Rencontre avec le réalisateur Eric Besnard
D’où vous est venue l’idée de votre script ?
Eric Besnard : Elle est venue de la combinaison de trois choses : La première a été un diner avec Vincent Roget, l’un des producteurs du film. Avec Pierre Forette et Thierry Wong, ils avaient produit l’un de mes films (L’Esprit de famille) et nous discutions de façon informelle d’éventuels projets.
Au détour de la conversation nous nous sommes mis à parler de John Ford et plus particulièrement de la période où il travaillait pour la Fox.
De la profonde humanité des personnages incarnés par des acteurs comme Will Rogers. J’aime la simplicité apparente de ce cinéma et je m’en suis ouvert à Vincent qui est lui-même un grand amateur de Ford.
Et l’un de nous a évoqué l’hypothèse d’un film construit sur une rencontre fortuite et anodine. Suite à une panne de voiture par exemple…
Et puis la conversation a dérivé sur autre chose. Mais il faut croire que la graine était plantée.
Plusieurs mois plus tard, et c'est le deuxième élément déclencheur de ce film, éclate la crise du Covid.
Le lendemain de l’annonce du confinement je sors dans la rue, je croise une dame qui marche vers moi, puis soudain traverse, pour m’éviter. Elle ne me connaît pas, mais je vois bien qu'elle a peur !
Je suis remonté chez moi, j’ai pris un moment de réflexion et j’ai appelé les producteurs pour lesquels j’étais en train d’écrire un autre film, et je leur ai demandé de me laisser un mois pour leur proposer un sujet qu’il me fallait écrire d’urgence.
Le temps venait d’être suspendu et je décidais de lutter contre l’état de défiance que je voyais s’installer en écrivant un script .
L’idée était d’écrire un film « poignée de main », un film vantant les mérites de l’altérité et de la confiance en l’autre. Et je me suis souvenu de ces deux personnages qui m’attendaient en bord de route suite à une panne de voiture.
Enfin la troisième raison porte le nom de Gregory Gadebois. Je sortais de Délicieux et je voulais le plus vite possible re-retravailler avec lui.
J’avais l’idée de son personnage depuis un moment.
Il ne me restait qu’à trouver l’autre. Et l’histoire, bien sur...
Si on reste sur la dernière des raisons que vous évoquez, pourquoi vouliez-vous tant tourner de nouveau avec Grégory Gadebois ?
Eric Besnard : Tout simplement parce que c’est un acteur exceptionnel ! Certaines personnes vous font aimer certaines fonctions. Grégory est de ceux qui me font aimer le métier d’acteur.
Et puis il me donne envie d’écrire des rôles à chaque fois différents pour aller explorer certaines couleurs de sa palette. Y compris parfois celles où il n’aurait pas envie d’aller visiter. Ici par exemple c’est la danse.
Pour le connaître, je savais en écrivant qu’il allait redouter cette séquence. Mais quelle jolie scène à tourner !
Et puis, Grégory a un rapport à l’enfance qui est merveilleux et une faculté incroyable de laisser paraitre ses fragilités.
Il me fait penser à Raimu et à Harry Baur.
Dans Délicieux, j’avais essayé de l’amener à dévoiler sa sensualité à travers sa façon de faire la cuisine.
Pour Les Choses simples, j’ai voulu aller un peu plus loin dans cette direction et en faire un grand amoureux tout court ( rires)
On sent, dans ce film, qu’il y a une volonté de retourner aux choses essentielles de la vie. En se confrontant au personnage de Pierre, qui vit en pleine nature auvergnate, Vincent se rend compte que son quotidien d’homme d’affaires vivant à 200% n’est plus vivable. Le film cite d’ailleurs Pierre Rabhi, “la sobriété heureuse”. Était-ce un clin d’œil à l’auteur ? Avez-vous eu d’autres sources d’inspirations, dans votre écriture ?
Eric Besnard : Je suis très friand de ce que Pierre Rabhi a écrit Ce qui m’intéressait, surtout, dans l’écriture, c’est de faire transparaître les deux facettes que l’on a chacun en nous.
On peut être, à degrés divers et à différents passages de notre vie, celui qui est compétitif, ancré dans son époque, avide de reconnaissance auprès de ses pairs.
Puis, on peut faire un pas de côté, décider que l’on a du temps, réfléchir à la vie et estimer que l’on a, finalement, besoin de peu.
Personne n’est tout à fait Elon Musk ou un moine bouddhiste vivant près du Mont Fuji. J’aimais l’idée de personnifier ces états d’âmes et les mettre face-à-face.
Par ailleurs, je pense aussi que j’étais alimenté par la presse et les informations que je consomme, au quotidien, qui nous poussent à avoir peur de l’autre.
On s’autorise de moins en moins à la rencontre. L’art de la conversation, de l’échange spontané.
Et nous venons pourtant d’une société des Lumières ou la spontanéité et l’autre étaient beaucoup plus présents.
Le personnage de Lambert Wilson est relativement complexe. Homme d’affaires excentrique et avec une certaine vision du bonheur, il semble même difficile à apprécier, aux premières minutes du film. Et surtout pour Pierre, qui semble ne pas pouvoir s’en débarrasser alors qu’il le rejette constamment.
Eric Besnard : Le postulat est que vous avez, en face de vous, un personnage qui est pénible. Malgré plusieurs tentatives de rejet, il revient, comme un boomerang. Une fois, deux fois.
La complexité est de connaître la limite du supportable et de l’insupportable. Henry Miller dans “Un diable au paradis” nous conte un peu la même chose : un visiteur se présente à lui et il n’arrive pas à s’en détacher.
On a presque envie de lui souffler de le noyer ! Pourtant, nous arrivons à développer une certaine empathie pour ce personnage.
Il est vrai que l’on se demande presque ce qui retient Pierre, plutôt franc et rustre, de mettre une bonne fois pour toute Vincent, parasite en quête de nature, à la porte.
Eric Besnard : Car ils ont chacun leur raison de ne pas mettre fin à ce début d’amitié. Chaque personnage, au début du film, se ment. Les révélations structurent d’ailleurs l’intrigue du film : on en apprend un peu plus sur la vie des personnages, leurs raisons, leurs culpabilités.
Et j’ose espérer qu’il y a aussi des moments, dans la vie, où on sent que l’on peut faire tomber l’armure. Que si l’on fait tomber le masque social et que l’on redevient soi, il peut se passer de belles choses…
Avez-vous écrit Les choses simples pour Grégory Gadebois et Lambert Wilson ?
Eric Besnard : J’ai écrit pour Gregory. Je vais plus loin, j’ai créé ce personnage parce je savais qu’il était là.
Comme je l'ai dit plus haut, mon désir de travailler avec lui a alimenté mon désir du film et donc de son personnage.
Pour Lambert, c’est différent. D’abord parce que je ne le connaissais pas avant ce film. Et ensuite parce que le personnage qu’il incarne n’existait pas dans la première version du script.
Initialement son personnage était très différent. C’était une star de films comiques qui souffrait d’un complexe d’usurpateur et aurait voulu être Vittorio Gassman.
J’avais un acteur en tête mais le scénario était bancal. Alors je l’ai réécrit avec un chef d’entreprise bipolaire… mais là encore ça ne fonctionnait pas.
Et puis j’ai eu un problème de désir. Il fallait que je trouve un acteur qui me donne envie de passer deux mois tous les jours avec lui et qui soit non seulement talentueux mais aussi qui fasse duo avec Grégory.
C’est à ce moment-là que l’agent Laurent Grégoire m’a soufflé le nom de Lambert Wilson.
Et là, tout s’est débloqué. J’ai réécrit le personnage et j’ai inventé Vincent Delcourt.
Mes projections sur Lambert m’ont inspiré un grand patron d’une entreprise internationale, élégant et libéral, en apparence très sûr de lui et portant une fracture. Lambert a lu le scénario et a très rapidement dit oui.
Il y a la rencontre de deux personnages, que l’on voit à l’écran, mais aussi la rencontre d'une amitié, non?
Eric Besnard : Le sujet de ce film est assez simple, et pourtant il est rare de voir à l’écran la naissance d’une amitié. Souvent, il y a une rencontre, comme récemment dans Alceste à Bicyclette, de Philippe Le Guay, ou encore Dialogue avec mon jardinier, de Jean Becker.
Il y a peut être My Dinner with André, de Louis Malle, mais qui se passe dans un bistrot, un lieu cloisonné.
On peut avoir des films sur l’amitié, des “buddy movie”, mais qui parlent d’amitié déjà construites, de gens qui se connaissent depuis 20, 30 ans, 40 ans. Ici, on plutôt une structure scénaristique de comédie romantique. À la manière du film Le Sauvage, de Rappeneau. Les différentes étapes du film sont celles d’un début d’histoire d’amour.
Dans tous les cas, passer du temps avec une seule et même personne permet de créer quelque chose de singulier.
La contrainte, l’exercice imposé, génèrent quelque chose – du moins pour ce film – d’assez heureux.
Est-ce qu’on peut dire que sous la simplicité de son titre, votre film contient une problématique philosophique ?
Eric Besnard : Modestement, mais oui bien sûr puisqu’il traite du rapport à la vie.
Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Vaut-il mieux performer ou contempler ? Pour ma part, je suis un contemplatif qui travaille beaucoup. J’ai besoin d’avoir la sensation d’exploiter le potentiel que mes parents m’ont donné.
Et j’ai besoin de me mettre en risque. Sinon je resterai bien tranquillement chez moi à écrire des scripts. C’est moins fatigant et beaucoup moins dangereux que de mettre en scène.
Je peux admirer un moine Rinzai consacrant sa vie à la méditation dans un monastère ou un homme pressé aux talents protéiformes consacrant toute son énergie à faire avancer les choses.
Mais ce qui est compliqué c’est de ne pas se mentir.
Et accepter d’exploiter les forces que sont nos fragilités.
Afin d’apprécier pleinement la vie. Et parfois il faut qu’un autre nous réveille à nous même pour que nous fassions ce chemin.
En fait, et c’est une récurrence dans tous mes films, je crois qu’il faut toujours un autre. De l’importance de bien le ou la choisir.