1En 1975 paraissait l’Atlas de Kinshasa (De Maximy, Flouriot et Pain, 1975) établi par trois géographes, s’appuyant sur les études menées au cours des années précédentes par la Mission Française d’Urbanisme et le tout nouveau Bureau d’Études d’Aménagement et d’Urbanisme (BEAU) qui en a pris la suite au sein de l’administration congolaise.
2Trente ans après, l’un des auteurs de l’Atlas est de nouveau en poste à Kinshasa dans ce même BEAU qu’il s’agit de reconstruire physiquement et intellectuellement après les années de tourmente qu’a connues la République Démocratique du Congo. La ville n’a pas été le lieu de combats pendant les périodes de guerre mais elle a subi les contrecoups des bouleversements politiques et guerriers qui ont affecté le Congo. Kinshasa compte aujourd’hui environ 10 millions d’habitants. C’est la plus grande ville francophone du monde et l’une des 30 plus grandes villes du monde. La République Démocratique du Congo reste l’un des États les plus fragiles du continent et la guerre et le pillage de ses ressources ne se sont pas arrêtés malgré la présence de la plus importante mission de maintien de la paix des Nations Unies et la mise en place, depuis l’élection présidentielle de 2006, d’une nouvelle Constitution. Le président Kabila a été reconduit en 2011 au cours d’un processus électoral contesté mais le plus important pour la vie quotidienne de la population, la mise en place de municipalités, élues localement, qui permettraient une véritable participation démocratique – condition essentielle à la mise en place d’une gestion réaliste de la ville – n’a toujours pas eu lieu.
3Alors comment font les Kinois pour vivre ? C’est la question que se pose l’observateur extérieur. Eh bien, ils se débrouillent, déployant une énergie étonnante. C’est une perpétuelle lutte pour la survie. Il faut être fort ou malin et savoir endurer. Les victimes sont nombreuses : enfants jetés à la rue sous prétexte de sorcellerie, victimes des accidents, des violences, des gangs armés, du paludisme, et de tant d’autres souffrances. C’est un nouveau monde en gestation.
4La situation des personnes n’a pas beaucoup changé depuis 2005 même si quelques grands travaux ont été réalisés dans Kinshasa : ils n’ont porté que sur des infrastructures existantes et aucune création nouvelle majeure n’a été entreprise. Aussi l’article suivant, malgré le retard de sa parution, garde toute sa pertinence. Le tableau est sombre mais face au constat de l’extrême précarité de la vie quotidienne des Kinois, il faut rendre hommage à leur courage et à leur volonté de vivre, à leur remarquable capacité d’adaptation et à leur foi en l’avenir. Cet article ne prétend pas être une étude exhaustive de la situation kinoise mais rapporter quelques informations de terrain sur l’une des plus grandes villes du continent africain au sud du Sahara.
5Ce qui frappe dès le premier contact avec Kinshasa, c’est son immensité. Le site offre un remarquable potentiel de développement en bordure du « Pool Malebo », vaste étalement du fleuve à l’amont de la barre rocheuse des grès de Kinsuka où se localisent les rapides, infranchissables par la navigation. La plaine bordière du Pool (altitude : 350 m) s’étend jusqu’à Maluku sur environ 250 km2 (60 km de long sur 4 à 7 km de profondeur). Elle est maintenant presque totalement occupée avec d’importantes variations de densité de population selon les secteurs (fig. 1). Le seul grand vide qui s’y maintient est celui des terrains militaires au sud-est de l’aéroport.
6L’occupation de l’amphithéâtre collinaire qui culmine au Sud à plus de 600 m d’altitude (mont Ngafula) s’est poursuivie en un front continu au sud de Kimbanseke. À l’Ouest, la ligne de crête dominant la vallée de la Lukaya est maintenant atteinte et l’urbanisation pousse une pointe marquée le long de la route de Matadi. Enfin, entre cette route et le fleuve, l’occupation de l’espace s’est développée récemment, englobant le village de Lutendele. Cette extension dans les collines de l’Ouest est l’aspect le plus spectaculaire de la nouvelle occupation de l’espace.
Figure 1 – Aire de densité de population à Kinshasa en 2006
7Aujourd’hui, l’ensemble de l’aire urbanisée couvre environ 500 km2, soit une progression annuelle de 7 à 800 ha, lotis « spontanément » en quelque 10 000 parcelles. C’est trois fois plus qu’il y a 30 ans.
8L’imagerie satellitaire, de plus en plus précise, permet de suivre « en temps réel » cette croissance spatiale. Le BEAU se dote des moyens d’une observation permanente de la conquête de l’espace.
9Les caractéristiques du mouvement restent les mêmes qu’il y a trente ans. La législation foncière n’a guère évolué et de toute façon elle n’est pas appliquée sur le terrain où se perpétuent les lotissements effectués par les chefs de terre, avec la complicité de diverses autorités locales (bourgmestres, chefs de quartier, personnels du cadastre et des affaires foncières). Les modes d’occupation de l’espace restent également les mêmes, sans précautions particulières vis-à-vis des propriétés géotechniques des sites, entraînant d’importants phénomènes érosifs.
10Les grandes étapes de la croissance démographique kinoise sont bien connues :
11La croissance initiale est rapide, jusqu’à la crise économique des années 1930. La reprise est très forte pendant la Seconde Guerre mondiale et à sa suite. Les années qui suivent l’Indépendance retrouvent des taux de croissance annuelle supérieurs à 10 %. Depuis 1975, ce taux est d’environ 5 %.
12En fait, on ignore le nombre d’habitants de Kinshasa. Le dernier chiffre justifié par un recensement est celui de 1984. Le chiffre proposé pour 2004 résulte d’une extrapolation du recensement de 1984. L’incertitude est grande après des années de troubles où les grandes villes servent souvent de refuge aux populations menacées. Des recensements administratifs ont été effectués par l’Hôtel de Ville de 1999 à 2003 ; les chiffres en résultant sont très inférieurs à cette estimation : 4 600 000 habitants pour 2003.
13Sur la base du recensement de 1984, des recensements administratifs et d’estimations par commune faites par le BEAU dans les années 1990, le bureau d’études IGIP (IGIP Aide publique au développement, Darmstadt), en charge de l’étude d’un schéma d’assainissement de la ville, a proposé un chiffre d’ensemble pour 2005 compris entre 5 000 000 et 5 260 000 habitants.
14Une autre estimation a été effectuée par le BCEOM (Bureau Central d’Études pour les Équipements d’Outre-Mer, Paris), bureau d’études en charge du schéma d’adduction d’eau potable. Cette estimation est basée sur les projections de l’INS (Institut National de la Statistique, Kinshasa) et les recensements administratifs. Elle aboutit à une population de 6 220 000 habitants pour 2005.
15Le tableau 1 reprend ces estimations par commune et grands ensembles d’habitat.
- 1 L’enquête 1, 2, 3 évalue à 51 % le nombre des moins de 20 ans, ce qui donnerait une population élec (...)
16Le recensement électoral, lui-même sujet à divers biais, apporte un renseignement complémentaire. L. de Saint-Moulin estime que la population d’âge électoral de Kinshasa est égale à 44 % de la population totale (De Saint Moulin, 1992). Si l’on applique ce taux à l’estimation IGIP, on obtient une population électorale de 2 315 000 habitants. Le nombre d’électeurs recensés est de 3 000 000, ce qui correspondrait à une population de 6 800 000 habitants (INS, Kinshasa, 1984)1. Le chiffre global du BCEOM est le plus proche. Mais on est encore loin des 7 700 000 habitants.
17Il semble donc que la population de Kinshasa en 2005 se situe entre 5,5 et 6,5 millions d’habitants ce qui donne encore une large marge d’incertitude.
18Il est certain que la croissance kinoise s’est ralentie. La capitale n’est plus un pôle majeur d’attraction : le centre d’attraction principal du pays est maintenant la zone diamantifère des Kasaï. On y annonce des populations en croissance très rapide : Mbuji-Mayi aurait plusieurs millions d’habitants, Tshikapa approcherait du million. Tout ceci est pour le moment invérifiable mais montre bien vers où se dirigent les mouvements migratoires les plus importants. Il semble que Kinshasa n’ait accueilli que peu de déplacés de guerre et, par contre, des populations d’origine angolaise sont reparties vers leur pays. Enfin, on signale dans les zones rurales qui approvisionnent la capitale, l’installation de populations originaires de Kinshasa qui s’y adonnent à la production agricole, à celle du charbon de bois ou au commerce (GRET).
Tableau 1 – Kinshasa : population par commune. Estimations 2005
19Dans le tableau 1, le regroupement des communes par catégorie reprend une classification établie à l’occasion de l’enquête démographique de 1968. Cette classification reste valable dans son ensemble sauf pour la commune de Ngaliema. Située au Sud-Ouest de la ville, cette commune englobe les zones collinaires comprises entre la route de Matadi et le fleuve dont les sommets ont été occupés dès la fin de la période coloniale par un habitat de haut standing. Cet aspect des choses s’est maintenu mais, depuis, les pentes et les fonds de vallée ont été occupés et la majorité des habitants de cette commune sont des familles pauvres, ayant un genre de vie analogue à celui des communes des extensions Sud et Est.
20On notera les disparités importantes des populations communales, les deux extrêmes étant Gombe, 40 000 habitants, et Kimbanseke, 650 000 à 800 000 habitants. Cette commune et celle de Ngaliema sont très vastes et l’extension de l’occupation de leur espace y amène des populations trop nombreuses par rapport à la capacité de leur administration. La création de nouvelles communes devrait s’imposer.
21Les plus fortes densités de population se trouvent dans la partie centrale de la ville ouest (Bumbu, 600 hab./ha). Elles s’estompent en allant vers la périphérie où les parcelles sont de grande taille et encore en cours de peuplement.
22Enfin, il faut noter la constance du rapport entre la population de la capitale et celle du pays : 10 %. La seconde ville du pays serait aujourd’hui Mbuji-Mayi, avec une population de 1,5 à 2 millions d’habitants. On ne peut pas vraiment parler de « macrocéphalie ».
23Diverses enquêtes apportent quelques précisions sur la population kinoise. D’après l’enquête « 1, 2, 3 » menée en avril-mai 2004, 51,3 % de la population a moins de 20 ans (1975 : > 60 %) et 71 % des Kinois sont nés à Kinshasa (1975 : 51 %). La ville « normalise » peu à peu sa pyramide des âges et sa croissance se fait essentiellement à partir de sa population et non plus de migrations. La migration à Kinshasa est essentiellement d’origine urbaine et les déplacés de guerre sont peu nombreux (1,7 % des migrants). La proportion de 51 % de moins de 20 ans infirmerait les 44 % de population électorale et ramènerait la population totale de la ville autour de 6 millions d’habitants.
24La taille moyenne des ménages est de 6,4 personnes (1973 : 5,9) et 26,6 % des chefs de ménage sont des femmes.
25La structuration de la ville par la voirie et l’habitat ne s’est guère modifiée au cours des 30 dernières années. L’extension de l’habitat s’est faite en « tache d’huile » sur la périphérie. L’occupation spontanée de l’espace n’est pas anarchique. Le plus souvent, la trame orthogonale, caractéristique de l’urbanisme colonial, a été prolongée. Le parcellaire est relativement vaste : de 300 à 500 m2. La surface construite est faible (moins de 100 m2 dans la plupart des cas). Cette grande dimension des parcelles explique la faible densité d’occupation du sol (100 à 500 hab./ha). Les constructions sont en parpaings de ciment, les toitures en tôles, d’assez bonne qualité. La population par parcelle varie de 14 à 20 personnes en moyenne (BCEOM).
26Le centre des affaires reste circonscrit à l’environnement immédiat du boulevard du 30 juin, du carrefour de l’avenue des Huileries à la gare centrale. Très actif dans la journée, il se vide peu à peu à partir de 16 heures.
27Le grand marché est au centre d’un secteur commercial qui déborde largement au Sud sur la commune de Barumbu. Les petits étals (20 000 vendeurs) ont envahi les rues défoncées, y interdisant toute circulation automobile. Commerces fixes et entrepôts encadrent le grand marché et remontent, au Nord jusqu’à la rue Colonel Ebeya, l’axe commercial principal restant la rue du Commerce. Ce quartier attire de 150 000 à 200 000 personnes chaque jour ouvrable et se maintient comme le principal pôle de distribution de la ville.
28Les anciennes cités sont toujours attractives en raison de leur proximité des centres d’activité mais la dégradation des infrastructures les rend particulièrement insalubres.
29L’équipement initial des cités planifiées les fait rayonner sur les communes d’extensions spontanées qui les entourent. Les extensions sud se sont densifiées et ont été équipées en réseaux d’eau et d’électricité. Par contre la voirie y reste étroite, sans aménagement des chaussées. La circulation automobile y est très difficile et leurs habitants sont condamnés à de longues marches dans la boue ou le sable pour rejoindre les axes asphaltés où se concentre la circulation des transports publics. S’y ajoutent les difficultés de franchissement des cours d’eau dont les lits non aménagés sont le réceptacle des immondices. En saison des pluies, les inondations s’étendent largement et les noyades sont fréquentes…
30L’Université maintient difficilement son périmètre, largement contourné par les constructions. Kimuenza est maintenant un quartier de Kinshasa.
31À l’Est, la situation est analogue. Les quartiers de Masina et Kimbanseke sont déterminés par le réseau hydrographique de direction Sud-Nord qui rend difficiles les relations transversales.
32Les zones d’activité ne se sont pas étendues. Les pillages de 1991 ont transformé la zone de Limete en un quasi-désert qui évolue lentement vers une zone d’habitat de haut standing. La route des poids lourds dessert un pôle très actif au niveau des différents ports et beach privés mais la zone de Kingabwa est en partie abandonnée. L’usine automobile de Masina a été complètement détruite et son emplacement est aujourd’hui occupé par un grand marché moderne, le « marché de la Liberté », de construction récente, qui peine à se remplir alors que d’innombrables petits vendeurs occupent les abords du boulevard Lumumba.
33Le Schéma directeur de 1976 prévoyait la construction d’une ville Est au-delà de l’aéroport, sur le site de Mpasa. Aujourd’hui, ce site est en voie d’occupation mais sans rapport avec les plans proposés. Le lotissement a été l’œuvre des chefs de terre comme sur toute la périphérie de la ville. Les seules extensions qui échappent quelque peu à cette spontanéité se situent actuellement sur les crêtes du mont Ngafula, où le quartier Kimbondo (2 500 parcelles) est loti « officiellement » au profit de personnalités en vue.
34Enfin, il faut noter l’apparition récente de véritables bidonvilles, constitués de constructions précaires, en matériaux de récupération, le plus souvent dans des secteurs inondables. La population de ces bidonvilles est faite de migrants récents, déplacés de guerre.
35L’occupation de l’espace ne s’est accompagnée de pratiquement aucune infrastructure nouvelle de voirie et d’assainissement et n’a respecté aucune précaution d’occupation du milieu. Lorsqu’il s’agissait d’espaces plats dont le drainage naturel était suffisant, cela n’a pas posé de problèmes majeurs. Par contre, dès que les extensions urbaines se sont faites sur des espaces collinaires, les effets en ont été catastrophiques : la concentration et l’accélération des écoulements pluviaux sur les sols dénudés ont mis en action des processus érosifs très difficiles à maîtriser. En saison des pluies, des versants entiers se mettent en mouvement, entraînant maisons et équipements et accumulant d’énormes quantités de sédiments dans le lit des rivières et au pied des versants. 55 sites d’érosion ont été recensés sur l’ensemble de la ville.
36Toutes les tentatives de traitement des érosions par des moyens lourds (caniveaux en maçonnerie, ouvrages bétonnés,…) ont été des échecs très coûteux. Il est évident que le véritable traitement du problème est préventif : ne pas urbaniser les espaces sensibles. Dans les conditions actuelles de fonctionnement de l’administration, ce n’est guère possible. Il faut donc se résoudre à envisager des traitements curatifs sur les espaces déjà occupés et s’assurer d’une prise en compte très rigoureuse des écoulements pluviaux à l’occasion des travaux de réhabilitation et de création de voirie.
37L’occupation de zones inondables est un second problème environnemental de l’écosystème urbain. Ces zones inondables sont, soit les rives de cours d’eau, soit des espaces mal drainés, plus ou moins marécageux. L’accumulation de sédiments dans les lits des cours d’eau a étendu considérablement les secteurs potentiellement soumis aux inondations. De plus, ceux-ci sont aussi le réceptacle des ordures ménagères pour lesquelles il n’existe aucun système de collecte et de traitement.
38Le curage des petits cours d’eau qui sillonnent les espaces urbanisés est d’une impérieuse nécessité. Ils constituent l’armature primaire d’assainissement pluvial. Tant que la remise en état des lits des cours d’eau et, éventuellement, certaines corrections de ceux-ci n’auront pas été entreprises, tous travaux sur les réseaux secondaire et tertiaire (quand ils existent…) sont inutiles.
39Le réseau structurant fondamental de la ville est sa voirie, très peu différente de ce qu’elle était il y a trente ans. Par contre les réseaux d’eau et d’électricité se sont notablement étendus dans les quartiers spontanés des extensions sud. Peu entretenus et donc très dégradés, ils répondent mal à la demande.
40Le réseau de voirie primaire ne s’est pas étendu malgré la croissance spatiale. Le manque d’entretien l’a même réduit : le boulevard Kasavubu a dû être totalement reconstruit, l’avenue Liberté est quasiment fermée entre le carrefour de l’Institut Pédagogique National (IPN) et le marché de Selembao.
41Kinshasa développe plus de 5 000 km de voies diverses dont à peine 10 % sont revêtus. Le réseau de voirie primaire de Kinshasa est long de 164 km, ce qui est évidemment très insuffisant : 112 km de voirie Nord-Sud et 52 km de voirie transversale Est-Ouest. La voirie transversale se concentre dans le nord de l’agglomération. De vastes espaces, au Sud et à l’Est de la ville ne sont pas desservis, ce qui entraîne d’importants trajets en marche à pied pour atteindre les transports publics. Les équipements de voirie sont presque inexistants : pas de signalisation, très peu d’éclairage public. Les réseaux d’assainissement sont encombrés d’immondices car il n’existe aucun service permanent de ramassage des déchets.
42Les priorités seraient, bien sûr, la remise en état des voies primaires les plus dégradées (Liberté, Elengesa, Kabambare,…) mais aussi la création de voies nouvelles :
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à l’Est, une voie parallèle au boulevard Lumumba, à l’intérieur de Kimbanseke ; une voie analogue au nord du boulevard dans Masina ;
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au Sud, prolonger l’avenue Elengesa jusqu’au by pass et créer au moins une transversale entre l’avenue de l’Université et l’avenue P. Mulele (ex 24 novembre)
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à l’Ouest, assurer une liaison pérenne entre l’Université Pédagofique Nationale (UPN) et Kinsuka, à travers les secteurs nouvellement urbanisés de la commune de Ngaliema.
43Il devient urgent d’envisager la création d’une nouvelle voie de contournement : le by pass de la fin de la période coloniale est devenu une voie urbaine inadaptée aux transports lourds. La situation est devenue intolérable au niveau du rond-point de Ngaba, point de passage obligé des camions en provenance de Matadi et se rendant vers les entrepôts de Limete, en raison de l’occupation de la voirie par de multiples activités commerciales, l’implantation la plus aberrante étant celle d’une station-service sur le rond-point lui-même.
44La maintenance des ouvrages est un problème aussi important que leur réhabilitation. Quelle que soit la qualité des ouvrages d’assainissement qui accompagnent les infrastructures, leur fonctionnement correct nécessite un entretien permanent. L’organisation des opérations de maintenance doit faire partie intégrante des projets sous peine de rendre inutiles les investissements réalisés.
45Ces opérations comportent des aspects techniques mais aussi des aspects sociaux : mobilisation de la population pour la réalisation des opérations et surtout pour assurer la pérennité des ouvrages par la mise en place de structures de maintenance. Des opérations de ce type ont été menées par l’Organisation non gouvernementale (ONG) FOLECO et sont en cours sous l’égide du Fonds Social Urbain (FSU, Coopération Technique Belge) sur la commune de Kisenso.
46Les évaluations de trafic reposent sur une enquête récente (octobre 2005) réalisée par le BEAU pour le bureau d’études CIMA International qui a en charge une étude de déplacements et transports urbains dans les principales villes du Congo.
47Le boulevard du 30 juin, seul grand axe transversal, est la voie la plus chargée : 42 500 véhicules/jour. En 1972 le trafic était de 28 000 véhicules/jour mais le boulevard Kasavubu jouait un rôle important dans les déplacements transversaux. Cette voie vient d’être rendue à la circulation sur toute sa longueur ; elle devrait permettre une réduction du trafic sur le boulevard du 30 juin et sur son prolongement à l’Ouest, le boulevard Mondjiba (2 x 1 voie, 20 000 véhicules/jour).
48L’axe principal de déplacements est le Boulevard Lumumba depuis l’aéroport jusqu’à son extrémité nord au niveau de Ndolo. Il constitue une véritable épine dorsale de la ville. C’est un boulevard urbain à 2 x 2 voies. Dans sa section la plus chargée, la traversée de la commune de Limete, le trafic journalier est de 39 000 véhicules/jour (1972 : 35 000 véhicules/jour). Il reste de 30 000 véhicules/jour dans la traversée de la vallée de la Ndjili, à la jonction de la partie est de la ville.
49La circulation Nord-Sud dans la partie ouest de la ville se répartit sur plusieurs voies : route des poids lourds (22 500 véhicules/jour), avenue du Flambeau (18 000 véhicules/jour), avenue de l’Université (20 000 véhicules/jour), avenue des Huileries (15 000 véhicules/jour), avenue de la Libération (ex 24 novembre, 22 000 véhicules/jour). La plupart de ces chiffres de trafic sont peu différents de ceux d’il y a 30 ans. Ils correspondent à un réseau qui n’a pas évolué dans son tracé et ses caractéristiques et à un parc automobile circulant sans doute peu différent de ce qu’il était à cette époque malgré un quadruplement de la population.
50La demande de transport a été évaluée, en 1991, par une enquête « ménage » portant sur un peu moins de 2 000 ménages répartis en fonction des types d’habitat (BCEOM, Paris et BEAU, Kinshasa, 1994).
51Le nombre moyen de déplacements par personne et par jour est de 1,7. Il est pratiquement le même dans toutes les communes de la ville : 57 % de ces déplacements se font à pied, 35 % en taxi ou taxi-bus. Ce taux de déplacement est faible ; il est le reflet d’un faible taux d’activité.
52Si l’on maintient les mêmes ratios, on peut estimer qu’il se fait aujourd’hui environ 10 millions de déplacements chaque jour à Kinshasa, dont 3,5 millions utilisent des transports motorisés. C’est le motif « école » qui génère le plus de déplacements : 49 % du total de la journée et 73 % à l’heure de pointe.
53En moyenne, on dispose d’un véhicule pour 9 ménages, les extrêmes étant de 1 pour 4 à Ngaliema et Limete et de 1 pour 81 à Bumbu. Il n’existe pratiquement aucun vélo ou 2 roues à moteur.
54Le réseau de voirie, en général très dégradé, a une orientation Sud-Nord, convergeant vers la Gombe qui constitue le principal générateur de déplacements dans la ville. Des bouchons se forment aux heures de pointe, matin et soir, en fonction des navettes quotidiennes. La voirie transversale est quasi inexistante. Cette situation viaire ne permet pas un bon accès à la plupart des communes. Le réseau de voirie asphaltée est le seul utilisable par les véhicules de transport qui s’aventurent peu sur le réseau en terre. 15 % des ménages kinois sont à au moins une heure de marche du réseau revêtu.
- 2 Les importations à Matadi sont de 8 à 12 000 véhicules/an. Ils sont presque tous destinés à Kinshas (...)
55Les sociétés de transport public ont disparu et les transports sont assurés par des investisseurs privés. Il existe quelques bus de grande capacité mais la plus grande partie du matériel roulant est constituée de « combis VW » achetés d’occasion, en très mauvais état, chargeant 23 à 25 passagers. Il existe également des taxis chargeant 5 ou 6 passagers. Le parc automobile de Kinshasa est estimé à 100 000 véhicules2 dont 80 % sont dédiés au transport de voyageurs, soit donc 80 000, mais le très mauvais état de ce parc en immobilise en permanence environ 50 % et ce parc reste insuffisant par rapport à la demande.
56La situation est évidemment très dégradée par rapport à celle d’il y a 30 ans. En 1972 (pour une ville de 1,5 million habitants), les deux sociétés de transports publics (OTCZ et STK) alignaient environ 300 bus de grande capacité (80-100 places) chaque jour. En outre, presque autant de fula-fula (camion carrossé transportant 50 à 60 personnes) étaient également en service. À ce parc de grands véhicules s’ajoutaient 6 000 taxis.
57Le réseau ferroviaire est lui aussi très dégradé et n’est pas spécifiquement dédié au transport des personnes. Son exploitation est assurée par l’Office National des Transports (ONATRA), confronté à diverses difficultés dont les principales sont la vétusté et l’insuffisance de son matériel, la spoliation de son domaine foncier par les constructions illégales, la fraude, etc.
58Le matériel ferroviaire est lui aussi en très mauvais état. Malgré cela l’ONATRA assure deux ou trois Aller-Retour/jour entre l’aéroport et la gare centrale et de Ndjili Brasserie (Rifflart) à la gare centrale. Le réseau permet un accès au centre des affaires, à la zone commerciale et à la zone portuaire de la Gombe ; son tracé est favorable à la desserte de la partie est de la ville.
59Les conditions de transport sont très pénibles à Kinshasa. Vu l’étendue de la ville et l’importance de sa population, l’avenir passe par un système de transport en site propre à grande capacité.
60Les capacités théoriques de production d’eau potable sont de 396 000 m3/jour dont 55 % sont fournis par l’usine de la Ndjili. La Regideso annonce avoir livré 140 millions de m3/an en 2003 et 2004. Sur ces bases la disponibilité théorique par habitant est d’environ 65 l/j/habitant. Les normes de qualité sont habituellement respectées.
61La mise en place d’une troisième unité de production (110 000 m3/jour) est prévue sur la Ndjili, dans le cadre du Projet Multisectoriel d’Urgence de Réhabilitation et de Reconstruction (PMURR, Kinshasa). Cette option est discutable, la qualité de la ressource étant mauvaise (le bassin de la Ndjili est fortement urbanisé) et les besoins se situant en périphérie de l’agglomération.
Tableau 2 - Évolution des modes d’alimentation domestique en eau potable (IGIP, 2005)
(Sources : OTUI, 1989 ; IGIP, 2005)
62L’enquête effectuée par le BCEOM apporte une vision moins optimiste : 25 % de la population n’auraient pas accès au réseau (soit 1,5 million habitants).
63Une étude plus fine des moyens d’alimentation évalue à au moins 50 % la proportion de la population qui se fournit en eau par des puits, des rivières et des sources dans les communes de Kimbanseke, Mont Ngafula et Nsele. Cette proportion est supérieure à 20 % à Selembao et Kisenso. Les puits sont peu profonds et exploitent une nappe superficielle toujours polluée, les rejets de la vie domestique se faisant dans la parcelle. On a peu de renseignements qualitatifs sur les eaux des puits et des cours d’eau. Une étude menée à Kinshasa en 1997 (Luboya Kasongo Muteba, 1998) sur 3 rivières donne quelques renseignements qui confirment le haut degré de pollution des eaux.
64Du point de vue physico-chimique, les eaux de rivière sont caractérisées par un taux élevé de turbidité en saison des pluies. Une turbidité importante est préjudiciable à la qualité de l’eau. Elle peut mettre les micro-organismes à l’abri de la désinfection, stimuler la croissance bactérienne. Ajoutons qu’une turbidité élevée est également nuisible à la bonne marche des appareillages de pompage et de traitement.
65Le pH moyen des rivières varie aussi en fonction de la saison : autour de 6,6 en février (saison des pluies), il dépasse 7 en juin (saison sèche).
66La teneur en nitrates est relativement faible (1,5 à 5,6 mg/l). Le taux de nitrite varie de 0,022 mg/l à 0,280 mg/l. Les phosphates sont partout présents avec des taux variant en fonction de l’urbanisation du bassin versant.
67La pollution biologique est partout présente. Le choléra sévit chaque année à Kinshasa et la ville subit également des épidémies de typhoïde.
68Par rapport à la facturation, la consommation domestique par habitant varie considérablement selon la localisation (tabl. 3).
69On notera d’abord la faiblesse de la facturation (27 l/j/hab) par rapport à la production (65 l/j/hab). Les fuites du réseau n’en expliquent qu’une partie. Le recouvrement est très insuffisant : la moitié des compteurs sont hors de service (facturation au forfait) et une partie importante de la population refuse le paiement des factures.
70La Regideso distingue ses clients industriels et commerçants de ses clients domestiques. Sur la base des chiffres 2004, la quantité totale d’eau potable délivrée aux industriels à Kinshasa s’élève à 2,3 millions de m3. Cette quantité n’a pas changé de façon significative depuis 1993, après une chute considérable des ventes d’eau (en 1991, la Regideso fournissait encore 4,2 millions m3/an à l’industrie) (IGIP, 2005). Cette chute correspond aux pillages qui ont détruit le tissu productif de la capitale. Huit gros consommateurs absorbent 65 % des ventes aux industries :
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Bralima, Bracongo : brasseries
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Grand Hôtel, Memling : hôtels
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Marsavco, Nova products : huilerie, savonnerie
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Tabacongo : manufacture de cigarettes
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Congotex : usine textile
Tableau 3 – Consommation domestique d’eau par habitant selon la localisation
(Source : IGIP, 2005)
71Ces grands consommateurs disposent, en outre, de forages ; ce sont des appoints peu importants, sauf pour Congotex où le forage fournit l’essentiel de la consommation (1 million m3/an).
72La situation, dans le domaine de l’eau potable, a beaucoup changé depuis 30 ans. La capacité de production a triplé (1972 : 120 000 m³/jour), le nombre de branchements a quadruplé (1972 : 54 500) et le réseau s’est considérablement étendu, couvrant les extensions sud (Bumbu, Makala, Ngaba, Selembao), et, à l’Est, Masina et une partie de Kimbanseke.
73Par rapport au passé, on observe donc un effort remarquable pour répondre aux besoins. Cet effort est repris dans les projets en cours (rénovation des conduites principales, adjonction d’une troisième unité de production à Ndjili). Les problèmes d’aujourd’hui sont essentiellement liés à la gestion : entretien du réseau tertiaire, remise en état des branchements (nouveaux compteurs), récupération de la facturation et affectation des recettes.
74Il reste malgré tout environ 1 million de personnes qui n’ont pas accès au réseau. Il s’agit de secteurs collinaires ou, en plaine, lointains (Kisenso, Kimbanseke, Selembao, Mont Ngafula, Nsele). Pour ces secteurs la distribution par le réseau n’est pas forcément la meilleure solution : la mise en place de réseaux locaux alimentés par des forages semble plus efficace et moins coûteuse, à condition de l’accompagner d’un système fiable de gestion des installations.
75La partie la plus ancienne de la ville est équipée en réseaux d’assainissement pluvial qui fonctionnent aujourd’hui en unitaire. Ces réseaux couvrent presque entièrement les zones suivantes :
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Gombe (zone administrative et centre des affaires)
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Anciennes cités : Barumbu, Kinshasa, Lingwala, Kitambo
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Cités planifiées : Ndjili, Matete, Lemba, Kalamu, Bandalungwa
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Nouvelles cités (partiellement) : Kasavubu, Ngiri Ngiri.
76Le centre des affaires et le secteur commercial (grand marché) sont équipés d’un réseau enterré fonctionnant en réseau unitaire. Ailleurs le réseau est à ciel ouvert.
77Les réseaux enterrés des cités planifiées ne sont plus fonctionnels.
78Tous ces ouvrages sont anciens (pour la plupart, ils datent de l’époque coloniale), en mauvais état et peu entretenus.
79Les extensions Sud et Est et les communes périphériques n’ont aucun réseau, sauf en accompagnement des quelques axes routiers qui les traversent.
80Dans les collines, les habitants tentent de protéger leurs parcelles avec divers dispositifs individuels (puisards, fosses), en général peu efficaces.
81L’ensemble de l’espace urbanisé est drainé par une douzaine de rivières qui rejoignent directement le fleuve Congo ou, pour quelques-unes, la rivière Ndjili, elle-même affluent du fleuve. Ces rivières constituent un réseau primaire d’évacuation des eaux pluviales ; elles ne sont pas aménagées, sauf dans leur partie aval pour celles qui drainent la partie la plus ancienne de la ville : Funa, Yolo, Basoko, Bitshakutshaku, Gombe.
82Les déchets solides des bassins versants étant très peu collectés, la majeure partie d’entre eux sont rejetés dans les caniveaux et les cours d’eau. De plus, les érosions des collines fournissent de très importants apports en sable. Enfin, de petits jardins maraîchers sont aussi installés en bordure des cours d’eau. Leur capacité d’évacuation est donc très réduite et les inondations fréquentes en période de pluie.
83La prolifération des déchets et l’absence de collecte et de traitement sont à l’origine de la situation décrite précédemment. La composition et l’abondance des déchets sont en relation avec le niveau socio-écomique des quartiers. Des enquêtes effectuées il y a une vingtaine d’années, il ressort que le sable représente 30 à 40 % des volumes produits (balayage des parcelles). Cette présence importante du sable rend plus difficile d’éventuelles opérations de compostage. Le reste des volumes est surtout constitué de déchets organiques, les emballages - cartons, papier, ferrailles et plastiques - étant peu importants et faisant l’objet d’un recyclage très actif. La production de déchets est estimée à 6 300 m3/jour, soit 2 200 t/jour. Il faut y ajouter environ 1 300 m3/jour de déchets industriels.
84Dans les quartiers les plus denses, des artisans font une collecte à la demande (cette demande concerne moins de 3 % des ménages) mais ils n’ont aucune possibilité de sortir ces déchets de la zone urbanisée. Les déchets sont alors déversés sur des espaces libres et surtout en bordure des rivières. Dans les quartiers moins denses, les déchets organiques sont enfouis dans la parcelle contribuant à la pollution du sol mais aussi à son enrichissement organique qui retentit sur le développement et la typologie de la végétation urbaine. Sur les marchés, les commerçants s’organisent pour évacuer les immondices. Mais leur évacuation hors de l’espace urbanisé reste un problème non résolu. La ville est ponctuée de décharges sauvages.
85Le maraîchage dans les vallées et en périphérie de la ville est un important consommateur d’immondices. Cependant l’ensemble des moyens de collecte n’évacue pas plus de 10 % des déchets produits. “Kin la belle” est devenue “Kin poubelle”.
86L’incidence des déchets sur les infrastructures (voirie et assainissement) est très importante. On a déjà évoqué l’encombrement des lits des rivières et la pollution des eaux. Les réseaux d’assainissement sont aussi victimes de l’accumulation de déchets, les caniveaux se bouchent, les chaussées sont inondées et se dégradent très rapidement. Logiquement la réhabilitation des grands axes de voirie urbaine devrait s’accompagner de la mise en place d’un système permanent de collecte et d’évacuation des déchets, sous peine de voir détruits à plus ou poins brève échéance les ouvrages remis en état.
87Signalons simplement que la plupart des unités de production ne disposent d’aucun système d’élimination ou de traitement de leurs déchets qui rejoignent les décharges sauvages ou sont recyclés par des activités artisanales.
88Les incinérateurs des hôpitaux sont hors d’usage ou d’un fonctionnement aléatoire : hôpitaux, centres de santé et cliniques privées renvoient donc leurs déchets sur les décharges ou, parfois, en brûlent une partie dans leur enceinte ou à proximité. À Kinshasa, en 1997, un seul incinérateur était opérationnel (hôpital St. Joseph à Limete). Depuis, des travaux importants ont été effectués sous l’égide de la Croix Rouge.
89Il paraît indispensable de prendre ce problème en considération à l’occasion des travaux de réhabilitation des établissements hospitaliers. Si l’équipement de tous les établissements sanitaires est impossible, il doit être possible de mettre en place des systèmes de collecte et d’élimination collectifs, gérés par des entreprises spécialisées. C’est une véritable exigence de santé publique.
90Il n’existe aucun système collectif opérationnel de collecte et de traitement des eaux usées. Les secteurs d’habitat de haut standing sont équipés d’installations individuelles : fosses septiques, fosses toutes eaux. Ailleurs, les latrines sont de simples fosses et les eaux usées sont rejetées dans la parcelle ou sur la voie publique.
91La ville de Kinshasa est alimentée en énergie électrique à partir des centrales d’Inga et de Zongo. La puissance installée de ces usines est de 1 850 MW mais, dans leur état actuel, elles ne peuvent la fournir. L’énergie produite à Inga est convoyée par une ligne de 220 kV (longue de 262 km) mise en service en 1972 et aujourd’hui notoirement insuffisante. Deux lignes sont issues de Zongo, l’une de 132 kV, l’autre de 70 kV. L’énergie est reçue sur 8 postes injecteur HT/MT et 22 postes secondaires MT/MT. Trois réseaux de 30, 20 et 6,6 kV cohabitent dans la ville. La plupart des installations travaillent en régime de surcharge.
92La pointe se situe à 410 MW. Elle apparaît le soir entre 18 heures et 21 heures Les consommations industrielles représentent 10 %, et les consommations domestiques 75 %. La Société Nationale d’Électricité (SNEL) compte 633 716 abonnés, soit un taux de desserte d’environ 40 %. L’insuffisance et la vétusté des installations existantes obligent à des délestages, privant d’électricité de nombreux quartiers de la ville plusieurs heures par jour.
93Dans le courant des années 1980, le réseau s’est largement étendu dans les extensions Sud et une partie des extensions Est. Le réseau n’atteint pas les quartiers sud de Kimbanseke ni les extensions récentes de Ngaliema et Mont Ngafula. La consommation basse tension (BT) est en croissance continue (doublement en 12 ans), par contre les consommations haute tension (HT) et moyenne tension (MT) ont subi un coup d’arrêt brutal en 1991 et 1993 (pillages) et stagnent à environ 40 % de la consommation de 1990.
94Comme pour la distribution d’eau, le recouvrement est très partiel et insuffisant. De plus, d’innombrables « piratages » mettent à mal le réseau, qu’il soit aérien ou souterrain. Ces atteintes, tout autant que sa vétusté, le rendent dangereux et on déplore de nombreux accidents d’électrocution, particulièrement en saison des pluies.
95L’énergie domestique est fournie en grande partie par le bois et le charbon de bois. C’est le Bas-Congo qui fournit l’essentiel de la consommation kinoise. Des observations faites par le Groupe de Recherches et d’Échanges Technologiques (GRET) entre 1999 et 2004 chiffrent les apports à 2 500 t/mois par la route de Matadi. Il existe également des apports, non observés, par la route de Sanda (vallée de la Ndjili). Ceux du plateau des Bateke représentent environ 10 % de ceux du Bas-Congo. Kinshasa consomme donc au moins 3 000 t/mois de bois et charbon de bois, récoltés dans un rayon d’une centaine de kilomètres autour de la ville. La fabrication de charbon de bois accompagne souvent les défrichements agricoles, relativement intenses dans ce périmètre.
96Les conséquences environnementales de ces prélèvements sont évidemment négatives et il n’est pas fait grand-chose pour les prévenir. La région se prête pourtant à la mise en place d’une sylviculture à hauts rendements permettant de faire face aux besoins de la grande ville.
97Kinshasa a subi en 30 ans deux grands désastres économiques : la « zaïrianisation » de 1973-1974 et les pillages de 1991 et 1993. Le secteur « formel » des activités ne s’est pas relevé de ces événements destructeurs et aujourd’hui le secteur informel apporte l’essentiel de l’activité économique.
98L’enquête « 1, 2, 3 » (INS, Kinshasa, 2004) apporte les renseignements nouveaux sur la structure de l’emploi qu’on compare ici à ceux d’il y a 30 ans (tabl. 4). On compte 1,6 actif occupé par ménage.
Tableau 4 – Structure de l’emploi en 1975 et en 2005
(Source : INS. Enquête 1, 2, 3. Kinshasa, 2004)
99Le tableau 4 ne demande pas un long commentaire, les chiffres sont éloquents. Face à la dégradation de l’économie, chacun tente de se créer une source de revenu : l’informel est devenu la norme.
100Le chômage, selon la norme du BIT, est peu répandu à Kinshasa : 6,3 %. Ce taux passe à 11,3 % si l’on tient compte des chômeurs « découragés ». Mais ce sont les évaluations du sous-emploi qui donnent la meilleure image du taux d’occupation des Kinois : 74,2 % par rapport à l’ensemble des actifs.
101Les 693 000 emplois du secteur informel appartiennent à 538 000 unités de production se répartissant comme suit :
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commerce : 63,2 %
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artisanat de production : 14,8 %
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services : 12,3 %
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agriculture : 7,5 %
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construction : 2,2 %
102La taille moyenne des entreprises est de 1,1 emploi ; 95 % d’entre elles sont réduites à un seul emploi. L’emploi salarié dans l’informel concerne 75 000 personnes ; près de 50 % des salariés ont des liens de parenté avec leur employeur.
10390 % des nouveaux emplois sont créés par le secteur informel et la moitié des jeunes entrent sur le marché du travail en travaillant pour leur propre compte. 62 % des emplois de l’informel sont détenus par des femmes.
104L’épargne individuelle est le principal mode de financement du capital des entreprises informelles. L’accès au secteur bancaire est quasi inexistant. Cependant il faut noter le rôle des coopératives dans le domaine de la production agricole et celui des circuits de micro crédit dans la restauration.
105La première difficulté à laquelle sont confrontées les entreprises
informelles est le financement de leur activité : pour près de 60 % des entreprises l’accès au crédit est un problème majeur. Secondairement se pose le problème de la concurrence lié à la prolifération des entreprises. Mais l’optimisme est de mise : 73 % des entrepreneurs pensent que leur activité a de l’avenir.
106Essentiel en ce qui concerne l’emploi, le secteur informel pèse aussi économiquement : son chiffre d’affaires annualisé est de 3,2 milliards US $ pour l’année enquêtée. Plus de 79 % de ce chiffre proviennent des activités commerciales. Le secteur informel de la capitale a produit 1,3 milliard US $ de biens et services et un peu plus de 1 milliard US $ de valeur ajoutée, soit 20 % du PIB national 2004 (pour 10 % de la population du pays).
107Enfin il faut noter que le secteur informel est indispensable à tous les ménages : même lorsque l’emploi principal est dans les secteurs public ou formel, c’est l’informel qui contribue majoritairement à la formation des revenus.
108Très touché par les pillages de 1991 et 1993, le secteur formel ne retrouve pas la place qu’il a tenue dans le passé. Il y a 30 ans, Kinshasa était encore une des plus grandes villes industrielles d’Afrique au Sud du Sahara. Aujourd’hui, il n’en reste pas grand-chose. Le nombre des emplois est divisé par 2 quand la population totale est multipliée par 4 !
109Les industries manufacturières et l’agro-alimentaire fournissent 26 % des emplois formels tandis que le commerce et les services en procurent 68 %. Les secteurs de la construction et du génie civil, en principe gros employeurs de main-d’œuvre, sont particulièrement sinistrés.
110Ils concernent l’administration et les entreprises publiques. Leur importance relative est passée de 29 % en 1975 à 17 % en 2004. Les emplois publics concernent une majorité de cadres. Si les salaires sont relativement élevés dans les entreprises publiques, ils sont très faibles dans l’administration et payés de façon très irrégulière. Aujourd’hui, il n’est pas bon d’être fonctionnaire.
11143 % des ménages sont propriétaires de leur logement et 40 % sont locataires. Les 17 % restants sont le plus souvent logés par leur famille.
112Comme on l’a déjà indiqué plus haut l’habitat kinois est presque toujours en parpaings de ciment avec couverture en tôle. 60 % des ménages ont accès à l’électricité mais aujourd’hui, le problème est l’insuffisance de la production et la faiblesse des installations de distribution : Kinshasa vit au rythme des délestages et des pannes. Les coupures peuvent durer plusieurs jours et les variations de tension fragilisent les appareils domestiques.
11355 % des ménages ont un poste de télévision : tout le monde y a donc accès. La télévision, comme dans toutes les villes du monde, est devenue le premier moyen d’information de la population.
11443 % des ménages possèdent un téléphone portable. De plus, d’innombrables « cabines » permettent à tout moment une communication pour l’équivalent de 0,20 US $. C’est une des transformations les plus spectaculaires du genre de vie. Depuis 20 ans, il n’était pratiquement plus possible de communiquer par téléphone à l’intérieur du pays et avec l’étranger. La mise en place, à partir de 2002, des réseaux de téléphonie mobile qui couvrent maintenant toutes les villes (150 villes pour le réseau le plus étendu) a transformé la vie des Congolais. Les activités commerciales, les contacts familiaux profitent de ces équipements qui font beaucoup pour la réunification du territoire.
115Les autres équipements sont rares : 11 % des ménages ont un réfrigérateur, 5 % une voiture.
- 3 C’est le prix de 2 « pistolets », pains d’environ 80 g.
116C’est ici qu’apparaît dans toute sa vérité la pauvreté de la très grande majorité des Kinois. La consommation moyenne annuelle par ménage est de 2 150 US $, ce qui revient à un peu moins de 1 US $ par personne et par jour. Mais pour la moitié des ménages, la consommation annuelle est de 1 555 US $ par an, soit 0,66 US $ par tête et par jour et elle tombe à 0,40 US $ par tête et par jour pour les ménages les plus pauvres (dont 0,22 US $ pour l’alimentation)3.
117En moyenne, 46,2 % de la consommation est consacré à l’alimentation, près de 60 % pour les plus pauvres. Pour ces derniers, le pain et les céréales constituent 32 % de la consommation alimentaire. Sachant que l’essentiel des céréales sont importées, on constate que la survie des Kinois dépend étroitement des apports extérieurs.
118Le second poste de dépense est le logement (23,5 %), suivi des transports (6,7 %).
11980 % du montant de la consommation sont fournis par le secteur informel où se font 95 % des achats. La proximité est le principal motif de choix du lieu d’achat. La multiplicité des points de vente informels et la pauvreté concourent au fractionnement des achats des Kinois qui s’approvisionnent quotidiennement au plus près.
120La solidarité entre les ménages souffre de la dureté des temps : 54 % des ménages n’ont réalisé aucun transfert. Et les ménages kinois reçoivent deux fois plus qu’ils ne donnent : 43 millions US $ contre 21 millions US $. Le solde net des transferts entre la capitale et le milieu rural est négatif : la capitale donne plus qu’elle ne reçoit. Par contre, le solde est positif vis-à-vis de l’étranger : la diaspora congolaise contribue de façon importante à la survie de la capitale.
121Le BEAU a procédé plusieurs fois depuis 1974 à une évaluation des apports vivriers à Kinshasa. Des enquêtes récentes ont été effectuées par le GRET dans le cadre d’une évaluation des conséquences de la remise en état des routes aux environs de la capitale.
122Globalement, il apparaît que Kinshasa dépend de l’étranger pour la moitié des apports vivriers : blé, farine de blé, riz, maïs (en partie), viande congelée, poisson congelé sont totalement fournis par des importations débarquées à Matadi. La remise en état de la route Matadi-Kinshasa a permis des coûts de transport beaucoup moins élevés et les apports n’ont cessé de croître depuis deux années.
123Cette remise en état a été également très favorable à la reprise des expéditions de produits vivriers et de charbon de bois depuis les campagnes du Bas-Congo vers la capitale. La vallée de l’Inkisi est particulièrement concernée par ce commerce. Mais la croissance de la production se fait par simple extension des surfaces cultivées avec des conséquences environnementales négatives.
124À l’Est, la situation est beaucoup moins bonne en raison de l’état désastreux des routes vers le Bandundu. La navigation sur le réseau du Kasaï a en partie suppléé aux insuffisances de la route ; la réouverture de la navigation sur le fleuve concerne les apports en provenance de l’Équateur.
125Les apports nationaux restent cependant très inférieurs aux besoins et n’ont guère varié en tonnage depuis 30 ans (300 000 à 400 000 t/an, essentiellement du manioc). La présence d’un grand marché urbain dans la capitale ne suffit pas à faire évoluer les techniques de production du milieu rural. De plus, les Kasaï se présentent maintenant comme un marché concurrent de la capitale disposant de moyens financiers importants. Désormais la production agricole du Bandundu s’oriente préférentiellement vers cette région.
12692,9 % de la population kinoise de 6 ans et plus a fréquenté l’école : c’est un taux élevé. 70 % des personnes de plus de 15 ans sont alphabétisées en français. La durée moyenne des études est de 8 années, ce qui suppose, pour la plupart des personnes, au moins l’achèvement du cycle primaire.
127Le taux net de scolarisation dans le primaire est de 75 % (80 % en 1975) : une frange très pauvre de la population ne peut plus assurer la scolarisation de ses enfants.
128Kinshasa, capitale et très grande ville, bénéficie d’un statut administratif spécifique de « ville-province ». Elle n’a pas de maire mais un Gouverneur, assisté de 3 Vice-gouverneurs. La ville est subdivisée en 24 communes ayant chacune à leur tête un Bourgmestre et disposant, en tant qu’entité administrative décentralisée, d’une autonomie administrative et financière. On a vu plus haut les disparités de dimensions entre les communes et l’inadaptation de cette structure à la croissance urbaine. Dans l’actuelle période de transition, le personnel de commandement est nommé et non élu. Pour le moment, il n’y a pas de représentants élus de la population.
129Les communes sont réparties en « quartiers », ayant à leur tête un chef de quartier. Il y a 332 quartiers pour l’ensemble de la ville et le quartier est l’unité de vie de la population. C’est au niveau du quartier que se fait la scolarisation primaire et que se situent les centres de santé.
130Les moyens de la ville et des communes sont très réduits et la population n’attend pas grand-chose de l’administration. Les moyens financiers de l’Hôtel de Ville ne sont jamais à la hauteur de ses prévisions. Malgré ses 20 000 employés, la ville n’apporte guère de services à ses habitants.
131Le budget 2004 de la ville était de 12 millions US $ (soit 2 US $ par habitant…) et il n’a été exécuté qu’à 35 %.
132L’entretien des infrastructures de voirie n’est assuré (de façon bien médiocre) que sur les axes les plus importants et les grands équipements dépendant de la ville (marchés) n’en reçoivent aucune aide : ils contribuent sans retour à ses ressources et ne se soutiennent pas eux-mêmes. Tous les travaux de réhabilitation en cours sont financés de l’extérieur et leur entretien n’est pas assuré. La population fait face par elle-même à tous les problèmes que pose une aussi grande agglomération.
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133Comment font les Kinois pour vivre ? Telle est la question que se pose l’observateur extérieur devant la ville en crise. Telle était déjà la question qu’on se posait il y a trente ans.
134Eh bien, ils se débrouillent, déployant une énergie étonnante, manifestant une volonté de vie extrêmement puissante. C’est une perpétuelle lutte pour la vie. Il faut être fort ou malin et savoir endurer. Évidemment les victimes sont nombreuses : enfants non scolarisés, enfants sous-nutris, enfants jetés à la rue sous prétexte de sorcellerie, victimes des accidents, victimes des violences, des gangs armés, des petits et des grands voleurs, victimes de la drogue, du SIDA, du paludisme ou de la typhoïde et de tant d’autres souffrances. Pour y faire face, il faudrait plus d’actions collectives à l’échelle du quartier ou de la commune mais il est encore difficile de fédérer toutes les initiatives. Le service du bien commun est encore à venir.
135En définitive, on observe quelque chose qui se fait, un mode de vie qui se crée. Les initiatives individuelles mises bout à bout finissent par surmonter cet « impossible » toujours décrit dont les limites sont chaque fois reculées. Les efforts de chacun s’additionnent pour faire fonctionner un système. La machine est sans doute mal assemblée. Elle marche mal mais elle marche malgré tout (Pain, 1984).