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Nous n'avons que très peu d'informations sur la tentative d'attentat à la voiture piégée de Times Square de samedi dernier. Qui conduisait le véhicule, qui a organisé l'attentat, quel en était le motif? Pour l'instant, le mystère demeure.
Il est pourtant possible de tirer des leçons du simple fait que c'est arrivé, et que l'attentat a échoué.
1• Une fois de plus, Dick Cheney a tort
Tout d'abord, l'événement discrédite encore davantage la vision du terrorisme de Dick Cheney et de Newt Gingrich -qui estiment que c'est «un acte de guerre» et que, par conséquent, il est imprudent de le combattre comme s'il s'agissait d'un «acte criminel».
Nous ignorons encore si l'attentat à la voiture piégé de samedi était le fait d'une seule personne ou d'une organisation terroriste. Mais, dans un sens, peu importe: que ce soit l'un ou l'autre, la police de New York (et, sans l'ombre d'un doute, bien d'autres acteurs en coulisses, dont les renseignements américains et alliés) n'agirait pas autrement -elle inspecterait tout indice médico-légal, examinerait à la loupe les enregistrements vidéo, interrogerait les témoins et les sources habituelles, vérifierait soigneusement les interceptions électroniques et tout le reste.
Si le terrorisme, sous certaines de ses formes, peut être une campagne militaire, il se manifeste par des actes criminels. Et si l'armée a un rôle à jouer dans la lutte contre les organisations terroristes (voir la guerre en Afghanistan, l'attaque des drones contre les chefs d'al-Qaida au Pakistan, etc.), ces actes sont le plus souvent prévenus, empêchés et sanctionnés grâce aux procédures habituelles d'une force policière bien entraînée et d'organisations de renseignements.
Le Wall Street Journal de lundi recense neuf attentats terroristes déjoués à New York depuis 2002. Dans presque tous les cas, ils ont été empêchés grâce à des arrestations et des informateurs.
De même, de 2001 à 2008, selon des données compilées par le département de la Justice de George W. Bush, des procureurs fédéraux ont condamné 319 terroristes -dont 195 étaient associés à al-Qaida ou d'autres groupes djihadistes- dans des cours d'assises civiles. Seuls trois ont été condamnés par des tribunaux militaires, et deux d'entre eux ont été renvoyés dans leurs pays d'origine, où ils ont été libérés.
2• Une fois de plus, Jane Jacobs avait raison
Dans son livre de 1961 The Death and Life of Great American Cities [La mort et la vie des grandes villes américaines], l'érudite urbaniste autodidacte et activiste Jane Jacobs observait que les trottoirs et leurs utilisateurs étaient des «participants actifs au drame de la civilisation contre la barbarie» (par «barbarie», elle entendait la criminalité) et qu'un trottoir où règne une constante animation est un trottoir sûr, car ceux qui y font des affaires -«les propriétaires naturels de la rue»-gardent un «œil sur la rue».
Jacobs, morte en 2006, n'aurait pas été surprise d'apprendre que ce sont deux vendeurs ambulants qui ont les premiers alerté la police qu'une Nissan Pathfinder suspecte était garée dans la 45e rue, au niveau de Broadway.
Lane Orton et Duane Jackson, deux vétérans invalides de la guerre du Vietnam, salués comme des héros lorsque leur rôle dans l'échec de l'attentat a été révélé, gardent un «œil sur la rue» depuis des années et -comme beaucoup d'autres marchands ambulants- ont fréquemment alerté la police lorsqu'ils étaient témoins d'activités suspectes ou illégales.
Cela peut expliquer pourquoi des endroits animés comme Times Square ne sont pas plus souvent visés par les terroristes. La foule qui les fréquente en fait des cibles tentantes: beaucoup de monde, cela signifie beaucoup de victimes potentielles et une grande couverture médiatique. Mais tous ces gens -surtout ceux qui fréquentent et surveillent la rue en permanence- empêchent de cacher aisément un attentat, et, par conséquent, de le réussir (sujet de recherches pour un sociologue: les attentats terroristes des villes occidentales se produisent-ils plus ou moins souvent dans des endroits fréquentés par de nombreux marchands ambulants?)
3• Les caméras de sécurité sont peut-être acceptables
Comme on l'a beaucoup évoqué, le terroriste de Times Square a pu être filmé par des caméras de surveillance. Quelqu'un a été filmé, en tout cas, s'éloignant du véhicule et regardant furtivement aux alentours. Une personne qui prenait des photos non loin a photographié ce même homme, quelques instants plus tard, remontant Broadway en courant. S'il s'avère être l'auteur de l'attentat, et si les photos aident la police à l'identifier et à le retrouver, l'utilisation -et la cote de popularité- des caméras de sécurité publiques vont certainement monter en flèche.
Un sondage Harris de 2006 montre que deux tiers des Américains voient d'un bon œil l'augmentation de l'utilisation de ce genre de caméras, bien que trois quarts expriment des inquiétudes quant au respect des libertés civiques. À l'époque, plus de 200 villes de 37 états avaient installé des caméras dans des lieux publics -sans compter les caméras de surveillance des infractions routières.
Après les attentats du 11-Septembre, le New York Police Department (NYPD) a déployé un très grand nombre de caméras dans le Lower Manhattan -bien plus de 4.000- selon le modèle du système de surveillance de «l'anneau d'acier» londonien. La ville a récemment reçu une subvention du département de la Sécurité nationale pour installer le même genre de système dans le quartier de Midtown [qui comprend Times Square].
En 2008, la New York Civil Liberties Union [union new-yorkaise pour les libertés civiles] a engagé des poursuites contre le NYPD, exigeant davantage d'informations sur ces caméras -le coût du système, les personnes autorisées à examiner les vidéos, leur durée de conservation et la question de leur destruction. Cela vaut la peine de noter que le procès, encore en instance, ne vise qu'à obtenir des renseignements et non à imposer des restrictions sur le système ou à le supprimer. Ce matin, lorsque je me suis enquis du point de vue de la NYCLU sur les caméras de surveillance en général, une porte-parole m'a répondu: «C'est un sujet compliqué.»
Ces caméras sont probablement appelées à faire partie du décor permanent des villes américaines. Et les citadins (tout comme les touristes) ont sans doute compris que la protection de la vie privée n'est pas chose acquise quand on se promène dans la rue.
Fred Kaplan
Photo: Capture d'écran de la caméra de surveillance montrant la Nissan. REUTERS/New York Police Department
PS: L'article du Wall Street Journal, qui titrait «Le complot manqué était au moins le 11e depuis le 11 Septembre» évoque 10 précédentes tentatives d'attentats terroristes-et non neuf-déjouées «avec l'aide d'informateurs et de renseignements internes». Cependant, l'une des tentatives qu'il cite, l'alerte à l'anthrax de la fin 2001, n'a été ni déjouée, ni définitivement résolue.
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