Créolisation et créoles
p. 143-178
Texte intégral
1Ce chapitre est consacré aux processus de développement des langues créoles et à quelques-unes de leurs particularités. Les langues dont il sera question ici sont apparentées, au moins sur le plan lexical, à l’anglais, au portugais, à l’espagnol, au néerlandais ou au français, qui sont souvent désignés comme leurs langues lexificatrices (lexifier language), formule contestée par certains auteurs (Mufwene, 2005, par exemple). Ces langues sont également nommées créoles anglais (le créole de la Jamaïque ou de Saint-Vincent, par exemple), créoles espagnols (le papiamento / papiamentu d’Aruba, Bonnaire et Curaçao et le chabacano des Philippines, par exemple), créoles portugais (le kriyol de Guinée-Bissau, le créole du Cap-Vert, les créoles du golfe de Guinée par exemple), créoles hollandais (le berbice dutch et le skepi dutch de Guyana) ou créoles français, suivant l’origine dominante de leur lexique. L’ensemble « créoles français » comprend des créoles atlantiques et india-océaniques et un créole pacifique, tandis que les créoles anglais se retrouvent dans la Caraïbe, en Afrique et dans le Pacifique. On évoque aussi l’existence de créoles à base lexicale arabe (par exemple, le juba arabic ou le kinubi du Soudan) ou de langues africaines (le fanakalo d’Afrique du Sud, le kituba du Congo etc.). Dans le cadre de ce texte, je restreindrai la désignation « créole » aux seules langues apparues lors de l’expansion coloniale européenne des siècles passés, celles à qui le terme fut initialement appliqué. Ces langues partagent d’éventuelles affinités linguistiques qu’il conviendra d’évoquer. Les circonstances de leur émergence sont sans doute proches, à certains égards, de celles observées dans d’autres situations de contacts de langues, d’où certaines similitudes structurelles avec les langues qui en sont issues (kinubi, kituba, sango, etc. ; voir Kihm, 2011).
2Les langues créoles sont donc apparues, essentiellement à partir du XVIIe siècle, dans le sillage de l’expansion européenne. Cependant, il convient de relever l’-existence d’un texte en lingua de Preto (langue des noirs), aussi appelé falar Guiné (parler Guinée), publié en 1516 au Portugal, soixante ans après la découverte des îles du Cap-Vert en 1456. D’autres textes ultérieurs attestent également l’existence d’un créole portugais (proto-kriolu) à cette période. On a postulé que ce premier créole (lui-même peut-être dérivé de la lingua franca méditerranéenne) était à l’origine des langues créoles qui se sont développées par la suite dans les comptoirs européens en Afrique. C’est la théorie de la monogenèse des créoles : ils seraient tous nés d’une source portugaise par un processus de modification lexicale, de relexification et de dissémination. Cette hypothèse est aujourd’hui abandonnée (Migge, 2003).
3Voici, à titre indicatif, quelques repères chronologiques qui permettent de situer les périodes de genèse de quelques créoles à base lexicale anglaise, espagnole et française. Le papiamento / papiamentu à base hispano-portugaise et néerlandaise des îles Aruba, Bonnaire et Curaçao (espagnoles de 1499 à 1643, puis essentiellement néerlandaises) s’est développé après 1634, entre 1650 et 1700 selon Munteanu (Maurer, 1988, 1998 ; Munteanu, 1996), après l’occupation néerlandaise. Quant au palenquero de Colombie, créole à base lexicale espagnole, son apparition est liée à l’occupation de ce territoire à partir de 1650 par les Espagnols, qui y construisent une économie fondée sur l’esclavage (Schwegler, 1998).
4Les îles et territoires qui hébergent des créoles anglais ont été occupés aux dates suivantes : Saint Kitts / Saint-Christophe (1624), Barbade (1627), Nevis et Barbuda (1628), Providence (1631), Antigua (1632), Montserrat (1633), Guyane (1640), Jamaïque (1655). Winford (1993), à qui j’emprunte cette chronologie, indique que les créoles anglais caribéens auraient une origine commune, en dépit de la conquête plus tardive, à la fin du XVIIIe siècle, de la Dominique et de Sainte-Lucie. L’idée que tous les créoles anglais sont issus d’un Guinea Coast Creole English, langue attestée dès la fin du XVIIe siècle en Afrique de l’Ouest, a été défendue, entre autres, par Hancock (1986). Bruyn (1995) postule l’existence d’un proto-sranan, issu d’un créole anglais de Guinée, le West African Pidgin English, vers 1651 au Surinam ; cette langue serait à l’origine du sranan, et d’autres langues créoles de la zone, le ndjuka, l’alaku, etc., à partir de 1691. Ces langues parlées au Surinam sont dorénavant, pour certaines d’entre elles, attestées également en Guyane française, du fait des migrations transfrontalières. McWhorter (1997), qui ne conteste pas l’hypothèse d’une origine unique et commune des créoles anglais de la Caraïbe, situe la source du sranan et d’autres créoles anglais à Cormantin dans l’actuel Ghana, comptoir fortifié, occupé par les Anglais entre 1632 et 1665. La langue développée à Cormantin, transportée outre Atlantique, deviendra, selon McWhorter (1997), le Maroon Spirit Language de la Jamaïque et le sranan du Surinam. Maîtrisant le pidgin / créole anglais acquis dans les comptoirs d’Afrique, déportés vers la Barbade anglaise, et de là, au Surinam alors sous domination britannique, vers 1651, des esclaves auraient élaboré le sranan sur les plantations où ils ont été mis au travail. La cession de ce territoire aux Pays-Bas en 1667 (paix de Bréda) et l’arrivée de juifs portugais assurent un nouveau développement à la colonie. Dans ce contexte, le marronnage extensif d’esclaves des plantations tenues par des juifs portugais, qui parlent donc le djutongo, entraîne l’apparition du premier créole de Marrons, le saramaccan, qui contient des éléments lexicaux portugais.
5La thèse de la monogenèse des créoles anglais a été vivement critiquée par de nombreux chercheurs, dont Migge (2003), qui conteste cette proposition à partir d’une analyse des créoles anglais du Surinam. Pour cette chercheuse, on ne trouve pas de trace de locuteurs d’un pidgin anglais d’Afrique dans la colonie du Surinam, donc pas d’esclaves acculturés (devenus ladinos) dans des postes d’Afrique. Elle observe au contraire le développement d’une économie de plantation avec une importation massive d’esclaves fraîchement débarqués, les bossales, ce qui va conduire au développement d’un créole de plantation (Surinamese Plantation Creole) au Surinam entre 1680 et 1695 (Migge, 2003, p. 30 et suiv.). Elle considère que les créoles parlés par les esclaves marrons au Surinam – six variétés, identifiées par des appellations distinctes, sont attestées de façon contemporaine – s’en séparent, au plus tard vers 1720, pour la plupart d’entre elles.
6Une rapide chronologie de l’occupation des territoires où se développeront des créoles français permet d’observer la relative concomitance de l’apparition des créoles français, espagnols, anglais et néerlandais – deux créoles à base néerlandaise, le berbice dutch et le skepi dutch, sont en voie d’extinction en Guyana –, et de noter que les créoles atlantiques français ont précédé ceux de l’océan Indien de quelques décennies. Les dates fournies indiquent, comme précédemment, soit le début de la colonisation, soit la totalité de l’occupation française : Saint-Christophe / Saint Kitts (1620), la Dominique (1635-1763), la Guadeloupe et la Martinique (1635), la Guyane (1639), Sainte-Lucie (1650-1803), la Louisiane (1672-1763), Saint-Domingue / Haïti (1659-1804), Bourbon / la Réunion (1665), l’île de France / Maurice (1721-1814), les Seychelles (1770-1814). On postule plusieurs genèses distinctes pour les créoles français (Baker, 1984). Les premières attestations conséquentes des créoles français des Antilles datent de la période 1720-1740 (M.-C. Hazaël-Massieux, 2008), celles du créole de Bourbon (la Réunion), de 1763-64 (Bollée, 2007). Vers 1770, on dispose également de quelques citations en créole de l’île de France (Maurice ; voir Chaudenson, 1981).
7Dans la première partie de ce chapitre, j’évoquerai les regards qui furent portés sur ces langues, ceux de leurs premiers découvreurs et scripteurs – missionnaires et voyageurs du XVIIe siècle tout particulièrement –, et ceux des linguistes de la fin du XIXe siècle, qui y trouvèrent matière à enrichir leurs débats théoriques. J’illustrerai mon propos par l’exemple des créoles français et du neggerhollands, langue créole à base néerlandaise aujourd’hui disparue. J’aborderai ensuite les conditions sociohistoriques, ou les matrices sociales, qui ont permis l’émergence des langues créoles. Cela me conduira à définir les procès de pidginisation et de créolisation linguistiques. J’envisagerai divers aspects de la coprésence, dans un même territoire, de la langue lexificatrice et de la langue créole qui lui est lexicalement apparentée ; seront ainsi discutées les notions de continuum linguistique et d’interlecte. Je traiterai ensuite des propositions théoriques qui ont été formulées pour expliquer le développement des langues créoles. Il restera à examiner, enfin, les propriétés que partagent éventuellement ces langues.
L’invention des langues créoles
8Apparues dans le contexte de l’expansion coloniale européenne, au XVIIe et XVIIIe siècles principalement, les langues créoles n’ont pas été immédiatement identifiées et nommées comme des langues distinctes. Les premiers textes du XVIIe siècle qui mentionnent un usage linguistique particulier dans les colonies parlent de « lengua española corrupta » pour les créoles hispaniques, de « baragouin », de « jargon » et de « langage corrompu » pour les créoles français (G. Hazaël-Massieux, 1996). Lors de la première mention écrite du papiamento / papiamentu en 1704, le missionnaire Schumann le nomme « verbasterd Spaans » (espagnol abâtardi ; Maurer, 1998). D’autres termes suivront, tels « espagnol corrompu » ou « espagnol nègre ». On peut observer la même profusion de dénominations péjoratives pour chacune des langues créoles identifiées à cette période. Herlein, qui produit le premier texte écrit en sranan en 1717, parle de « de Spraak des Swarten » (la langue des Noirs) ; celle-ci sera ultérieurement désignée, dans le cours du même siècle, sous le terme de « bastert engels » (anglais abâtardi ; Arends, 2002).
9Ce sont les désignations des premiers scripteurs, issus du groupe dominant, qui nous sont parvenues ; ainsi, tel récit de la Passion du XVIIIe siècle sera dit rédigé en « langage nègre » (G. Hazaël-Massieux, 1966). Pourtant, quelquefois, les appellations des usagers sont également enregistrées ; ainsi, il semble que les locuteurs du saramaccan désignaient leur langue sous le nom de djutongo (langue des juifs). Il est également question dans le contexte du Surinam de nengre tongo (langue des Noirs) et de bagra tongo (langue des Blancs) pour désigner les variétés de sranan utilisées par ces deux groupes de locuteurs. Patois / patwa sont des dénominations que l’on retrouve dans la bouche de nombreux locuteurs de créoles anglais et français.
10Au-delà des témoignages de voyageurs, c’est l’inscription des langues créoles dans des pratiques sociales et la nécessité de les écrire à cette occasion qui leur confèrent une visibilité qui suscitera la curiosité et l’intérêt des linguistes de la fin du XIXe siècle, et qui en feront des éléments du patrimoine culturel des territoires où elles se sont développées. Ainsi, le premier texte en papiamento / papiamentu est une lettre échangée entre amoureux en 1775, à Curaçao (Maurer, 1998) alors que les premiers textes des créoles mauricien et réunionnais sont des extraits de greffe.
L’exemple des créoles français
11Lors de ses menées coloniales, au XVIIe siècle, le royaume de France est loin d’être linguistiquement unifiée. À l’heure où de nouveaux parlers émergent dans de lointains territoires tropicaux, quatre Français sur cinq ne maîtrisent pas la langue française. Les pratiques langagières qui naissent dans les colonies françaises de la Caraïbe sont nommées « baragouin », « langage mêlé », « patois », etc., par ceux qui les identifient (Prudent, 1993). Elles ne sauraient recevoir le nom de langue puisque ce ne sont pas des langues écrites et qu’elles sont essentiellement perçues comme des déformations du français. Il faudra attendre plus d’un siècle après les premières notations de ce « jargon » pour voir l’ethnonyme « créole » (d’abord noté au XVIIe siècle « criol(l)e » en langue française), emprunté à cette époque à l’espagnol et au portugais (criollo, crioulo) pour désigner les Européens et les Noirs nés aux colonies, s’appliquer également à leur langue.
12Selon Hazaël-Massieux (1996), la difficulté initiale de nomination des créoles tient à un contexte social et culturel où l’on n’ose penser que la parole des esclaves est distincte de celle des maîtres et qu’il puisse s’agir de langues nouvelles ; les « déformations » du français relevées dans la bouche des esclaves ne seraient que le reflet de leurs incapacités innées de locuteurs inférieurs. Cette vue perdurera puisqu’elle sera formulée en des termes analogues par Baissac dans sa grammaire du mauricien en 1880.
13Les premières notations des créoles français, dès les XVIIe et XVIIIe siècles, aux Caraïbes et dans l’océan Indien, obéissent à de multiples impératifs : les nécessités du catéchisme, les contraintes du greffe, des adresses et proclamations en direction des populations, la notation de contes et de chansons, la fixation du pittoresque des parlers, les impératifs de l’activité grammaticale enfin. Qu’ils soient rédigés par des locuteurs natifs ou des locuteurs alloglottes, que ces scripta soient ou non leur invention, totale ou partielle, chacun de ces textes propose un mélange de graphie française et d’inventions graphiques.
14À l’instar des premières notations du français aux XIe et XIIe siècles et de leur recours aux scripta latines (Cerquiglini, 1989, 2004), les premiers écrits créoles constituent le point de départ d’une grammatisation, au sens d’Auroux (1994). Ce procès sera fort lent puisque trois siècles s’écouleront entre les premières notations du XVIIe et du XVIIIe siècles, la rédaction des premières grammaires de ces langues vers la fin du XIXe siècle, voire plus tard, et la confection des premiers dictionnaires, encore un siècle plus tard. Le neggerhollands (hollandais des Noirs) constitue l’exception en ce domaine puisqu’une grammaire de cette langue a été rédigée dès 1770.
Le cas du neggerhollands
15Cette langue est apparue aux îles Vierges dans la Caraïbe (primitivement habitées par des Néerlandais et leurs esclaves, puis devenues colonie danoise en 1671) vers la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle. À partir de 1736, la congrégation des frères moraves – religieux hussites venus de l’Oberlausitz (Allemagne) – l’identifie comme une langue distincte, le carriolse, aussi appelée cariolische / criolische / craolische Sprache (langue créole ) (Stein, 1995), et décident de l’utiliser à des fins religieuses à l’oral et à l’écrit. Le dernier locuteur de cette langue est mort en 1987 (Hinskens et Van Rossem, 1995).
16Dans une étude consacrée aux premiers textes écrits en neggerhollands, Stein relève qu’ils sont orthographiés à l’aide d’une scripta issue des langues européennes (danois, allemand, néerlandais) et qu’ils se rapprochent de variétés de la langue lexificatrice. Se tournant vers les lettres écrites par des esclaves dans la période allant de 1737 à 1767 – le plus important recueil de textes de cette origine connu à ce jour –, il note que le modèle néerlandais demeure prégnant. Tout se passe comme si l’écrit en neggerhollands gommait certaines des propriétés spécifiques de la langue sur les plans lexical et phonologique. Seules quelques particularités morphosyntaxiques ont été retenues dans les écrits.
La linguistique et les langues créoles
17À la fin du XIXe siècle, la linguistique historique découvre les langues créoles. Cette « invention » correspond à la thématique des recherches de l’époque, celles qui portent sur la parenté génétique des langues. Dans une phase marquée par la référence à Darwin, les créoles apparaissent aux yeux de certains comme une hybridation linguistique, alors que d’autres soutiennent qu’ils ne font que prolonger la langue d’où vient l’essentiel de leur lexique. Les linguistes de la fin du XIXe siècle formulent à leur propos l’essentiel des thèses encore discutées aujourd’hui : les créoles résultent d’un procès d’appropriation linguistique (Coelho, 1880) ; ils sont les produits du métissage linguistique (Adam, 1883) ; ou encore, ces langues relèvent de la sphère des langues donatrices de leur lexique (Meillet, 1921 [1914]). Les premiers travaux consacrés aux créoles s’accompagnent de considérations raciologiques.
18Hors du débat qui oppose les partisans d’une influence « superstratique » à ceux d’un rôle majeur des langues dites de substrat, une autre thématique voit également le jour, celle de leur jeunesse et de leur simplicité, manifestées par une absence de morphologie. Cette querelle des origines contribue à renforcer l’idée de la spécificité des créoles. DeGraff (2001) s’est longuement attaché à démontrer le caractère erroné et idéologisé de ce propos. L’« exception créole » conduit les linguistes à classer les créoles et les pidgins comme des types de langues distincts des autres l-angues, suivant des critères d’historicité, d’autonomie, de vitalité et de standardisation (Stewart, 1968) qui ne résistent pas à l’analyse.
19Cela étant, à la suite de Baggioni (1986), on admettra que la question du rôle du substrat dans la genèse des créoles s’inscrit dans un contexte idéologique différent de celui du XIXe siècle lorsqu’elle ressurgit, à date récente, autour des travaux de Comhaire-Sylvain (1936) et de Faine (1936). Dorénavant, des enjeux sociaux, propres aux sociétés créoles, déterminent les analyses linguistiques. Comme le relève Chaudenson (1995, p. 867), les langues créoles sont passées, à partir des années 1920, du « statut de simple lieu de vérification ou de réfutation des théories générales » à celui de secteur de recherche à part entière. Chaudenson (1995, p. 868) ajoute, précisant le point de vue de Baggioni (1986), que la période qui s’étend de 1919 à 1945 voit émerger des « auteurs “natifs” [ce qui] fait que l’affrontement scientifique est désormais sous-tendu et parfois exaspéré par des considérations idéologiques ». Il en fournit une remarquable illustration en ce qui concerne l’organisation des études des créoles français et ses polémiques (Chaudenson, 1993).
20Avatar de l’intérêt des linguistes pour les créoles, la discipline de la créolistique prend forme. Alors que Vintila-Radulescu (1975) et Baggioni (1986) font remonter son existence aux premières grammaires créoles (Thomas, 1869 ; Van Name, 1869-1870) et aux travaux savants de Coelho, de Schuchardt et de Hesseling à la fin du XIXe siècle, selon Ludwig (2003), il faut attendre les années 1970 du XXe siècle pour voir la créolistique émerger dans le milieu des romanistes allemands. Meijer et Muysken (1977) relèvent qu’à partir du XIXe siècle, l’étude des créoles constitue un secteur de la linguistique ; il s’agit d’une recherche essentiellement tournée vers des questions théoriques et peu occupée des locuteurs de ces langues et de leurs interrogations : une discipline savante, somme toute.
Bilan
21La prise de conscience de l’existence de langues nouvelles issues de l’expansion coloniale européenne, ainsi que leur nomination, est lente. Cependant, certaines conjonctures favorisent une identification plus rapide des langues créoles. Ainsi, dès 1657, le gouverneur de Pernambuc identifie le parler des habitants de Palmares comme une langue différente du portugais et du tupi, donc nouvelle (Smith, 2002). De même, les frères moraves tranchent sur le reste des observateurs par leur capacité à donner un nom et un statut à la langue des esclaves de Saint-Thomas et des autres îles Vierges.
22L’intérêt des linguistes pour les langues créoles, variable dans le temps, a pour effet de dissocier les interrogations savantes des pratiques langagières effectives des locuteurs de ces langues ; d’où des divergences d’appréciation sur les créoles non comblées à ce jour.
Le développement des langues créoles
23La formation des langues créoles dans un contexte d’expansion coloniale est déterminée par la création des colonies, des forts, des comptoirs, par les navigations inter-îles dans le Pacifique et par les contacts sociaux qui s’y nouent. Ce sont les seules langues dont on connaisse le point de départ, le terminus a quo. Différents auteurs ont identifié les situations sociales prototypiques de leur naissance. Chaudenson (1992) évoque des créoles exogènes, qui se développent dans des territoires vierges de tout parler (les îles du Cap-Vert, Maurice et la Réunion, etc.), et des créoles endogènes apparus dans un environnement dominé par d’autres langues (le kriyol de Guinée-Bissau par exemple). L’on doit donc postuler plusieurs matrices sociales d’émergence des langues créoles. J’examinerai ici celles qui ont donné naissance aux créoles de plantation (les créoles français des Antilles et de l’océan Indien, par exemple), aux créoles des comptoirs fortifiés (l’exemple guinéen) et des missions (le cas du Tayo). Je m’inspirerai de Kihm (2005) et de sa contribution à Kihm et Véronique (2006a).
La matrice des créoles exogènes
24Chaudenson (1979), Baker (1984) et Kihm (2005) se sont penchés sur cette matrice sociale, souvent insulaire, actualisée dans la Caraïbe et dans l’océan Indien, qui donne naissance aux créoles de plantation. À ses débuts, l’entreprise coloniale réunit au sein de petites exploitations, dites « habitations », une population européenne et une population servile, essentiellement originaire d’Afrique. Dans le cas des Antilles françaises, ces îles, vidées de leurs habitants indigènes, sont peuplées principalement d’engagés européens, originaires des provinces du Nord et de l’Ouest, locuteurs de dialectes d’oïl (et de quelques dialectes d’oc) assez différents les uns des autres ; il est vraisemblable qu’il s’y élabore une koinè française pour l’intercommunication. Au cœur des habitations coloniales, la population « blanche » et la population servile partagent les mêmes conditions de vie. La population d’esclaves est « exposée » aux variétés linguistiques des colons. Il existe certainement une forte variation dialectale au sein des sites coloniaux concernés entre les parlers des maîtres dans leur diversité et les « français approchés » de la population servile, qui n’a pas encore perdu l’usage des langues connues antérieurement. Selon les témoignages disponibles, les esclaves des habitations parviennent assez rapidement à la maîtrise de la langue du maître. Pour Chaudenson (1995), en une année environ, l’esclave est « francisé », ou considéré comme « ladino » dans les colonies portugaises. Ce sont ces esclaves aguerris linguistiquement et culturellement, engagés à leur insu dans un procès de substitution linguistique (language shift), qui prendront en charge les bossales, afin de les initier à leur nouveau mode de vie.
25À ce stade du développement des colonies, le ratio entre les colons et les engagés blancs, d’une part, et les esclaves, d’autre part, est équilibré. Voici quelques données chiffrées qui concernent les premières années de la colonisation de la Jamaïque (douze ans), de Saint-Domingue (vingt ans) et de la Réunion (vingt-six ans). Ces dénombrements montrent la lenteur des établissements et les différences de rythme de la colonisation d’un territoire à l’autre.
Tableau 1. La société d’habitation
Jamaïque | ||
Noirs (population servile) | Blancs | |
1661 | 514 | 2 956 |
1662 | 552 | 3 653 |
1670 | 2 500 | 5 700 |
1673 | 9 500 | 9 250 |
Saint-Domingue (Haïti) | ||
1664 | Non disponible | 74 |
1665 | Non disponible | 1 500 |
1685 | 2 102 | 4 546 |
1687 | 3 358 | 4 400 |
1713 | 24 000 / 24 146* | 5 700 / 5 509* |
Bourbon (la Réunion) | ||
1689 | 102 | 212 |
1705 | 310 | 426 |
1709 | 384 | 492 |
1714 | 534 | 623 |
1725 | 1 776 | 1 402 |
Sources : Les données numériques réunies dans les tableaux 1 et 2 proviennent de différentes sources :
– pour la Jamaïque, de Kouwenberg (2007) ;
– pour Saint-Domingue, de Prudent (1993) ;
– pour Bourbon, de Chaudenson (1992) et de Bollée (2007).
* Pour cette année, les chiffres viennent respectivement de deux sources différentes : Prudent (1993) / Régent (2007).
26Dans un deuxième temps, cette économie qui produit jusque-là, très souvent, de l’indigo, du tabac et du café, est transformée par la culture de la canne à sucre ; le système de la plantation est instauré. L’importation massive de nouveaux esclaves entraîne des ruptures dans le circuit des échanges linguistiques entre maîtres et esclaves. Pour Baker (1984), le premier événement décisif du développement colonial se produit quand les esclaves – esclaves « bossales » et esclaves « créoles », nés aux îles – dépassent en nombre les « Blancs ». Cet événement se produit, selon les colonies, entre dix ou quatorze ans (Maurice, Guyane) et cinquante ans (la Réunion) (Mufwene, 1996) après leur installation.
Tableau 2. La société de plantation
Saint-Domingue (Haïti) | |||
Noirs | Libres | Blancs | |
1730 | 79 500 | 10 000 | |
1739 | 109 000 | 14 062 | 11 590 |
1754 | 172 548 | Non disponible | 13 700 |
1779 | 249 098 | Non disponible | 32 650 |
1788 | 405 528 | 21 808 | 27 717 |
1789 | 462 000 | 24 843 | 30 801 |
Bourbon (la Réunion) | |||
Noirs | Blancs et libres | ||
1735 | 4 494 | 1 716 | |
1767 | 21 047 | 5 237 | |
1772 | 24 687 | 5 702 | |
1779 | 30 209 | 6 929 |
Sources : Voir tableau 1.
27Le deuxième événement démographique important, au sein de la phase d’économie de plantation, se produit lorsque les esclaves « créoles » dépassent en nombre les colons (Baker, 1984). Ce second événement se produit cent quarante ans après le début de la colonisation, et quatre-vingt-dix ans après l’événement 1 à la Réunion, tandis que cela ne prend qu’une cinquantaine d’années à Maurice. Ce phénomène démographique étire le continuum des variétés linguistiques attestées dans la colonie. D’après Baker, si entre le deuxième événement – la supériorité numérique des esclaves « créoles » – et la fin de l’introduction des bossales dans la colonie (événement 3), le nombre de nouveaux esclaves présents est élevé, la distension et la « basilectalisation » du continuum linguistique existant se confirment, ainsi que le « gel » ou la cristallisation d’une langue créole, distincte de la langue des colons.
28La genèse des langues créoles ainsi comprise est un processus graduel qui s’étend sur une durée d’au moins une cinquantaine d’années. De multiples facteurs, externes – le passage d’une société d’habitation à une société de plantation, et ses corrélats démographiques, par exemple – et internes – linguistiques – y sont à l’œuvre. L’appropriation linguistique constitue l’un des éléments de ce processus.
La matrice des créoles endogènes : l’exemple du fort
29Le fort ou le comptoir fortifié, tel qu’il s’est développé dans l’aire Casamance-Guinée en Afrique (Kihm, 2006) ou dans les comptoirs anglais de la Côte-de-l’Or (l’actuel Ghana) (McWhorter, 1997), offre une autre matrice de créolisation. Ainsi, vers 1450, quelques dizaines de marins portugais, puis à partir de 1460, quelques centaines de colons établis dans les îles du Cap-Vert, dont des colons juifs fuyant l’Inquisition, s’installent parmi les populations côtières de la Casamance et de l’actuelle Guinée-Bissau. Ces lançados (rejetés, aventurés) fondent des comptoirs et des familles ; leurs descendants métis sont nommés les filhos da terra (enfants du pays). Les nouvelles structures commerciales attirent des entrepreneurs venus du Portugal, directement ou via le Cap-Vert, ainsi que des Africains détribalisés, les grumetes (mousses), employés par des Européens africanisés. Un nouveau groupe social composé des grumetes convertis au catholicisme et des filhos da terra émerge, dont le portugais créolisé, crioulo en portugais, kriyol de son nom vernaculaire, devient la langue distinctive. Selon McWhorter (1997), le même scénario se réalise à Cormantin (Côte-de-l’Or), en territoire sous contrôle anglais. Il fait cependant remarquer, à juste titre, que d’autres facteurs de domination que la relation démographique, comme dans le cas des créoles de plantation, expliquent la genèse des créoles de fort.
La mission
30Le village de Saint-Louis en Nouvelle-Calédonie fournit un exemple particulier de naissance d’une langue créole au XXe siècle, le tayo, créole français de Saint-Louis. Fondé en 1856 par des pères maristes, ce village a regroupé des habitants en provenance de plusieurs tribus et parlant des langues kanaks différentes et mutuellement non intelligibles. Créé pour être un centre de catéchèse, le village est également devenu un centre agricole important. L’agglomération en s’agrandissant s’organise selon la coutume avec un grand chef et un conseil des anciens. Cette tribu installée entre « la brousse » et la ville de Nouméa, à une quinzaine de kilomètres de celle-ci, a vécu et vit dans un grand isolement. Selon Ehrhart (1993), la langue alléguée par la tribu recomposée est le drubéa, mais peu d’habitants la parlent. Les premiers locuteurs qui parlent créole, dénommé par eux « patois » ou « tayo », comme langue de première socialisation, sont nés vers 1910, soit cinquante ans après la fondation du village et de la tribu.
31La situation sociale de la mission de Saint-Louis tient de la plantation et du fort. Il s’agit d’une situation de créole exogène, où l’apparition de la langue provient de la difficulté d’intercompréhension des habitants kanaks, du rôle linguistique des pères maristes francophones, de l’éventuelle influence de voisins réunionnais créolo-phones (Speedy, 2007) et d’un sentiment d’appartenance à la tribu de Saint-Louis que renforce la coutume.
Un développement entravé : le semi-créole
32Quelle que soit la matrice sociale, la rupture du lien avec la langue lexificatrice est déterminante pour le développement des créoles. Selon divers chercheurs, dont Holm (1988), un « semi-créole » apparaît dans un environnement social où l’accès à la langue lexificatrice est plus important que dans des situations usuelles de créolisation. Bartens (1998) postule qu’un semi-créole se forme plutôt dans une société d’habitation où il est amené à coexister avec la langue lexificatrice. Selon Mühlhausler (1986) également, la notion de semi-créole ou de créoloïde permet de rendre compte des systèmes linguistiques qui ne semblent pas avoir développé une véritable rupture ou une véritable autonomie par rapport à l’une des langues génitrices, en général la langue dominante, présente dans la situation de contact. On a ainsi avancé que le réunionnais est un semi-créole parce qu’il présente des variations morphologiques atypiques (maintien de l’opposition de genre, alternance de formes entre la forme négative et la forme positive du futur, etc.) par rapport aux autres créoles indiaocéaniques.
33La notion de semi-créole a fait l’objet de nombreuses critiques (voir entre autres Mufwene, 2008, p. 44 et suiv.) car elle présuppose l’existence d’un type idéal de langue créole, qui est difficile à établir. La notion de semi-créole repose sur l’idée que tout système linguistique qui s’écarte d’un idéaltype créole ne peut être qu’un système incomplet. La proposition rend compte de façon inadéquate de l’écologie des langues créoles et des continuums de variétés linguistiques qui y sont attestés. En effet, la distinction entre créole et semi-créole fige la dynamique du continuum créole (voir ci-dessous et voir Souprayen-Cavery et Simonin, ici même, « Continuum linguistique ») ; elle ne sera pas retenue dans la suite de ce chapitre.
Bilan
34À la suite des auteurs cités précédemment, et surtout de Kihm, on peut dégager une liste des conditions sociales et historiques qui semblent présider à la naissance d’une langue créole :
- Le rassemblement en un même territoire d’une population multilingue par un mode de production esclavagiste, dans le cas de la plantation, ou par un mode de domination symbolique, dans le cas du fort ou de la mission ;
- Le groupe humain étranger, les Européens, initiateur du rassemblement, impose sa variété linguistique au groupe dominé multilingue, qui ne dispose pas d’un autre moyen d’intercompréhension ;
- L’urgence sociale, renforcée par la violence de la déportation dans le cas des créoles exogènes, entraîne un recours forcé à la langue du groupe étranger dominant, laquelle n’est que partiellement accessible, d’abord lexicalement ;
- Le déséquilibre démographique entre le groupe alloglotte dominant et le groupe dominé en faveur de ce dernier est à l’origine d’une rupture dans la transmission de la langue dominante ;
- Il est nécessaire que le déséquilibre démographique et linguistique soit maintenu pendant une durée suffisante pour qu’émerge une nouvelle langue qui remplace les langues ancestrales au sein de la population désormais créolophone ; la langue acquiert alors son autonomie de la langue lexificatrice ;
- La survie et la reproduction durables de la population créolophone permettent la prise de conscience de l’existence d’une langue et d’une identité créoles.
Pidginisation et créolisation
35Jardel (1987), qui étudie les conditions d’apparition du terme « créolisation » chez les linguistes d’expression française, distingue deux usages du terme, l’un anthropologique et l’autre linguistique. Dans sa première acception, le terme renvoie aux circonstances sociohistoriques de la mise en présence de colons européens et de populations asservies, principalement africaines, lors de l’expansion occidentale des siècles passés, et aux rapports de force matériels et idéels qui structurent l’émergence et le devenir des formations sociales créoles. L’autre acception du terme désigne le processus général d’apparition des langues créoles. Au contraire de Bernabé, Chamoiseau et Confiant (1989) qui affirment une continuité entre ces processus, Bonniol (1997) y voit plutôt une homologie et considère que la créolisation linguistique est le témoignage le plus manifeste de la miscégénation à l’œuvre au sein de ces entités sociales. Selon Price (2007), l’origine de la notion de créolisation est à rechercher dans l’histoire naturelle – il cite une première mention du terme en anglais en 1928 – avant son passage en linguistique dans les années 1970, puis son adoption en anthropologie à la place de la notion d’acculturation, entre autres.
36Hymes (1971) soutient que les procès de pidginisation et de créolisation représentent la limite extrême de l’influence des facteurs sociaux sur le processus de transmission et d’emploi du langage. Pour cet auteur, la pidginisation provient d’une réduction fonctionnelle et d’une simplification des matériaux linguistiques disponibles dans les échanges tandis que la créolisation correspond à une phase d’expansion fonctionnelle et linguistique de données linguistiques antérieurement simplifiées. Cette proposition, récurrente dans l’étude des langues créoles et des pidgins, est certainement réductrice. Pour quelques chercheurs cependant, la distinction entre pidginisation et créolisation est nécessaire à leur explication du développement des langues créoles comme l’indique le tableau 3 ci-dessous.
Tableau 3. Une vision du développement des créoles I
Phase initiale de la colonisation | Phase subséquente | |
Baker (1996) | Pidginisation | Développement d’un système de communication interethnique |
McWhorter et Parkvall (2002) | Pidginisation | Créolisation (procès distinct d’une appropriation) |
37Ces mêmes chercheurs ont tenté, avec des fortunes diverses, de dresser des listes de traits qui différencient les pidgins des créoles.
38Mühlhäusler (1986) postule que la pidginisation et la créolisation résultent de dynamiques d’appropriation, d’apprentissage des langues secondes dans le cas de la pidginisation, et d’acquisition du langage en ce qui concerne la créolisation. Il isole les phases suivantes dans ces continuums d’appropriation : a) le jargon (phase rudimentaire et idiosyncrasique impliquant un recours au non-verbal) ; b) la stabilisation, qui suppose la constitution en communauté linguistique d’un groupe de locuteurs ; ce système présente des réductions et des simplifications fonctionnelles et formelles ; c) l’expansion, qui voit une complexification morphosyntaxique et lexicale ainsi que des développements du point de vue de la variation stylistique ; d) la créolisation, qui amène des changements syntaxiques et sémantiques. Selon cet auteur, la créolisation et la pidginisation sont des processus qui s’inscrivent sur un double axe, celui du développement et celui de la restructuration. Il peut se produire des complexifications sans phase de jargon et des situations de nativisation / créolisation à partir de pidgins stabilisés et augmentés. Il est à relever que Mühlhäusler utilise ici le terme péjoratif de « jargon », étymologiquement « gazouillis », employé au sujet de la langue des Noirs, dans un sens technique (voir ci-dessus, « L’invention des langues créoles »).
39Mufwene (1997, p. 41) critique la proposition de Mühlhäusler (1986) tant du point de vue terminologique – il trouve le terme de « jargon » inadéquat – que du point de vue du cycle développemental que ce terme dessine. Mufwene refuse d’ailleurs d’opposer des pidgins aux langues créoles sur la base de différences de propriétés structurelles (voir ci-dessous, « Pidgins et créoles »).
40S’il n’est pas facile de distinguer la pidginisation de la créolisation, on peut ajouter, à la suite de Manessy (1995, p. 22), que le déclenchement de ces processus ne conduit pas inéluctablement à l’engendrement de pidgins et de créoles.
41Une difficulté supplémentaire est liée à l’extension même de la notion de créolisation. Mühlhausler (1986), tout comme Hazaël-Massieux (1996, p. 316), tiennent que la créolisation ne correspond qu’à une phase spécifique de l’émergence des langues créoles, celle où elles se différencient des langues sources ou lexificatrices. Dans cette acception, à la créolisation, alimentée éventuellement par la diffusion de faits lexicaux et grammaticaux de parlers élaborés en d’autres sites, succède le changement linguistique ordinaire, celui qui frappe toutes les langues. À propos de la genèse du créole anglais d’Hawaii, Roberts (1998, p. 36) se demande si des développements structuraux spécifiques de cette langue, produits par des locuteurs nés hors de l’île, adoptés ensuite par des locuteurs natifs, relèvent du procès de créolisation ou s’il ne faut réserver ce terme qu’à l’usage de la langue émergente par des locuteurs natifs. Un des enjeux de cette délimitation est la reconnaissance de la gradualité ou du caractère abrupt de l’apparition de la nouvelle langue.
42L’usage retenu ici est que la créolisation recouvre la totalité du procès de développement des créoles : des premières phases communicationnelles en « baragouin » ou « jargon » à l’identification de la langue nouvelle à l’aide d’un glossonyme approprié. Il semble difficile de distinguer avec précision des procédés qui relèveraient spécifiquement de la pidginisation de ceux que l’on associe à la créolisation. Contrairement à la tradition générativiste (DeGraff éd., 1999), il me paraît inutile de distinguer la créolisation en tant que processus microscopique individuel et intériorisé de création grammaticale (i-creolization) des manifestations sociales macro-scopiques de mise en œuvre de schèmes grammaticaux « créoles » (e-creolization) (mais voir ci-dessous, « Créolisation et substrat »).
Les continuums créoles
43Les langues créoles s’inscrivent dans des continuums linguistiques (Day, 1974). Deux aspects sont à explorer : l’éventuel continuum pidgin-créole en diachronie et le continuum dit post-créole (DeCamp, 1971) en synchronie. Pour appréhender ces phénomènes, j’aborderai tout d’abord la distinction entre pidgins et créoles, puis j’évoquerai l’existence alléguée d’un cycle « pidgin-créole » et les notions de continuum post-créole, de décréolisation et d’interlecte.
Pidgins et créoles
44Comme Mufwene (1997) le résume fort bien en faisant la synthèse de nombreux travaux en ce domaine, les termes de pidgin et de créole sont apparus à des moments différents, renvoyant, pour le premier, à la circulation des hommes et des biens en Extrême-Orient au XIXe siècle et, pour le second, à l’expansion coloniale européenne à partir du XVIe siècle et à ses séquelles anthropologiques. Ne serait-ce que pour cette raison historique, ces termes ne devraient pas être appariés. De plus, les réalités linguistiques que recouvrent ces notions sont difficiles à cerner. De nombreux auteurs ont tenté de dégager les traits spécifiques des pidgins – traits négatifs – qui les distingueraient des langues créoles qui, elles, présenteraient les mêmes caractères en positif. Kay et Sankoff (1974), Mühlhäusler (1983 et 1986), Givón (1979) et Bickerton (1981) signalent ainsi les phénomènes suivants :
- La suppression dans les pidgins des traits phonologiquement marqués, tel l’arrondissement, et des règles d’alternances morphophonémiques ;
- La réduction des flexions ;
- La perte de la copule ;
- Les déterminants propositionnels (marqueurs de temporalité, de négation, de localisation, etc.) apparaissent à l’extérieur des propositions qu’ils qualifient, ou sont absents ;
- L’absence de subordination et de propositions relatives ;
- L’absence d’anaphores pronominales ;
- La prédominance de l’organisation topique – commentaire dans la structuration des énoncés.
45Siegel (2008) défend, à son tour, l’idée d’une simplicité morphologique des pidgins qui se modifierait lors de l’expansion de ces langues en créoles, sous l’effet notamment du transfert des propriétés des langues de substrat.
46Quel que soit le bien-fondé de ces relevés, leur limite essentielle réside dans leur caractère atomiste. Il est souvent malaisé de distinguer avec netteté deux classes d’objets linguistiques, les pidgins – langues de contact éphémères – et les créoles – langues de socialisation, même s’il existe, dans des contextes spécifiques, des variétés linguistiques pré-créoles, des baragouins (Prudent, 1993). Des pidgins établis de longue date, comme le tok pisin (Nouvelle Guinée-Papouasie) ou le bislama / bichlamar (Vanuatu), dits pidgins élaborés (extended pidgins), montrent que ces langues manifestent une stabilité dans le temps et sont susceptibles de devenir la langue première de certains segments des populations concernées.
47Ces inventaires montrent, cependant, que les langues créoles s’inscrivent dans un continuum dont l’un des points de départ pourrait être un pidgin ; il s’agit, cependant, d’une démarche statique, insuffisante pour saisir la dynamique des parlers créoles. Baker (1995), qui accepte volontiers la distinction entre pidginisation et créolisation, démontre pourtant que l’opposition entre pidgins et créoles est irrecevable par l’analyse de la présence de quatorze traits – de la copule zéro aux mots interrogatifs bi-morphémiques – dans des créoles et dans des pidgins avérés ; seuls deux des traits retenus semblent attestés exclusivement dans les pidgins.
Le cycle pidgin-créole
48L’une des propositions formulées pour appréhender la dynamique des langues créoles, proposition relativement ancienne, est celle de l’existence d’un cycle développemental pidgin-créole (Hall, 1966). Ce procès suppose la coprésence de deux générations de locuteurs, les créateurs du pidgin, et leurs descendants, qui le transforment en créole. Ce scénario n’est pas confirmé par les données sociohistoriques. Cependant, en dépit de son absence de fondement historique et linguistique, cette hypothèse largement erronée a nourri plus de cinquante de travaux sur les pidgins et les créoles. Elle fait partie des connaissances partagées de la communauté des linguistes et est encore défendue, avec des nuances certes, par Siegel (2008).
Le continuum post-créole 1
49Décrivant la situation jamaïcaine, DeCamp (1971) évoque l’existence d’un continuum post-créole. Deux conditions doivent être remplies pour qu’un tel continuum voie le jour : la coprésence des deux langues et l’attraction exercée par la variété lexificatrice sur les locuteurs de l’autre langue pour des raisons de mobilité sociale. Les pressions « correctives » de la langue lexificatrice engendrent un continuum linguistique et sont susceptibles de conduire à une décréolisation. La relation de diglossie qu’entretiennent un créole et sa langue lexificatrice coprésente (Ferguson, 1959), qu’elle soit entendue comme un rapport de complémentarité ou de conflictualité, est à l’origine de la distension du continuum linguistique entre les deux pôles.
50L’analyse de la situation linguistique à Palenque (Colombie) entreprise par Schwegler (1998) le conduit à s’élever contre l’idée que tout continuum créole suppose nécessairement un phénomène de décréolisation. Il postule l’existence d’alternances codiques entre le palenquero et le castillan plutôt que l’émergence d’un métissage linguistique (code mixing).
51La notion de « décréolisation » a été critiquée par les auteurs qui soutiennent que l’hétérogénéité est la marque des situations de développement des langues créoles dès l’origine (Valdman, 1994, par exemple). Pour ce dernier auteur, il faut opposer, à une représentation linéaire et finaliste du continuum post-créole comme devant aboutir inéluctablement à la décréolisation, l’hétérogéneité constitutive des situations créoles, phénomène qui résulte de facteurs geographiques, sociaux et stylistiques. Siegel (1997) suggère, quant à lui, d’expliquer la dynamique de variation du continuum créole par les notions de mélange (mixing), de nivellement (levelling) des variétés et de redistribution (reallocation).
Basilecte, mésolecte et acrolecte 2
52Bickerton (1975) décrit, en des termes proches de DeCamp mais suivant une méthodologie radicalement différente, le continuum linguistique que l’on peut observer au Guyana où coexistent un créole anglais et sa langue lexificatrice, l’anglais. Bickerton décrit une suite ordonnée de variétés linguistiques : à un bout du continuum, se trouve le créole basilectal de certains locuteurs ; à l’autre bout, l’acrolecte, une variété proche de la langue lexificatrice ; au milieu, des variétés intermédiaires, les mésolectes. Il s’agit de systèmes fluctuants qui condensent des changements synchroniques et des dynamiques diachroniques. La proposition de Bickerton a le mérite de dépasser l’analyse du continuum créole en termes de diglossie. Pour cet auteur, le continuum post-créole est constitué de variétés restructurées qui reflètent le développement diachronique (Valdman, 1994).
L’interlecte 3
53La notion d’interlecte proposée par Prudent (1981) sanctionne ce qui semble constituer un changement linguistique en cours, l’émergence d’un mésolecte, selon la terminologie de Bickerton (1975), ou d’une redistribution des variétés linguistiques. Voici l’une des formulations récentes de cet auteur :
Ce qui me passionne (un aspect riche de la sociogenèse ), c’est l’idée que des gens qui n’auraient a priori que des raisons de parler « bien », de se conformer aux lois du code, se mettent ensemble à construire une parole ni créole ni française, mieux encore, à la fois créole et française. Comme si français et créole ne suffisaient pas à leur expression et qu’ils avaient besoin d’en rajouter avec un parler mixte et irrégulier. (Prudent, 2003, p. 237)
54Prudent (2005) présente l’interlecte comme un macrosystème langagier qui recouvre toutes les variétés de français et de créole coprésentes. La notion d’interlecte comme outil pour rendre compte des situations linguistiques dans les territoires créolophones aborde l’alternance codique et le mélange linguistique sous la forme des valeurs sociales qu’ils véhiculent plutôt que par une analyse des contraintes linguistiques qui les gouvernent. Dans ce contexte, l’émergence des interlectes porte témoignage des « stratégies » de subversion de la domination linguistique. La notion d’interlecte illustre les conduites d’interlocution effectives sans tenter de rendre compte des mécanismes linguistiques qui autorisent de telles activités langagières.
Synthèse
55Les langues créoles présentent un double dynamique, une dynamique développementale liée à l’extension de leurs usages sociaux et une dynamique de restructuration, tout particulièrement observable dans des contextes de coexistence entre le créole et sa langue lexificatrice. Les continuums créoles offrent aux locuteurs la possibilité de calculer les valeurs de leurs productions linguistiques, dans l’une ou l’autre langue et dans leur « mélange ». Ces significations sociales sont construites dans un cadre qui est celui d’une opposition entre langues en contact. Je suivrai Baker (1996), Valdman (1994) et Schwegler (1998) pour avancer que le continuum créole-langue lexificatrice ne témoigne pas obligatoirement d’une décréolisation en cours.
Des théories de la créolisation
56Les débats à propos du développement des langues créoles se nouent autour des points suivants :
- Le rôle des facteurs sociohistoriques et de la matrice sociale dans l’émergence des nouvelles langues ;
- La nature des contacts interlinguistiques dans les matrices sociales identifiées comme vectrices de créolisation ;
- L’origine unique (monogenèse ) ou diversifiée (polygenèse ) des créoles ;
- La place à donner à la langue lexificatrice, son statut éventuel de « langue cible », sa continuité avec la langue émergente ;
- Le transfert des schèmes linguistiques acquis antérieurement dans la nouvelle langue ;
- Le rôle de la faculté de langage et de la créativité linguistique ;
- La réanalyse de la « langue cible » engendrée par les mécanismes de l’appropriation linguistique dans un environnement sociolinguistique spécifique ;
- L’apport de la grammaticalisation à la genèse des créoles et à leur évolution subséquente.
57Les différentes théories de la genèse des créoles qui ont cours accordent une importance variable aux procès de pidginisation et de créolisation, ou nient, au contraire, l’existence de deux processus distincts. Les partisans d’une monogénèse des langues créoles postulent qu’elles sont toutes issues d’une langue de contact à lexique portugais parlée le long des côtes de l’Afrique de l’Ouest au XVe et au XVIe siècles. Les monogénétistes étayent leur démonstration par le constat de ressemblances entre des créoles à base lexicale différente. D’autres, tenants de la polygénèse, soutiennent que ces langues sont issues de plusieurs foyers distincts, ce qui n’exclut pas la diffusion des parlers d’un lieu à l’autre (Chaudenson, 1992). En ce qui concerne les créoles français, bien que la nature et le statut des variétés pré-créoles ne soient pas clairement cernés (Prudent, 1993), l’idée d’émergences graduelles et différenciées selon les zones créolophones françaises est largement partagée. Identifiant plusieurs aires créolophones, Valdman (1978) oppose ainsi des créoles conservateurs, proches du modèle français, ceux de l’océan Indien par exemple, et des créoles innovateurs, comme le haïtien ou ceux des Petites Antilles.
58On a voulu voir également dans ces genèses, tantôt un cas anormal de transmission linguistique, tantôt une appropriation approximative de la langue dominante, résultat de l’influence du substrat formé par les langues d’origine des populations asservies, ou au contraire le prolongement de tendances expressives de la langue lexificatrice, celle du maître. Les propositions théoriques s’opposent, enfin, quant au rythme d’émergence des langues créoles ; certains auteurs insistent sur le caractère abrupt de l’émergence de ces langues (Thomason et Kaufman, 1988), là ou d’autres théoriciens évoquent la gradualité de l’émergence des créoles (Arends, 1993). Kihm (2011) propose que l’on envisage les pidgins et les créoles, qu’il ne souhaite pas distinguer, comme une « sprachbund » éclatée (scattered sprachbund).
59Devant la profusion des questions que suscitent l’apparition des langues créoles et la diversité des théories formulées à leur sujet, on ne saurait être complètement exhaustif. D’après Kihm (1987, 1991), la diversité des théories de la genèse des langues créoles se ramène à une opposition entre deux grandes orientations, celle qui majore le rôle de la langue source, le substrat pour certains, la langue lexificatrice pour d’autres, et celle qui postule des universaux de construction des langues, tel le bioprogramme de Bickerton (1981). On relèvera que l’appropriation linguistique, y compris lorsque l’on évoque l’interférence ou le transfert de la langue source et le jeu de l’analogie, est impliquée dans la quasi-totalité des théories de la créolisation, celles qui valorisent la disposition innée au langage et celles qui s’attardent sur la nature des changements linguistiques impliqués dans la créolisation.
Les théories universalistes
La théorie du bioprogramme
60Pour expliquer les modifications linguistiques abruptes relevées entre les langues créoles et les pidgins qui les ont précédées – l’exemple crucial de Bickerton est la genèse du créole hawaïen, créole de plantation à base anglaise –, Bickerton (1981) pose que ces langues résultent de l’activation d’une capacité innée, le bioprogramme. Cette thèse est, par certains aspects, une réactualisation de l’hypothèse du cycle vital pidgin-créole. Pour Bickerton, la créolisation est une création linguistique, liée à l’acquisition primaire du langage, à partir d’un apport linguistique restreint, le pidgin. Le bioprogramme mis en œuvre lors de la créolisation est une entité innée qui contraint la forme du langage et des langues humains. Ainsi, les distinctions primitives suivantes sont fondatrices :
- Spécifique / non spécifique, dans la construction des expressions référentielles, des syntagmes nominaux ;
- État / procès, dans le domaine de l’aspect lexical, surdéterminant la distinction adjectif / verbe ;
- Ponctuel / non ponctuel, dans l’organisation de l’expression grammaticale du temps, du mode et de l’aspect (TMA) ;
- Causatif / non causatif, dans le domaine de la valence verbale ;
- Réel (realis) / irréel (irrealis).
61Bickerton considère que les similitudes entre les langues créoles sont dues aux contraintes du programme génétique du langage (1981, p. 53). Sans modèle initial, par rétention, perte et restructuration des éléments de matériaux linguistiques disponibles (input), les créateurs des créoles fabriquent des langues selon un plan analogue. Ce programme contraint certaines zones mais n’en spécifie nullement d’autres (1981, p. 56). Sont spécifiés l’organisation des déterminants (la distinction spécifique / non spécifique), le système des marqueurs de temps, de mode et d’aspect (+ antérieur + irréel + non ponctuel), la subordination (complémenteur) réelle et virtuelle, l’existentiel et le possessif, l’adjectif comme verbe, la négation, les stratégies de passivation et quelques autres traits.
62Par la suite, Bickerton (1988) s’est tourné vers le modèle lexicaliste de Borer et Wexler (1987). Il adopte l’hypothèse d’un apprentissage lexical premier (lexical learning hypothesis), qui lui semble un modèle plus explicite que le bioprogramme tel qu’il fut formulé en 1981. Bickerton montre que lors de la créolisation, qui est une instanciation de la lexical learning hypothesis, certaines distinctions perdues ne sont pas reconstruites alors que d’autres le sont obligatoirement.
Tableau 4. Les morphèmes essentiels
Morphèmes reconstitués si « perdus » | Morphèmes non reconstitués |
Articles | Accord en genre |
Marqueurs TMA | Accord en nombre |
Mots interrogatifs | Morphologie verbale désinentielle |
Un marqueur de pluriel | Morphologie dérivationnelle |
Pronoms personnels | Les cas des pronoms et la morphologie du genre |
Marquage du cas oblique | La plupart des morphèmes |
Une préposition locative | |
Un complémenteur à valeur irréelle | |
Un marqueur de relatif | |
Marqueurs réfléchis et réciproques |
63Bickerton (1999) considère que les oppositions du bioprogramme sont des réglages par défaut (default settings) de paramètres sémantiques. Ils ne sont pas déclenchés par des entités lexicales spécifiques, mais par l’absence de telles unités dans l’input.
64Beaucoup de chercheurs ont contesté le bien-fondé de ces distinctions tant dans le domaine de l’acquisition du langage que dans celui des études créoles. Fournier (1987) établit qu’aucune des douze propositions constitutives du bioprogramme ne se trouve vérifiée avec certitude dans le fonctionnement des créoles français. En dépit du « réalisme » de sa conception – l’organe mental responsable du langage est susceptible d’engendrer telle quelle une grammaire langue –, même reformulée en termes chomskiens, la théorie de Bickerton tombe encore sous la critique de Kihm (1991) qui, partisan d’une perspective universaliste, juge nécessaire de postuler un rapport plus axiomatique entre la grammaire universelle (GU) et l’instanciation effective des paramètres linguistiques dans une langue déterminée.
Grammaire universelle (GU) et créolisation
65Selon Kihm (1991), la créolisation repose moins sur une instanciation ex nihilo de la grammaire universelle que sur une confrontation de constructions grammaticales et lexicales mises en contact, organisées par des paramètres, eux-mêmes gouvernés par des principes, ceux qui structurent la GU. Pour cet auteur, la créolisation est un changement linguistique qui résulte pour une part du filtre des langues antérieurement connues du locuteur-initiateur de créole. Fidèle en cela à la leçon de Weinreich (1953), il envisage le créateur de créole comme le lieu de contact de grammaires différentes.
66L’action de la GU ne saurait à elle seule expliquer la genèse des langues créoles. Elle pourrait exercer des contraintes sur la forme possible de la restructuration de la langue dominante, en interrelation avec les grammaires des langues mises en présence. Les travaux réunis par DeGraff (1997) semblent indiquer qu’en regard des processus mentaux qu’invoque la grammaire générative, adultes et enfants contribuent différemment au processus de créolisation interne (i-creolization) : les adultes seraient les innovateurs, à travers la relexification par exemple, alors que les enfants seraient des stabilisateurs (DeGraff, 1997, p. 506).
67Pour les tenants d’une approche de la créolisation en termes de « paramètres et principes », le processus intériorisé de création grammaticale pourrait être contraint tout autant par la dynamique de l’appropriation dans le jeu des langues en contact. C’est ce qui a conduit les partisans de la théorie de la relexification à inscrire leurs propositions dans le paradigme chomskien. À l’occasion d’une discussion critique des thèses relexificationnistes, Fournier et Wittman (1994) se sont efforcés de démontrer l’incompatibilité des thèses chomskiennes, celles des « principes et paramètres » du moins, et des propositions de la théorie de la relexification.
Créolisation et substrat
68La thèse de l’influence des langues des populations serviles dans la genèse des langues créoles est aussi ancienne que les études créolistes puisque l’on en trouve la trace dès 1883, dans un ouvrage de Lucien Adam (1883). Ce courant de pensée a été illustré par la suite grâce aux travaux de Comhaire-Sylvain (1936), comme en témoigne la célèbre formule conclusive consacré au créole haïtien : « Nous sommes en présence d’un français coulé dans le moule de la syntaxe africaine ou, comme on classe généralement les langues d’après leur parenté syntaxique, d’une langue éwé à vocabulaire français » (p. 178), ainsi qu’aux travaux de Mervyn Alleyne (1980) et, plus récemment, de Claire Lefebvre (1993). La thèse substratiste, dans ces formulations les plus extrêmes, pose que les langues créoles sont syntaxiquement des langues africaines – le fon plutôt que l’éwé, dans le cas du haïtien – assorties d’un lexique ou d’une phonétique provenant de la langue des maîtres. Cette position a suscité des critiques de bon nombre de créolistes (Muysken et Smith éd., 1986).
69Mufwene (1990) fournit un bilan quasi exhaustif des travaux substratistes en matière de créolisation. Il distingue plusieurs positions au sein de cette école de pensée : celle qui explique les traits des créoles à travers l’influence exclusive des langues sources, celle qui revendique l’action de langues sources déterminées dans la genèse de créoles spécifiques et celle qui recherche plutôt un apport étymologique des langues africaines. Mufwene rappelle aussi qu’il serait sans doute souhaitable de distinguer l’emprise exercée par le substrat africain pendant la période de formation des créoles et son rôle ultérieur dans la langue. Il note enfin que l’effet du substrat se modifie au fil de l’évolution diachronique du créole. On relèvera les points de vue nuancés de Manessy (1995, p. 205, par exemple) et d’Alleyne (1996). En effet, si ce dernier ne croit pas à des transpositions de formes ou à des calques d’éléments des langues africaines dans les créoles, il postule une influence profonde de la sémantaxe de ces langues, voire de leurs énonciations, dans les langues créoles. Tout en défendant l’idée que ce sont « les facteurs pragmatiques et socioculturels qui ont joué le rôle prépondérant dans le développement des langues créoles » (Alleyne, 1996, p. 183), Alleyne soutient que l’influence du substrat, facteur social majeur, explique certains développements de la syntaxe des créoles français, tout particulièrement des créoles atlantiques.
Langues créoles et langues lexificatrices
70Meillet (1965 [1921], p. 85), Gougenheim (1929, p. 378) et plus récemment Chaudenson (1992, par exemple) défendent l’idée que bien que les langues créoles soient des langues distinctes de leurs langues lexificatrices, elles en poursuivent l’évolution. Gougenheim et à sa suite Chaudenson évoquent l’exagération des tendances du français dans le cas des créoles français. Les formulations de Chaudenson reposent sur l’idée d’une certaine continuité génétique, sinon typologique (Véronique, 1999) de la langue lexificatrice et des langues créoles issues de cette souche.
71Dans la même veine que Chaudenson, Posner (1986) soutient que la créolisation est un changement typologique au sein de la même famille linguistique. La particularité de ce procès réside dans l’altération morphosyntaxique de la langue cible, le français en l’occurrence, sans rupture des liens de parenté linguistique. À partir d’analyses de « patois » romans, de français marginaux et de créoles, Posner postule que la créolisation consiste en un double mouvement : le prolongement de tendances déchiffrables dans la langue de départ et attestées dans d’autres dialectes de cette langue, et la rupture par rapport à celle-ci dans certaines zones.
72Pour Kihm (1991), les langues créoles ne sauraient être des dialectes des langues lexificatrices car le changement linguistique, dans le cas de la créolisation, intervient extrêmement rapidement, la différenciant à ses yeux du changement linguistique ordinaire. Il en relève une conséquence remarquable : les langues créoles sont grammaticalement éloignées des langues lexificatrices mais elles partagent une grande proximité phonétique avec celles-ci, d’où le sentiment que leurs lexiques sont proches. Kihm (1994) rejette l’idée que la créolisation s’effectuerait suivant les « tendances » à l’œuvre dans la langue lexificatrice. Il ne remet pas en question « le fait que le locuteur natif ait la connaissance pondérée de plusieurs façons de dire la même chose. […] cette connaissance variable, hétérogène et réglée est le propre des locuteurs natifs » (p. 27). Cette grammaire externe (e-grammar) est en rapport avec la grammaire intériorisée (i-grammar). Or, les apprenants particuliers qu’étaient les esclaves ne pouvaient disposer, par principe, d’une grammaire externe, alors qu’ils étaient en train de créer une grammaire interne, nouvelle par rapport à leurs connaissances linguistiques antérieures.
Créolisation et évolution linguistique
73Les propositions de Thomason et Kaufman (1988) à propos de la créolisation prennent précisément comme point de départ le fait que les créoles apparaissent dans des circonstances sociales très particulières où la transmission normale des langues n’est pas assurée. À leurs yeux, par rapport à d’autres situations de contact linguistique, il est impossible d’établir avec certitude des relations génétiques – définies comme des correspondances systématiques entre composantes et niveaux des langues en contact – entre la langue émergente, la langue lexifiante et le substrat. Il semblerait que les créoles se trouvent dans la situation de langues ayant plus d’un ancêtre ; ce qui les exclut de fait de toute quête de parenté linguistique ; cela, d’autant plus que l’on admet que des langues parentes « […] sont la continuation et la diversification d’une langue unique » (Manessy-Guitton, 1968, p. 226). Thomason et Kaufman sont partisans d’une théorie de la créolisation comme procès anormal de la transmission de langues où le produit final, une langue mixte, n’entretient aucun lien génétique avec les langues qui l’ont précédée. Ce point de vue, qui s’inscrit dans la ligne des thèses de Schuchardt, se présente clairement comme une théorie de la discontinuité des créoles, discontinuité engendrée par des circonstances socio-historiques particulières.
Les stratégies de communication et le principe fondateur
74Selon Mufwene (1996, 2005), les fondateurs des créoles ont puisé dans l’ensemble des traits et marques linguistiques disponibles, ceux fournis par les langues en contact (feature pool) pour communiquer. Les populations initialement en contact ont exercé une influence décisive sur le développement des créoles. Leurs actions relèvent du principe fondateur (founder principle), principe qui veut que les populations initiales exercent un effet déterminant sur l’écologie des langues qui se développent dans les territoires où ils s’installent. Pour Mufwene, la restructuration à l’aveugle façonnée par des données sociales (les matrices de créolisation ) et linguistiques (les langues en contact) constitue le moteur de la créolisation. Les démarches communicatives des apprenants et leurs ajustements réciproques en situations de contact sont au cœur de la genèse des langues créoles. Dans des situations de compétition entre plusieurs manières de dire, les « stratégies de communication » les moins marquées, c’est-à-dire les moins coûteuses sur le plan du traitement cognitif et des ressources linguistiques à mobiliser, l’emportent. En termes linguistiques et cognitifs, le degré de marque (markedness), résultant de facteurs tels que la régularité, l’invariabilité, la fréquence, l’extension, la transparence sémantique et la saillance perceptuelle, explique les restructurations, les innovations et les grammaticalisations responsables de l’émergence des vernaculaires créoles. Mufwene (1996, 2005) considère que ces langues sont apparues par accident, comme les résultantes du processus de communication même. On peut penser que des actes d’identité linguistique, au sens de Le Page et Tabouret-Keller (1985), ont « focalisé » l’existence de liens nouveaux, langagiers et relationnels, au fur et à mesure que des organisations sociales émergeaient.
Langues en contact et créolisation
75On a également soutenu que la créolisation devrait être appréhendée comme un cas particulier de contacts de langues. On peut suivre Siegel (2000) qui suggère que de tels contacts impliquent des dimensions psycholinguistiques individuelles comme la réanalyse et la simplification, et des aspects plus collectifs comme le nivellement (levelling) et la diffusion. Myers-Scotton (1993, 2002) propose un modèle d’interaction des langues dites du superstrat et du substrat dans le procès de créolisation, qui intègre également la contribution des universaux de traitement du langage. La thèse principale qu’elle développe, se séparant en cela de la théorie de la relexification, est que la matrice langagière des langues créoles est composite. Selon Myers-Scotton, les langues du substrat fournissent le cadre morphosyntaxique invisible de la langue, à la manière de la sémantaxe de Manessy. Les langues du superstrat fournissent les morphèmes substantifs (content morphemes). Certains de ces morphèmes sont transformés en foncteurs grammaticaux (system morphemes). Ce modèle explique que des langues créoles qui se développent à partir de la même langue lexificatrice et de langues serviles proches n’aboutissent pas obligatoirement aux mêmes fonctionnements en fonction du détail de leur matrice sociale.
Créolisation et acquisition des langues étrangères
76Après avoir dégagé les propriétés structurales communes aux variétés d’apprenants de langues cibles différentes, Klein et Perdue (1997) s’interrogent sur les éventuelles identités entre celles-ci et celles que l’on attribue aux pidgins et autres entités linguistiques « élémentaires ». Selon ces auteurs, la variété de base des apprenants, et, toutes choses égales par ailleurs, leurs variétés pré- et post-basiques, se caractérisent par des structurations régulières et précises qui ne sauraient être assimilées aux fonctionnements que l’on prête au protolangage. Cette prise de position est à rapprocher d’un point de vue exprimé précédemment par Klein et Perdue (1993), selon lequel
[…] l’acquisition des langues par des adultes se situe à mi-chemin entre le changement linguistique et la créolisation […]. Dans le changement linguistique, des items lexicaux fonctionnant au sein d’un système déjà grammaticalisé perdent leurs valeurs [get bleached], […] alors que dans la créolisation, l’apprenant crée des contraintes phrastiques en l’absence d’input […]. Dans ces deux cas, il faut expliciter le choix des catégories que les locuteurs grammaticalisent, et de plus, en matière de créolisation, l’on doit commenter l’ordre dans lequel la grammaticalisation se produit. Lors de l’appropriation des langues par des adultes au contraire, l’apprenant reçoit presque toujours de l’input grammaticalisé […] et l’on doit expliquer la séquence selon laquelle certaines contraintes phrastiques de la langue cible sont acquises mais aussi fournir les raisons pour lesquelles certaines catégories grammaticalisées ne sont pas apprises. (Klein et Perdue, 1993, p. 260-261)
77Si la question de l’acquisition des langues et des phénomènes de transfert et d’interférence intéresse les théoriciens de la créolisation depuis longtemps, un regain d’intérêt s’est manifesté dans la période récente (voir entre autres Kouwenberg et Patrick éd., 2003, et Siegel, 2006). Mufwene (2010), après quelques autres chercheurs, s’interroge sur la pertinence d’un rapprochement entre le processus de développement des langues créoles et celui de l’acquisition des langues étrangères. À travers les objections suivantes, il montre les dissemblances entre ces deux dynamiques linguistiques :
- L’émergence de variétés d’apprenants, notamment au sein des populations immigrées adultes, rappelle davantage des faits de pidginisation que le développement de langues créoles, vu que les locuteurs bilingues continuent à communiquer également en langue première ;
- De fait, aucune des variétés linguistiques élaborées par des apprenants de langue étrangère ne devient le vernaculaire de ces locuteurs ou de leurs enfants, se substituant ainsi à leurs langues premières ; au mieux la variété linguistique nouvellement élaborée constitue un moyen de communication interethnique avec d’autres locuteurs, quand aucune autre langue commune n’est disponible. Il apparaît donc, ici, une différence majeure avec le développement des langues créoles ;
- Dans le contexte de l’apprentissage des langues étrangères, les apprenants ne développent pas non plus une variété linguistique propre, avec des normes spécifiques, à la différence de ce qui se passe lors du développement des langues créoles.
78On voit apparaître un nouvel intérêt pour le rôle des processus d’acquisition dans le façonnage des langues créoles à travers le recours à des travaux sur la place du traitement dans l’appropriation des langues étrangères (voir par exemple Sprouse, 2009, et Plag, 2009). On retiendra également la contribution de Migge et Van den Berg (2009) qui montre que les faits d’acquisition accompagnent non seulement la genèse mais également le développement diachronique des langues créoles, en agissant différemment selon les sous-systèmes concernés.
Grammaticalisation et créolisation
79Que l’on envisage la créolisation comme un procès d’acquisition d’une langue première ou seconde, comme une transmission abrupte, ou encore comme une relexification, elle est représentée, dans tous les cas, comme un procès complexe. On a soutenu que dans le cas de l’émergence de fonctionnements linguistiques nouveaux, le procès de grammaticalisation ne saurait être identique à celui qui, dans la diachronie d’un système linguistique particulier, transforme les lexèmes en formants grammaticaux. Cette thèse, formulée entre autres par Schuchardt à la fin du siècle dernier (Bollée, 1978), est défendue de nos jours par Thomason et Kaufman (1988). A contrario, pour Mufwene (1996), la grammaticalisation et l’élaboration des créoles sont des processus proches, sinon identiques.
80Bruyn (1995) aborde la question des rapports entre créolisation et grammaticalisation à propos des évolutions et des non-évolutions diachroniques qu’elle relève dans les systèmes de la détermination et de la relativisation dans le sranan, créole anglais du Surinam. Au terme de ses analyses, elle conclut que si la genèse du système des déterminants dans cette langue présente des analogies avec les phénomènes propres à la grammaticalisation typologique diachronique, celles-ci ne sont qu’apparentes. Elle indique qu’il faut compter avec l’influence des langues sources, voire des langues lexificatrices, et de leurs propres grammaticalisations, transportées dans la langue émergente.
81La réanalyse et la grammaticalisation interviennent certainement dans la cristallisation des systèmes créoles tout autant que dans leurs évolutions. Elles ne sauraient être tenues cependant pour seules responsables de la prise d’autonomie de ces variétés linguistiques. Réanalyse et grammaticalisation portent sur des unités et des catégories qui relevaient déjà, le plus souvent, dans la langue matrice, de la grammaire. L’action des mécanismes du changement linguistique conduit certes à la modification de certains paradigmes et de quelques fonctions syntaxiques mais elle les conserve également, en simplifiant quelquefois. Toute observation du rôle des procès de grammaticalisation et de réanalyse dans la genèse des créoles et dans leurs évolutions ultérieures requiert un examen attentif des sous-systèmes cibles ; la construction de catégories fonctionnelles n’obéit pas aux mêmes contraintes que celle des catégories lexicales.
Le caractère « graduel » de la créolisation
82Arends (1993) soutient que le développement des langues créoles doit être caractérisé par les traits suivants :
- Le processus d’émergence et de développement s’étend sur plusieurs générations ;
- Il s’agit d’un processus continu, sans rupture entre pidginisation et créolisation ;
- Ce processus est le fait des adultes plutôt que des enfants ;
- Il s’agit d’une situation d’apprentissage d’une langue seconde plutôt que d’acquisition d’une langue première ;
- Il s’agit d’un processus contrasté plutôt qu’uniforme.
83En développant cette théorie, Arends s’oppose, entre autres, aux thèses développées par Bickerton ou Thomason et Kaufman. Valdman (2002) associe le recours à l’explication de la créolisation en termes d’appropriation d’une langue seconde aux tenants d’une théorie graduelle de la créolisation. Le tableau 5 ci-dessous indique la position de quelques auteurs que l’on pourrait inscrire dans ce courant de pensée. Pour ces auteurs comme pour Arends, l’organisation sociale coloniale constitue la matrice des faits linguistiques à expliquer ; la variation sociale au cours du temps, ramenée soit à l’opposition entre sociétés d’habitation et de plantation, soit à la succession de « générations » de locuteurs, expliquerait les phases de développement des systèmes linguistiques naissants.
Tableau 5. Une vision du développement des créoles II
Phase initiale de la colonisation | Phase subséquente | |
Chaudenson (2002) | Approximations de la langue cible et variantes | Approximations des systèmes approchés cibles |
Mufwene (2002) | Acquisition graduelle de la langue dominante | Basilectalisation |
Lang (2002) | Apprentissage et négociation | Apprentissage et négociation |
Becker et Veenstra (2003) | Élaboration d’une variété de base et maintien des langues ancestrales | Expansion de la variété de base |
Synthèse
84Il n’est pas certain que les déterminants de la genèse des créoles exogènes de plantation et des créoles endogènes de fort, par exemple, soient identiques. À la lumière des propositions présentées dans cette section, l’on comprend que le développement des langues créoles est un processus complexe. Il semble raisonnable de considérer que le développement des langues créoles est le fait d’usagers adultes qui combinent grâce à leur faculté de langage des éléments des langues de substrat et des éléments de la langue donatrice du lexique suivant des mécanismes dont les propositions de Myers-Scotton, de Plag et de Mufwene rendent compte, chacune dans sa sphère. Si des unités linguistiques empruntées aux langues en contact façonnent la langue en cours de développement, on ne saurait ignorer que le moteur de la créolisation réside, lui, dans la matrice sociale et dans l’émergence d’un sentiment d’appartenance communautaire.
Quelques propriétés des langues créoles
85Apparues dans des circonstances sociohistoriques et des univers coloniaux proches, les langues créoles, issues de l’expansion coloniale européenne, ont puisé dans le fonds de langues apparentées, en ce qui concerne les langues lexificatrices, voire dans les mêmes langues pour celles parlées par la main-d’œuvre asservie. On a tiré argument des identités structurelles interlinguistiques partagées pour postuler un type linguistique créole. Cette position est souvent défendue par les partisans de la monogenèse des langues créoles et n’est pas incompatible avec la thèse d’une action décisive des langues premières des esclaves dans l’émergence des créoles.
86McWhorter (1998) défend l’existence d’un prototype créole qui serait caractérisé par les trois traits concomitants d’absence de morphologie flexionnelle, d’absence de marques tonales et d’emploi d’une morphologie dérivationnelle sémantiquement transparente. Selon cet auteur, au fil de l’évolution diachronique, les langues créoles développent, à des degrés divers, une morphologie flexionnelle et perdent de leur transparence sémantique. Cette thèse est également défendue à partir d’une importante base empirique par Bakker, Daval-Markussen, Parkvall et Plag (2011).
87Kihm (1991) soutient que la question des ressemblances entre langues créoles est mal posée. Des monographies grammaticales détaillées de ces langues permettraient de constater que les divergences entre les langues créoles sont aussi nombreuses que leurs ressemblances. Kihm (2005), qui se penche sur la question typologique, nie le lien génétique entre un créole et sa langue lexificatrice. Selon lui, le modèle de continuité géographique, culturelle et linguistique sur lequel est fondé la parenté des langues indo-européennes ne trouve pas à s’appliquer dans le domaine créole. Il en conclut que « les langues créoles ne forment une famille génétique ni avec leurs LL [langue du lexique], ni, a fortiori, entre elles » (p. 404). En dépit d’identités sur le plan typologique, on ne saurait, selon Kihm, poser un type créole. Il conclut à l’existence d’une famille linguistique recomposée, et au paradoxe suivant : « Un créole est une langue qui peut être considérée comme une variante d’une autre sous le rapport de la forme phonétique des lexèmes, mais qui constitue une langue distincte sous les autres rapports » (p. 405). Kihm (2011) s’inscrit dans une perspective analogue en défendant l’idée que l’on peut postuler une zone linguistique commune, certes éclatée, entre langues pidgines et créoles.
88Thomason (1997) et Mufwene (1997) notent, à leur tour, sur la base d’arguments différents, l’impossibilité d’identifier des traits linguistiques créoles qui ne soient partagés par d’autres langues « isolantes ». Tout en admettant que les créoles ne constituent sans doute pas une classe de langues particulière, Alleyne (1996, p. 8 et suiv.) trouve pratique de les regrouper pour des raisons sociolinguistiques et sociohistorique et parce qu’ils partagent quelques traits linguistiques en commun :
- Le recours à des marqueurs pré-prédicatifs ou à des auxiliaires pour l’expression du temps, du mode et de l’aspect ;
- Les verbes sériels ;
- Et le clivage du prédicat.
89On pourrait ajouter à cet inventaire un ordre des mots sujet-verbe-objet (SVO) dans l’énoncé simple, et le trait contrastif négatif – par rapport aux langues lexificatrices – d’absence relative de morphologie flexionnelle.
*
90Les langues créoles présentent une émergence récente, dans l’histoire proche, dans des circonstances sociales clairement identifiables. Cependant, on ne dispose pas toujours, pour ces langues, de documents écrits en nombre important, et il est difficile de les aborder en faisant table rase des préconceptions et des préjugés. Cela est vérifié par les propos des premiers observateurs, à quelques exceptions près, mais également par les réflexions savantes de nombreux linguistes. On ne peut comprendre autrement le désir de faire des créoles et des pidgins des langues à part (Stewart, 1968). Certes, elles interrogent les filiations et les apparentements que proposent les linguistiques historique et typologique ainsi que les processus d’appropriation et de changement linguistique s. Plutôt que d’en faire des classes de langues particulières, c’est la démarche de conceptualisation de la linguistique qui devrait être interrogée.
91Langues à l’histoire spécifique et à l’autonomie disputée, les langues créoles ne sont pas perçues, dans les formations sociales où elles sont en usage, dans les termes que propose la science linguistique. Il est vraisemblable que peu de locuteurs du créole réunionnais acceptent la position de Holm (1988) qui considère que cette langue est un semi-créole, une langue à la créolisation inachevée. Le décalage entre les représentations savantes et les représentations des usagers dans le domaine des langues créoles ouvre assurément un nouveau terrain de recherche.
92Les langues créoles, à cause des conditions mêmes de leur apparition, sont au carrefour des recherches sur l’acquisition et le contact de langues, ainsi que sur la typologie linguistique. Leur insertion dans des formations sociales qui s’interrogent, peu ou prou, sur leur statut dans l’éducation et dans d’autres sphères sociales, concerne particulièrement la sociolinguistique et la didactique des langues.
Bibliographie
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10.1075/cll :Notes de bas de page
Auteur
Université d’Aix-Marseille, LPL – UMR 7309
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