Le Laurier noir/V/Les Sénégalais
LES SÉNÉGALAIS
Pressés sur le vaisseau dont les mâts étincellent
Et n’ayant abordé que pour d’autres départs,
Dans le port phocéen couvert de balancelles,
Les noirs Sénégalais étoilent leurs regards.
Leur visage est plaintif et leur chant nostalgique.
Une rose de sable effeuille dans leurs mains
Le brûlant souvenir des jours océaniques
Enchaînés d’un soleil qui jamais ne s’éteint.
Monotone et blessé, glisse sur les cordages
L’inaccessible appel des flûtes de roseau.
Grelottants sous un ciel moins chaud que leur rivage,
Dépossédés, leurs yeux cherchant pour leur repos
La place des soutiers dans la nuit des chaudières,
Ils flânent sur le pont que la mer a battu.
Ô sous les grands palmiers — ces jets d’eau de lumière —
La natte parfumée offerte à leur corps nu !
Les épouses du Sud, doublement maternelles,
Ayant versé le lait et rallumé le feu,
Se couchaient à leurs pieds et jeunes et fidèles
Autour de leur sommeil enroulaient leurs cheveux.
Ils ont quitté l’odeur sucrée et primitive
De cet enchantement qui portait des colliers
Pour un pays lointain où les monts et les rives
Sont ruisselants de gloire et couverts de charniers.
Ignorants d’un destin qui court au sacrifice,
Dans l’espace brûlé des combats éperdus,
Les noirs Sénégalais descendent dans la lice.
Et le ciel de Dakar ne les reverra plus.