Fortin c. Arpenteurs-géomètres (Ordre professionnel des), 2024 QCTP 57 (CanLII)
Fortin c. Arpenteurs-géomètres (Ordre professionnel des) |
2024 QCTP 57 |
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TRIBUNAL DES PROFESSIONS |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
GATINEAU |
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N°: |
550-07-000085-232 |
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DATE : |
Le 26 septembre 2024 |
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CORAM : |
LES HONORABLES |
JEAN ASSELIN, J.C.Q. GILLES LAREAU, J.C.Q. SUZANNE COSTOM, J.C.Q. |
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MICHEL FORTIN |
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APPELANT |
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c. |
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RÉJEAN GINGRAS, en qualité de syndic adjoint de l’Ordre des arpenteurs-géomètres |
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du Québec |
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INTIMÉ |
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MÉLANIE ASSELIN, en qualité de secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des |
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arpenteurs-géomètres |
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MISE EN CAUSE |
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JUGEMENT |
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APERCU
[1] M. Michel Fortin, arpenteur-géomètre (l’appelant) a fait l’objet d’une plainte disciplinaire comportant 10 chefs d’accusation déposée par M. Réjean Gingras, en qualité de syndic adjoint (l’intimé). Les accusations proviennent de trois différents dossiers d’enquête et consistent en six accusations pour avoir fait défaut de répondre à des lettres du syndic dans les délais déterminés contrevenant ainsi à l’article 4.02.03 du Code de déontologie des arpenteurs-géomètres[1] (Code de déontologie), et en quatre accusations pour avoir entravé l’enquête du syndic, enfreignant l’article 114 du Code des professions[2] (C. prof.).
[2] Le 6 mai 2022, le Conseil de discipline de l’Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec (le Conseil) rend une décision sur culpabilité[3] qui le trouve coupable sur certains chefs[4] et l’acquitte pour certains autres[5].
[3] Le 9 août 2023, l’appelant se pourvoit uniquement de la décision sur sanction[6] rendue par le Conseil, le 5 juillet 2023, qui lui impose les sanctions suivantes :
Chef 4: Une radiation temporaire de deux mois;
Chef 5 : Une amende de 5 000$;
Chef 8 : Une amende de 5 000$;
Chef 10 : Une radiation temporaire de trois mois (purgée de façon concurrente avec la période de radiation ordonnée sur le chef 4).
[4] Lors de l’audition de l’appel devant le présent Tribunal, qui a eu lieu le 24 mai 2024, l’appelant a été autorisé à amender les conclusions de sa déclaration d’appel et de son mémoire afin d’ajouter une demande d’infirmer le verdict sur les chefs 1 et 8[7] de la décision sur culpabilité rendue par le Conseil.
[5] L'appelant formule ainsi les deux moyens au soutien de son appel :
a) Invoquant les principes énoncés dans l’arrêt Kienapple[8], l’appelant affirme que le Conseil a erré en imposant deux sanctions pour la même infraction. En conséquence, il propose au Tribunal d’intervenir afin de prononcer une suspension conditionnelle des procédures sur deux des chefs pour lesquels il a été reconnu coupable.
b) L’appelant soumet que le Conseil a erré dans la détermination des sanctions imposées. Il invite le Tribunal à annuler les périodes de radiation et à imposer des amendes moins élevées pour chacun des chefs d'accusation pour lesquels il doit recevoir une sanction.
CONTEXTE
[6] Le 16 juin 2020, l’intimé transmet une lettre[9] à l’appelant dans laquelle il formule des questions relatives aux dossiers d’enquête 4729, 4989 et 5082. L’intimé demande à l’appelant de répondre par écrit à toutes les questions et de lui transmettre tous les documents appuyant ses réponses « d’ici le 17 juillet 2020 »[10].
[7] Il convient de souligner qu’antérieurement au 16 juin 2020, plusieurs correspondances avaient déjà été échangées entre l'appelant et l'intimé au sujet des trois dossiers d'enquête et le Tribunal comprend que la lettre du 16 juin 2020 avait pour but d’obtenir d’autres renseignements.
[8] Dans les mois qui ont suivi la transmission de la lettre du 16 juin 2020, les parties ont continué à échanger de la correspondance.
[9] Insatisfait des réponses, l'intimé dépose, le 8 mars 2021, une plainte[11] comprenant 10 chefs d’accusation découlant des 3 dossiers d’enquête.
➢ Dossier d’enquête 4729 (chefs 1 et 4)
[10] Les deux chefs d’infraction liés à ce dossier d’enquête pour lesquels l’appelant a été reconnu coupable sont libellés ainsi :
1. Depuis le 26 août 2020, fait défaut de répondre, dans les délais déterminés, à une lettre de monsieur Réjean Gingras, a.-g., alors syndic, datée du 12 août 2020, contrevenant ainsi à l’article 4.02.03 du Code de déontologie des arpenteurs-géomètres (chapitre A-23, r. 3);
[…]
4. Depuis le 26 août 2020, entrave l’enquête de monsieur Réjean Gingras, a.-g., alors syndic, en omettant de répondre et de fournir les preuves et documents requis par ce dernier dans une lettre datée du 12 août 2020, contrevenant ainsi à l’article 114 du Code des professions (chapitre C-26 et amendements);[12]
[11] Le 12 août 2020, l’intimé fait parvenir une lettre à l’appelant pour lui demander de fournir, avant le 26 août 2020, des informations concernant neuf dossiers de bornage. Le 26 août arrive et d’autres courriers sont échangés, mais la lettre reste finalement sans réponse.
[12] Sur la base de ces faits, le Conseil déclare l'appelant coupable des deux chefs d'accusation, constatant que les faits soutenant les deux infractions sont les mêmes[13].
[13] Le Conseil ajoute ce qui suit en ce qui concerne le chef d’entrave:
[68] N’ayant jamais répondu au plaignant, et ce, même après la réception de la plainte disciplinaire ni même au moment de l’audition, l’intimé empêche ce dernier d’analyser les neuf dossiers de bornage pour vérifier le bien-fondé de ses inquiétudes, et ce dans l’optique de remplir sa mission de protection du public.[14]
[14] Les faits relatés dans la décision sur culpabilité font effectivement état du défaut de l'appelant de répondre à la demande du syndic dans les délais prescrits[15], ainsi que de son défaut continu de fournir les renseignements que le syndic juge nécessaires à son enquête[16].
➢ Dossier d’enquête 4989 (chef 5)
[15] Ce chef d'accusation est libellé comme suit :
5. Le 17 juillet 2020, a fait défaut de répondre, dans les délais déterminés, à une lettre datée du 16 juin 2020 de monsieur Réjean Gingras, a.-g., alors syndic, contrevenant ainsi à l'article 4.02.03 du Code de déontologie des arpenteurs-géomètres (chapitre A-23, r. 3);[17]
Bref résumé des faits
[16] Dans sa lettre du 16 juin 2020, l'appelant avait jusqu'au 17 juillet pour fournir des informations relatives à cette enquête.
[17] Aucune réponse de l’appelant n'est fournie à l’intimé dans ce délai.
[18] Compte tenu de ce manquement, le Conseil déclare l’appelant coupable de ce chef d'infraction.
➢ Dossier d’enquête 5082 (chefs 8 et 10)
[19] Les accusations en lien avec ce dossier d’enquête se lisent comme suit :
8. Le 17 juillet 2020, a fait défaut de répondre, dans les délais déterminés, à une lettre datée du 16 juin 2020 de monsieur Réjean Gingras, a.-g., alors syndic, contrevenant ainsi à l’article 4.02.03 du Code de déontologie des arpenteurs-géomètres (chapitre A-23, r. 3);
[…]
10. Depuis le 17 juillet 2020, entrave l’enquête de monsieur Réjean Gingras, a.-g., alors syndic, en omettant de répondre et de fournir les preuves et documents requis par ce dernier dans les lettres datées du 16 juin 2020, du 10 août 2020, du 18 août 2020 et du 17 septembre 2020, contrevenant ainsi à l’article 114 du Code des professions (chapitre C-26 et amendements).[18]
Bref résumé des faits
[20] Les faits relatifs à la déclaration de culpabilité pour l'infraction mentionnée au chef 8 sont identiques à ceux décrits au paragraphe 17 mais concernent le dossier d'enquête 5082. La lettre du 16 juin 2020 portait sur plusieurs dossiers d'enquête et les informations demandées concernant le dossier 4989 et le dossier 5082 ne sont pas fournies dans le délai imparti, soit le 17 juillet 2020.
[21] En conséquence, sous le chef 8, le Conseil déclare l’appelant coupable à l’égard de l’infraction fondée sur l’article 4.02.03 du Code de déontologie.
[22] Quant au chef d’accusation 10, il couvre le défaut initial de fournir une réponse dans le délai prescrit ainsi que les échanges subséquents entre l’appelant et l’intimé, qui n’a pas fourni de réponses complètes et satisfaisantes.
[23] En définitive, le Conseil conclut que l’appelant n’a jamais répondu ou fourni de documents à l’appui de la question 7 de la lettre du 16 juin 2020, n’a jamais répondu aux lettres du 10 et du 18 août 2020 ou du 17 septembre 2020 et n’a jamais fourni tous les renseignements demandés dans le cadre de cette enquête, et ce, même en date de l’audition sur la culpabilité[19].
ANALYSE
QUESTION 1 – Est-ce que le Conseil a erré en imposant deux sanctions pour la même infraction?
La norme d’intervention
[24] L’appelant allègue que le Conseil a enfreint les principes énoncés dans l’arrêt Kienapple[20] interdisant des condamnations multiples, et devrait en conséquence infirmer la déclaration de culpabilité et suspendre les procédures sur les chefs 1 et 8 qui visent les mêmes comportements que les chefs 4 et 10.
[25] La portée de la règle interdisant les condamnations multiples pour les mêmes faits est abordée par la Cour d’appel du Québec dans Anderson c. Monty[21] comme suit :
[61] Le droit disciplinaire n'interdit pas une forme de rédaction qui consiste à rattacher les faits constituant le chef d'infraction à plusieurs normes déontologiques. Il suffit que la formulation limite précisément le comportement blâmable de sorte que la personne dont la conduite est en cause soit en mesure de connaître les faits précis qu'on lui reproche et la substance des normes auxquelles on prétend qu'elle a contrevenues. Lorsqu'un même comportement blâmable transgresse à la fois plusieurs normes déontologiques, un Comité de discipline doit éviter qu'une action répréhensible n'entraîne une double condamnation selon la règle énoncée dans l'arrêt Kienapple c. La Reine.
[62] Le principe, établi par la Cour suprême dans cet arrêt, interdit les déclarations de culpabilité multiples en présence des mêmes faits. Ce principe a été retenu et appliqué par la jurisprudence en droit disciplinaire où il trouve également toute sa pertinence.
[références omises]
[26] L'erreur alléguée est une erreur de droit[22]. En conséquence, c’est la norme d’intervention de la décision correcte qui s’applique[23].
Application
La demande d’amendement de l’avis d’appel
[27] Il est bien établi que la règle interdisant les condamnations multiples pour les mêmes faits s’applique en droit disciplinaire[24].
[28] C’est au moment où le Conseil se prononce sur la culpabilité qu'il y a lieu d'appliquer cette règle[25]. Comme le souligne l’intimé dans son mémoire, l’appelant n’a jamais soulevé l’argument des condamnations multiples devant le Conseil, ni à l’audition sur culpabilité ni à l’audition sur sanction.
[29] Qui plus est, le Tribunal n’était à l’origine saisi que d’un appel de la décision sur sanction. Si l’appelant jugeait que le Conseil aurait dû prononcer des suspensions conditionnelles sur certains chefs au lieu de le déclarer coupable, il aurait dû interjeter appel de la décision sur culpabilité.
[30] Le Tribunal a fait remarquer ce fait lors de l'audience de l’appel et a demandé expressément à l'appelant s'il cherchait l'autorisation de modifier sa déclaration d'appel et son mémoire. À la suite de l’intervention du Tribunal à cet effet, l’appelant a effectivement sollicité la permission d’amender les conclusions de sa déclaration d’appel et son mémoire pour y ajouter un appel sur les chefs 1 et 8 de la déclaration de culpabilité.
[31] L'intimé s'est opposé à cette demande d’amendement, tout en reconnaissant qu'il ne subirait aucun préjudice étant donné qu'il a traité la question des condamnations multiples dans son mémoire. Il a cependant maintenu son objection à l'amendement au nom d'une saine administration de la justice.
[32] Le Tribunal a autorisé l'amendement afin de ne pas être empêché d’examiner l'argument de l’appelant pour des raisons procédurales.
Y a-t-il eu violation de la règle interdisant les condamnations multiples pour les mêmes faits?
[33] Le Tribunal souligne qu'il n'est pas en possession des transcriptions d'audience ni des pièces. Cela limite considérablement son champ d'analyse. Comme l'a expliqué le Tribunal dans un autre contexte :
[23] Les professionnels n'ont déposé aucun extrait des notes sténographiques de l'audition ni aucun extrait de la preuve documentaire administrée devant le Conseil. Cette omission des professionnels est « un obstacle au type de révision et d'intervention » réclamé. En effet, le Tribunal ne dispose d'aucun élément lui permettant d'apprécier à nouveau les témoignages rendus et les documents déposés.
[24] Les conclusions factuelles du Conseil ne peuvent donc être remises en question au stade de l'appel. Le pouvoir d'intervention du Tribunal est d'autant plus limité dans ces circonstances.[26]
[références omises]
[34] L'appelant plaide que le Tribunal n'a pas besoin du dossier complet pour répondre à son argument et qu'il suffirait de se baser sur le paragraphe 51 de la décision sur la culpabilité[27] qui se lit comme suit :
[51] Le Conseil analyse les chefs 1 et 4 ensemble, les faits soutenant chacun d'eux étant les mêmes.
[35] Toutefois, l’interprétation à donner à ce paragraphe n'a pas la signification que l’appelant lui attribue. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, la décision sur culpabilité indique clairement que si les faits à l'origine des infractions sur les chefs 1 et 4 proviennent de la lettre du 12 août 2020, le chef 4 couvre une période plus étendue, dépassant la simple absence de réponse à la lettre.
[36] De même, le chef 8 concerne uniquement le défaut de réponse de l'appelant à la lettre du syndic du 16 juin 2020, tandis que le libellé même du chef 10 indique clairement qu'il découle de cette lettre ainsi que de trois lettres subséquentes datées des 10 août, 18 août et 17 septembre 2020.
[37] Pour toutes ces raisons, ce moyen doit être rejeté.
➢
QUESTION 2 – Est-ce que le Conseil a erré dans la détermination des sanctions imposées à l’appelant?
La norme d’intervention
[38] La norme d’intervention en matière de sanction coïncide avec celle applicable aux peines criminelles. Le Tribunal ne peut intervenir sauf si le Conseil a commis une erreur de droit ou une erreur de principe ayant une incidence sur la peine, ou si la peine est manifestement non indiquée[28].
[39] Dans Terjanian c. Lafleur[29], la Cour d’appel du Québec décrit ainsi les limites du pouvoir d’intervention du Tribunal des professions comme suit :
[34] En matière de sanction disciplinaire, la norme propre à l'appel s'apparente à celle qui s'applique en matière d'appel sur la peine. L'intervention du Tribunal des professions est « particulièrement circonscrite » et « la non-intervention est la règle en matière de sanction à moins que ne soient prouvées de sérieuses lacunes dans l'exercice de sa discrétion par le Comité de discipline ».
[35] Conséquemment, une sanction sévère peut demeurer indiquée, à moins d'être « si sévère [...], qu'elle est injuste ou inadéquate eu égard à la gravité de l'infraction et à l'ensemble des circonstances, atténuantes et aggravantes, du dossier ».
[36] En somme, l'intervention du Tribunal des professions ne sera justifiée qu'en présence d'une erreur de principe, d'une omission de prendre en considération un facteur pertinent ou d'une trop grande insistance sur un autre facteur ayant eu une incidence sur la détermination de la sanction ou si la sanction est manifestement non indiquée, c'est-à-dire qu'elle s'écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des fautes similaires. Autrement, il devra faire preuve de déférence envers la décision du Conseil de discipline, son rôle n'étant pas celui de pondérer à nouveau les éléments considérés par ce dernier.
[références omises, caractères gras ajoutés]
[40] Ce sont les enseignements qui vont guider le Tribunal en l’espèce.
Application
[41] L'argumentation de l'appelant concernant ce moyen d'appel recoupe l'argumentation avancée à l'appui de son premier moyen d'appel. L’appelant se limite à plaider qu'étant donné que le comportement à l'origine des condamnations pour les chefs d'accusation 1 et 4 est « identique », il est illogique qu'il ait reçu une amende pour le chef 1 et une radiation pour le chef 4[30]. Il fait valoir le même argument en ce qui concerne les chefs 8 et 10. Il demande donc au Tribunal de remplacer les radiations provisoires prononcées sur les chefs 4 et 10 par des amendes.
[42] En ce qui concerne le chef 5, il fait valoir que « le retard qui lui est reproché en ce qui concerne le Chef 4 est de 26 mois, alors qu’il n’est que d’un mois pour le Chef 5, ce qui aurait dû mériter une amende inférieure à celle de 5 000$ que le Conseil lui a imposée pour ce dernier chef; »[31].
[43] Il affirme que toutes les amendes devraient être inférieures à celles imposées par le Conseil.
Qu’en est-il?
Chefs 1 et 4, chefs 8 et 10
[44] Le Tribunal a déjà distingué le comportement qui sous-tend le verdict de culpabilité au chef 1 de celui à la base du chef 4. Il y a également une différence entre le comportement qui justifie la décision de reconnaître l’appelant coupable sur le chef 8 et celui qui explique le verdict sur le chef 10.
[45] De plus, même si le Tribunal reconnaît que les comportements visés par les chefs 1 et 4, d’une part, ainsi que celui visé par les chefs 8 et 10, d’autre part, ont des similitudes, cela ne signifie pas que la gravité des infractions est équivalente. Le Tribunal souligne que les chefs 1 et 8 portent sur des violations du Code de déontologie des arpenteurs-géomètres alors que les chefs 4 et 10 reprochent à l’appelant d’avoir entravé le travail du syndic, contrevenant ainsi à l’article 114 du Code des professions. Les dispositions de rattachement pour les deux catégories d’infractions ne sont pas les mêmes.
[46] En effet, la jurisprudence de ce Tribunal[32], citée par le Conseil dans la décision sur sanction[33], souligne la gravité objective très élevée d’entrave au travail du syndic:
[122] Le devoir de collaboration du professionnel est essentiel au bon fonctionnement du système professionnel mis en place par le Code des professions. L'entrave au travail du syndic est une faute déontologique grave et je fais miens les propos énoncés par une autre formation du Tribunal des professions dans l'affaire Coutu c. Pharmaciens à ce sujet :
[83] Le Comité a raison d'affirmer qu'une entrave à l'enquête d'un syndic est une infraction grave. Le syndic d'un ordre professionnel participe à la principale fonction de son ordre qui est la protection du public, comme le précise l'article 23 C. prof. Un professionnel qui entrave l'enquête du syndic, empêche par le fait même celui-ci de mener à terme cette enquête et, conséquemment, de veiller à la protection du public.
[84] Compte tenu de la gravité objective d'une telle infraction, ce n'est que dans des cas exceptionnels, dont ne fait pas partie celui de l'appelant, que la réprimande sera retenue comme sanction.
[47] Qui plus est, le Tribunal a déjà observé que la gravité de l’infraction d’entrave est plus grande que celle d’avoir fait défaut de répondre à une demande du syndic dans les meilleurs délais[34].
[48] C’est donc à juste titre que le Conseil statue comme suit :
[87] Il y a lieu de préciser que la gravité de l’infraction d’entrave prévue au Code des professions est plus grande que celle du défaut de répondre décrite dans le Code de déontologie. Ceci étant, bien que chacune de ces infractions milite pour une sanction dissuasive et exemplaire, l’infraction d’entrave mérite une sanction plus sévère.[35]
[49] À la lumière de ce qui précède, l'argument de l'appelant selon lequel il existe des incohérences ou des contradictions internes entre les sanctions prononcées par le Conseil doit être rejeté.
Chef 5
[50] Il convient de rappeler que l’argument avancé par l'appelant se résume en une analyse comparative de la gravité des omissions reprochées aux chefs 4 et 5 et que, suivant sa prétention, le Conseil aurait dû imposer une amende inférieure à 5 000 $ sur le chef 5.
[51] Le Tribunal ne peut souscrire à cet argument. Le chef 5 concerne une violation de l’article 4.02.03 du Code de déontologie des arpenteurs-géomètres pour laquelle le Conseil impose une amende de 5 000 $. Quant au chef 4, il constitue une condamnation pour entrave au travail du syndic, contrairement à l’article 114 du Code des professions, pour laquelle le Conseil prononce une radiation temporaire de deux mois. Les sanctions concernent donc deux infractions différentes. En outre, la nature intrinsèquement différente des deux sanctions - dans un cas une amende et dans l'autre une interdiction temporaire d'exercer sa profession - ne se prête pas à une analyse comparative.
[52] De plus, l’appelant fonde son argument sur le fait que le retard qui lui est reproché en ce qui concerne le chef 4 est de 26 mois alors qu’il n’est que d’un mois pour le chef 5. Ce facteur n'est qu'un des nombreux éléments examinés par le Conseil pour évaluer la gravité objective et subjective des infractions et déterminer la sanction appropriée. Il ne peut être isolé ou apprécié en vase clos.
[53] De plus, le Tribunal ne peut pas intervenir simplement parce qu'il aurait accordé un poids différent aux facteurs pertinents pour la sanction.
[54] Il convient de rappeler le rôle du Tribunal lors d'un appel d'une décision sur sanction:
[49] Pour les mêmes raisons, une cour d’appel ne peut intervenir simplement parce qu’elle aurait attribué un poids différent aux facteurs pertinents. En effet, dans Nasogaluak, le juge LeBel se réfère à l’arrêt R. c. McKnight, à cet égard:
[TRADUCTION] Suggérer que le juge de première instance a commis une erreur de principe parce que, de l’avis du tribunal d’appel, il a accordé trop de poids à un facteur pertinent ou trop peu à un autre équivaut à faire fi de toute déférence. La pondération des facteurs pertinents, le processus de mise en balance, voilà l’objet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire. La déférence dont il faut faire preuve à l’égard des décisions prises par le juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire commande qu’on évalue la façon dont il a soupesé ou mis en balance les différents facteurs au regard de la norme de contrôle de la raisonnabilité. Ce n’est que si le juge du procès a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre, que le tribunal d’appel pourra modifier la peine au motif que le juge a commis une erreur de principe. [par. 46][36]
[référence omise]
[55] En définitive, l’appelant n’a pas identifié d’erreur permettant l’intervention du Tribunal.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
[69] REJETTE l’appel sur la décision sur culpabilité;
[70] REJETTE l’appel sur la décision sur sanction;
[71] CONDAMNE l’appelant au paiement des déboursés.
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Me Jean-Philippe Fortin |
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BÉLANGER SAUVÉ, SENCRL |
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Pour l'appelant |
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Me Caroline Gagnon |
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JURISOLUTIONS CHAMPLAIN INC. |
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Pour l'intimé |
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Me Mélanie Asselin |
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Secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec |
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Mise en cause |
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Date d'audience :
C.D. No: |
24 mai 2024
04-2021-000510
Décision sur culpabilité rendue le 6 mai 2022 Décision sur sanction rendue le 5 juillet 2023 |
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[3] Décision sur culpabilité, D.C., vol. 2, p. 196.
[4] Il s’agit des chefs 1, 4, 5, 8 et 10 : Trois chefs d’infraction pour avoir contrevenu à l’article 4.02.03 du Code de déontologie des arpenteurs-géomètres et deux chefs d’infraction pour entrave en vertu de l’article 114 du Code des professions.
[5] Les chefs 2, 3, 6, 7 et 9.
[6] Décision sur sanction, D.C., vol. 2, p. 245.
[7] En fait, c'est le Tribunal qui a abordé l’idée que l'appelant amende verbalement sa déclaration d'appel afin de garantir que l'examen du bien-fondé de son appel ne soit pas entravé par des motifs procéduraux.
[8] Kienapple c. R., 1974 CanLII 14 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 729.
[9] D.C., vol. 1, p. 23, par. 25.
[10] Id., p. 23, par. 27.
[11] Id., p. 110.
[12] D.C. vol. 1, p. 111.
[13] Id., p. 30, par. 51.
[14] Id., p. 33, par. 68.
[15] Id., p. 30 et 31, par. 52 à 56.
[16] Id., p. 33, par. 68 et 69.
[17] D.C., vol. 1, p. 111.
[18] Id., p. 112.
[19] D.C., vol. 2, p. 203-208.
[20] Kienapple c. R., préc., note 8.
[21] Anderson c. Monty, 2006 QCCA 595. Voir aussi Jarry c. Copti, 2023 QCCS 298, par. 29 et 30.
[22] L’appelant n'a pas précisé la nature de l'erreur alléguée dans son mémoire. L’intimé, quant à lui, l'a qualifiée d'erreur de droit. Le Tribunal partage cette appréciation. Voir Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, par. 43.
[23] Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, par. 30; Psychologues (Ordre professionnel des) c. Vallières, 2018 QCTP 121.
[24] Anderson c. Monty, préc., note 21, par. 61-63; Psychologues (Ordre professionnel des) c. Vallières, 2018 QCTP 121, par. 155.
[25] Leduc c. Médecins (Ordre professionnel des), 2008 QCTP 90.
[26] Levi c. Comptables professionnels agréés (Ordre des), 2017 QCTP 78. (Pourvoi en contrôle judiciaire rejeté, Levi c. Tribunal des professions, 2019 QCCS 2383).
[27] D.C., vol. 1, p. 30.
[28] Mercure c. Avocats (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 56, par. 32-42.
[29] Terjanian c. Lafleur, 2019 QCCA 230.
[30] Il est à noter que ceci constitue le seul reproche avancé par l’appelant. En conséquence, l’analyse du Tribunal se limitera à répondre à cet argument.
[31] Mémoire de l’appelant, « Partie III - Les arguments », p. 15, par. 54.
[32] Serra c. Médecins (Ordre professionnel des), 2021 QCTP 1.
[33] D.C., vol. 1, p. 86, par. 86.
[34] Gardiner c. Médecins (Ordre professionnel des), 2019 QCTP 12, par. 21. Dans cette dernière décision, le Tribunal note que la gravité de l’infraction d’entrave prévue aux articles114 et 122 du Code des professions est plus élevée que celle de l’infraction prévue à l’article 120 du Code de déontologie des médecins (R.L.R.Q., c, M-9, r. 17) (qui est similaire à l’article 4.02.03 du Code de déontologie des arpenteurs-géomètres) et se lit comme suit :
Le médecin doit répondre par écrit dans les meilleurs délais à toute correspondance provenant du secrétaire du Collège, d’un syndic ainsi que d’un membre du comité de révision ou du comité d’inspection professionnelle ou d’un enquêteur, d’un expert ou d’un inspecteur de ce comité, et se rendre disponible pour toute rencontre jugée pertinente.
[35] D.C., vol. 1, p. 87, par. 87.
[36] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, par. 49. Voir aussi Drolet-Savoie c. Tribunal des Professions, 2017 QCCA 842, par. 63, décision dans laquelle la Cour d’appel du Québec, citant Lacasse, souligne le champ d’intervention limité du Tribunal en matière d’appel sur sanction disciplinaire; Mercure c. Avocats (Ordre professionnel des) 2021 QCTP 56, par. 32-42; Climan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2020 QCTP 26, par. 89; Terjanian c. Lafleur, préc. note 29, par. 34-36.