R. franc, sociol. XXXVIII, 1997, 735-758
Philippe BESNARD
Mariage et suicide : la théorie durkheimienne
de la régulation conjugale à l'épreuve
d'un siècle
On peut considérer l'étude par Durkheim de l'effet du mariage sur la fréquence du suicide comme un (sinon le) point central de son livre. La question est traitée en effet à la fois à propos du suicide égoïste et du suicide anomique et fournit un principe d'unité à l'assise empirique du cadre théorique.
En ce qui concerne le suicide égoïste, Durkheim entend montrer que c'est la société domestique (la vie familiale) et non la société conjugale (le fait d'être marié) qui protège du suicide. Cela le conduit à tenter d'isoler l'effet propre du mariage en raisonnant sur les couples sans enfants et les couples avec enfants. Il n'y parvient qu'imparfaitement faute des données nécessaires. Précisons aussitôt que l'on n'a pas fait mieux depuis. S'il manquait à Durkheim, dans les recensements, la distribution des couples sans enfants et avec enfants selon l'âge, aujourd'hui il nous manque les informations sur les suicidés eux-mêmes.
Le résultat auquel il aboutit est le suivant : les hommes mariés sans enfants se tuent moins que les célibataires, mais bien plus que les hommes mariés avec enfants. Quant aux femmes mariées sans enfants, elles se tuent davantage que les célibataires. Cela prouve bien que ce n'est pas le mariage en lui-même qui protège du suicide : «L'immunité au suicide que présen-
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