A 20 ans, il fut le garde du corps de Léon Trotski ; à 40, il fonda la Fnac ; à 80, il fut condamné pour délit d'initié dans l'affaire Pechiney, l'un des plus gros scandales politico-financiers des années Mitterrand... Entre-temps, il risqua sa vie pendant la guerre d'Espagne, participa à la Résistance, devint millionnaire et s'improvisa même patron de presse. Personnalité flamboyante, amoureux de la révolution autant que des belles décapotables, aussi à l'aise dans une réunion de militants gauchistes qu'à la table d'un conseil d'administration, Max Théret est mort, mercredi 25 février, à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Il avait 96 ans.
Né à Paris le 6 janvier 1913, "Max la menace", comme aimait le surnommer l'un des premiers ministres de Mitterrand, Pierre Bérégovoy, passe son enfance au troisième étage d'un immeuble modeste de Montmartre. "Avec les chiottes sur le palier", précisait-il à ceux qui lui rendaient visite, des décennies plus tard, dans son bel appartement de l'esplanade des Invalides.
Comme la plupart des enfants de sa génération, il est élevé dans le culte du "plus jamais ça", que lui inculque son père, vétéran de 14-18, admirateur d'Aristide Briand et fondateur dans les années 1920 d'une association destinée à favoriser les échanges de jeunes entre la France et l'Allemagne.
La politique sera sa première passion. Et la SFIO son école. C'est au Parti socialiste, auquel il adhère à l'âge de 18 ans, que Max Théret apprend, au prix de quelques cours de judo et d'aïkido, à montrer ses muscles dans les manifestations qui opposent fréquemment la gauche aux fascistes au début des années 1930. C'est là, surtout, qu'il se lie d'amitié avec la poignée de trotskistes qui pratiquent l'"entrisme" au sein des Jeunesses socialistes.
Sa rencontre avec Trotski date de 1934. "Le Vieux", comme le surnomment ses admirateurs, réside à l'époque à Barbizon, au coeur de la forêt de Fontainebleau. Théret fait alors partie des quelques militants qui se relaient nuit et jour pour monter la garde autour de la villa Ker Monique, où le héros de la révolution bolchevique séjourne durant quelques mois. "Pour nous, c'était le pape, (même s'il) acceptait très bien la contradiction", confiera-t-il au Monde en 1994.
Pour le jeune homme, toutefois, la grande cause de ces années-là s'appelle l'Espagne. Il s'y rend une première fois en 1932, un an après la proclamation de la République, et en profite pour adhérer aux Jeunesses socialistes locales. Il y retourne à l'automne 1934, pour soutenir l'insurrection des mineurs des Asturies. Puis à nouveau en 1936, au début de la guerre civile. Il y restera pendant près de deux ans, participant au sein de l'armée républicaine aux combats contre les franquistes.
La "drôle de guerre", par comparaison, sera pour lui une promenade de santé. Mobilisé dans l'infanterie coloniale en septembre 1939, démobilisé au lendemain de l'armistice, il ouvre à Paris, en novembre 1940, un petit atelier de photographie. Le lieu sert en fait d'imprimerie pour Notre révolution, l'une des feuilles clandestines que distribuent les trotskistes sous l'Occupation.
Quelques mois plus tard, il décroche un petit boulot aux PTT. Là encore, il s'agit d'une couverture. Officiellement chargé de réparer les lignes défectueuses au central Anjou-Opéra, il passe en fait le plus clair de son temps à écouter les conversations téléphoniques de quelques personnalités de la collaboration parisienne. Avec pour mission d'en rendre compte à l'un de ses supérieurs, Honoré Farat, membre de la Résistance. Celui-ci saura se montrer reconnaissant. Devenu secrétaire général du ministère des postes et télécommunications, il proposera à Théret de diriger la coopérative des PTT au lendemain de la guerre.
LA GRANDE AVENTURE
A l'époque, Max Théret commence à gagner sa vie. Et à prendre goût au commerce. Passionné de photo, avec un penchant pour ce qu'on appelle alors pudiquement la photo "de charme", il fonde en 1951 une centrale d'achat pour fonctionnaires, qu'il baptise Economie nouvelle. Le principe est simple : mettre en contact des commerçants et des consommateurs en négociant auprès des premiers des remises dont pourront bénéficier les seconds.
En ces années de forte croissance, où les Français découvrent la société de consommation après les privations de l'Occupation et de l'immédiat après-guerre, la recette fait florès. Max Théret s'en inspire pour créer, début 1954, la Fédération nationale d'achat des cadres (Fnac). Dans cette nouvelle aventure, qui sera celle de sa vie, il s'associe avec André Essel (1918-2005), un homme qui a le même parcours militant et dont il a fait la connaissance chez le peintre Fred Zeller, figure historique du mouvement trotskiste et futur grand maître de l'obédience maçonnique du Grand Orient.
Dans l'esprit des fondateurs, le projet se veut commercial autant que politique. "Nous voulions par l'augmentation des salaires améliorer le pouvoir d'achat des travailleurs. Si on leur obtient des réductions de prix, on concourt au même résultat", expliquera André Essel dans ses Mémoires (Je voulais changer le monde, Stock, 1985).
Les remises accordées par les fournisseurs permettent à la Fnac de vendre à des prix inférieurs de 15 % à 40 % à ceux du marché. Le succès sera fulgurant. Après le démarrage dans un appartement de cinq pièces situé au 2e étage du 6, boulevard Sébastopol, au centre de Paris, c'est l'expansion : dès le début des années 1960, un pâté de maisons. Une autre Fnac ouvre avenue de Wagram, près de la place de l'Etoile, en 1968 ; une troisième rue de Rennes, dans le quartier de Montparnasse, en 1974.
L'offre s'est diversifiée : aux appareils photo se sont vite ajoutés téléviseurs, disques, petit électroménager, articles de sport... Les livres, aussi, mais seulement en 1974, et au prix d'un affrontement homérique avec les éditeurs et les libraires, opposés au principe du discount. Quand les fondateurs décident de vendre leurs parts aux coopératives de consommateurs (les "Coop"), en 1977, la Fnac affiche un chiffre d'affaires de 768 millions de francs et emploient près de 2 000 salariés (500, dix ans plus tôt).
A 60 ans passés, Max Théret est à la tête d'une jolie fortune. Il aime l'argent et le distribue facilement. En particulier à ses amis socialistes. Généreux mécène du PS au moment des présidentielles de 1974 et 1981 et des législatives de 1978, il continue de jouer ce rôle après l'élection de François Mitterrand. La gauche, qui rêve d'un grand quotidien populaire, compte sur lui pour racheter France-Soir à Robert Hersant en 1982. L'opération échoue. En 1985, Max Théret est mis à contribution pour sauver Le Matin de Paris. Il en sera le PDG pendant un an. Pour le quotidien fondé en 1977 par Claude Perdriel, ce n'est toutefois qu'un sursis. En janvier 1988, Le Matin de Paris est mis en liquidation.
LE SCANDALE PECHINEY
Le vent commence à tourner pour Max Théret. A l'automne 1988, il achète 32 000 actions de Triangle Industries, la société mère d'American National Can (ANC), dans la semaine précédant le rachat de ce puissant groupe d'emballage par Pechiney. Sa plus-value avoisine les 9 millions de francs. La Commission des opérations de Bourse (COB) parle de délit d'initié.
L'affaire devient politique quand Max Théret est suspecté d'avoir mêlé à l'opération l'un des proches de François Mitterrand, Roger-Patrice Pelat. Le feuilleton judiciaire durera plusieurs années. Max Théret écopera en septembre 1993 de deux ans de prison avec sursis et d'une amende de 2,5 millions de francs pour recel de délit d'initié. Condamnation qui sera confirmée neuf mois plus tard en appel. "C'est chiant, ce procès, mais j'ai connu bien pire", confiait-il alors en évoquant avec une pointe de fierté les deux balles qu'il avait reçues dans la jambe gauche pendant la guerre d'Espagne.
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