253 Annales d'Ethiopie, 2 002, vol. XVIII: 253-264.
Le 'rapatriement' des Rastafaris en Ethiopie Éthiopianisme et retour en Afrique
Giulia Bonacci*
Je suis descendu pour délivrer [mon peuple] de la main des Egyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel. (Exode 3 : 8)
Depuis les années 1960, près de 400 Rastas se sont installés à Addis-Abeba et à Shashâmàne, venant en majorité de Jamaïque mais aussi de Trinidad et Tobago, des Barbades, de St Vincent, de Guyane, de Guadeloupe, d'Haïti et de centres urbains en Amérique du Nord et au Royaume-Uni.1 Leur présence, marginale mais néanmoins tenace, étonne et parfois heurte les éthiopiens. Il n'est pas rare d'entendre, même dans les milieux érudits, circuler les visions stéréotypées qui collent aux Rastas. C'est en effet surprenant de voir arriver ces pèlerins qui revendiquent la nationalité éthiopienne, proclament le caractère divin de l'Empereur Haile Selassie I et ne cessent de réécrire l'histoire, bousculant une mémoire nationale qui reste à reconstruire. Comme une première pierre dans une recherche qui n'est pas encore achevée, en essayant de tisser une cohérence entre des événements qui ont eu lieu en Jamaïque et en Ethiopie, cet article donne deux clés de lecture des dynamiques du 'rapatriement' des Rastas. L'éthiopianisme et le retour en Afrique, deux idéologies, parfois religieuses, parfois politiques, éclairent ainsi les héritages symboliques que les Rastas portent avec eux et déposent, souvent comme seuls bagages, dans la poussière de Shashàmâne.
L'éthiopianisme : de Kouch à Haile Selassie I
Les textes hébreux de la Bible plaçaient le nom Kouch en tête des 'fils de Cham' (Genèse 10 : 6) et l'utilisaient pour désigner d'abord le jardin d'Eden (Genèse 2 : 13), puis une contrée lointaine, aux extrémités de la terre, que Homère puis les anciens hellénisants désignèrent sous le terme aethiops, terre des 'visages brûlés' confondant ainsi les termes modernes distincts 'Ethiopie' et 'Afrique'. En utilisant systématiquement le mot 'éthiopien', la traduction