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Hommes trans et handicapés : une analyse croisée du cisgenrisme et du capacitisme
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Hommes trans et handicapés : une analyse croisée du cisgenrisme et du capacitisme

Trans and Disabled Men: An intersectional analysis of cisgenderism and ableism
Alexandre Baril

Résumés

Les recherches s’intéressant aux intersections entre transitude et handicaps et entre cisgenrisme et capacitisme sont rares en anglais, presque absentes en français. Lorsque l’on ajoute la dimension d’un genre spécifique, par exemple en s’attardant aux hommes trans handicapés, le caractère lacunaire des travaux est criant. Comme une proportion significative de personnes trans sont également handicapées, il semble capital de mieux comprendre leur expérience enchevêtrée de la transitude et du handicap, mais aussi du cisgenrisme et du capacitisme. Cet article s’articule autour de cette question : quelles sont les contributions heuristiques, aux plans théorique et politique, à penser les intersections entre les réalités masculines trans et handicapées ? Il répond à trois objectifs : 1) constituer un état des lieux des travaux sur ces intersections ; 2) offrir une analyse intersectionnelle des réalités des hommes trans et handicapés et des oppressions cisgenristes et capacitistes ; 3) dégager les apports heuristiques d’analyses intersectionnelles des masculinités trans et handicapées.

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Texte intégral

Cette recherche a été généreusement soutenue par la bourse postdoctorale Izaak Walton Killam offerte par le Département de Science politique de l’Université Dalhousie. J’aimerais remercier Pierre Brasseur et Lucie Nayak pour leur précieuse collaboration dans le processus de publication de cet article, ainsi que les personnes évaluatrices anonymes pour leurs utiles suggestions. J’aimerais également offrir des remerciements chaleureux à Marjorie Silverman et Myriam Pomerleau pour leur lecture attentive et leurs commentaires sur ce texte, de même que Françoise Moreau-Johnson du Centre de leardership scolaire de l’Université d’Ottawa et tous-tes les professeur-es présent-es lors de la mini-retraite d’écriture en octobre 2017 durant laquelle cet article a été rédigé.

Être trans et handicapés, une minorité parmi une minorité ?

  • 1 « Since 2005 I have had seven major surgeries performed in hospitals and at least 16 more procedure (...)

« Depuis 2005 j’ai subi sept interventions chirurgicales majeures à l’hôpital et au moins seize autres interventions dans le bureau du chirurgien. […] Je travaille là-dessus depuis presque six ans, et je ne suis toujours pas capable d’uriner [debout] ou d’avoir une érection. […] Il ne faut pas prendre la phalloplastie à la légère. De plusieurs manières, ce processus mettra à l’épreuve même les cœurs les plus forts. Je peux honnêtement dire que la phalloplastie a été une des choses les plus difficiles que j’ai faites. Jusqu’à ce jour, cela m’a éprouvé mentalement, affectivement, physiquement et financièrement1. » (Témoignage dans Cotton, 2012, 106)

  • 2 L’expression « homme trans » réfère à une personne assignée femme à la naissance et s’auto-identifi (...)
  • 3 Le néologisme « transitude » en français équivaut à « transness » en anglais. Composé du terme « tr (...)

1La catégorie de « personnes handicapées » regroupe des états variés de santé et d’incapacités aux plans physique, cognitif, mental ou psychologique, pouvant être faibles, modérés ou sévères, stables ou dégénératifs, visibles ou invisibles, etc. Ces états affectent de multiples sphères de la vie, qu’il s’agisse de la sphère personnelle, professionnelle, sociale ou autre. En études du handicap, bien que l’on reconnaisse l’existence de différences entre les handicaps et les problèmes de santé, ces conditions sont rassemblées sous la grande catégorie du handicap (que cet article mobilise), qui relève non pas de diagnostics officiels mais de processus d’autodésignation des personnes. Étant donné cette autodésignation et le fait que la catégorie du handicap est aussi diversifiée, cela me surprend, en tant qu’homme trans2 et handicapé, de constater que les personnes trans, comme c’est le cas de cet homme ayant subi 23 chirurgies cité ci-haut, ne sont pas habituellement perçues et ne s’auto-identifient pas comme « personnes handicapées », tel que le démontrent les travaux tant en études du handicap qu’en études trans (Baril, 2015b, 61). En effet, en dépit du fait qu’il vit avec plusieurs limitations et incapacités physiques qui ont eu et continuent d’avoir des impacts dans plusieurs sphères de sa vie quotidienne, il ne conceptualise pas sa transitude3, comme c’est le cas de la majorité des personnes trans et des chercheur-es en études trans, comme handicapante ou comme une condition pouvant provoquer des handicaps et problèmes de santé temporaires ou permanents. Ces handicaps et problèmes de santé résultant de la transition peuvent d’ailleurs venir s’ajouter à des handicaps et des problèmes de santé préexistants à la transition. Dans cet article, je souhaite ainsi problématiser les liens entre transitude et handicaps, une problématique qui demeure sous-théorisée dans les travaux existants.

  • 4 Dans ces statistiques, les handicaps mentaux, définis comme une large catégorie regroupant les prob (...)
  • 5 Le capacitisme « […] réfère au système d’oppression et aux discriminations faites sur la base des c (...)

2S’il est possible de penser, a priori, que les handicaps et problèmes de santé des personnes trans sont simplement iatrogènes – c’est-à-dire causés par les traitements médicaux – et ne touchent qu’une infime minorité de personnes trans constituant déjà elles-mêmes une minorité de la population (environ 0.5 % de la population canadienne) (Bauer et Scheim, 2015 ; Davidson, 2015, 41), les études quantitatives dont nous disposons indiquent le contraire. En plus d’être causés par un ensemble complexe de facteurs, les handicaps et problèmes de santé ne touchent pas une minorité de personnes trans, mais bien une proportion significative d’entre elles, soit environ une personne trans sur deux en Amérique du Nord (Davidson, 2015). Notons qu’aux États-Unis, dans une étude quantitative réalisée auprès de plus de 27 000 personnes trans, il s’agit de 39 % de l’échantillon qui vit avec un ou des handicaps ou maladies chroniques (James et al., 2016, 57), alors qu’au Canada il s’agit de 55 % des personnes trans qui vit avec un ou des handicaps ou maladies chroniques (Bauer et al., 2012, 10)4. À plus petite échelle, étant cochercheur dans un projet au sein duquel nous avons jusqu’à présent interviewé 24 jeunes trans, 17 d’entre eux/elles, soit 71 %, s’auto-identifient comme des personnes vivant avec un ou des handicaps (Pullen Sansfaçon et al. 2017a ; 2017b). Nous n’avions pas de questions sur les diagnostics médicaux dans le questionnaire sociodémographique. Néanmoins, dans l’esprit des études du handicap, il est essentiel de ne pas limiter la catégorie du handicap aux diagnostics, mais de fonder cette dernière sur l’auto-identification. Un sondage mené auprès de 54 personnes trans étudiant dans deux universités ontariennes a par ailleurs aussi permis d’identifier que 43 % d’entre eux/elles vit aussi avec un ou des handicaps (Laidlaw, 2017). S’il ne s’agit ici que des résultats de quelques études, ces chiffres sont tout de même révélateurs de la proportion importante de personnes à la fois trans et handicapées et appellent au développement de recherches qui se pencheraient spécifiquement sur ces réalités et leurs oppressions croisées, si ce n’est que pour comprendre pourquoi près de la moitié des personnes trans sont simultanément handicapées et si ces handicaps préexistaient à la transition ou en découlent (ou les deux). L’absence de telles recherches ne permet pas de penser les liens exacts entre transitude et handicaps. Par exemple, les personnes handicapées sont-elles davantage susceptibles de questionner et transgresser les normes sexuelles et de genre dans des sociétés capacitistes5 qui les désexualisent et les dégenrisent (Clare, 2009 ; Baril, 2013 ; 2015a) ? Se pourrait-il que les questionnements des normes de genre et de corps « (a)normaux » qui émergent lors d’une transition entraînent une identification facilitée à d’autres catégories marginalisées, comme celle de personne handicapée ? Les personnes trans handicapées étaient-elles handicapées avant leur transition ou vivent-elles avec un ou des handicaps depuis leur transition ? Si ces handicaps et problèmes de santé sont liés à la transition, sont-ils iatrogènes et/ou causés par des facteurs sociopolitiques qui se répercutent sur leur état de santé physique et mentale ? Les recherches sur le sujet sont quasi inexistantes.

  • 6 Le terme « cisgenrisme » se compose du préfixe « cis », antonyme du préfixe « trans ». « […] [E]n s (...)
  • 7 La dimension politique ne sera que brièvement abordée dans la troisième section de cet article. Néa (...)

3En effet, les travaux qui s’intéressent aux intersections entre la transitude et les handicaps et entre les systèmes d’oppression touchant respectivement les personnes trans et handicapées, soit le cisgenrisme6 et le capacitisme, sont extrêmement rares à l’échelle internationale en anglais et quasi absents dans les travaux scientifiques en français. Quant au cas spécifique des hommes trans handicapés, il est particulièrement impensé ; un seul texte portant sur cette population a été publié en anglais (Riggs et Bartholomaeus, 2017) et aucun à ce jour n’a été publié en français. Si une proportion importante d’hommes trans sont également handicapés, il semble capital de mieux comprendre l’expérience complexe de la transitude et du handicap au cœur de leur existence, ainsi que celle qu’ils vivent à la croisée de deux systèmes d’oppression. Cette meilleure compréhension pourrait éventuellement aider à élaborer des politiques de santé publique touchant ces groupes, à transformer les lois entourant les enjeux trans et du handicap, à offrir de meilleurs services sociaux et de santé à ces populations cibles, etc. Cet article soulève donc la question suivante : quelles sont les contributions heuristiques, aux plans théorique et politique7, à penser les intersections entre les réalités masculines trans et handicapées ?

  • 8 Les études trans sont parfois conçues comme un champ de spécialisation des études de genre, mais ce (...)
  • 9 Le terme « intersection » et la notion même d’intersectionnalité ont été critiqués par certain-s au (...)
  • 10 Voir les définitions qu’elle en donne dans Connell (2014, 74-76) et Connell et Messerschmidt (2005)
  • 11 Cet article n’inclut pas les personnes trans sur le spectre féminin et les personnes non binaires d (...)

4Pour y répondre, cet article propose une contribution théorique, se fondant sur une approche intersectionnelle (Crenshaw, 1989 ; Bilge, 2009 ; Clare et Fritsch, 2009 ; Baril, 2013) et s’inspirant de cadres conceptuels variés, tels que ceux proposés par les études trans, les études du handicap et les études de genre8, notamment sur les masculinités. L’approche intersectionnelle propose une analyse des intersections9 à la fois des identités marginalisées et des rapports sociaux dans lesquels elles se situent. Si les approches intersectionnelles ont réussi avec brio à comprendre les enchevêtrements entre, par exemple, les catégories de sexe, de classe, de race et d’orientation sexuelle, ces analyses sont demeurées relativement silencieuses quant à l’identité de genre et les capacités (Baril, 2013). Cet article mobilise ainsi l’approche intersectionnelle, mais en constitue une critique tout à la fois. Suivant Raewyn Connell (2014 [1995], 93) qui critique les travaux en sciences sociales se fondant sur des approches « mono-méthodologique[s] » et privilégiant dans ses travaux « un large spectre méthodologique », je déploie ici une approche « multi-méthodologique » en mobilisant des données secondaires issues de recherches quantitatives et qualitatives afin d’analyser deux formes de masculinités qui ne cadrent pas avec la « masculinité hégémonique » telle qu’elle est décrite par Connell10, soit les masculinités trans et celles handicapées, qui se situent en marge des masculinités cisgenres et non handicapées. Le corpus mobilisé à l’intérieur duquel sont puisées les données secondaires se compose des plus importantes études quantitatives canadiennes et américaines sur les personnes trans, de l’ensemble restreint des travaux empiriques qualitatifs recensés se penchant sur les intrications entre transitude et handicap, ainsi que des témoignages ou récits auto-ethnographiques de personnes trans et handicapées contenus dans des articles, ouvrages, essais et blogues qui traitent simultanément de la transitude et du handicap. Cet article poursuit trois principaux objectifs : 1) constituer un état des lieux des travaux sur les intersections entre les réalités trans et handicapées, en s’attardant spécifiquement au cas des masculinités trans et handicapées11 ; 2) offrir l’ébauche d’une analyse intersectionnelle des réalités des hommes trans et handicapés et des oppressions qui accompagnent leurs réalités ; 3) dégager les apports heuristiques, tant au plan théorique que politique, d’analyses intersectionnelles des masculinités trans et handicapées.

5Afin de répondre à ces objectifs, cet article se divise de manière tripartite. La première section décrit l’absence de dialogues entre les études sur les masculinités, trans et du handicap, en regardant comment les études sur les masculinités ont négligé les hommes trans et les hommes handicapés, comment les études trans se sont peu attardé à la question des handicaps et comment les études du handicap ont limité leurs analyses des imbrications entre capacités et genres aux personnes cisgenres. Cette recension des écrits vise également à fournir certaines hypothèses sur cette absence de dialogues entre ces champs. La deuxième section offre une analyse intersectionnelle pour mieux comprendre, d’une part, les liens entre masculinité, transitude et handicap et, d’autre part, les relations entre les systèmes sexiste, cisgenriste et capacitiste. J’y aborde les implications que peut avoir une transition sur les capacités et, inversement, les impacts des capacités sur l’identité de genre. La troisième section dégage les contributions que peuvent avoir des analyses intersectionnelles des masculinités trans et handicapées, qu’il s’agisse d’apports au plan théorique à travers des approches plus aptes à saisir les réalités trans et handicapées, ainsi qu’au plan politique en mettant en lumière les solidarités potentielles à développer entre les hommes, les mouvements des personnes trans et handicapées. Cette dernière section propose aussi quelques pistes potentielles pour des recherches futures en ce qui concerne les personnes trans et handicapées, à travers un questionnement critique des frontières posées entre ces deux groupes.

L’absence de dialogues entre les études sur les masculinités, trans et du handicap

6Les études des hommes et sur les masculinités (men’s and masculinities studies), bien que constituant un champ disciplinaire autonome avec des cadres théoriques, épistémologiques et méthodologiques spécifiques, sont un sous-champ des études de genre, développées dans le sillon des études des femmes et féministes. C’est au tournant des années 1990 qu’est né ce champ d’études interdisciplinaires s’intéressant notamment aux diverses formes que peut revêtir la masculinité, aux relations de pouvoir entre ces diverses masculinités ou encore à la construction sociale de la masculinité (Adams et Savran, 2002 ; Kimmel et Aronson, 2003 ; Kimmel, Hearn et Connell, 2005). Le développement de ce champ a conduit à la publication d’ouvrages clés, comme ceux de Raewyn Connell ([1995] 2014) ou de Michael Kimmel ([1996] 2012) et de revues scientifiques, telles que The Journal of Men’s Studies (1992-…) et Men and Masculinities (1998-…). S’il est vrai que, dès ses origines, avec le concept de « masculinité hégémonique » et de « masculinités subordonnées » (et « masculinités marginalisées ») de Connell ([1995] 2014), ce champ s’est intéressé à une multiplicité de positionnements sociaux et d’expériences variées des hommes, cet intérêt pour les différentes masculinités s’est décuplé sous l’influence des théories intersectionnelles. Malgré l’adoption d’analyses intersectionnelles dans ce champ, la catégorie des hommes handicapés n’a été que peu explorée. Par ailleurs, les rares travaux portant sur les intersections entre masculinité et handicap sont marqués par une certaine unidirectionnalité ; ils proviennent davantage du champ des études du handicap que des études sur les hommes et les masculinités. Le constat est le même quant aux intersections entre masculinité et transitude ; les rares recherches tendent à être produites de façon quasi exclusive à partir du champ des études trans (Green, 2005 ; Baril, 2017a).

  • 12 Pour un historique des études trans, voir : Prosser (1998), Rubin (1999), Meyerowitz (2002), Stryke (...)
  • 13 Le terme identité est ici compris comme étant une construction sociale résultant d’un positionnemen (...)
  • 14 Cette liste est exhaustive, reflétant la pauvreté des travaux sur le sujet. Plusieurs des travaux l (...)

7Les études trans, pour leur part, ont émergé au cours des années 199012, une période durant laquelle se sont aussi multipliés des travaux portant spécifiquement sur les masculinités trans (Devor, 1997 ; Hale, 1998 ; Cromwell, 1999 ; Rubin, 2003 ; Green, 2004 ; Noble, 2006 ; Bourcier et Molinier, 2008 ; Preciado, 2008 ; Baril, 2009 ; Bourcier, 2011). Si les recherches sur les hommes trans ont été, comme celles sur les hommes et les masculinités de façon plus générale, marquées par un intérêt croissant pour des approches intersectionnelles, s’attardant notamment aux implications que peuvent avoir les appartenances raciales, sexuelles, de classe ou d’âge sur la manière dont les hommes trans vivent et expriment leur identité de genre, comment l’identité trans à son tour interagit avec ces autres identités13 et comment les oppressions qu’ils vivent s’entrecroisent, ces recherches, jusqu’à présent, n’ont pas abordé la question des capacités. Les travaux dans le champ des études trans qui s’intéressent aux liens entre la transitude et handicap sont, d’une part, récents et rares (Clare, 2007, 2009, 2013, 2017 ; Levi et Klein, 2006 ; Mog et Swar, 2008 ; Kirkup, 2009 ; Strassburger, 2012 ; Withers, 2012 ; Gorton, 2013 ; Kafer, 2013 ; Riggs et Due, 2013 ; Baril et Trevenen, 2014 ; Barry, 2014 ; Marshall et al., 2014 ; Kirby, 2014 ; Adair, 2015 ; Baril, 2015a, 2015b, 2016 ; Puar, 2015 ; Riggs, Ansara et Treharne, 2015 ; Wahlert et Gill, 2017)14 et, d’autre part, quasi exclusivement en anglais (à l’exception de Baril, 2013, 2017b, 2017c). Surtout, ces recherches sur les intersections entre la transitude et les handicaps ne se sont pas penchées spécifiquement sur les masculinités, à l’exception de Riggs et Bartholomaeus (2017).

  • 15 Je limite mon analyse aux études du handicap, incluant les critical disability studies, mad studies(...)
  • 16 Les expressions mad studies et crip studies n’ont pas été traduites en français ; les auteur-es qui (...)
  • 17 L’ouvrage de Burstow, LeFrançois et Diamond (2014) fait exception avec la contribution de Kirby (20 (...)
  • 18 « Having a disability [is] seen as synonymous with being dependent, childlike and helpless—an image (...)

8Les études du handicap15, elles, ne s’intéressent que très peu ou pas aux enjeux trans. À l’exception de quelques auteur-es qui sont à la fois reconnu-es dans le champ des études de genre, trans et du handicap et qui se sont intéressé-es aux intersections entre les réalités trans et handicapées, comme Clare (2007, 2009, 2017), Withers (2012), Baril (2013, 2015a, 2015b, 2016, 2017c) ou Kafer (2013), les ouvrages de références en études du handicap, mad studies et crip studies16, bien qu’ils abordent fréquemment des questions liées au genre et aux sexualités depuis quelques années, ne discutent pas des réalités trans et de l’identité de genre (Wendell, 1996 ; McRuer, 2006 ; Siebers, 2008 ; Davis, 2010 ; McRuer et Mollow, 2012 ; LeFrançois, Menzies et Reaume, 2013 ; Brasseur, 2016 ; Campbell, 2017 ; Martino, 2017)17. Même lorsque certains de ces travaux abordent la question du genre, c’est souvent d’un point de vue cisgenrenormatif, où les enjeux trans sont occultés (Riggs et Bartholomaeus, 2017 : 67). Les travaux en études du handicap portant sur le genre ont d’abord été menés par des chercheurs-euses féministes intéressé-es à mettre en lumière comment, d’une part, les femmes handicapées étaient les oubliées à l’intérieur d’un champ dont les visées universalistes reconduisent souvent les biais sexistes et, d’autre part, comment le capacitisme et le sexisme sont imbriqués, voire se renforcent. Des auteur-es comme Asch et Fine (1988), Wendell (1996), Garland-Thomson (2002), Clare (2009) et Kafer (2013), pour ne donner que ces exemples, abordent la question de l’association fréquente entre handicap et passivité/fragilité/dépendance, situant ainsi symboliquement le handicap du côté de la féminité en fonction des normes dominantes et laissant, du même coup, les hommes handicapés dans une posture ambiguë puisque la masculinité est conçue comme incompatible avec cette passivité/fragilité/dépendance. Ces auteur-es ont ouvert la voie à d’autres travaux poursuivant des analyses croisées entre les handicaps et la masculinité, pointant les contradictions apparentes qui existeraient, en fonction des normes hétérosexistes et capacitistes, entre masculinité et statut handicapé, ce que Shuttleworth, Wedgwood et Wilson (2012) ont nommé le « dilemme de la masculinité handicapée ». À propos des liens entre masculinité et handicap, Asch et Fine (1988, 3) remarquent que : « Avoir un handicap [est] vu comme synonyme d’être dépendant, enfantin et impuissant — une image qui met fondamentalement en doute tout ce qui est incarné dans l’idéal mâle : la virilité, l’autonomie et l’indépendance18 ».

9C’est donc cette contradiction entre les stéréotypes associés à la masculinité hégémonique et ceux associés aux handicaps qui ont amené les auteur-es à se pencher sur ce dilemme supposé de la masculinité handicapée et cette catégorisation fallacieuse du handicap comme relevant du féminin (Gerschick et Miller, 1997 ; Shakespeare, 1999 ; Tepper, 1999 ; Shuttleworth, 2004 ; Shuttleworth, Wedgwood et Wilson, 2012 ; Wilson et al., 2012 ; Hickey-Moody, 2015 ; Loeser, Crowley et Pini, 2017). Néanmoins, mis à part le texte de Riggs et Bartholomaeus (2017), il ne semble pas exister de texte en études du handicap (et/ou mad et/ou crip studies) qui s’intéresse simultanément aux masculinités handicapées et à la transitude. Toutes ces études portent sur les masculinités handicapées cisgenres.

  • 19 Pour des explications sur les modèles du handicap, voir : Siebers (2008), Clare (2009 ; 2017), Davi (...)

10Suivant cet état des lieux des recherches à travers cette recension des écrits, quatre hypothèses peuvent être avancées pour interpréter cette absence de dialogues entre ces trois champs d’études qui partagent tout de même plusieurs cadres conceptuels, méthodologies, approches et perspectives similaires, et ce, malgré leurs distinctions (les études sur les masculinités traitent d’un groupe majoritaire alors que les deux autres champs traitent de groupes minoritaires). Premièrement, Shuttleworth, Wedgwood et Wilson (2012, 181) évoquent une hypothèse quant à la relative absence, dans les études du handicap s’intéressant aux masculinités, d’un intérêt pour des types de handicaps précis au profit d’une conception plus généraliste du handicap. Cette hypothèse peut s’avérer utile pour comprendre d’autres silences et absences dans ce champ. Ils soutiennent qu’en réaction à la pathologisation et à la stigmatisation du handicap à partir d’un modèle médical qui conçoit le handicap comme un problème individuel à guérir/éliminer, le modèle social du handicap, qu’ils nomment « sociopolitique », insiste sur la construction sociale du handicap à travers un environnement capacitiste. Ce modèle social a été créé par des auteur-es et activistes et adopté dans le champ des études du handicap au point de devenir hégémonique et de laisser en marge tout ce qui touche la corporéité19. Sans faire honneur ici aux nombreux avantages du modèle social du handicap, soulignons simplement, à l’instar de Loeser, Crowley et Pini (2017 : xxxiii), qu’une des limites de ce modèle social est de nier l’importance des réalités matérielles et corporelles qui accompagnent les handicaps à travers la focalisation sur les dimensions sociopolitiques. Il est donc possible de penser que les handicaps et les problèmes de santé (notamment mentale) que vivent les personnes trans et qui appellent à un recentrement sur l’expérience corporelle et la souffrance, cadrent mal dans des analyses centrées sur les dimensions sociopolitiques du handicap à partir du modèle social. Deuxièmement, les nombreuses présomptions cisgenristes et cisgenrenormatives ont empêché les études du handicap de s’intéresser aux enjeux trans. Si l’on se penche dans ce champ aux sexualités et aux genres, la question de l’identité de genre demeure occultée (Baril, 2015a, 2015b, 2016). Troisièmement, le modèle social, qui a aussi prévalu à l’intérieur des études trans, insiste sur le fait que la transitude n’est pas un problème en soi qui doit être guéri, mais que les problèmes vécus par les personnes trans résultent de structures sociopolitiques cisgenristes. Ce modèle a conduit les mouvements trans, en parallèle avec le fort mouvement de dépathologisation des identités trans des dernières années (Baril, 2013, 2015a ; Withers, 2012 ; Kirby, 2014 ; Kirey-Sitnikova, 2016), à éviter les associations avec le handicap ou la maladie mentale à travers des attitudes et des politiques capacitistes. Il n’existe d’ailleurs que peu d’exceptions à cette forte tendance dans les études et mouvements trans à rejeter toute conception médicale de la transitude et les personnes trans qui ont opté pour cette conception de la transitude ont été fortement critiquées par leurs pair-es (Withers, 2012 ; Baril, 2015a, 2015b ; Puar 2015). À travers leur quête de reconnaissance sociale, une majorité de personnes trans ont donc souvent affirmé leur identité au détriment des personnes handicapées ou ayant des problèmes de santé mentale (Withers, 2012 ; Puar, 2015), comme en témoignent les affiches dans diverses manifestations exposant des slogans comme « Trans, pas handicapé », « Trans, pas malade » ou « La différence n’est pas une maladie ») (Baril, 2015a, 2015b). Quatrièmement, la prédominance d’un modèle social en études du handicap et en études trans, de même que d’un cisgenrisme au sein des mouvements/études du handicap et d’un capacitisme au sein des mouvements/études trans, se retrouvent au sein des études sur les hommes et les masculinités. Ceci est mis en évidence à travers la quasi absence d’intérêt pour les hommes trans et les hommes handicapés dans ce champ, à plus forte raison pour les hommes trans et handicapés. La prochaine section ébauche ainsi un dialogue entre les études sur les masculinités, trans et du handicap et la dernière section dénombre les avantages d’un tel dialogue.

Au confluent du sexisme, du cisgenrisme et du capacitisme : des hommes trans et handicapés

  • 20 Les personnes neurodiverses sont celles que l’on retrouve sur le spectre de l’autisme, qui ont des (...)

11Plusieurs chercheurs-euses s’entendent pour dire que les difficultés rencontrées par les personnes trans et celles vécues par les personnes handicapées (ex. : pathologisation, stigmatisation, discrimination, exclusion, etc.), de même que les revendications faites par ces deux groupes (pour obtenir davantage de reconnaissance sociale, politique, juridique, culturelle, économique, etc.) possèdent plusieurs ressemblances (Mog et Swarr, 2008 ; Wilkerson, 2012 ; Kirby, 2014 ; Brown, 2017). Cependant, peu d’entre eux/elles théorisent le caractère imbriqué de l’identité de genre et des capacités et les oppressions qui touchent ces groupes. De surcroît, théoriser cette imbrication va bien au-delà de stipuler que la transitude peut avoir des conséquences sur les capacités, ou encore que les capacités influencent la manière dont est vécue la transitude. Il s’agit en plus de révéler, comme Eli Clare (2009, 130) le démontre, comment au-delà de ces inter-influences, nos conceptions genrées sont capacitistes et j’ajouterais qu’inversement, nos conceptions des capacités sont cisgenristes et cisgenrenormatives. Être une femme ou un homme n’implique pas seulement de correspondre à certains critères de sexe/genre, mais également à des critères en termes de capacités. En fonction des normes dominantes hétérosexistes, cisgenristes et capacitistes, il faut, pour être considéré comme un « vrai » homme, être capable de bouger, de parler, de se déplacer et de se positionner dans l’espace d’une certaine manière, c’est-à-dire correspondre à des codes comportementaux et physiques que les hommes non handicapés, au plan physique, cognitif, sensoriel ou mental sont en mesure de mieux performer que les hommes handicapés. Lorsque des handicaps préviennent les hommes d’assumer des stéréotypes et rôles traditionnels comme ceux de pourvoyeurs, de protecteurs (à travers notamment la force physique), d’être indépendants, capables de se mouvoir, de se nourrir, de se raser et de se laver seuls ou encore d’endosser des stéréotypes hétérosexistes au plan sexuel basés sur la pénétration, ils sont souvent dégenrés socialement et ressentent aussi cette « déficience » de leur masculinité au niveau subjectif (Asch et Fine, 1988 ; Wendell, 1996 ; Shakespeare, 1999 ; Shuttleworth, Wedgwood et Wilson, 2012 ; Loeser, Crowley et Pini, 2017 ; Pearson et Pini, 2017 ; Rainer, 2017). On pourrait ainsi penser que les personnes handicapées assignées femmes à la naissance et désireuses de faire une transition vers la masculinité (des hommes trans handicapés) possèdent moins les ressources pour performer adéquatement ces codes dominants de la masculinité hégémonique qui requièrent soit un certain type d’attitudes/comportements potentiellement difficiles à adopter pour des personnes neurodiverses20 ou avec des handicaps intellectuels ou mentaux (par exemple l’anxiété sévère), soit un certain type de corps/présentation corporelle qui peut être difficile à endosser pour des personnes sourdes, aveugles, à mobilité réduite, etc. Autrement dit, les hommes trans handicapés peuvent plus difficilement que les hommes trans non handicapés performer une masculinité (dominante) qui leur permet d’être reconnus dans leur genre d’auto-identification par les autorités médicales, leur entourage, leurs réseaux sociaux, ou eux-mêmes.

  • 21 Le terme “grossitude” est ma traduction du terme “fatness” en anglais qui désigne l’état d’être gro (...)
  • 22 « […] being “at home” in one’s body is privileged in both fat and trans narratives, [but] it is ach (...)

12M’inspirant des réflexions de Francis White (2014) à propos de certaines tensions et intersections qui existent entre la transitude et la grossitude21, de même qu’entre les études trans et les fat studies, j’aimerais réfléchir ici aux tensions et intersections entre la transitude et les handicaps et entre les études trans et les études du handicap. White (2014, 93) observe que « le fait de se sentir “à la maison” dans son corps est privilégié à la fois dans les récits gros et trans, [mais] cela est accompli de manière différente. Dans les récits trans, comme Prosser le suggère, le processus correspond à un de changement corporel et à une “transition”. Pour les activistes gros-ses c’est un processus qui consiste à changer sa mentalité à propos de son corps […]. La question qui émerge de cela est qu’est-ce que ces discours conflictuels peuvent offrir à une personne qui est à la fois grosse et trans quant à son espoir de se sentir “à la maison” dans son corps ?22 » Si l’on reprend la question de White, il est possible de se demander : que peuvent offrir les discours conflictuels des études sur les masculinités, trans et du handicap – que je décrirai ci-dessous –, à un homme à la fois trans et handicapé dans sa volonté de se sentir confortable dans son corps ? Surtout, est-il possible de réconcilier ces discours conflictuels ou d’offrir d’autres discours dans ces champs d’études qui permettraient aux hommes trans handicapés de ne pas vivre de tension entre leur identité de genre masculine et leurs capacités qui diffèrent des normes dominantes ? Les discours conflictuels entre deux de ces champs, soit les études trans et du handicap, s’articulent principalement autour de la tension suivante : en études du handicap, comme c’est le cas dans les fat studies, une insistance est mise sur l’acceptation du corps tel qu’il est, comme l’indiquent les auteur-es dans ces champs (White, 2014 ; Clare, 2017). Cela se traduit dans l’adage bien connu « Change the world, not our body-minds » (Clare, 2017, 181). Les personnes grosses ou handicapées voulant transformer leur corps se sont vus exclues de ces champs d’études critiques et des mouvements sociaux qui les accompagnent. Dans les études trans, une l’insistance est plutôt mise sur la possibilité et la liberté, pour les personnes désireuses de le faire, de changer leur corps pour vivre en conformité avec leur identité de genre.

  • 23 « Our real human bodies are exceedingly diverse — in size, shape, color, texture, structure, functi (...)

13Pour ne prendre qu’un seul exemple à l’intérieur des études du handicap, les auteur-es dans ce champ utilisent parfois la notion de « vrai » corps ou de corps « réel », stipulant implicitement que les corps soumis à la médecine, à la chirurgie, etc., seraient moins vrais, moins naturels, ou falsifiés. C’est le cas de Susan Wendell (1996, 112) qui mobilise à plusieurs reprises ces termes dans son livre et qui écrit : « Nos vrais corps humains sont extrêmement divers — en termes de taille, de forme, de couleur, de texture, de structure, de fonctions, de variétés d’habitudes de mouvement et de développement — et ils sont constamment en changement. […] Nous sommes perpétuellement bombardé-es par des images de ces idéaux [les idéaux corporels dominants], par leurs demandes et par les offres de biens de consommation et de services afin de nous aider à les atteindre. L’idéalisation du corps prévient tout le monde, personnes non handicapées et handicapées, de s’identifier avec et d’aimer leur vrai corps23 ». Quelle est la conceptualisation de la notion de « vrai corps » de Wendell ? Est-ce celui qui est donné par la nature ? Est-ce un corps cissexuel/cisgenre (c’est-à-dire non trans) ? Comment ce discours sur l’acceptation du corps tel qu’il est se fonde-t-il en partie sur une cisgenrenormativité stiplulant qu’il vaut mieux conserver son corps dit naturel plutôt que de le changer ? Cette perspective pourrait-elle mener à accuser les personnes trans d’échouer à accepter leur corps tel qu’il est, leur « vrai corps » (celui assigné à la naissance) ? Les personnes qui n’aiment pas leur corps, incluant certaines personnes trans, sont-elles coupables de succomber aux pressions consuméristes ? Alors que du côté des études du handicap, des pressions sont mises pour accepter/aimer le corps tel qu’il est, sans vouloir le modifier, le guérir ou le faire plier pour correspondre à des normes capacitistes (Kafer, 2013), du côté des études trans on insiste sur l’importance de l’autodétermination corporelle, de la possibilité de modifier le corps, de l’accès libre et gratuit aux traitements et aux chirurgies pour les personnes qui en veulent, etc.

  • 24 Des études montrent que plus une personne s’éloigne de sa transition et plus son corps et son ident (...)

14Cette contradiction apparente entre, d’un point de vue anticapacitiste, accepter son corps tel qu’il est, et, d’autre part, d’un point de vue anticisgenriste, embrasser la possibilité de pouvoir modifier son corps, peut sembler poser un paradoxe aux hommes trans et handicapés. D’un côté ces hommes peuvent ressentir un désir de déconstruire le sexisme et la masculinité hégémonique et d’investir des formes de masculinités différentes des normes hétérosexistes et capacitistes dans lesquelles l’interdépendance, la fragilité, la vulnérabilité etc., seraient mises à l’honneur. Il serait possible de nommer ce processus, à la suite de Shakespeare (1999, 58-59) : le « handicapement de la masculinité » (« disabling masculinity »). D’un autre côté, ces hommes peuvent ressentir le besoin, particulièrement dans les premières années de leur transition24 et dans certains cas tout au long de leur vie, d’adopter des comportements et des formes d’expression corporelle qui relèvent d’une masculinité hégémonique afin d’être reconnus dans leur genre d’auto-identification dans des sociétés cisgenristes qui tendent à ne pas reconnaître le genre des personnes trans, spécifiquement de celles qui ne se conforment pas aux stéréotypes sexistes de genre. Plusieurs hommes trans pourraient ainsi désirer mettre de l’avant une masculinité stéréotypée pour compenser la « double » délégitimation de leur identité masculine à travers le cisgenrisme et le capacitisme dans une société sexiste, comme c’est le cas d’hommes cisgenres handicapés cherchant à réaffirmer une masculinité hégémonique face à la délégitimation capacitiste de leur masculinité (Hickey-Moody, 2015, 149 ; Pearson et Pini, 2017 ; Rainey, 2017). Bien qu’il soit possible de penser que les hommes trans jouissent d’une mobilité sociale et des privilèges masculins lorsqu’ils sont correctement genrisés et donc que sous cet angle la subordination de leur masculinité vis-à-vis d’une masculinité hégémonique pourrait être remise en cause, il ne faut pas oublier que les privilèges cisgenres liés à cette masculinité s’évanouissent dès lors que leur statut trans est révélé comme le notent les travaux en études trans (Baril 2009 ; Bourcier, 2011). Soulignons aussi, à l’instar de Sarah Smith Rainey, que la réarticulation de stéréotypes sexistes par des hommes handicapés, et j’ajouterais ici trans, n’équivaut pas nécessairement à une consolidation univoque des systèmes dominants en vigueur, tels que le sexisme. Au contraire, ces réappropriations et recodifications peuvent servir, dans divers contextes, à questionner certaines présomptions de systèmes d’oppression. Rainey écrit que :

  • 25 « […] since disability is perceived to render a man “less masculine”, performing in traditionally g (...)

« […] puisque le handicap est perçu comme un facteur rendant un homme “moins masculin”, performer le genre d’une manière plus traditionnelle est une façon de rejeter les présomptions capacitistes à propos du handicap et du genre. Cela peut aussi avoir l’effet de rendre évident la nature construite des rôles de genre25 » (Rainey, 2017, 225).

15En somme, et pour reprendre les termes de Shuttleworth, Wedgwood et Wilson (2012), le « dilemme de la masculinité handicapée », auquel j’ajouterais le qualificatif trans, se situe précisément dans cette supposée tension entre l’affirmation d’une identité masculine non équivoque d’un point de vue trans et d’une identité masculine en crise et déstabilisée par les handicaps en fonction des stéréotypes sexistes et capacitistes. Cette contradiction présupposée s’évanouit dès lors que l’on commence à questionner les stéréotypes de la masculinité hégémonique en fonction d’une lecture anticisgenriste, anticapacitiste et féministe.

16La notion de « masculinité hégémonique » a été centrale dans plusieurs champs pour réfléchir aux masculinités, notamment en études du handicap (Rainey, 2017). Par exemple, Tom Shakespeare (1999, 62), dans son étude pionnière sur les hommes handicapés, classifie ces derniers en trois catégories quant aux réactions qu’ils ont vis-à-vis de la masculinité hégémonique, soit le rejet de celle-ci, sa réarticulation, ou encore son adoption acritique, une typologie reprise à quelques variantes près par d’autres chercheurs (Gerschick et Miller, 1997). À l’instar de Rainey (2017, 218) qui reconnaît les avantages à mobiliser la notion de masculinité hégémonique tout en démontrant que celle-ci ne peut être réduite à une « whole negative constellation of traits » vis-à-vis de laquelle les hommes handicapés devraient se soumettre, se rebeller ou s’adapter, il semble pertinent de percevoir les effets complexes et contradictoires de cette masculinité hégémonique, plutôt que la percevoir comme unilatéralement négative et préjudiciable et comme posture qu’il faudrait abandonner si l’on veut combattre le sexisme. C’est pour cette raison que Rainey, à l’instar de José Esteban Muñoz (1999), reprend la notion de désidentification pour se référer aux appartenances paradoxales à certaines catégories politiques et identitaires (comme celles reposant sur les catégories de genre, de race, d’orientation sexuelle, etc.) et qui permet de repenser la masculinité hégémonique. Elle écrit :

  • 26 « As a strategy of survival, disidentification can help men with physical disabilities be read (by (...)

« Comme stratégie de survie, la désidentification peut aider les hommes avec des handicaps physiques à être perçus (par les autres et par eux-mêmes) comme hommes dignes des privilèges patriarcaux, tout en se permettant simultanément de critiquer et de jouer avec les normes de la masculinité hégémonique. […] La désidentification rend évidentes les multiples façons à travers lesquelles les hommes handicapés font plus que réagir à, ou contre la masculinité hégémonique, ils la renouvellent également26 » (Rainey, 2017, 230).

17Sous cet angle, il est possible de penser que le concept de désidentification pourrait être utile pour penser les masculinités trans et handicapées lors de recherches ultérieures. Cette notion permettrait de réfléchir de manière critique aux situations où ces hommes trans et handicapés reprennent des stéréotypes sexistes traditionnels, en rejettent d’autres, en resignifient d’autres, sans présupposer que le rejet, l’adoption ou la réarticulation de ces stéréotypes mènent nécessairement à un démantèlement ou à un renforcement des structures patriarcales et capacitistes.

18Alors que nous venons d’explorer les rapports entre masculinités trans et handicaps en se focalisant davantage sur la dimension physique/corporelle, j’aimerais maintenant mettre en lumière les relations entre les masculinités trans et les (in)capacités aux plans cognitif et mental (incluant les problèmes psychologiques et émotifs). Pour ne prendre que quelques exemples, en extrapolant les travaux émergents de Marshall et al. (2012 ; 2014) auprès des personnes handicapées au plan cognitif/intellectuel qui appartiennent aux communautés trans et queers et qui discutent des risques de paternalisme à l’égard de ces personnes, il est possible de penser que les personnes avec des handicaps cognitifs et intellectuels désireuses d’effectuer une transition sont davantage exposées à une délégitimation de leurs voix et de leur autodétermination à cause de leurs handicaps. Une situation similaire existe pour les personnes avec des handicaps mentaux, dont les désirs de transition sont parfois réduits à leurs problèmes de santé mentale. Cette interprétation est héritière de décennies de conceptualisation des réalités trans comme résultant de troubles mentaux par les professionnels de la santé (Devor, 1997 ; Cromwell, 1999 ; Stryker et Whittle, 2006 ; Gorton, 2013). Comme l’indique cette personne trans dans une recherche sur les facteurs d’oppression et de résilience des jeunes trans, l’interprétation de la transitude comme effet d’un problème de santé mentale est problématique :

  • 27 « I worry about the kind of intersection of being—like having a mental illness and being trans, tha (...)
  • 28 Une autre personne dit : « J’ai constamment peur que l’on invalide mon genre et ma transitude parce (...)

« Je m’inquiète au sujet de certaines intersections vécues — comme le fait d’avoir une maladie mentale et d’être trans, que les gens vont ensuite les utiliser pour dire “Ah bon, la transitude est une maladie mentale”, bref les utiliser comme outils pour stigmatiser davantage. Parce que c’est quelque chose que j’ai vu se produire et qui m’effraie. […] Je ne pense pas que la transitude est une maladie mentale, je pense que la dysphorie de genre me cause de la détresse et aussi — je ne crois pas qu’elles devraient s’invalider l’une et l’autre. Le dernier psychiatre que je voyais, quand je lui ai dit le nom et les pronoms que j’utilise, il a réagi en disant “Non. Vous avez une crise d’identité de genre parce que vous avez un trouble de la personnalité.” Et je lui ai dit que ce n’est pas vrai27 » (SC1, 23 ans, personne transmasculine) (Pullen Sansfaçon et al., 2017, 11)28.

  • 29 « […] felt their clinicians had overlooked their gender concerns, instead focusing solely on mental (...)

19Comme le soulignent Riggs et Bartholomaeus (2017, 78) dans leur étude sur les hommes trans et handicapés, certains d’entre eux « […] ont senti que leur médecin ont négligé leurs préoccupations entourant leur identité de genre en focalisant uniquement sur les enjeux de santé mentale29 ». Cela amène des questionnements afin de savoir si les professionnel-les de la santé sont plus promptes, à partir d’un modèle médical du handicap fondé sur un capacitisme, à traiter les handicaps et problèmes de santé (physique et mentale) d’une personne trans et handicapée que de se préoccuper de leur identité de genre, renforçant du coup le cisgenrisme.

20Par ailleurs, si les situations de handicaps de causes iatrogènes peuvent survenir chez les hommes trans qui décident de procéder à des traitements et des chirurgies, des handicaps et problèmes de santé (physiques ou mentaux) peuvent aussi se développer au regard des violences, discriminations, exclusions et micro-agressions qui surviennent au quotidien dans la vie des personnes trans et dont les effets sont largement documentés par les études quantitatives et qualitatives (Shelley, 2008 ; Riggs et Due, 2013 ; Riggs, Ansara et Treharne, 2015 ; Pullen Sansfaçon et al., 2017 ; Riggs et Bartholomaeus, 2017). L’insomnie, l’anxiété, la dépression, les idéations suicidaires et les comportements d’automutilation provoqués par ces violences, de même que les conséquences physiques d’un manque d’accès aux soins de santé pour les personnes trans qui résultent parfois en des handicaps ou des maladies chroniques, sont des problèmes très fréquents chez les personnes trans (Bauer et al., 2014, 2015 ; Smith et al., 2014 ; Veale et al., 2015 ; James et al., 2016). Les problèmes de santé, notamment de santé mentale, sont toutefois la plupart du temps dissimulés par les hommes trans lorsqu’ils consultent des professionnel-les de la santé afin d’obtenir les recommandations nécessaires pour les traitements hormonaux et chirurgicaux qu’ils désirent entreprendre ou éviter que leurs traitements en cours soient interrompus ou compromis (Stryker et Whittle, 2006 ; Riggs et Bartholomaeus, 2017). La seule étude réalisée à ce jour sur les hommes trans et handicapés, Riggs et Bartholomaeus (2017) indiquent que plusieurs participants sentent qu’ils doivent camoufler leur détresse psychologique et émotive afin de présenter une image positive d’eux-mêmes comme étant forts, en contrôle, sereins et résilients, pour avoir accès aux traitements hormonaux et chirurgicaux voulus. Cela a pour effet de rendre invisibles les problèmes de santé mentale chez les hommes trans, dont plusieurs résultent des violences cisgenristes (Riggs et Bartholomaeus, 2017, 68). Qu’il s’agisse d’affirmer une identité en conformité avec une masculinité hégémonique sexiste et capacitiste afin d’être reconnu dans son genre d’auto-identification et qui implique, d’une certaine façon, la négation des réalités qui accompagnent certains handicaps comme la dépendance, la vulnérabilité et la fragilité, ou encore de vouloir « prouver » aux professionnel-les de la santé une stabilité au plan émotif et psychologique pour accéder à des traitements, il semble que les masculinités trans, pour reprendre les termes de Riggs et Bartholomaeus, génèrent une « competing set of demands » avec l’identité handicapée (et ajouterais-je, avec la masculinité hégémonique sexiste), c’est-à-dire amènent un certain nombre de tensions en fonction des normes et structures dominantes. Comme le suggèrent ces auteurs et comme je l’ai mentionné dans des travaux antérieurs (Baril, 2015b), il serait important que ces réalités, soit le fait d’être un homme trans et handicapé, soient reconnues et que ces réalités et les oppressions qui les accompagnent soient l’objets d’approches intégrées dans les soins de santé et services sociaux plutôt que d’être mises en tension/contradiction.

21Enfin, au-delà des implications qu’ont les capacités sur l’identité de genre ou de celles de l’identité de genre sur les capacités, de même que des relations complexes entre le sexisme, le capacitisme et le cisgenrisme, il pourrait être intéressant, dans des recherches ultérieures, de s’interroger sur les similitudes et les différences des expériences corporelles, psychologiques et affectives des hommes trans et/ou handicapés. Par exemple, Rainey (2017, 227-228) montre comment, dans nos sociétés où le pénis constitue le référent central de la sexualité masculine et, ajouterais-je, de l’identité masculine (Cromwell, 1999 ; Rubin, 2003), certains hommes handicapés dont le pénis et les érections sont affectés par les handicaps revoient le rôle central que joue leur pénis dans les relations sexuelles et usent de créativité pour avoir une vie sexuelle qui s’articule autour d’une dégénitalisation de la sexualité et du décentrement du pénis, de la pénétration et du seul plaisir masculin dans les rapports sexuels (Loeser, Crowley et Pini, 2017). Il est intéressant de noter qu’à cet égard, plusieurs hommes trans qui, pour des raisons diverses (personnelles, économiques, de santé, etc.) n’ont pas subi de chirurgies génitales, déploient de façon similaire des stratégies variées et usent de créativité dans leur sexualité en l’absence de pénis. Les usages similaires de jouets sexuels (harnais, dildos, etc.), tant par les hommes handicapés que trans (ou trans et handicapés), qui sont parfois considérés comme des prothèses sexuelles par certains hommes trans (Cotten, 2012 ; Langer, 2014 ; Baril, 2015b, 62), constituent également un champ d’exploration riche pour des travaux ultérieurs. De même, il serait possible de s’interroger à propos des éléments suivants : comment les hommes trans et handicapés vivent-ils de manière différente ou similaire (ou les deux) l’absence ou le dysfonctionnement de parties de leur corps dites non genrées/sexuées versus celles dites genrées/sexuées ? Pour le dire simplement : ressentent-ils de façon similaire, différente ou les deux à la fois l’absence d’une main, d’un bras, d’une jambe et d’un pénis ? Comment la volonté de visibilité ou d’invisibilité, par rapport à son handicap ou à son parcours trans, se modélise-t-elle en fonction de cette expérience simultanée de l’identité trans et handicapée ? Cette liste de questions pourrait s’allonger, puisqu’aucune d’entre elles n’a fait l’objet de questionnements dans les travaux scientifiques à ce jour.

Repenser les intersections entres les études sur les masculinités, trans et du handicap

22Dans mes travaux antérieurs (Baril, 2013, 2015a, 2015b) et dans les travaux d’autres auteur-es comme ceux de Jasbir Puar (2015, 47) ou d’Eli Clare (2013, 2017), il est possible de voir émerger des réflexions visant à interroger les clivages arbitraires entre les études trans et les études du handicap. Ces travaux souhaitent mettre en lumière les avantages, tant théoriques que politiques, de penser les catégories ontologiques trans et du handicap au-delà de leurs divisions, une perspective à laquelle fait écho le présent article et dont la question centrale visait à mettre en lumière les contributions heuristiques aux plans théorique et politique qui se dégagent lorsque l’on pense les intrications entre les réalités masculines trans et handicapées. Je réitère ici le commentaire fait préalablement au sujet du questionnement critique, dans une perspective anticapaciste et anticisgenriste, des divisions arbitraires entre le théorique et le politique. À partir de ces perspectives anti-oppressives, le théorique est nécessairement politique. Ainsi, les apports théoriques présentés ci-dessous ont des implications positives au plan politique. Je déclinerais la réponse à ma question initiale en trois volets, suivant les contributions respectives que peut avoir une approche intersectionnelle des masculinités trans et handicapées. Notons que le but de présenter ces contributions de manière distincte n’est pas de reproduire les divisions entre divers positionnements sociaux, mais bien de mettre en lumière les apports spécifiques à chacun des champs d’études concerné.

  • 30 « I think that non-disabled men have things to learn from disabled men, and could profitably share (...)

23Premièrement, une théorisation intersectionnelle des masculinités trans handicapées représente une contribution importante au champ des études sur les hommes et les masculinités. Originellement et jusqu’à ce jour centré sur les réalités des hommes cisgenres et non handicapés, ce champ profitera d’un décentrement de son cisgenrisme et de son capacitisme implicites qui continuent de hanter ses analyses sur les masculinités, mêmes celles à la marge. Si la masculinité hégémonique est non seulement construite en fonction de présomptions racistes, classistes, hétéronormatives, mais également cisgenristes et capacitistes, ce champ ne peut plus faire l’économie de telles dimensions au plan théorique. Autrement dit, la masculinité ne peut plus être conceptualisée comme un signifiant universel qui serait modifiée par des dimensions spécifiques, comme l’identité de genre et les capacités, mais doit être théorisée d’emblée comme construite dans, à travers et par ces composantes identitaires et sociales toujours déjà liées. Quant au plan politique, plusieurs hommes poussés à questionner les privilèges qu’ils retirent d’une masculinité hégémonique bénéficieraient de se solidariser avec des hommes trans et des hommes handicapés (ou trans et handicapés) qui se voient obligés, du fait de leur transitude et handicap, d’interroger certains tropes de la masculinité dominante. Comme l’exprime Shakespeare (1999, 63) : « Je pense que les hommes non handicapés ont beaucoup de choses à apprendre des hommes handicapés et qu’ils pourraient partager des renseignements utiles à propos des relations de genre, de la sexualité et particulièrement à propos des enjeux liés au physique et au corps30 ».

24Deuxièmement, une théorisation intersectionnelle des masculinités trans handicapées constitue une avancée pour les études trans et les biais capacitistes qui les sous-tendent au plan conceptuel (Clare et Fritsch, 2009 ; Clare, 2007, 2013, 2017 ; Withers, 2012 ; Baril, 2015a, 2015b). Si nos conceptions genrées sont profondément capacitistes, il faut alors étendre ces réflexions également à l’identité de genre, ce qui fait ressortir l’importance d’analyser la dimension des capacités et du capacitisme dans les travaux sur les réalités trans. L’expérience d’une transition diffère selon que l’on est handicapé ou non. Au niveau politique, Clare (2005) indique que les personnes trans ont besoin de développer une « politique du handicap appliquée à la transitude » (« disability politics of transness »), c’est-à-dire qu’elles ont beaucoup à apprendre des mouvements des personnes handicapées et de leurs luttes passées. Plusieurs auteur-es qui commencent à s’intéresser à ces intersections abondent en ce sens et entrevoient le riche potentiel des outils et revendications des études du handicap pour les études/mouvements trans (Withers, 2012 ; Baril, 2015a , 2015b , 2016 ; Riggs et Bartholomaeus, 2017, 81). Les réflexions et revendications développées par les personnes handicapées, notamment sur les formes de care, d’entraide, de vulnérabilité, d’accessibilité, etc., pourraient s’avérer précieuses pour les personnes trans, leurs réflexions et leurs luttes politiques.

25Troisièmement, une théorisation intersectionnelle des masculinités trans handicapées contribue aux études du handicap en leur permettant de déconstruire les présomptions cisgenristes qui hantent leurs cadres théoriques et conceptuels. Si des études foisonnantes dans ce champ s’intéressent aux genres et aux sexualités (McRuer, 2006 ; McRuer et Mollow, 2012 ; Brasseur, 2016 ; Campbell, 2017 ; Martino, 2017), force est de constater que l’identité de genre demeure occultée. Or, produire des analyses sur les rapports entre handicaps et genre, sans prendre en considération la dimension cis ou trans du genre, semble faire l’économie d’outils productifs pour comprendre les mécanismes de constructions de la féminité et de la masculinité, de leur vécu subjectif, de même que des privilèges qui accompagnent ces postures sociales. En ce qui concerne l’aspect politique, les mouvements des personnes handicapées auraient avantage, plutôt que de se distancer des personnes trans dans une volonté de présenter une respectabilité politique en termes de « normalité » de sexe/genre/sexualité, à se solidariser avec ces dernières qui rencontrent des difficultés similaires aux personnes handicapées, qu’il s’agisse des taux de non emploi, des formes de violence vécues, de la délégitimation de leur voix par les autorités médicales, de la stigmatisation de leur corps, des problèmes d’exclusion des espaces publics et d’accès aux soins de santé, etc. Sans nécessairement massifier ces mobilisations collectives, certaines des stratégies qu’utilisent les mouvements trans sur ces enjeux pourraient être reprises et redéployées par les mouvements des personnes handicapées. À titre d’exemple, certains travaux, comme ceux de Kafer (2013), Adair (2015) ou Baril (2015a, 2015b, 2016), commencent à mettre en lumière les intersections entre ces mouvements sociaux et les solidarités qu’ils pourraient développer, par exemple en termes de salles de bain accessibles pour les personnes handicapées, les personnes trans et les personnes non binaires.

Conclusion

26Cet article s’est penché sur une réalité encore peu étudiée dans les travaux anglophones et complètement laissée en marge dans les travaux francophones : celle des hommes trans et handicapés. Alors qu’une proportion significative de personnes trans, et donc d’hommes trans, vivent avec un handicap ou un problème de santé chronique, les recherches sur les liens entre la transitude et les handicaps et entre le sexisme, le cisgenrisme et le capacitisme demeurent quasi absentes des travaux universitaires. Cet article visait à répondre à ce caractère lacunaire des savoirs scientifiques en offrant un premier état des lieux en français sur les réalités des hommes trans et handicapés, à travers une recension des écrits qui traitent des intersections entre masculinité, transitude et handicap. Cette recension a été l’occasion de commencer à théoriser les implications de la transitude sur le handicap et vice-versa dans la vie de ces hommes et de réfléchir de manière critique aux entrecroisements entre le cisgenrisme et le capacitisme qu’ils vivent. Enfin, la dernière section de cet article a permis de mettre en valeur les apports à la fois théoriques et politiques de penser, à partir d’une approche intersectionnelle, des réalités qui demeurent généralement confinées dans des champs d’études distincts et des mouvements sociaux séparés qui ne dialoguent que très peu. Finalement, les réflexions proposées ici invitent à remettre en question les frontières qui existent entre les personnes trans et handicapées, puisque comme une perspective intersectionnelle sur leurs réalités le démontre, les (in)capacités sont conceptualisées en fonction de normes de genre et les identités de genre sont construites par des normes capacitistes.

27Enfin, je tiens à réitérer que bien que les intersections entre les réalités masculines trans et handicapées semblent a priori très pointues et toucher un petit nombre d’individus, je souhaite avoir démontré ici que non seulement cela concerne une portion significative des communautés trans/handicapées, mais aussi que la théorisation de ces liens a le potentiel de nous aider plus généralement à développer des approches théoriques plus complexes pour défendre les droits de divers groupes marginalisés, de même que repenser les réflexions plus générales en études du genre, sur les masculinités, trans et du handicap. Ces réflexions critiques au plan conceptuel nous aiderons, je l’espère, à développer des politiques sociales et des modèles d’intervention critiques des biais hétérosexistes, cisgenristes et capacitistes exposés dans ce texte et en mesure de prendre en considération la réalité concrète et complexe de groupes qui vivent plusieurs oppressions simultanément et dont les effets ne s’additionnent pas, mais s’entrecroisent. Comme le souligne Garland-Thomson (2002, 4) quant aux contributions positives que peut avoir l’adoption d’une perspective anticapacitiste en études féministes, j’insisterais sur le fait que la prise en considération de l’identité de genre et des capacités dans les travaux sur les genres et les masculinités ne limite ou ne réduit pas nos réflexions, mais les enrichit, les élargit, les renforce et surtout les transforme.

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Notes

1 « Since 2005 I have had seven major surgeries performed in hospitals and at least 16 more procedures performed in the surgeon’s office. […] So far I’ve been working on this for almost six years now and still have no ability to void or have an erection yet. […] Phalloplasty should not be taken lightly. The process will test even the strongest of hearts in many ways. I can honestly say that phalloplasty has been one of the hardest things I have ever done. To date it has tested me mentally, emotionally, physically and financially. » Toutes les citations en anglais ont été traduites par l’auteur.

2 L’expression « homme trans » réfère à une personne assignée femme à la naissance et s’auto-identifiant comme homme, que cette personne entame des traitements médicaux ou non. Les personnes trans constituent un groupe hétérogène incluant des personnes transsexuelles, transgenres et non binaires (c’est-à-dire qui sortent des deux catégories de genre existantes), telles que des personnes bigenrées (deux genres), agenrées (sans genre), etc.

3 Le néologisme « transitude » en français équivaut à « transness » en anglais. Composé du terme « trans » et du suffixe « itude » désignant un état, la transitude réfère à l’état d’être trans. Ce néologisme a circulé dans des blogues pour la première fois en 2013 (Koala, 2013), sans être défini, puis dans les travaux universitaires d’Alexandre Baril en 2014-2015 (Baril, 2017b). Le terme a ensuite été repris par des activistes et artistes (Labelle, 2015).

4 Dans ces statistiques, les handicaps mentaux, définis comme une large catégorie regroupant les problèmes de santé mentale, sont très présents (James et al. 2016, 57). Davidson (2015, 43), dans sa recension des écrits nord-américains, indique qu’il s’agit d’une majorité de personnes trans qui souffrent de handicaps mentaux, incluant 52 % aux prises avec de l’anxiété sévère et 43 % avec une dépression. Les données canadiennes abondent dans le même sens (Bauer et Scheim, 2015). Par exemple, une étude pancanadienne menée auprès de 923 jeunes trans a indiqué que plus de la moitié rapportent avoir des handicaps et plus des deux tiers vivent des problèmes de santé mentale (Veale et al., 2015). Les statistiques sont encore plus élevées en Australie (Smith et al., 2014).

5 Le capacitisme « […] réfère au système d’oppression et aux discriminations faites sur la base des capacités humaines, psychologiques, intellectuelles ou physiques » (Baril, 2013, 403).

6 Le terme « cisgenrisme » se compose du préfixe « cis », antonyme du préfixe « trans ». « […] [E]n sciences pures, l’adjectif “cis” est employé comme antonyme de “trans”, le premier référant à un élément qui est du même côté, le second qui, dans ses origines latines signifie “par-delà”, référant à un élément appartenant aux deux côtés. Plus généralement, le préfixe “trans” désigne, en opposition au préfixe “cis”, une transformation et une transition. Le préfixe “cis” est ainsi accolé aux termes de sexe et de genre pour désigner les personnes qui décident de ne pas faire de transition de sexe ou de genre » (Baril, 2009, 283-284). Autrement dit, une personne cisgenre/cissexuelle (ou cis) n’est pas trans. Le cisgenrisme est donc un système d’oppression envers les personnes trans. Pour référer à l’aspect normatif de cette oppression des personnes trans, j’ai créé le néologisme « cisgenrenormativité » (Baril, 2009, 284). Je distingue celle-ci du cigenrisme : « [l]e cisgenrisme est un système d’oppression qui touche les personnes trans, parfois nommé transphobie. Il se manifeste sur le plan juridique, politique, économique, social, médical et normatif. Dans ce dernier cas, il s’agit de cisgenrenormativité » (Baril, 2015c, 121).

7 La dimension politique ne sera que brièvement abordée dans la troisième section de cet article. Néanmoins, dans des perspectives théoriques anti-oppressives anticisgenriste et anticapacitiste qui sont adoptées dans cet article, les frontières entre le théorique et le politique se brouillent ; la théorie est nécessairement politique.

8 Les études trans sont parfois conçues comme un champ de spécialisation des études de genre, mais cette conceptualisation est minoritaire et les spécialistes des études trans conceptualisent généralement les études trans comme un champ autonome (Prosser, 1998 ; Noble, 2006 ; Stryker et Whittle, 2006 ; Baril, 2015c ; 2017d). Par ailleurs, mon usage du terme « genre » recoupe deux réalités. Lorsque je réfère aux études de genre, aux normes de genre, etc., je renvoie à un ensemble de rapports sociaux de sexe fondés sur la distinction entre le masculin et le féminin. Lorsque je réfère à l’identité de genre, je focalise davantage sur la dimension subjective du genre ressentie par les personnes cis ou trans, tout en demeurant conscient que cette identité est socialement façonnée.

9 Le terme « intersection » et la notion même d’intersectionnalité ont été critiqués par certain-s auteur-es (Baril, 2013 ; Puar, 2015). Il s’agit de débats qui débordent du mandat de cet article. Je préciserais cependant que je conserve le terme « intersection » tel que l’a conceptualisé initialement Crenshaw (1989).

10 Voir les définitions qu’elle en donne dans Connell (2014, 74-76) et Connell et Messerschmidt (2005).

11 Cet article n’inclut pas les personnes trans sur le spectre féminin et les personnes non binaires de genre. Bien qu’il s’agisse de groupes pour lesquels des recherches sur les intersections entre leur transitude et les handicaps soient nécessaires, l’espace limité de ce texte ne me permet pas de le faire. Puisque les réalités de ces personnes sont très différentes de celles des personnes trans sur le spectre masculin, elles ne sont pas traitées ici.

12 Pour un historique des études trans, voir : Prosser (1998), Rubin (1999), Meyerowitz (2002), Stryker et Whittle (2006) et Baril (2009).

13 Le terme identité est ici compris comme étant une construction sociale résultant d’un positionnement situé.

14 Cette liste est exhaustive, reflétant la pauvreté des travaux sur le sujet. Plusieurs des travaux listés ne relèvent pas d’universitaires trans, mais sont des études sur les trans en sciences de la santé ou en droit.

15 Je limite mon analyse aux études du handicap, incluant les critical disability studies, mad studies et crip studies, sans m’attarder aux sciences de la santé. Toutefois, des travaux portant sur la santé des communautés trans notent le peu de considération de l’identité de genre dans ce champ (Bauer et al., 2014 ; Davidson, 2015 ; Baril, 2017a).

16 Les expressions mad studies et crip studies n’ont pas été traduites en français ; les auteur-es qui les utilisent, tel que Baril (2017b, 2017c), conservent les expressions anglaises, comme c’est le cas en études queer. Les mad studies réfèrent aux études sur la « folie » resignifiée de façon positive dans une perspective critique sur la psychiatrie et la psychologie et les crip studies constituent le versant plus radical et anti-assimilationniste des études du handicap. Pour des définitions en français de ces expressions, voir Baril (2017b, 2017c).

17 L’ouvrage de Burstow, LeFrançois et Diamond (2014) fait exception avec la contribution de Kirby (2014).

18 « Having a disability [is] seen as synonymous with being dependent, childlike and helpless—an image fundamentally challenging all that is embodied in the ideal male : virility, autonomy and independence.  »

19 Pour des explications sur les modèles du handicap, voir : Siebers (2008), Clare (2009 ; 2017), Davis (2010), Baril (2015b). Pour des critiques du modèle social, voir : Siebers (2008), Kafer (2013), Baril (2015b), Clare (2017, 53-63).

20 Les personnes neurodiverses sont celles que l’on retrouve sur le spectre de l’autisme, qui ont des déficits de l’attention, etc.

21 Le terme “grossitude” est ma traduction du terme “fatness” en anglais qui désigne l’état d’être gros-se, le terme fat ayant été resignifié positivement au cours des dernières années par les personnes grosses dans une optique d’autodésignation antipathologique comme l’a été le terme queer pour les personnes marginalisées sexuellement.

22 « […] being “at home” in one’s body is privileged in both fat and trans narratives, [but] it is achieved by quite different means. In trans narratives, as Prosser suggests, the process is one of bodily change and “transition.” For fat activists it is one of changing one’s mind about one’s body […]. The question this poses is, what do these conflicting discourses offer someone who is both fat and trans in terms of their hope of feeling “at home” in their body ? »

23 « Our real human bodies are exceedingly diverse — in size, shape, color, texture, structure, function, range and habits of movement and development — and they are constantly changing. […] We are perpetually bombarded with images of these ideals, demands of them, and offers of consumer products and services to help us to achieve them. Idealizing the body prevents everyone, able-bodied and disabled, from identifying with and loving her/his real body. »

24 Des études montrent que plus une personne s’éloigne de sa transition et plus son corps et son identité changent, moins elle adhère aux stéréotypes de sexe/genre (Devor, 1997 ; Rubin, 2003 ; Dozier, 2005).

25 « […] since disability is perceived to render a man “less masculine”, performing in traditionally gendered ways is a way to dismiss ableist assumptions about disability and gender. It also can have the effect of making obvious the constructed nature of gender roles ».

26 « As a strategy of survival, disidentification can help men with physical disabilities be read (by others and themselves) as men worthy of patriarchal privilege, while simultaneously permitting a critique of, and play with, normative hegemonic masculinity. […] Disidentification makes obvious the many ways in which disabled men are doing more than reacting to or against hegemonic masculinity, they are also make it anew ».

27 « I worry about the kind of intersection of being—like having a mental illness and being trans, that then people will use it as a kind of, “Oh, well, being trans is like a mental illness,” use it as a tool to like, further stigmatize. ‘Cause that’s something I’ve seen happen and that scares me. […] I don’t think that being trans is a mental illness, I think that gender dysphoria causes me distress and I also—I don’t think they should invalidate each other. The last psychiatrist I was seeing, when I told him what name and pronouns to use he was just like, “No. You’re just having a gender crisis because you have personality disorder.” And I told him that’s not true. »

28 Une autre personne dit : « J’ai constamment peur que l’on invalide mon genre et ma transitude parce que je suis neuroatypique. On m’a déjà dit que mes neuroatypies étaient liées à mon genre. Des personnes […] m’ont déjà dit que ma transitude était sans doute une conséquence de ma santé mentale, ce qui est faux » (Fromthetopdown, 2017).

29 « […] felt their clinicians had overlooked their gender concerns, instead focusing solely on mental health concerns  ».

30 « I think that non-disabled men have things to learn from disabled men, and could profitably share insights into gender relations, sexuality and particularly issues of physicality and the body.  »

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexandre Baril, « Hommes trans et handicapés : une analyse croisée du cisgenrisme et du capacitisme »Genre, sexualité & société [En ligne], 19 | Printemps 2018, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 30 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/gss/4218 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gss.4218

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Auteur

Alexandre Baril

Professeur adjoint
École de service social
Université d’Ottawa

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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