Citations de Dimitri Merejkovski (18)
Merejkowsky relève ceci dans le livre présent au chapitre IV intitulé la conversion ce que rapporte M Sergueienko dans son livre Comment vit et travaille LN Tolstoi:
« Un jour, rencontrant dans la rue un homme de sa connaissance, il apprit que cet homme vivait en garçon, prenait ses repas où bon lui semblait, et pouvait, à chaque moment s’isoler en plein Moscou comme dans une île déserte « J’en conçus une envie dont j’ai vraiment conscience » disait Tolstoi en souriant. « Pensez donc : voici un homme pouvant vivre comme il lui plaît, sans faire souffrir personne. En vérité, n’est-ce pas là le bonheur ? »
L’auteur commente ainsi : que signifie ce sourire où l’on distingue une amertume cachée ?
Oui j’aurais dit la même chose en introduisant l’idée de malice comme il l’était y compris avec lui-même !
La peur démesurée des ténèbres sépulcrales, la conscience trop nette de la corruptibilité et du néant des choses terrestres, est le premier signe auquel on s’aperçoit que la source divine d’une civilisation est tarie ou empoisonnée, que sa force de vie a cessé
La science incomplète donne aux hommes la fierté ; la science parfaite, l'humilité.
Ainsi les épis vides dressent vers le ciel leur tête arrogante et les épis pleins l'abaissent vers la terre, leur mère.
Et il semblait alors à Giovanni que maintenant Léonard et monna Lisa étaient deux miroirs qui, se reflétant l'un dans l'autre, s'absorbaient à l'infini.
Pendant une séance de pose avec Gioconda, Léonard raconte:
"Incapable de résister à mon désir de voir des images inconnues des hommes, conçues par l'art de la nature, durant longtemps je suivis ma route entre des rochers nus et sombres ; j'ai enfin atteint une caverne et m'arrêtai indécis sur le seuil. Puis, décidé, baissant la tête, courbant le dos, la main gauche appuyée sur mon genou droit, de la droite cachant mes yeux pour m'habituer à l'obscurité, j'entrai et fis quelques pas. Les sourcils froncés, les yeux à demi fermés, la vue en éveil, souvent je changeais mon chemin, errant à tâtons dans l'obscurité, essayant de voir quelque chose. Mais l'obscurité était trop profonde. Et lorsque j'y eux séjourné quelque temps, deux sentiments s'éveillèrent en moi et commencèrent à lutter : la peur et la curiosité ; la peur d'explorer la caverne noire et la curiosité de savoir si elle ne recelait point un mystérieux mystère.
"Il se tut. L'ombre n'avait pas quitté le visage de Gioconda.
- Quel sentiment a vaincu ? murmura-t-elle.
- la curiosité.
- et vous avez surpris le mystère de la caverne ?
- Ce qui en était possible.
- Et vous le révélerez aux hommes ?
- On ne peut tout dire et je ne le saurais. Mais je voudrais leur insuffler une dose de curiosité qui puisse toujours vaincre leur peur."
Si, grâce à ses ailes, le corps de l'aigle peut planer dans les airs , si les lourds bateaux à voiles peuvent se maintenir sur les eaux , pourquoi l'homme ne pourrait-il triompher du vent et s'élever en vainqueur dans l'espace , en fendant l'air avec un appareil à voler ? ? ...
Lors de sa rencontre avec Machiavel, Léonard de Vinci échange sur leur vision de la vie et Machiavel dit :
"la découverte de nouvelles pensées sera toujours aussi dangereuse que la découverte de nouvelles terres.[...] Celui qui ne ressemble pas à tout le monde est seul contre tous, car le monde est créé pour la médiocrité et il n'y a de place au monde que pour elle. oui, mon ami, il est même triste de vivre, et peut-être le pire dans une existence n'est pas le souci, la maladie, la pauvreté, la douleur, mais l'ennui."
Sur une colline, au-dessus d'une grande route, commença le maître, là où se terminait le jardin, se trouvait une pierre entourée d'arbres, de mousse, de fleurs et d'herbe. Une fois, voyant une grande quantité de pierres sur la grande route, elle voulut les joindre et se dIt : " Quelle joie ai-je parmi ces fleurs tendres et éphémères ? J'aimerais vivre parmi mes semblables, parmi mes soeurs pierres !" Et la pierre roula sur la grande route auprès de celles qu'elle enviait. Mais là les roues des lourds chariots commencèrent à l'écraser ; les fers des mules, des chevaux, les souliers ferrés la piétinèrent. Lorsque parfois elle pouvait un peu se soulever et croyait respirer plus librement, la boue ou les excréments des bêtes la recouvraient. Tristement elle regardait son ancienne place solitaire qui lui semblait maintenant le paradis. Ainsi en advient-il, Andréa, de ceux qui quittent la calme contemplation et se plongent dans les passions de la foule pleine de méchanceté.
Il est troublant de lire que peut-être deux des plus grands essais littéraires du 20e siècle sur des écrivains russes furent le Tolstoï et Dostoïevski de Dimitri Merejkovski (1903) et le Tolstoï ou Dostoïevski de Georges Steiner (1959), en les comparant tout en ne les comparant pas, je dirais plutôt en les superposant, même si ce dernier se risqua un peu plus dans l'étude comparée la portant même parfois jusqu'à la phrase. On peut aussi croiser cette connaissance en disant ce que rapporte d'ailleurs Steiner que Tolstoï dans sa fuite une fois installé dans la maison du chef de gare d'Astapovo disposait de deux livres à son chevet : Les Frères kamarazov de Dostoïevski et les Essais de Montaigne :"il semblerait qu'il ait voulu mourir en la présence de son grand antagoniste et d'un esprit parent du sien -Montaigne, un poète de la vie dans son harmonie plénière ..".
Ce qui est bien avec ces grands noms, on peut faire le livre du livre, la référence se doublant en quelque sorte. Ce n'est pas sans rappeler ces poupées-gigognes, les matriochkas ..
Je ne peux pas alors ne pas me souvenir des "Premiers jours de la guerre 1914" (Stefan Zweig, Le Monde d'hier, Souvenirs d'un européen),
"Même sans la catastrophe qu'il déchaîna sur l'Europe, cet été de 1914 nous serait demeuré inoubliable. Car j'en ai rarement vécu de plus luxuriant, de plus beau, je dirais presque de plus estival. Jour après jour, le ciel resta d'un bleu de soie, l'air était doux sans être étouffant, les prairies parfumées et chaudes, les forêts sombres et touffues avec leur jeune verdure.
Aujourd'hui encore, quand je prononce le mot été, je ne peux que songer involontairement à ces radieuses journées de juillet que je passai à Baden, près de Vienne. Je m'étais retiré dans cette petite ville romantique, que Beethoven choisissait si volontiers pour séjour d'été, afin d'y consacrer ce mois à mon travail, dans une profonde concentration, et de passer ensuite le reste de l'été chez Verhaeren, mon ami vénéré, dans sa modeste maison de campagne, en Belgique. A Baden, il n'est pas nécessaire de quitter la petite ville pour jouir du paysage. La belle forêt des collines se glisse insensiblement entre les maisons basses de style Biedermeier, qui ont conservé la simplicité et la grâce de l'époque beethovénienne. Dans les cafés et les restaurants, on s'attablait partout en plein air, on pouvait se mêler à son gré au peuple gai des curistes qui se promenaient en voiture dans le parc de l'établissement de bains ou s'égaraient sur des chemins solitaires.
La veille de ce 29 juin, qui dans la catholique Autriche est la fête de Saint Pierre et Saint Paul, de nombreux hôtes étaient déjà arrivés de Vienne. En clairs vêtements d'été, joyeuse, insouciante, la foule affluait dans le parc devant le kiosque à musique. La journée était douce ; le ciel sans nuages s'étendait au-dessus des larges couronnes des châtaigniers, et c'était un vrai jour à se sentir heureux. Les vacances approchaient pour les adultes, pour les enfants, et avec ce premier jour férié de l'été, c'était comme s'ils aspiraient par avance tout l'été avec son air plein de félicité, son vert nourri, son oubli des soucis quotidiens. J'étais assis à l'écart de la foule du parc et je lisais un livre - je me souviens que c'était Tolstoï et Dostoïevski, de Merejkovski-, je le lisais avec une attention concentrée. cependant, le vent dans les arbres, le gazouillement des oiseaux et la musique du parc qui flottait dans l'air étaient également présents à ma conscience. J'entendais distinctement des mélodies sans en être gêné, car notre oreille est si capable d'adaptation qu'une rumeur soutenue, une rue bruyante, un ruisseau bouillonnant, s'installe complètement dans notre conscience au bout de quelques minutes et qu'au contraire seule une rupture inattendue du rythme nous fait dresser l'oreille.
C'est ainsi que j'interrompis involontairement ma lecture quand soudain la musique se tut au milieu d'une mesure ..
..Et je me retrouve moi-même dans le parc du Mémorial de la 1e guerre mondiale de Moscou en 2010 assis sur un banc en train d'attendre ma belle, et lisant La Carte et le territoire de Houellebecq, un peu à l'écart des passages ou l'on voit des personnes âgées seules ou en train de papoter avec d'autres en ce beau jour d'été débutant, -pas de cloches, il n'y en a pas-, des jeunes mamans poussant fièrement leur bébé dans la poussette ... Je regarde fébrilement ma montre car l'heure de rencontrer ma belle m'est plus chère que les plus belles pages de Houellebecq.
Il n'y a pas eu de rupture ce jour là sauf "l'heure arrêtée au cadran de ma montre" et tout me ramène à ces instants de bonheur passé ..
Après j'eus l'occasion d'y revenir dans ce parc, les feuilles non pas des arbres mais de Houellebecq furent couronnées par le Goncourt. Les dépouilles du Grand Duc Nicolas Nicolaïevitch et la Grande Duchesse Anastasia furent arrachées à la France pour y être transférées à deux pas de là dans le parc, à l'ombre des vieux arbres. Je vois le mausolée mal entretenu comme s'il s'agissait juste dans cette histoire d'une question de rendre aux leurs les dépouilles du Grand Duc et de la Grande Duchesse à titre posthume, à part j'imagine dans le souvenir de quelques braves fidèles à leur mémoire qui paraît maintenant d'un seul coup si lointaine. C'était la volonté du Grand Duc Nicolas d'être enterré près de ses soldats, semble-t-il. Et ce souvenir s'éclipse petit à petit, et ne vient pas vriller mon esprit comme celui de Zweig en souvenir du temps qui passe à jamais révolu, un jour d'été 14 brutalement interrompu, et je peux reprendre ma lecture : Tolstoï et Dostoeïvski de Merejkovski.
Je suis certain que s'il m'est donné de vivre très longtemps et si je me décris encore comme tel que je serai dans ma vieillesse, mon récit me montrera, à soixante-dix ans comme aujourd'hui, irrémédiablement livré à d'enfantines rêveries
Remontée par Merejkowsky (1903)
Voilà en deux mots toute la poésie foncière de Tolstoï -je ne veux rien gâcher après lui, surtout pas -. Et je pense qu'il a prouvé sa prophétie avec Hadji Mourat qui me rappelle son âme d'antan.
Quand je dis foncière, je ne suis pas en train de me moquer comme Dostoïevski qui parlait à son endroit de récits de propriétaire foncier, on l'aura compris !..
A propos de Dostoïevski, c'est plus une boutade, un brin de jalousie car loin de lui de minimiser l'art de Tolstoï. Il s'est bien rattrapé par la suite. Mais il avait de quoi parfois être excédé par les facilités octroyées à Tolstoï notamment en termes d'édition et de royalties, alors que lui a souvent trimé pour vivre !
Deux hommes comme ça par siècle, ça devrait suffire, non ?
Beltraffio remarqua qu’il tenait son crayon non dans la main droite, mais dans la gauche. Il pensa : « gaucher » et se souvint des récits que l’on colportait sur Léonard, insinuant qu’il écrivait ses livres à l’aide d’une écriture retournée que l’on ne pouvait lire que dans un miroir, non de gauche à droite comme tout le monde, mais de droite à gauche comme les orientaux. On disait qu’il le faisait afin de cacher ses pensées coupables et hérétiques sur Dieu et la nature.
XXXVI
Alors, comment se fait qu’après tout cela les hommes aient pu douter de l’existence du Christ ? La « mythologie » vient-elle uniquement de la malveillance unie à la sottise et à l’ignorance ? Non, hélas ! pas uniquement. Il y a une cause plus profonde et plus terrible cachée dans le christianisme lui-même : c’est cette éternelle maladie de l’esprit et de la volonté humaines que la primitive église appelle le « docétisme », du mot grec « paraître ». Les docètes sont ceux qui ne veulent pas connaître le Christ « selon la chair » et pour qui il n’a qu’une chair « apparente ».
« Le corps visible de Jésus n’est qu’une ombre, un fantôme, umbra, phantasme, corpulentia putative », enseigne Marcion, le premier docète, à la fin du IIe siècle. « Jésus n’est pas né, mais il est descendu directement du ciel à Capernaum, ville de Galilée, la 15e année du règne de Tibère César. » C’est ainsi que commence l’Évangile de Luc, « corrigé » par Marcion. Jésus n’est pas mort : « Simon le Cyrénéen a été crucifié à sa place. » – Il n’a souffert que par son ombre, passum fuisse quasi per umbram », enseigne le gnostique Marcius.
Et à son tour, Athanase le Grand, un des piliers de l’orthodoxie, dira plus tard : « c’est uniquement pour tromper et vaincre Satan que le Seigneur s’est écrié sur la croix : Lama sabactani ! » Et une autre colonne de l’Église, saint Jean Chrysostome, dira que le Seigneur, en cherchant des fruits sur un figuier stérile, ne faisait que « simuler la faim ». D’après Clément d’Alexandrie, « Jésus n’avait pas besoin de nourriture » : un fantôme ne mange, ni ne boit. Le cri de Jésus sur la croix : « j’ai soif », signifie : « j’ai soif de sauver le genre humain », dira Ludolf de Saxe, qui écrivit au XIVe siècle l’une des premières Vies de Jésus. « Jésus n’est qu’un fantôme crucifié », diront aussi les docètes de notre temps, les « mythologues ». C’est ainsi que de Marcion jusqu’à nos jours, en passant par Jean Chrysostome et Athanase le Grand, tout le christianisme est imprégné de docétisme. (pp. 32-33)
Bon, tout cela est bien gentil, mais il faudrait que Dimitri Merejkovski m'explique pourquoi il a reçu en 1909 à Paris Boris Savinkov et pourquoi il l'a protégé. Boris Savinkov, polonais né à Khartov, dirigeait le parti socialiste révolutionnaire de Russie et on ne compte pas à son actif les attentats assassins contre des personnalités importantes du régime tsariste : on lui doit aussi l'attentat contre le prêtre Georges Gapone en 1906 à Pétersbourg.
C'est un terroriste ce type : rien ne justifie une complicité même objective avec un terroriste.
C'étaient tous deux des SR, des socialistes révolutionnaires, farouchement opposés à Lénine.
Chapitre : Dostoïevski, la vie
"Contrairement à Tolstoï, Dostoïevski n'aime pas à parler de lui-même."
C'est original, mais c'est faux ! Tolstoï n'aimait pas parler de lui-même. Bien sûr il livre sa vérité dans ses fictions, puise des matériaux dans sa propre vie, mais raconter sa vie de manière autobiographique, non ! Paul Birukof lui avait commandé ses Souvenirs pour une biographie, il a eu les pire difficultés à parler de lui-même, et il a arrêté de se prêter à ce jeu là, ça lui paraissait impudique, sans intérêt, et il concevait que dans ce cas, il faudrait tout dire et à quoi bon ?
Une autre fois, il avait rembarré un journaliste de la BBC qui voulait en savoir sur sa vie : il lui a répondu, lisez mes livres, c'est dedans.
Bon maintenant si on songe à ses journaux intimes : d'abord il disait que ce qu'il voulait bien dire et ce n'était pas appelé à être divulgué, c'était un exercice personnel. Il considérait futile de lire cela. De plus Tolstoï n'était pas du genre à pleurer sur son propre sort
- Nous avons, continuait le tzar, l'exemple d'autres peuples éclairés de l'Europe, qui ont aussi débuté modestement. Il est temps que nous nous mettions à l’œuvre ; commençons toujours par les petites choses , et puis viendront des hommes que les grandes œuvres ne rebuteront pas. Je sais bien que moi-même je ne verrai pas cela ; je ne saurais tout accomplir, puisque ma vie peut ne pas être longue : néanmoins, je commence, afin de faciliter la tâche à d'autres. Et nous nous contentons présentement de la seule gloire d'être l'initiateur.
J'admirai le tzar, il était magnifique.
- Si tu veux être un artiste, repousse tout souci et toute peine étrangers à ton art. Que ton âme soit semblable au miroir qui reflète tous les objets, tous les mouvements, toutes les couleurs, en restant toujours, elle, immobile, rayonnante et pure.
XIX
Au début du XXe siècle, le transatlantique Titanic, à bord duquel des milliardaires américains effectuaient en famille une croisière de plaisance vers l’Europe, heurta la nuit, dans le brouillard, une énorme glace flottante ; il sombra si vite qu’il n’y eut presque pas de survivants.
Le naufrage du Titanic est une illustration pour la page de titre du nouveau chapitre de l’histoire mondiale : celui de la première grande guerre et peut-être de la seconde et dernière. Il n’y en aura pas de troisième. Ou alors elle n’interviendra que dans une humanité différente de la nôtre. (p. 13)
- Sachez, vrais croyants, qui règne sur vous, qui vous possède depuis l'an 1666, chiffre de la bête. D'abord, le tzar Alexis Mikhailovitch, avec le patriarche Nikone, s'écarta de la vraie foi et fut le précurseur de la Bête: après eux, le tzar Pierre déracina complètement la vraie foi; il ne voulut plus de patriarche et prit sur lui tout e pouvoir de l'Eglise et de Dieu; il s'éleva contre Jésus-Christ notre Seigneur, se constituant lui-même chef de l'Eglise, pasteur omni-puissant. Et, jalousant a primauté du Christ dont il est dit: je suis e premier et le dernier", il s'intitula Pierre Ier. Et, en l'an 1700 au premier jour de janvier, il annonça dans une fête de feu, la nouvalle année de l'ancien dieu romain Janus; son temps était arrivé. Et, dans le chant d'église pour la victoire de Poltava sur les Suédois, il s'est fait appeler Christ.
Lors de ses entrées à Moscou, aux arcs de triomphe et dans les cortèges, il a fait habiller de vêtements blancs de jeunes garçons et leur a ordonné de chanter; " Béni est celui qui arrive au nom du Seigneur! Hosanna!! Dieu lui-même nous est apparu! "
Le vieillard se tut, sa tête s’inclina, morne, sur sa poitrine, et deux larmes roulèrent de ses yeux, deux larmes de pitié pour l’antique phénomène marin tué par les lavandières chrétiennes.
Un valet, portant des lumières, entra dans la pièce et ferma les volets. Les visions païennes s’évanouirent. Merula, alourdi par le vin, ne put descendre souper avec son hôte ; il fallut le mettre au lit comme un enfant. Cette nuit-là, longtemps Beltraffio écouta l’insouciant ronflement de messer Giorgio, et ne parvenant pas à s’endormir, il songea à ce qui était sa pensée obsédante — à Léonard de Vinci.
Oui, oui... Nous avons tous oublié la Voix du Père. Tels des enfants séparés de leur père depuis le berceau, nous l'entendons et ne la reconnaissons pas. Il faut que tout se taise en notre âme, les voix célestes comme les voix terrestres. Alors nous l'entendons... Tant que la raison fulmine et illumine notre âme comme le soleil de midi, nous nous replions en nous-mêmes et ne voyons point Dieu. Mais lorsque la raison décline, l'extase, rosée nocturne, descend en notre âme...