Le « grand » commerce de détail en France de 1972 à 1986
Didier Bury
Inspecteur principal de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes au bureau services et commerce de la Direction de la prévision.
Nouvelles fonctions : adjoint au Commissaire à la reconversion industrielle de la Lorraine.
La transformation profonde qui, en un quart de siècle, a atteint le système de distribution commerciale français a souvent été étudiée mais son importance n'a pas toujours été soulignée comme elle le mérite. En effet, ce n'est pas seulement un accessoire ou une conséquence des bouleversements qu'a connus cette période, c'en est aussi un agent actif et remarquable, une cause autant qu'une conséquence. L'introduction en Europe des «grandes surfaces commerciales », déjà connues en Amérique avant-guerre, a changé profondément la vie quotidienne de la plus grande partie de la population.
Malgré les réticences du début, elle a permis d'abord aux familles de concentrer leurs achats — surtout alimentaires — en une seule fois, généralement en fin de semaine ou dans la soirée, de transporter les produits lourds en voiture et de présenter au même endroit un choix jusqu'alors inconnu de produits plus ou moins concurrents. Par là-même, les grandes surfaces ont allégé — aux deux sens du mot — un travail le plus souvent féminin de transport et de recherche. De plus en plus, et surtout maintenant avec les produits surgelés, elles ont modifié les habitudes alimentaires des Français tout en rendant plus facile la préparation des plats.
Comme tout progrès, ces moyens de commercialisation nouveaux peuvent présenter également des inconvénients d'inesthétisme et d'encombrements, et ruiner le paysage de la périphérie malgré des efforts méritoires de beaucoup de centres d'achat : couleurs vives, bâtiments larges et conçus pour la commodité de l'acheteur mais disposés sans souci d'apparence et entourés d'immenses surfaces de goudron à peine cachées à certaines heures par les voitures de la clientèle. Les banlieues des villes qui déparent leurs entours par des architectures contestables s'enlaidissent davantage encore de ces super ou hypermarchés. Ces touts derniers, de conception purement française, présentent, par ailleurs, bien des avantages économiques et financiers.
L'importance de tous ces phénomènes explique qu'à nouveau « Economie et Prévision » tout en se limitant — comme cela est sa vocation — aux seuls problèmes économiques et financiers s'intéresse aux transformations du commerce et traite non seulement du commerce concentré financièrement (groupes) mais aussi pour la première fois des associations que les détaillants ont constituées pour répondre à la concurrence qui leur était faite.
La croissance rapide et soutenue des « grands » ensembles a été liée au développement des « grandes » surfaces dont ils ont été les créateurs. A leur naissance ils ont bénéficié d'un environnement socio-économique très favorable : urbanisation et motorisation des français, élévation forte de la consommation des ménages en partie liée au retour des français d'Algérie, application effective de l'interdiction du refus de vente. Tout ceci leur permet aujourd'hui de figurer en bon rang parmi les grands de la distribution en Europe, donnant à notre pays de bonnes perspectives pour l'ouverture du marché intérieur européen unique en 1 992.