la vieille amoureuse
par Edouard Papet
« le haut du pavé appartient à ceux qui gagnent des héritages avec
leurs nuits, (...) c’est-à-dire qui passent par la vessie d’une femme
fortunée » (Juvénal. Satires, I 37-39)
Un dessin du peintre néertandais Hendrick Goltzius pose de façon aiguë le problème de l’exclusion du désir sexuel des vieux dans la société moderne qui s’élabore au début du XVIle siècle. Couples mal assortis, vieilles entremetteuses, gitanes burinées et jeunes seigneurs, vieillards amoureux : les thèmes s’enchevêtrent dans la peinture dite de genre, élaborée aux Pays-Bas au sein d’une société bourgeoise.
Au XVIIe siècle en Europe, la vieillesse n’est pas une catégorie des « âges de la vie », ses bornes sont floues et bicéphales : « verte et crue » entre 55 et 70 ans, « décrépite » au-delà. La société oscille entre le respect traditionnel de l’âge et le constat d’inutilité des vieux. La représentation des vieillards est circonscrite à l’alternative cruelle de la dignité institutionnelle ou du ridicule amoureux. Le désir amoureux du vieillard est scandaleux, inconvenant. improbable. Il ne peut passer que par l’entremise des rapports d’argent. La figure du vieillard ridicule et scabreux vient désamorcer la puissance subversive de ce désir.
Cette vieille qui offre l’argent est plus scandaleuse encore. Elle renverse le rapport de séduction généralement admis dans la galanterie, où la femme est « l’objet des feux » et ne saurait être conquérante, à moins d’être magicienne ou sorcière.
Deux fois minoritaire, par l’âge et par le sexe, la vieillarde amoureuse de Goltzius est déviante, subversive et dangereuse. Elle aboutira probablement à ses fins : le galant penche plus vers les pièces d’or que vers le sein de la jeune fille qu’il presse pourtant. Si la morale un peu courte de la composition est claire (vanité de la jeunesse, du comportement masculin, éloge du conformisme amoureux), la vieille de Goltzius renvoie au fantasme de « dissolution » des rapports sociaux fondamentaux : mariage, perpétuation des lignées. Ici la constitution du stéréotype de la vieille ne parvient peut-être pas tout à fait à désamorcer les dangers inhérents à un tel désir.
Aujourd’hui, Barbara Cartland, ses chiens teints en rose et ses « boyfriends » juvéniles est probablement aussi scandaleuse aux yeux des contemporains (et tout aussi évacuée dans le kitsch des tabloïds) que cette vieillarde du début du XVlle siècle.