans les années 1950 (voir par exemple, au début du xxe siècle, la lecture anticléricale de Firmin Maillard, Le requiem des gens de lettres. Comment meurent ceux qui vivent du livre, Paris, Henri Daragon, 1901). On comprend donc que, lorsqu’il cherche à sacramentaliser ou à réconcilier ceux qui vont être fusillés, Stock se situe dans une logique fort classique. Si ce n’est que, fort souvent, il dispose de fort peu de temps pour y réussir , notamment lorsqu'il n'a pu entrer en relation suivie avec les condamnés lors de leur internement, ou fait face à des militants communistes. Il est d’ailleurs marqué par l’anticommunisme catholique, faisant le lien entre l’intensité de l’engagement communiste et le refus de la mort catholique (ainsi pour les lycéens de Buffon le 8 février 1943).

6Quoiqu'il relève avec tristesse un certain nombre d'échecs et aille jusqu'à noter que des exécutés ont non seulement refusé son assistance, mais furent ensuite incinérés (le 21 septembre 1942, décision allemande pour éviter tout pèlerinage mémoriel, ou dans la continuité des choix de ces fusillés dont nombre son "non baptisés, athées ou totalement éloignés ?), Stock peut aussi, très régulièrement, obtenir une "mort chrétienne" ou une forme de réconciliation, voire des baptêmes et premières communions avant l'exécution, comme le 30 avril 1944. On relèvera notamment que sur douze des 22 membres du groupe Manouchian de tradition chrétienne (Arméniens, Italiens, Espagnols, Hongrois), neuf manifestent une forme ou une autre d’adhésion au catholicisme, de la simple affirmation de la croyance en Dieu jusqu’à la confession et la communion (dont Missak Manouchian).

7Deuxième dimension, les effets de cet accompagnement sur Stock. Comme le relève Étienne François (p. 31-32), très peu transparaît de son intériorité ou de ses états psychiques et psychologiques. Certes, il peut être impressionné par la mort se voulant martyrielle de militants communistes, ou édifié par celle, dévote, de catholiques (20 mai 1944). Mais on aura du mal à trouver dans le journal une trace des conséquences sur lui du ministère auquel il s’était voué (il faudra consulter des témoignages extérieurs), si ce n’est, fort ponctuellement, la mention d’une « vision épouvantable » (14 exécutions, 21 février 1942), l’estimation qu’il a eu « une journée bien remplie » (31 mars 1942, quinze puis deux exécutions, prisonniers de deux prisons différentes et enterrés dans cinq cimetières différents), la mention de la peinture comme activité apaisante avant des exécutions (20 septembre 1942, la veille de 46 mises à mort), la douleur d’annoncer à une résistante incarcérée que son mari a été exécuté (31 mars 1944).

8Stock débute son journal en janvier 1942, après un séjour de quinze jours de vacances en Allemagne suivi de l’exécution, le 15 décembre 1941, de 69 otages au Mont-Valérien et 26 dans le reste de la France. Conséquence de la politique de représailles décidée en août par le MBF et systématisée sur ordre d’Hitler à la mi-septembre, cette exécution massive fait que Stock assiste en une journée au Mont Valérien à davantage de mises à mort qu’il n’y en a eu dans toute la France occupée de juin 1940 à août 1941. Que ces éliminations d’otages ne soient pas sans jouer un rôle dans le déclenchement de la tenue du diaire, l’hypothèse peut aussi s’appuyer sur ce que l’on sait de l’aumônier militaire Theodor Loevenich (1907-1990).

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Entré en fonction le 12 septembre 1941, affecté à la Kommandantur du Gross Paris, il commence son propre journal le 16 septembre, date du «décret Keitel» qui dresse les grandes lignes de la «politique des otages». Il assiste aux exécutions du 22 octobre (cinq otages passés par les armes au Mont-Valérien) du 15 décembre. Il est intervenu avec Stock auprès du cardinal Suhard afin que celui-ci sollicite le MBF pur que le chiffre de cent exécutions au Mont-Valérien soit diminué. Il souffre de dépression à partir de janvier 1942, cesse de tenir son diaire (p. 351, note 15) et part en repos jusque début mas (p. 71-72). En juillet 1942 (p. 96), jugé trop complaisant à l’égard des prisonniers, il est expédié sur le front de l’Est.

10Il est donc possible d’estimer que le diaire, avec d’autres formes d’écritures, permet à Stock de mettre à distance les effets de l’accompagnement des prisonniers, des fusillés et de leurs familles (« beaucoup de visites le soir ! », 06 février 1942), dont tous les témoignages estiment qu’ils ont profondément dégradé son état physique, déclenchant des faiblesses cardiaques nécessitant un mois de repos en septembre-octobre 1943, sans compter une usure psychique profonde.

11Ces réactions psycho-somatiques ne sont pas sans intérêt. En effet, Stock ne manifeste jamais d’opposition aux exécutions ni aux sentences. Fidèle à la lignée catholique qui demeure au moins jusque dans les années 1960, il considère que la mise à mort de coupables est une expiation justifiée de leur péché, en l’occurrence les actes violents qu’ils ont commis en dehors des lois de la guerre (les mentions de « terrorisme » ou « franc-tireur » sont régulières), qui ont pu tuer ou blesser des civils et entraîner l’arrestation ou l’exécution d’otages (16 mai 1942). Un certain nombre d’exécutés catholiques partagent cette lecture : ainsi un condamné qui considère son exécution « juste » (17 avril 1942), un autre qui demande à Stock de dire à sa femme « de ne pas venger sa mort [car] il a beaucoup à expier » (21 novembre 1942), un dernier qui estime que sa mort est providentielle puisqu’elle permet de résoudre sa situation familiale compliquée (29 juillet 1942).

12Aussi, le contraste entre le discours et les effets accumulés de la pastorale et des exécutions laisse-t-il penser que le corps et le psychisme de Stock disent ce que sa structure théologico-spirituelle ne peut exprimer. À moins qu’il ne faille penser que la pensée catholique du milieu du xxe siècle place ses ministres dans une situation inextricable lorsqu’elle les oblige à vivre les exigences spirituelles (se faire le prochain d’autrui sans condition) concomitamment à une théologie morale de la responsabilité individuelle (imputation individuelle des actes peccamineux, proportionnalité des actes, non implication des innocents, respect de la justice, soumission aux lois, prise en compte des effets directs et indirects…), une théologie politique de l’obéissance aux pouvoirs établis et une spiritualité de la conversion (faire du mal injuste ou de la sanction justifiée une occasion d’offrande à Dieu) dans des circonstances la poussant aux limites de ce qu’elle peut penser – voire au-delà de ce qu’elle sait penser. D’une certaine manière, Stock montre très concrètement, corporellement, comment la violence institutionnalisée, enracinée dans une pratique de la terreur politique et militaire développée depuis la fin du xviiie siècle, et entièrement justifiée par la pensée totalitaire, relevant de règles morales radicalement étrangères à la logique catholique, met en crise le catholicisme.

13Ainsi le journal de Stock prend-il place aux côtés des autres témoignages des aumôniers de prison ayant assisté des condamnés à mort (Georges Moreau, Souvenirs de la Petite et de la Grande Roquette, recueillis de différents côtés et mis en ordre, Paris, J. Rouff, 1884 ; Jean-Baptiste Faure, Souvenirs de la Roquette : au pied de l’échafaud, précédé d’une notice sur l’abbé Faure par L. Crouslé, Paris, Maurice Dreyfous et M. Dalsace, 1896 ; Charles Geispitz, Sous les verrous. Dans les larmes et le sang, Notes et souvenirs, Maison de la Bonne Presse, 1923 ; Jean Popot, J’étais aumônier à Fresnes¸ Librairie académique Perrin, 1965). Il est aussi désormais nécessaire à la compréhension de ce que vécurent les prêtres catholiques entraînés d’une manière ou d’une autre dans la violence de Deuxième guerre mondiale – et il serait souhaitable que soit réalisé un travail comparable à celui de Lauren Faulkner Rossi, Werhmacht Priests. Catholicism and the Nazi War of Annihilation (Cambridge, Harvard University Press, 2015), étudiant les prêtres et séminaristes catholiques allemands incorporés dans la Wehrmacht. La particularité des circonstances dans lesquelles il exerça son ministère, susceptibles de cristalliser, précipiter ou bloquer des évolutions, en fait donc une source indispensable pour une approche historique profonde du vécu religieux masculin et sacerdotal et de la confrontation des principes catholiques aux situations concrètes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Airiau, « Franz Stock, Journal de guerre, 1940-1947. Écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien », Archives de sciences sociales des religions, 188 | 2019, 413-416.

Référence électronique

Paul Airiau, « Franz Stock, Journal de guerre, 1940-1947. Écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 188 | octobre-décembre 2019, mis en ligne le 08 janvier 2022, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/assr/49585 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.49585

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Auteur

Paul Airiau

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