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Le texte et l’image chez Friedrich Dürrenmatt : l’exprimable et l’indicible du mythe
Véronique Liard, Professeur en Etudes germaniques Université de Bourgogne, Dijon
La première passion de Friedrich Dürrenmatt (1921-1990), dramaturge et écrivain suisse* fut la représentation picturale, à laquelle il resta fidèle toute sa vie, même si ce furent essentiellement ses pièces de théâtre et ses romans policiers qui le firent connaître dans le monde entier. Enfant, déjà il dessine des catastrophes, des déluges et des scènes de batailles suisses.1 Il aime les eaux-fortes de Rembrandt, les gravures sur bois de Dürer sur l’Apocalypse l’impressionnent, tout comme les trois versions de la crucifixion. Un médecin du village lui prête un ouvrage sur Rubens, puis un autre sur Arnold Bôcklin. Dans la bibliothèque paternelle, il trouve une biographie illustrée de Michel-Ange.2 Son père lui raconte les mythes grecs, sa mère la Bible. Il est «encerclé »3 d’histoires. A son tour, il veut raconter. Il va le faire par l’intermédiaire d’images et dessiner ce qui l’effraie et le fascine. A l’école, il dessine sans arrêt ; il est rêveur. Ses parents lui promettent que s’il passe son bac, il pourra devenir peintre. Mais une fois le bac en poche, tout le monde se moque de ses dessins. L’impressionnisme est en vogue à Berne, l’expressionnisme n’existe pas. On lui conseille d’apprendre à dessiner des pommes, mais ce ne sont pas des pommes qu’il veut dessiner; ce sont les images que lui fournit son imagination. Il n’a donc pas de professeur, ce qu’il regrettera toute sa vie. Il dessine seul, à sa manière, pour tenter de se débarrasser des images qui l’assaillent et ne le quittent plus. Malgré son acharnement à dessiner, les images ne s’en vont pas. Il sent que la peinture ne lui suffit pas pour s’exprimer. Il commence à écrire, des petites phrases d’abord, de courts récits qu’il qualifie d’ «expressionnistes »4. Par la suite, il découvre le drame qui lui permet d’allier la parole et l’image.5 Sur son bureau, à côté du manuscrit