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Link to original content: https://dx.doi.org/10.4000/gss.6006
Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes intersectionnelles : décentrer la notion d’allié.e pour prendre en compte les personnes concernées
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Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes intersectionnelles : décentrer la notion d’allié.e pour prendre en compte les personnes concernées

Positioning oneself as researcher in the prism of intersectional struggles: Reframing the notion of ally from the concerned people’s perspective
Sklaerenn Le Gallo et Mélanie Millette

Résumés

Cet article a pour objectif de problématiser et repenser la notion d’allié.e au sein des luttes sociales. Nous procédons en trois temps afin de proposer un positionnement des personnes alliées qui prenne en compte les personnes concernées. À partir de la théorie du positionnement (standpoint theory) de la question du parler pour / parler de, nous portons un regard critique sur les rapports de domination au sein du monde académique, et notamment sur les pratiques liées à la captation de la parole par les chercheuses, chercheurs, en position privilégiée, dans le contexte d’une recherche avec des personnes LGBTQI+, racisées, minorisées ou marginalisées par différentes logiques d’oppression. Nous problématiserons ensuite la notion de personne alliée, et plus particulièrement la façon dont elle est conceptualisée dans la littérature académique états-unienne comme une identité à développer. Finalement, nous mobiliserons les recommandations formulées par les personnes concernées par une oppression systémique, au sein du monde académique, mais également en relayant des voix du milieu communautaire. Cela permet de mettre en lumière un cadrage original, fondé sur l’agentivité des personnes concernées, où elles ont le pouvoir de reconnaître ou de refuser le statut de personne alliée, à partir de leurs objectifs et besoins.

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Texte intégral

Introduction

1Les milieux universitaires ont souvent eu tendance à reproduire un modèle longtemps incarné par des personnes caucasiennes, cisgenres s’identifiant comme homme et hétérosexuels. Nous pourrions ajouter à cette « normalité » universitaire les biais coloniaux, de langue et de classe, pour ne nommer que ceux-là. Ces biais ont été normalisés dans la reproduction de l’institution scientifique (Baril, 2017a ; Dagenais et Devreux, 1998 ; Eichler et Couture, 1998). En sciences sociales, les choses tendent à changer lentement, notamment par le développement de démarches féministes intersectionnelles (McRobbie 2015 ; Roberts 2016 ; Luka et Millette 2018), post-coloniales ou décoloniales (par exemple le récent numéro de Nouvelles Questions Féministes de 2018) et par l’implantation de politiques favorisant la diversité dans le recrutement du personnel enseignant et universitaire. Néanmoins, des logiques systémiques persistent (Baril 2017a ; Sugimoto et al. 2015 ; Larivière et al. 2013) et les personnes appartenant aux minorités sociales discriminées peuvent souhaiter compter sur des personnes alliées, en recherche comme dans la société civile et les cercles associatifs.

  • 1 Cet acronyme se rapporte aux personnes s’identifiant comme lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans*, (...)

2Cet article prolonge une réflexion développée dans le cadre d’une recherche que nous menons sur les usages des médias socionumériques par les personnes LGBTQI+1 au Québec. Dès les premières revues de littérature, la question entourant le positionnement des chercheuses participant à ce projet a été source de débats et d’enseignements. À ce titre, de nombreuses discussions ont émergé entre les deux auteures de cet article, puisque l’une s’identifie comme alliée – et est identifiée comme telle – et que la seconde est à même de mobiliser des savoirs situés et incarnés. En effet, le projet vise à établir une première recension quant au rôle des médias sociaux et des interactions en ligne pour les personnes LGBTQI+, notamment pour des pratiques de présentation de soi, des démarches identitaires, associatives ou politiques. Le projet est porté par une chercheuse blanche, cisgenre et hétérosexuelle. Le capital culturel, économique et social accompagnant la position de chercheuse est également à prendre en compte dans le contexte d’une recherche avec des personnes minorisées ou marginalisées (Sprague 2000 ; Luka et Millette 2018). L’équipe de recherche est composée de personnes représentant une certaine diversité, mais qui ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des cas de figures, spécialement en terme d’intersectionnalité des oppressions. Rappelons que le féminisme intersectionnel prend en compte les manières différentes et situées dont les identités sociales sont enchâssées dans des rapports de force, une personne ayant à la fois une identité de genre, mais aussi une position sociale, une éducation, etc. Il s’agit donc de prendre en compte les « systèmes d’oppression croisés » (Collins 1990) que vit une personne afin de faire sens de sa situation. Dans un tel contexte, et pour espérer faire une recherche qui soit éthique et utile, nous avons exploré les différentes facettes et implications du statut de personne alliée. Car, concrètement et dans le respect de l’agentivité des personnes LGBTQI+, comment peut-on penser la posture de personne alliée sans l’imposer ?

3Dans la littérature francophone, la réflexion prend forme dans les approches féministes, notamment à travers les travaux de chercheuses de la seconde vague sous l’initiative de Christine Delphy (1977). Dans la littérature états-unienne, la question des personnes alliées est pensée avant tout par rapport au système éducatif, du fait de la mise en place des programmes allies and safe zone sur différents campus. Ces programmes sont nés de la reconnaissance par les décideuses et décideurs en matière de politiques publiques et les personnes chargées de la création de programmes éducatifs de l’intérêt potentiel de faire plus de place au développement de personne alliée dans les milieux scolaires afin de renforcer le sentiment d’acceptation des populations LGBTIQ+ (Poynter et Tubbs, 2008, 122). L’objectif commun de ces différents programmes – qui restent indépendants et dont l’implantation dépend de l’administration des collèges et universités – vise à améliorer le climat sur le campus pour les personnes appartenant aux minorités sociales discriminées en fonction de leur orientation sexuelle et/ou de leur genre en favorisant la compréhension, l’éducation, le développement de compétences des personnes hétérosexuelles vis-à-vis de ces réalités (Poynter et Tubbs, 2008 ; Braunschweig, 2019).

4Afin de penser le positionnement des personnes alliées à partir d’une perspective féministe intersectionnelle et de proposer une posture qui soit cohérente et éthique, nous procèderons en trois temps. D’abord, nous poserons les bases d’un cadre théorique articulé autour des enjeux soulevés par la standpoint theory. Ceci nous permettra d’aborder la question du parler pour et du parler de qui est sous-jacente à notre rôle de chercheuses. Ensuite, nous problématiserons la notion de personne alliée, et plus particulièrement la façon dont est conceptualisé ce positionnement dans la littérature académique états-unienne. Finalement, et pour lier les questions du parler pour et du positionnement en tant que personne alliée, nous mobiliserons les recommandations formulées au sein de milieux communautaires francophones, dont le cadrage diffère généralement de la littérature anglophone, afin de favoriser le parler avec, davantage propice à la collaboration au sein des milieux de luttes LGBTQI+, antiracistes ou encore décoloniales.

Approche épistémologique : se positionner comme chercheuses dans un milieu académique traversé d’inégalités

5La standpoint theory, perspective épistémologique féministe, a été en partie construite sur la conception marxiste de la connaissance. En effet, du

« “point de vue scientifique du prolétariat” (Lukács, 1960, 220), le marxisme constitue un renversement épistémique, par lequel le prolétariat prendrait conscience de lui-même au travers d’un processus dialectique de reconnaissance de sa position comme sujet et objet du procès de production, c’est-à-dire comme étant à la fois producteur et marchandise. » (Cervulle, Quemener, & Vörös, 2016, 11).

6Dès lors opère une réconciliation entre l’objet et le sujet, au sens où le prolétariat est envisagé comme la « seule classe dans l’histoire à pouvoir accéder à la vérité, fondamentale pour sa praxis et pour l’avènement de l’histoire, seule classe capable de penser et de vouloir sa propre disparition » (Gaussot, 2008, 188). L’idée reprise par les courants féministes est précisément cette interrogation sur les conditions de possibilité de l’objectivité au niveau de la recherche en sciences humaines et sociales et sur la possibilité d’« un point de vue privilégié sur lequel fonder l’objectivité de la connaissance » (Gaussot, 2008, 190).

« L’épistémologie de la connaissance située/du point de vue abandonne l’idée de neutralité, de détachement pour poser que « toute connaissance est nécessairement située dans le temps et l’espace » et ancrée « dans les conditions matérielles d’existence spécifiques à un groupe et à une époque donnée » (Ollivier et Tremblay, 2000). […] L’originalité se situe dans le fait qu’il s’agit d’interroger la position sociale dans les rapports de sexe et l’effet de cette position dans la connaissance de ces rapports. » (Gaussot, 2008, 190)

7Les personnes opprimées, prenant conscience de l’oppression subie tendent à se révolter contre leur situation et à vouloir la renverser par la connaissance : « Ce qui est un désavantage par rapport à leur oppression peut devenir un avantage en ce qui concerne la science. » (Harding, 1990 dans Gaussot, 2008, 190, notre traduction). C’est sous cette impulsion que les rapports de pouvoir prennent la voie d’une « théorie de la connaissance dont le sujet est un “nous”. » (Cervulle, Quemener et Vörös, op. cit., 12).

8Une telle position épistémique, en plus de prendre en compte la matérialité du monde social – au sens marxiste du terme – vise à rejeter le caractère androcentrique de la réflexion en science humaines et sociales. Au-delà de cette contestation, Harding, figure fondatrice de la standingpoint theory, propose que « les groupes socialement avantagés feraient preuve d’un déficit de réflexivité inhérent à leur position, qui se traduirait par une incapacité à interroger de manière systématique les effets de cette position sur la connaissance qu’ils produisent » (Harding, 1992, 56, citée dans Cervulle, Quemener et Vörös, 2016, 13). Cette idée contestataire nous paraît tout à fait fertile puisqu’une telle perspective invite à « apprendre à voir d’en bas » (Haraway, 2007, 119) et à « se doter d’instruments optiques forgés à partir des regards minoritaires » (Cervulle, Quemener et Vörös, 2016, 13).

9Cet ancrage particulier exige la prise en compte des expériences situées dans la construction des savoirs. On doit à Donna Haraway (1988) cette idée que les connaissances sont toujours plurielles et situées, teintées et traversées par la position des personnes qui les ont mises à jour, et que l’existence d’une Connaissance qui serait plus valable que les autres parce que « scientifique » est un dogme qui ne tient pas la route. Car l’autorité de « ce qui compte comme connaissance » (Haraway, 1988, 580, notre traduction) est notamment influencée par la position dominante des scientifiques qui la produisent et qui sont encore majoritairement des hommes cisgenre (Sugimoto et al. 2015 ; Larivière et al. 2013), ainsi que par les logiques systémiques et les cultures institutionnelles académiques (reproduisant elles-mêmes les idéologies patriarcale, hétéronormative et coloniale). Non pas que les méthodes de ces scientifiques en position dominante soient invalides ou que les savoirs qu’ils aient mis à jour soient d’un ordre moindre, ils sont simplement (mais essentiellement) équivalents mais beaucoup plus visibles (plus publiés, diffusés, cités – voir notamment King et al. 2017) que les savoirs provenant des marges – les savoirs féministes et autochtones, par exemple. C’est ce qui avait motivé Haraway, dans un texte encore radical et nécessaire plus de 30 ans après sa publication, à plaider pour que l’objectivité dans le processus scientifique soit finalement comprise comme l’exercice rigoureux de (re)situer les savoirs scientifiques de manière explicite : de toujours replacer les connaissances dans leurs contextes culturels, historiques, politiques, identitaires. Cet exercice exigeant s’applique à la fois aux objets et sujets d’étude, ainsi qu’aux personnes qui mènent l’enquête – les contextes respectifs et leurs différentes configurations ayant une influence sur la manière dont les connaissances seront conçues, nommées, cadrées et présentées (Sprague 2005).

10C’est notamment cette demande exigeante, mais nécessaire pour espérer mener une recherche plus inclusive et représentative de la diversité, que nous réfléchissons à notre positionnement comme chercheuses. D’un point de vue structurel, les rapports de pouvoir constituant la société et le milieu académique font en sorte que certaines personnes sont reléguées aux marges. Les lesbiennes sont repoussées aux marges du féminisme (Butler, 2012), les personnes racisées et les personnes issues de la diversité cultuelle aux marges de la citoyenneté (Ahmed, 2013b ; Bouamama, 2006 ; Guénif-Souilamas, 2006), les personnes trans sont mises de côté aussi bien au niveau du monde social que du monde universitaire (Baril, 2017a). Le caractère hétéronormatif, « cisgenrenormatif » (Baril, 2009, 2017a et b) de nos sociétés contemporaines occidentales ainsi que le racisme systémique et l’universalisme latent qui les sous-tendent créent des catégories hiérarchisées de citoyenneté qui viennent repousser à l’extérieur de « l’acceptabilité » les personnes dont les corps, les appartenances culturelles et cultuelles, ou dont les identités et orientations sexuelles diffèrent de la norme établie (Butler, 2004). Dès lors, « [e]n situant le savoir dans le monde, nous pouvons à la fois ébranler ses chances d’être pris pour acquis et utiliser ces nouvelles perspectives pour comprendre, parler, et possiblement agir dans le monde de manière différente » (Braithwaite et Orr, 2016 dans Baril, 2017b).

Parler pour, parler de : le jeu de la prise de parole au prisme de la recherche

11Ainsi, la question des savoirs situés nous importe également pour la prise en considération d’une potentielle captation de la parole des personnes en situation de minorité par les personnes en position dominante – qui se placent ainsi dans la position de parler pour les personnes minorisées d’ores et déjà invisibilisées. Dans le contexte de la recherche, ceci mènerait à une forme de violence épistémique découlant de notre positionnement de chercheuses, de nos prises de paroles, et plus largement à ce qui autorise ou contraint celles-ci.

12Dans « The problem of speaking for others » (1991), la philosophe américaine Linda Alcoff aborde notamment la question de la violence épistémique, des prises de parole pouvant être discursivement dangereuses (discursively dangerous) puisque, dans plusieurs situations, parler pour certaines catégories de personnes moins privilégiées vient renforcer et aggraver l’oppression vécue par le groupe au nom duquel on parle (Alcoff, 1991., 6-7). En effet, afin de parler pour des personnes, il est nécessaire de décrire la situation des personnes concernées, et ainsi de parler de. Similairement, pour parler de quelqu’un, pour décrire sa situation, il est également nécessaire de parler à sa place, et donc, de parler pour lui ou elle (Alcoff, 1991, 9).

13Ces deux facettes de la prise de parole académique, quand vient le moment de décrire la condition de personnes opprimées, nous appellent à prendre en compte le processus de représentation qui opère dans le discours à travers le fait de parler pour et de parler de. En effet, dans les deux cas, nous représentons, dans notre discours, les besoins, le vécu, la situation, les buts, et plus généralement, qui sont les personnes dont nous parlons. En d’autres termes, nous participons à la construction de leur position en tant que sujets (Alcoff, 1991, 9), ce qui aura forcément un effet sur les personnes représentées dans notre discours (Alcoff, 1991, 10). Ce premier point joue un rôle crucial au niveau politique, le pendant de la représentation étant une forme d’interprétation. En effet, l’acte ritualisé qu’est la prise de parole implique également la présence d’une audience devant celui ou celle qui parle. Dès lors, « l’identité de la personne qui parle et celle de la personne qui écoute s’avère être aussi importante pour le sens et la vérité du message que ce qui est dit ; en fait, ce qui est dit change en fonction de qui parle et de qui écoute. » (Alcoff, 1991, 12, notre traduction). Ce postulat s’observe notamment dans le fait qu’une même idée émise par deux personnes différentes, ayant un statut ou un positionnement différent, ne sera pas perçue de la même façon par une même audience.

14Une telle problématique se retrouve également à travers les travaux de Gayatri C. Spivak, dans son texte bien connu Can the subaltern speak? (1988). En s’interrogeant sur le fait que « [s]’agissant des intellectuels, est-ce que parler ‘pour’ les subalternes n’a pas pour conséquence de redoubler cette exclusion et de les déposséder de toute capacité d’action et d’expression autonome ? » (Montag, 2006, 134), Spivak vient effectivement questionner « les impensés des intellectuels occidentaux » (Montag, 2006, 134). Montag rappelle que le problème pour Spivak est le fait de considérer que le désir politique de la personne opprimée est identique à l’intérêt du chercheur ou de la chercheuse : puisque les prémisses identitaires précèdent la représentation qui sera faite, ce qui inclut des relations de pouvoir asymétriques, ce modèle est insatisfaisant pour l’agentivité de la personne opprimée (Montag, 2006, 134). Ce processus tend, en effet, à venir reproduire une situation de domination épistémique en idéalisant ou en romantisant la capacité des subalternes à s’exprimer librement et hors de toutes contraintes.

15Alcoff propose deux stratégies pour répondre à cette forme d’impérialisme épistémique. La première vise à battre en retraite lorsqu’il s’agit de parler pour et à affirmer le fait qu’une personne ne peut connaître que sa propre expérience (Alcoff, 1991, 17), bien que cette connaissance soit toujours le résultat d’une interprétation et demeure toujours partielle. Cette stratégie vise à reconnaître l’existence de différences à plusieurs niveaux entre différents groupes en refusant de les hiérarchiser (Alcoff, 1991, 17). L’intérêt pour une telle stratégie se lit lorsque ce retrait se fait au profit d’un engagement politique, à l’exemple d’un chercheur blanc, cis, hétérosexuel déclinant une invitation à participer à un panel pour céder sa place à des collègues dont la parole située reste bien souvent inaudible. La seconde stratégie, inspirée des écrits de Spivak (1988) vise à privilégier le parler à, le parler avec. Pour Alcoff, cette stratégie favorise le dialogue afin d’éviter les possibilités de mé-représentation et/ou d’impérialisme épistémique. Car le parler pour contribue à la réaffirmation de sa propre autorité et de ses propres privilèges, et plus généralement du discours impérialiste, alors que parler avec et parler à pourrait permettre de réduire ces écueils (Alcoff, 1991, 23). Dès lors, à défaut de permettre systématiquement l’émancipation des personnes oppressées ou moins privilégiées, cet accès au discours, à la parole, permet aux subalternes de se constituer en tant que sujet et ainsi de défier l’opposition impérialiste entre l’agent connaissant et l’objet de la connaissance (Alcoff, 1991, 23.).

Représentation des personnes alliées : idéologie volontariste dans la littérature états-unienne

  • 2 Les personnes alliées sont nécessaires, à des moments précis et lorsque c’est demandé par les perso (...)

16La prise de parole pour, même faite au nom de groupes en situation minoritaire, s’avère donc problématique en invisibilisant et en détournant l’expérience des personnes concernées, en reproduisant – consciemment ou inconsciemment – le système oppressif dans lequel la prise de parole a lieu ou encore en refusant de reconnaître la légitimité des personnes concernées par rapport à un message particulier. Cette lecture n’est par ailleurs pas inutile pour garder un point de vue critique sur les écrits abordant la question du rôle de la personne alliée, ainsi que le postulat de la nécessité2 des personnes alliées au sein des luttes LGBTQI+.

17Nous avons recensé dix-sept textes portant directement sur la notion de personne alliée aux États-Unis qui nous ont permis d’évaluer des différentes façons dont un tel positionnement est conceptualisé dans ce contexte précis. Ces textes (Alimo, 2012 ; Boutte et Jackson, 2014 ; Broido, 2000 ; Broido et Reason, 2005 ; Brooks et Edwards, 2009 ; DeTurk, 2011 ; Draughn, Elkins et Roy, 2002 ; Edwards, 2006; Fabiano, Perkins, Berkowitz, Linkenbach et Stark, 2003 ; Goldstein et Davis, 2010 ; Goodman, 2000 ; Ji, 2007 ; Ji, Bois et Finnessy, 2009 ; Ji et Fujimoto, 2013 ; Munin et Speight, 2010 ; Patton et Bondi, 2015 ; Poynter et Tubbs, 2008) sont des articles scientifiques présentant les résultats de recherches ayant eu cours sur des campus dans lesquels des initiatives d’allies and safe zone programs ont été mises en place. À partir des différentes études réalisées, les auteur.e.s cherchent à définir le statut des personnes alliées, les difficultés pouvant être vécues par celles-ci, la façon dont les personnes se considérant comme telles vivent cette « identité », etc. L’étude de ces textes nous permet de définir ce qui est généralement accepté comme les « tâches » que les personnes alliées doivent accomplir. Il nous semble, avant toute chose, intéressant de relever le fait que la définition de personne alliée mobilisée est la même pour tous ces textes. Elle est tirée d’un ouvrage didactique proposant un ensemble de stratégies à destination du corps enseignant pour promouvoir un milieu académique reconnaissant l’existence des personnes LGBTQI+. Ainsi, une personne alliée est « Une personne qui appartient au groupe dominant ou à la majorité et qui travaille à mettre fin aux oppressions dans sa vie personnelle ou professionnelle, en se mobilisant pour et avec les populations opprimées » (Washington et Evans, 1991, 95, notre traduction).

18Ces textes portent soit sur le développement d’une identité de personne alliée, sur l’étude des comportements et du développement des pratiques d’étudiantes, d’étudiants se revendiquant comme tel.le.s au sein du milieu universitaire américain, soit sur le développement des programmes d’alliés et de zones sûres. Le point de vue proposé dans ces différents textes est empreint d’une idéologie volontariste. La personne alliée y est présentée comme contribuant nécessairement à améliorer la situation des personnes LGBTQI+ et/ou des personnes racisées. Le positionnement et l’approche mis en avant dans la majorité des textes sont donc unilatéraux, au sens où ne sont présentés que le vécu des personnes se considérant comme allié.es, mais que, à l’exception de deux articles rédigés justement par des personnes concernées (Boutte et Jackson, 2014 ; Patton et Bondi, 2015), le point de vue des personnes visées par ces actions n’est aucunement considéré comme pouvant avoir une quelconque importance.

19Dans cette littérature, le statut de personne alliée est généralement compris comme une identité découlant d’une volonté, d’un impératif moral de poursuite d’une certaine justice sociale (Alimo, 2012 ; Brooks et Edwards, 2009 ; DeTurk, 2011 ; Draughn, Elkins, et Roy, 2002 ; Edwards, 2006 ; Goldstein et Davis, 2010 ; Ji, 2007 ; Ji, Bois, et Finnessy, 2009 ; Ji et Fujimoto, 2013). Ces personnes ont ainsi été « choquées et fâchées par les injustices. Cela les a motivées à agir. » (Brooks et Edwards, 2009, 144, notre traduction). Pour DeTurk (2011, 576, notre traduction), les personnes qui s’identifient comme alliées sont « passionnées par la justice sociale, aiment apprendre et éduquer les autres, et recherchent une meilleure conscience d’elles-mêmes au travers d’interactions avec des personnes culturellement différentes ». Elles jouent un rôle pour la reconnaissance des différences, l’acceptation et la défense des personnes minorisées. Pour d’autres, leur rôle est de réformer et/ou de détruire les systèmes d’oppression en vue de promouvoir une société équitable (Edwards, 2006, 41), ou encore d’amplifier la voix de la « majorité silencieuse » (Fabiano et al., 2003, 110). Les caractéristiques avancées sont nombreuses, mais toujours élogieuses. Dans chacun des textes, il ressort que les personnes alliées ont ressenti le besoin de s’investir et de défendre les personnes opprimées face aux injustices qu’elles peuvent vivre au quotidien, et ce, afin de réaliser cet idéal de justice sociale qui leur tient à cœur.

20Dans la littérature états-unienne, ce caractère volontariste se retrouve également à travers la mise en avant de la nécessité pour les personnes LGBTQI+ ou racisées d’avoir recours aux alliées. On retrouvera ainsi des formulations comme « Les allié.es ont une grande valeur dans la lutte contre les inégalités vécues par les personnes LGBT et peuvent y jouer plusieurs rôles […]. Lorsque plus de personnes hétérosexuelles agissent à titre d’alliées, l’égalité des personnes LGBT a plus de chances d’intégrer les normes sociales » ou encore le fait que « les allié.es jouent un rôle positif dans la perturbation d’un système global d’oppressions au sein duquel se rejoignent les discriminations institutionnelles et les préjudices personnels » (Munin et Speight, 2010, 249, notre traduction). Les rares articles scientifiques rédigés par des personnes concernées relèvent également l’importance des personnes alliées au sein des luttes antiracistes et LGBTQI+ mais leurs propos s’avèrent plus nuancés. En effet, les deux textes rédigés par des personnes concernées (racisées, dans ces cas précis) visent à reconnaître ce rôle nécessaire de soutien, tout en proposant des pistes de solutions, de réflexion, pour que l’action des personnes alliées soit aussi bénéfique que possible (Boutte et Jackson, 2014 ; Patton et Bondi, 2015). Nous reviendrons sur ces recommandations à la section IV.

21Plusieurs motivations sont également recensées pour devenir une alliée, un allié, notamment le fait d’avoir « de l’empathie, des valeurs morales et spirituelles ainsi qu’un intérêt personnel [à devenir une alliée, un allié] » (Goodman, 2000, 1062). Le processus, selon DeTurk opère de trois façons. D’une part, ces personnes peuvent s’identifier à certains processus de marginalisation à travers leurs propres identités sociales ou à travers leurs relations personnelles. D’autre part, elles peuvent avoir été socialisées à certaines valeurs morales et, de ce fait, tendent à apprécier les différences existant au sein du réseau social auquel elles appartiennent à un moment donné. Enfin, elles ont appris à travers la manière dont les personnes les ont traitées avec respect et ont mis de l’avant leur humanité tout en les confrontant à leurs propres situations et à leurs propres préjugés (2011, 573).

22Ces textes avancent ainsi plusieurs stratégies envisageables pour aider les personnes LGBTQI+ sur les campus états-uniens, et l’on peut relever plusieurs « étapes » pour « développer une identité » de personne alliée. Pour Edward (2006), il y aurait trois états dans le développement identitaire des personnes alliées. Il nous semble cependant que les états décrits dans cet article scientifique correspondent à trois stades de développement où la profondeur morale de la mobilisation de la personne varie du moins engageant (voire instrumentalisant dans le premier état) à un engagement sincère pour le changement social. Nous retrouvons ainsi les personnes alliées pour leur intérêt personnel (état 1), celles qui sont alliées par altruisme (état 2) et enfin celles qui le sont pour un objectif plus large de justice sociale (état 3). Cette typologie particulière est envisagée comme un moyen de réfléchir à ses propres pratiques en tant que personne alliée, mais également comme un outil pour éduquer et développer des outils plus efficaces d’intervention (Edwards, 2006, 52). Un autre exemple de classification est proposé par Broido (2000) qui présente, à partir des résultats d’une étude phénoménologique menée auprès de six personnes blanches, hétérosexuelles et se considérant comme alliées à l’université (trois femmes et trois hommes), différents stades de développement d’une telle identité. Les étapes, au nombre de quatre sont les suivantes : la création de sens, la prise de perspective, la réflexion sur soi et le développement d’une confiance en soi. Ces différents niveaux, interreliés, ont permis aux sujets de l’étude de transformer en savoirs les informations qu’ils ont pu collecter, savoirs qui sont ensuite mobilisés afin de prendre position sur certains sujets, de développer leur confiance en eux et finalement de prendre part aux débats concernant les personnes LGBTQI+ (Broido, 2000, 10-12). Une seule des personnes participant à l’étude a reconnu le fait que son statut privilégié (blanc, hétérosexuel) était en grande partie la raison de son succès dans son combat pour la justice sociale.

  • 3 Cet élément apparait hautement problématique. Dans des situations où l’intégrité morale et physique (...)

23Dans une majorité d’articles, la question de la difficulté d’être une personne alliée est ressortie. Si l’une des tâches centrales de la personne alliée est de « convertir » les autres dans l’intérêt du changement social (DeTurk, 2011, 576), il a été noté par plusieurs que ces personnes pouvaient également se sentir vulnérables dans certaines situations. En effet, le fait de s’engager comme alliée en tant que personne privilégiée, peut venir remettre en question non pas une position de pouvoir – une personne blanche, même en tant qu’alliée reste une personne blanche – mais le fait de prendre davantage conscience de cette position de privilège. Plusieurs personnes interrogées dans trois différentes études ont soulevé le fait que cette position les exposait à la critique, à l’insulte, à recevoir du courrier haineux, etc. (Brooks et Edwards, 2009, 143 ; DeTurk, 2011, 576 ; Ji et al., 2009, 408), et considèrent alors leurs actions comme étant des prises de risques. Cette idée se confirme dans les stratégies pouvant être mobilisées par les personnes alliées, et notamment par la possibilité pour elles de choisir de ne pas s’afficher en tant qu’alliée3.

24Dans un même ordre d’idées, la littérature laisse entrevoir que l’action alliée se module en fonction du pouvoir que la personne détient dans une certaine situation. Plus précisément, DeTurk (2011) soulève quatre raisons pour lesquelles les personnes alliées pourraient décider de ne pas prendre la défense des personnes LGBTQI+ et/ou racisées. La première est d’éviter de « risquer sa sécurité personnelle, ses relations personnelles ou son statut au sein du groupe dominant » (DeTurk, 2011, 581, notre traduction), la seconde est ce que l’on pourrait qualifier d’intolérance à l’intolérance. Dans la mesure où ces personnes alliées sont engagées pour le changement social, elles ne supportent pas les préjugés et la discrimination, et cette position les porte à juger ceux qui ne sont pas d’accord avec elles. Cette seconde difficulté dénote également une autre différence fondamentale de positionnement, puisque les personnes alliées sont en mesure de choisir d’engager ou non le dialogue, ce qui est bien souvent impossible pour les personnes concernées par le racisme et l’homophobie. En effet, elles se trouvent alors dans une situation de violence épistémique qui s’incarne à travers la possibilité pour les personnes en situation de domination d’invalider et d’invisibiliser les propos tenus par les personnes concernées, et de ce fait, de nier leur capacité à prendre la parole ou encore à l’invalider. La troisième tension observée par DeTurk opère entre la notion d’empathie et de reconnaissance des expériences différentes. Pour elle, le paradoxe principal vécu par les personnes alliées tient dans le fait que, derrière toutes leurs bonnes intentions (« l’empathie, la compassion, l’identification, et la mise en perspective qui sont au cœur du travail des allié.es » [p.582], notre traduction), leurs expériences et leur ressenti en tant que personne alliée ne sont pas partagés avec les personnes concernées (DeTurk, 2011, 582). Ce qui nous amène au dernier point de tension soulevé par DeTurk, mais malheureusement non développé par l’auteure, à savoir le fait que les alliées vivraient une tension entre la volonté de soutenir et d’émanciper les autres et la réalité selon laquelle ce soutien peut, justement, aller à l’encontre de cette émancipation.

25Cette littérature brosse donc un portrait plutôt flatteur des personnes alliées. Elles peuvent effectivement choisir tantôt de se présenter comme défenseures des personnes opprimées, tantôt se mettre en retrait pour éviter de vivre une forme de violence épistémique se rapprochant de celle que vivent les personnes LGBTQI+ et/ou racisées au quotidien. Cependant, et nous l’avons noté précédemment, assez peu de textes sur la notion de personne alliée ont été rédigés par des personnes vivant directement les oppressions. Nous en avons recensé deux qui viennent nuancer ce positionnement de personnes alliées.

Repenser la posture de personne alliée à partir du point de vue des personnes concernées

26Il nous apparaît primordial d’insister sur le fait que l’avis le plus important – et finalement peut-être le seul qui importe ? – est celui des personnes concernées, puisqu’elles sont les plus à même de comprendre les situations d’oppression auxquelles elles sont confrontées et donc le type d’appui dont elles ont besoin, quand et comment elles en ont besoin. Cette précision ne vise pas à interdire aux personnes en situation de privilège de venir lutter aux côtés des personnes opprimées. L’idée est davantage de réaffirmer que, justement parce qu’elles jouissent d’un certain nombre de privilèges systémiques – et souvent systématiques – il est nécessaire que les personnes souhaitant s’allier aux luttes des personnes opprimées prennent conscience et connaissance de leur position de domination et ainsi réalisent que, bien souvent, du fait de leur couleur de peau, de leur présentation conforme aux normes cis-hétéronormatives, elles ne voient jamais leur parole ou leurs intentions remises en doute (Patton et Bondi, 2015). Par exemple, il arrive qu’en pratique, les hommes souhaitant aider à titre d’alliés aient tendance à répéter, inconsciemment, des structures d’oppressions et des narrations dominantes et paternalistes, reproduisant les logiques qu’ils pensent contrer (Patton et Bondi, 2015, 508).

27Il est alors nécessaire que les personnes souhaitant se joindre aux luttes des personnes opprimées s’insèrent pleinement dans une posture réflexive sur leur positionnement au sein du monde social. Boutte et Jackson développent cette idée dans le texte « Advice to White allies: insights from faculty of color » (2014). Pour elles, le travail effectué par les membres du corps professoral pour permettre un environnement plus safe pour les personnes racisées sur les campus est nécessaire. Cependant, celles-ci se retrouvent confrontées à trois obstacles lorsque le sujet de la diversité est abordé avec eux. Ces obstacles sont : 1) les lamentations des personnes dominantes qui se sentent attaquées par des commentaires ou des critiques qui visent à mettre à jour les oppressions reproduites dans le milieu ; 2) les attitudes ou philosophies aveugles aux questions de couleurs ou de diversité (color-blind philosophies) ; et (3) les politiques internes (Boutte et Jackson, 2014, 626, notre traduction). L’article de Boutte et Jackson propose un certain nombre de conseils et d’idées permettant aux membres des facultés d’agir en tant que personne alliée sur une base quotidienne. Ces conseils nous apparaissent centraux et transposables à de nombreux contextes de luttes et d’oppressions, notamment celui des enjeux LGBTQI+ :

    • 4 En ce sens, les auteures insistent sur la nécessité pour les personnes souhaitant s’allier aux lutt (...)

    Le silence sur les enjeux liés au racisme n’est pas une option4.

  1. Familiarisez-vous avec la littérature scientifique sur le sujet.

  2. Attardez-vous à comprendre comment le racisme est codifié, traduit et perpétué à travers des politiques et des pratiques, et comment l’injustice est normalisée dans les écoles et les universités.

  3. Soyez prêtes et prêts à perdre des “amitiés” lorsque vous deviendrez une personne alliée qui pose des gestes concrets.

  4. Soyez prêtes et prêts à déconstruire et à désapprendre votre propre racisme et vos privilèges afin de créer une définition positive de la blanchité.

  5. Les personnes blanches alliées devront laisser tomber certains de leurs privilèges.

  6. Les personnes blanches alliées devront éviter de mettre l’accent sur les personnes racisées.

  7. Les personnes blanches alliées auront besoin de faire des changements importants dans leur gestion de classe et dans la préparation de leurs cours.

  8. Les personnes racisées membres du corps professoral ne sont pas infaillibles. (Boutte et Jackson, 2014, 633-638, notre traduction)

28Ces recommandations formulées par les auteures visent à affirmer le rôle important joué par les personnes alliées au sein des débats antiracistes, notamment de par leur capacité à faire changer des décisions grâce à leur position privilégiée, et rejoignent les résultats de l’étude de Patton et Bondi sur la nécessité pour les personnes alliées de prendre en compte leur situation privilégiée et de travailler activement pour atteindre l’égalité et bousculer le statu quo (Boutte et Jackson, 2014, 639).

29Il existe d’autres propositions théoriques porteuses dans la littérature anglo-saxonne pour penser la personne alliée, qui sont fortement ancrées dans une expérience de l’oppression sans la subir directement. Nous pensons par exemple aux travaux en Disability Studies des anglaises Ryan et Runswick-Cole (2008) qui ont proposé la notion d’« alliance liminale » (liminal allyship) pour décrire leur expérience de chercheuses-parents d’enfants ayant des capacités différentes. Ce cadrage permet de penser les privilèges et oppressions en jeu, mais aussi de nommer la position particulière de celui ou celle qui expérimente les injustices d’une personne opprimée dont il ou elle a la responsabilité, sans porter elle-même l’identité opprimée, et qui développe un engagement et des dispositions affectives particulières (Ryan et Runswick-Cole, 2008). Ce cadrage est notamment repris par une équipe canadienne regroupant des chercheuses en sciences sociales qui sont parents d’enfants trans* (Ens Manning, Holmes, Pullen Sanfaçon, Newhook et Travers 2015) afin de décrire l’engagement fort et continu qu’elles choisissent d’assumer avec leur positionnement d’alliées liminales :

« [...] nous occupons une position liminale : la plupart d’entre nous ne sommes pas trans* mais, étant donné notre désir d’assurer le bien-être de nos enfants, de même que la discrimination dont nous faisons l’objet en militant pour et avec eux, nous vivons un engagement que nous ne pouvons relâcher facilement. » (Ens Manning et al. 2015, 119, notre traduction).

30Le concept de personne alliée liminale est notamment porteur parce qu’il reconnait une posture distincte aux personnes qui souhaitent être alliées, mais dont l’identité cadre davantage avec une position dominante, et qui ont une proximité filiale, légale et affective qui les placent dans une position plus exigeante qu’une personne alliée « ordinaire ». L’idée n’est pas de proposer des classes ou une hiérarchie de personnes alliées, mais plutôt de revenir à un positionnement cohérent au plan éthique et intègre par rapport aux logiques d’oppression mais aussi d’agentivité des personnes.

31La parole des personnes concernées au sein du milieu académique anglophone reste tout de même minoritaire dans la littérature sur la notion d’alliance ou de personne alliée. De plus, le fait de se positionner comme personne alliée est conceptualisé le plus souvent comme une identité volontaire et relativement stable – au sens où, malgré les modèles présentés plus tôt dans lesquels cette « identité » peut évoluer ou être nuancée, le fait d’être une personne alliée semble rester constant.

32Pour clore notre réflexion sur le positionnement de personne alliée, nous mobilisons une autre littérature, non-académique, qui est produite par des personnes concernées issues des milieux LGBTQI+ et anti-racistes. Cette littérature, constituée d’écrits militants publiés aussi bien sur les plateformes d’associations que sur des blogues personnels jouissants d’une certaine reconnaissance dans les communautés concernées cadre le statut de personne alliée comme étant avant tout fondé sur un processus relationnel.

33Il est ainsi possible, à l’instar de Timothy Murphy de considérer qu’il est impossible d’être alliée, allié. Murphy pose qu’il est possible d’avoir une posture de personne alliée dans certaines situations, lorsqu’une telle action peut être requise ou demandée de la part des personnes concerné.e.s, mais cela ne signifie pas que cette personne est « autorisée à parader en revendiquant ce fait comme si cela signifiait qu’elle était maintenant alliée-à-vie » (Murphy, 2015, en ligne). Ces propos font un écho direct à un cadrage que nous remarquons dans les milieux communautaires francophones, où les prises de position sont beaucoup plus tranchées. Dans cette littérature communautaire, la volonté de se définir et de s’affirmer comme alliée, allié est souvent perçue comme « une manière d’une part de se congratuler, et d’autre part de rassurer les gens sur le fait que ha ha non pas de problème, tu [ne] fais pas un coming out en soutenant telle ou telle cause LGBT, tu es bien cisgenre et hétéro. #NoHomo, comme on dit » (Verschelde, 2014). Dans ce cadrage, la personne alliée au sein des luttes sociales est certes utile, mais elle n’a pas une identité fixe, elle n’a pas à se mettre de l’avant ou à valoriser son action comme pour « décrocher un badge scout » (Verschelde, 2014). En ce sens, « [a]ffirmer je suis un-e allié·e c’est ne pas laisser aux personnes concernées le pouvoir de dire non, ce que tu fais ne nous aide pas, tes objectifs ne sont pas nos objectifs, nous ne te considérons pas comme notre allié·e » (Verschelde, 2014).

34Le statut de personne alliée n’est donc pas une identité fixe et stable, mais plutôt le résultat d’un processus relationnel, au sens où

« [c]e n’est pas non plus un titre que l’on peut se donner à soi-même. Ce n’est qu’au regard de vos actes et de votre attitude que le groupe, et surtout les personnes concernées, pourront déterminer si vous pouvez rester dans un espace safe ou si au contraire vous le polluez par vos interventions, par votre manque de remise en question » (Lallab, 2017).

35Dès lors, la personne qui souhaite être alliée doit accepter que ce statut lui soit octroyé par les personnes concernées, et que ce statut peut fluctuer ou être retiré au fil du temps ou même d’un milieu à l’autre au sein de luttes similaires. Par exemple, les réalités LGBTQI+ sont extrêmement hétérogènes et des regroupements distincts pourraient voir une personne de manière différente, alliée pour certains, non-alliées pour d’autres, selon les logiques d’opérations, les idéologies et les revendications du groupe.

36Il apparait cependant que, concernant les responsabilités des personnes alliées, les avis des milieux communautaires s’accordent sur plusieurs points avec les travaux scientifiques de Boutte et Jackson, et ce notamment sur le fait que l’apprentissage, l’enseignement et l’éducation des personnes alliées doit se faire entre ces personnes : les personnes racisées ou les personnes LGBTQI+ – de même que les personnes se disant féministes, d’ailleurs, en règle générale – n’ont pas l’obligation de donner bénévolement de leur temps pour éduquer les autres. En effet, cette activité est bien souvent chronophage, et trop souvent répétitive, au sens où, dans les communautés en ligne notamment, bien qu’il soit assez simple de rechercher par soi-même les informations souhaitées, les personnes non-concernées tendent à reposer toujours les mêmes questions. Cela engendre une charge de travail, qui est parfois émotive en plus d’être cognitive, et qui vient ironiquement s’ajouter aux oppressions déjà vécues par les personnes, ne serait-ce que par le temps imparti pour cette éducation des autres (voir notamment Baril 2017b pour une exposition détaillée des normes de temporalités qui engendre des inégalités chez les personnes trans, ayant des capacités différentes, et chez les personnes queer). Il apparaît au contraire nécessaire que les personnes souhaitant agir comme alliées soit celles qui doivent examiner et questionner leurs privilèges, chercher de l’information de manière autonome, accepter de se tromper et réessayer autant de fois qu’il le faudra (Adeye, 2013).

37Si le point de départ peut sembler le même, le raisonnement entre les milieux communautaires et académiques est en soi très différent. Dans les textes académiques, l’avis des personnes concernées n’a pas – ou quasiment pas – été pris en compte. Ceci témoigne d’ailleurs des inégalités systémiques du monde académique que nous avons mentionnées en ouverture. Au niveau des milieux communautaires, cependant, les personnes concernées prennent la parole et mettent de l’avant ce dont elles ont besoin de la part des personnes qui souhaitent contribuer aux luttes à leurs côtés. Il nous semble que cela témoigne d’un retour à l’agentivité des personnes : les personnes souhaitant être des alliées ont le pouvoir et le devoir de s’éduquer et de prendre action, les personnes concernées ont le pouvoir et la capacité d’établir leurs objectifs, leurs moyens pour y arriver et de juger de ce dont elles ont besoin ou non, incluant le support de personnes qu’elles pourront ou non considérer comme des alliées.

38On retrouve alors chez plusieurs associations LGBTQI+, anti-racistes, décoloniales (voir notamment Lallab, 2017 ; Margot, 2017 ; Verschelde, 2014) la formulation de recommandations à destination de personnes souhaitant s’allier aux luttes, dont le but est de guider l’action et la prise de parole. On y retrouve notamment le caractère relationnel du statut de personne alliée, ou encore la nécessité de relayer la parole des personnes concernées et non pas de l’accaparer.

39En ce sens, dans le cadre de notre recherche, le positionnement d’allié.e s’est notamment exprimé dans l’emphase mise sur le processus de parler avec développé par Alcoff (1991). Ce positionnement est donc intimement lié à la capacité d’écouter et d’engager un dialogue sincère avec les personnes concernées. Prendre ce dialogue au sérieux, sans l’instrumentaliser, implique que les échanges n’iront pas toujours dans la direction prévue par l’agenda de la recherche financée. Dans notre cas, cela a signifié mettre de côté le plan initial de recherche pour privilégier les revendications et les besoins des personnes concernées, afin de développer avec elles les objectifs d’une démarche scientifique dans laquelle elles voudraient collaborer. Concrètement, la porteuse du projet (Millette) a pris le temps de consulter des personnes concernées. Elle a ainsi rencontré plusieurs personnes LGBTQIA+. Ces rencontres ont eu lieu sur plusieurs mois, dans les milieux académiques et communautaires. Elle a également échangé avec des membres du comité étudiant pour la diversité de son institution, de même que des chercheur.e.s qui travaillent sur diverses dimensions des réalités LGBTQIA+, afin de prendre la mesure des besoins sur le terrain et en recherche et, ultimement, de cerner comment son expertise pouvait apporter un contribution utile pour les personnes concernées. Suite à ces discussions, la recherche ébauchée a été revue entièrement afin de documenter de manière plus générale les usages des médias sociaux des personnes LGBTQIA+ par le biais d’entretiens, en prenant en compte l’intersection des oppressions. Cette décision a été prise puisqu’il n’existe pas de donnée qualitative sur cet aspect en contexte québécois et très peu en contexte canadien, alors que ces usages ressortent comme étant importants tant chez les intervenant.e.s communautaires que chez les chercheur.e.s, que chez les personnes LGBTQIA+ elles-mêmes. La chercheuse portant le projet a également codéveloppé avec une étudiante un volet d’enquête sur les chaînes YouTube LGBTQIA+ (Millette et Maillard, 2019), suite aux mentions répétées de l’importance de cette plateforme.

40Le travail sur la notion d’allié.e, qui n’était pas prévu initialement, représente également une des modifications ayant découlées du dialogue engagé avec les personnes concernées. Cette réflexion a exigé de penser concrètement la position des chercheur.e.s (dans le cas de la porteuse du projet, la position est privilégiée : femme cis-genre, hétérosexuelle, blanche, éduquée, ayant un emploi stable) afin de développer une recherche cohérente éthiquement et qui participe à l’agenda des personnes concernées. Cet article témoigne de ces réflexions et a donc argumenté qu’il faut octroyer aux personnes concernées le pouvoir de cadrer ce qu’est pour elles une personne allié.e – et d’assumer que cela signifie que ce statut peut nous être refusé. Ultimement, contribuer à ce changement social exige également que nous travaillions activement à ce les personnes concernées soient davantage présentes dans l’espace public et les milieux académiques, ce qui implique nécessairement un travail réflexif de la part des personnes privilégiées.

Conclusion 

41La littérature académique, aussi bien francophone qu’anglophone, comporte finalement un nombre restreint de travaux sur le statut de personne alliée. Si le sujet n’est pas toujours abordé de front – on peut lire en creux la prise en compte du phénomène dans les écrits traitant des luttes pour la justice sociale – son traitement varie fortement en fonction du contexte, de l’ancrage social et idéologique, ainsi que de l’identité des personnes qui s’expriment.

42Nous avons effectué un retour aux ancrages épistémologiques du sujet opprimé, marxiste, mobilisant ensuite des approches féministes afin de tisser le fil rouge d’une réflexion sur la possibilité d’agir en chercheuse-alliée en contexte universitaire, mais surtout avec les milieux concernés par les phénomènes au cœur de nos recherches. La standpoint theory et le recours aux savoirs situés, toujours subjectifs et exigeant à la fois une remise en contexte et une prise en compte de sa propre position en termes d’identité et de privilèges, nous ont semblé pertinents afin d’éclairer les différentes propositions de la notion d’alliée, telles que recensés dans les travaux anglo-saxons et francophones.

43Nous nous sommes montrées critiques face à un cadrage récurrent et particulièrement présent dans la littérature états-unienne, qui comprend la notion de personne alliée comme une identité à développer par le truchement de programme de formation et que l’on pourrait évaluer selon un degré d’engagement. Ces travaux éclairent une partie du vécu de personnes qui s’estiment alliées, mais occultent, pour la plupart, la prise de parole de personnes concernées, témoignant du biais systémique des milieux académiques favorisant des chercheurs hommes, cisgenres, blancs (Sugimoto et al., 2015 ; Larivière et al., 2013 ; Baril, 2017a). Espérant formuler une contribution porteuse au plan éthique et respectueuse de l’agentivité des personnes concernées par les luttes, nous avons terminé en rapportant des recommandations qui proviennent des personnes concernées et des milieux communautaires – des propos qui sont peu visibles dans les espaces académiques hautement normés et privilégiés. Cela nous a permis de montrer l’adéquation entre les critiques formulées par les scientifiques combattant ces injustices épistémiques et institutionnelles (à savoir : la diversité dans les sphères privilégiées du pouvoir, dont les milieux universitaires) et les personnes s’exprimant dans les milieux communautaires face aux oppressions qu’elles vivent et au type de support qu’elles souhaitent face à de potentielles personnes alliées.

44À ce niveau, l’appel est clair : seront alliées les personnes qui sont reconnues et interpellées comme telles par les milieux concernés, à la suite d’actions et d’un engagement renouvelé dans un processus relationnel. On s’attend à ce que ces personnes s’éduquent et aient une écoute active et humble, et à ce qu’elles soient prêtes à laisser aller leurs privilèges pour mieux partager le pouvoir et les espaces de parole avec les personnes opprimées. La personne alliée doit, finalement, se décentrer de sa propre expérience pour plutôt repenser son apport en fonction des personnes concernées. Reste à savoir si les milieux académiques sauront évoluer en matière de processus de recherche, de méthodologies et de partage des résultats pour permettre une conciliation plus harmonieuse entre des critères clairs qui proviennent des personnes concernées et des standards scientifiques souvent aveugles à leurs propres biais.

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Notes

1 Cet acronyme se rapporte aux personnes s’identifiant comme lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans*, queer, intersexes ou qui s’identifient d’une manière différente aux normes dominantes de genre et d’orientation sexuelle binaire. L’usage de cet acronyme par les chercheuses est non-essentialisant et compris de manière inclusive et hétérogène, sans viser à aplanir la diversité qui existe au sein d’une même appellation identitaire.

2 Les personnes alliées sont nécessaires, à des moments précis et lorsque c’est demandé par les personnes concernées. Cependant, ça n’est pas toujours le cas et les risques qu’une personne alliée s’impose, ajoutant ainsi à l’oppression vécue, est réel. Ce risque est sous-jacent à notre réflexion qui mise sur l’agentivité des personnes opprimées sans dédouaner les personnes privilégiées de leur solidarité. Nous y revenons en conclusion.

3 Cet élément apparait hautement problématique. Dans des situations où l’intégrité morale et physique est en jeu, il est d’autant plus primordial pour les personnes concernées d’avoir l’appui des personnes alliées. Si une personne en position privilégiée choisit de s’engager uniquement lors de situations présentant peu de risques à la fois pour sa crédibilité et pour son intégrité, ne trahit-elle pas, finalement, les personnes qu’elles souhaitent appuyer qui n’ont pas le loisir de choisir l’opt out (ce qui est spécialement le cas pour les oppressions qui résultent de marqueurs visibles) ? Développer ce point exige une réflexion et un espace dépassant le cadre de cet article, mais il nous semblait important de souligner cette tension émergeant des résultats des études.

4 En ce sens, les auteures insistent sur la nécessité pour les personnes souhaitant s’allier aux luttes antiracistes de s’informer auprès des personnes racisées dans le but de se préparer à discuter de ces questions qui peuvent parfois être épineuses, mais surtout de montrer que les personnes racisées disposent d’un support tout le moins moral dans une conversation spécifique (Boutte et Jackson, 2014,633).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sklaerenn Le Gallo et Mélanie Millette, « Se positionner comme chercheuses au prisme des luttes intersectionnelles : décentrer la notion d’allié.e pour prendre en compte les personnes concernées »Genre, sexualité & société [En ligne], 22 | Automne 2019, mis en ligne le 16 décembre 2019, consulté le 27 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/gss/6006 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gss.6006

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Auteurs

Sklaerenn Le Gallo

Doctorante en communication, UQAM

Mélanie Millette

Professeure agrégée, Département de communication sociale et publique, UQAM

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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