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Barlatier, Baroncelli, Benoit-Lévy, Bernard…
p. 48-70

Texte intégral

BARLATIER Paul (1880-1940)

1Le nom de Paul Barlatier reste lié à ceux de Vorins, Marodon et Champavert qui, dans les années vingt, œuvrent dans le giron de la société d’édition marseillaise Phocéa-Film pour développer la production locale. Réalisateur et scénariste depuis 1918, Barlatier dirige la section Lauréa-Film et met en scène, dans les studios de la Croix-Rouge, plusieurs drames édifiants, dont le plus représentatif est sans doute Hors de la boue. Dans ce film, un souteneur et sa protégée recueillent une petite orpheline qu’ils maltraitent, jusqu’au jour où celle-ci les amène à comprendre que le salut est dans le travail. « Travail, travail, rédemption » martèle alors un intertitre. La technique de Barlatier est certes maladroite (il affectionne les longs plans de coupe sur les expressions exacerbées des comédiens), mais l’utilisation des décors naturels confère aujourd’hui un intérêt documentaire à ses films. Peut-être conscient de ses limites, il s’assure, en 1923, l’aide de collaborateurs pour mettre en scène ses scénarios. Avec G. Mouru de Lacotte, Barlatier réalise Âmes corses, probablement son seul sujet d’inspiration vraiment régionale, et, avec Charles Keppens, Mes pt’its et la Course à l’amour, sympathique comédie tournée entre Nice et Évian. Dans la même veine, il signe également quelques courts métrages comme le Trésor, qu’interprète Georges Péclet. En 1924, alors que disparaît la société Lauréa-Film, Paul Barlatier semble cesser toute activité dans la mise en scène d’œuvres de fiction.

Filmographie

2Le Gage (1920) ; La Falaise (1921) ; Fleur des neiges (id.) ; Hors de la boue (id.) ; L’Ampoule brisée (1922) ; Âmes corses (1923) ; Mes p’tits (1924) ; La Course à l’amour (id.) ; L’Aventureuse (id.).

BARONCELLI Jacques de (1881-1951)

3Jacques de Baroncelli a comme particularité d’avoir inauguré, en 1915, une double carrière de « critique » et de producteur-réalisateur de films. Homme lettré, descendant d’une famille aristocratique d’origine florentine établie en Avignon (Vaucluse) au XVe siècle et anoblie par le pape Léon X, Jacques de Baroncelli aurait sans doute préféré s’illustrer dans les sphères littéraires. Quelques nouvelles, poèmes et une pièce, publiés au seuil de l’âge adulte, témoignent de cette inclination. Le destin en décida autrement. Et si la ruine de sa famille l’obligea à « monter à Paris » dès 1908 pour y gagner sa vie comme journaliste (notamment à L’Éclair d’Ernest Judet), puis comme cinéaste (1915-1947), il ne se départira jamais de son amour des Belles Lettres. Lamartine, Sainte-Beuve et Chateaubriand, entre autres, l’accompagneront tout au long d’une vie riche en heures de lecture et en amitiés littéraires, notamment avec Jean Giraudoux.

4De 1915 à 1917, Jacques de Baroncelli fait ses gammes derrière la caméra, enchaînant à un rythme soutenu drames de guerre peuplés d’espions (la Maison de l’espion) et drames moraux (la Faute de Pierre Vaisy), produits au sein de sa propre société, les Films Lumina. La Nouvelle Antigone (1916) suscite déjà la curiosité de Delluc, tandis que le Roi de la mer (1917) attire l’attention de Colette. Tenté un instant par l’Avant-Garde (il signe le scénario de la Cigarette de Germaine Dulac) et la défense d’un « cinéma pur », il opte finalement pour un cinéma populaire, d’inspiration naturaliste (le Retour aux champs, 1918), plus proche de sa sensibilité. « Il faut rester simple et vrai, et penser davantage à émouvoir qu’à émerveiller », sera sa profession de foi en la matière.

5Entré au Film d’Art comme simple réalisateur en 1918, Baroncelli devient directeur artistique de la société en 1920, sous le règne de Louis Nalpas, et ceci à la suite d’un voyage d’études dans les studios américains au printemps 1919. Il ramène dans ses bagages les fameux sunlights qui vont désormais remplacer les lampes à arc et, surtout, la comédienne Fanny Ward (Forfaiture), qu’il dirige dans deux longs métrages, la Rafale (1920), d’après Henry Bernstein, et le Secret du Lone Star (1920). Le nom de son interprète n’ayant pas suffi à pénétrer le marché américain – comme Baroncelli l’avait d’abord imaginé – le réalisateur revient à des ambitions franco-françaises. En 1921, sa grande année au Film d’Art, il adapte avec succès le Rêve de Zola (dont il fera un remake parlant en 1930) et le Père Goriot de Balzac.

6Début 1922, Baroncelli quitte le Film d’Art et part en Belgique honorer un contrat avec la Belga-Film. Accompagné des frères Chomette comme assistants (Henri et René, le futur René Clair), il tourne le court métrage la Femme inconnue, mais surtout le Carillon de Minuit (1922), une histoire passionnelle tirant tout son parti des décors (canaux, beffrois) et des pratiques culturelles locales (colombophilie).

7L’aventure de la Belga-Films ayant été peu concluante, Jacques de Baroncelli rentre à Paris fin 1922 avec le ferme désir de reconquérir son indépendance. Sa tentative de trouver des capitaux français s’étant soldée par un échec, il crée la Société belge des Films Baroncelli (souvent abrégée en Films Baroncelli), à Bruxelles, le 16 décembre. Société anonyme au capital de 250 000 francs Belges, elle est constituée grâce à un apport du fondateur et des cessions d’action, notamment à la Banque Union Crédit de Liège, qui manifeste ainsi son désir d’encourager la création d’une industrie cinématographique belge.

8Entre 1923 et 1930, Jacques de Baroncelli va ainsi signer douze films au sein de cette société, gérée par un conseil d’administration. Douze films réalisés avec une régularité de métronome, au rythme immuable de deux longs métrages annuels, produits de façon autonome pour les six premiers (de la Légende de Sœur Béatrix au Réveil), puis en association avec les Cinéromans-Films de France de Jean Sapène pour les six suivants (de Nitchevo à la Femme et le Pantin). Grâce à cette alliance, Baroncelli apporte à sa société l’oxygène qui lui manquait, bénéficie des modernes studios de Joinville-le-Pont, d’une bonne distribution assurée par Pathé-Consortium et du circuit Lutetia qui regroupe les plus belles salles de Paris.

9Des douze films réalisés au sein de cette société, la grande majorité sont des adaptations littéraires. De ce fait, Baroncelli est souvent amené à défendre dans la presse son droit à « transcrire » (il préfère ce terme à « adapter ») des œuvres déjà existantes, à faire office d’illustrateur ou d’« ymagier ». Il invoque notamment l’absence d’auteurs susceptibles d’écrire directement pour l’écran et la pression d’une industrie cinématographique toujours impatiente de tirer profit du succès d’un roman ou d’une pièce.

10Baroncelli prétend toujours faire œuvre d’auteur par le biais de ses choix d’adaptations et de leur organisation thématique. « La presse a loué Nitchevo, constate-t-il dans une lettre de 1925, mais personne ne s’est avisé que le film était le troisième volet d’un triptyque : Pêcheur d’Islande – Veille d’armes – Nitchevo […]. Pêcheur, c’était la mer “sentimentale”. Nitchevo, c’est la mer “cérébrale”. » Ailleurs, il élargit cette même idée à une dimension cosmique : « La terre dans Nêne, l’eau dans mes quatre derniers films, l’air, il ne me restera plus qu’à traiter le feu, pour avoir épuisé les quatre éléments, qui sont aussi ceux de la photogénie. »

11Adaptations ou scénarios originaux (Baroncelli en écrit cinq sur les douze films de cette période), ce début des années vingt marque le sommet de son œuvre avec deux titres : Nêne et, plus encore, Pêcheur d’Islande. Tirés de deux romans célèbres – le premier d’Ernest Pérochon, le second de Pierre Loti – les deux films ont en commun d’inscrire une histoire dramatique dans un environnement (la campagne pour le premier, la mer pour le second) qui est plus qu’un simple décor. Pour ces deux films, Baroncelli tirera le meilleur parti de ses atouts : des sujets naturalistes avec lesquels il a de réelles affinités, la complicité de Louis Chaix, son fidèle chef opérateur (il signera 18 films pour Baroncelli, entre 1920 et 1933), et des interprètes expérimentés qui connaissent toutes les subtilités de ce mode d’expression : Sandra Milovanoff pour les deux films, Charles Vanel pour le second.

12La décennie années vingt va se conclure par deux expériences malheureuses qui vont hypothéquer l’avenir du cinéaste. En 1928, Baroncelli tourne la Femme du voisin et la Femme et le pantin, d’après Pierre Louÿs, avec le nouveau procédé Keller-Dorian de film en couleurs, utilisé en 1947 par Jacques Tati pour Jour de fête. Mais, devant l’impossibilité technique de tirer la moindre copie en couleurs, les deux films seront exploités en noir et blanc.

13Les années trente seront plus incertaines et moins créatives (remakes, divertissement, naturalisme et exotisme camarguais) et les années quarante qui restent prolifiques sont souvent mal inspirées hormis une Duchesse de Langeais adaptée par Giraudoux.

14Après quelques années d’inactivité forcée, Jacques de Baroncelli meurt à son domicile parisien d’un arrêt cardiaque, le 12 janvier 1951, à l’âge de soixante-neuf ans.

Filmographie

15La Rafale (1920) ; Le Secret du « Lone Star » (id.) ; La Rose (court métrage, id.) ; Flipotte (id.) ; Champi-Tortu (id.) ; Le Rêve (1921) ; Le Père Goriot (id.) ; Roger-la-Honte (1922) ; La Robe déchirée (court métrage, id.) ; Le Carillon de minuit (id.) ; La Femme inconnue (court métrage, 1923) ; La Légende de Sœur Béatrix (id.) ; Nêne (id.) ; La Flambée des rêves (1924) ; Pêcheur d’Islande (id.) ; Veille d’armes (1925) ; Le Réveil (id.) ; Nitchevo (1926) ; Feu ! (id.) ; Duel (1927) ; Le Passager (id.) ; La Femme du voisin (1928) ; La Femme et le Pantin (id.) ; L’Arlésienne (1929).

BENOIT-LÉVY Jean (1888-1959)

16C’est sur les conseils de son oncle Edmond Benoit-Lévy que Jean, né le 25 avril 1888 à Paris, s’oriente vers une carrière dans le tout jeune secteur de la cinématographie. Il commence son apprentissage dans les Laboratoires Pathé et Gaumont, puis il s’initie à l’art de la mise en scène en travaillant en tant qu’assistant auprès de Pierre Frondaie tout d’abord (Montmartre, 1910), puis pour le compte des Établissements Lordier à partir de 1912. Le déclenchement de la guerre met momentanément fin à son activité cinéma- tographique.

17En 1920, Jean Benoit-Lévy est nommé secrétaire général de la société parisienne Omnia-Pathé. Là, sur les traces de son oncle avec qui il a longtemps travaillé à la Société d’instruction populaire, l’ensemble de son activité va se concentrer vers la cinématographie éducative. Convaincu du grand pouvoir de persuasion de l’image animée, il se montre en effet empressé de mettre ce potentiel au service de la culture, de la science et par là même de la société tout entière. En compagnie de l’opérateur Edmond Floury – qui sera l’un de ses plus fidèles collaborateurs – il réalise ainsi plus de trois cents films sur les thèmes les plus variés (enseignement technique, orientation professionnelle, géographie, hygiène, pratiques agricoles, etc. Il réalise aussi un certain nombre de films chirurgicaux, en collaboration avec quelques-uns des plus éminents chirurgiens de l’époque). Parmi les productions qui marquent le plus cette période, mentionnons Pasteur (1922), un documentaire consacré au grand savant français qu’il réalise avec Jean Epstein, encore totalement inexpérimenté.

18En 1928, Jean Benoit-Lévy fonde sa propre maison de production, l’Édition Française Cinématographique, dont la vocation est de produire des films d’enseignement, d’éducation et scientifiques.

19L’une des principales caractéristiques du cinéaste Jean Benoit-Lévy est d’avoir toujours gardé à cœur cette volonté de mettre le film au service de fins éducatives, et cela même quand il délaissera la production non-fictionnelle proprement dite (documentaires, films éducatifs et d’enseignement) pour la mise en scène de longs métrages de fiction. L’ensemble des films « spectaculaires » qu’il réalise ainsi entre 1927 et 1939, le plus souvent en collaboration étroite avec Marie Epstein, ont pour point commun de transmettre des idées, des valeurs, des comportements, à travers la mise en situation de personnages. Citons Âmes d’enfants (1927) sur les vertus de l’hygiène pour la santé des enfants, Peau de Pêche (1928) sur les bienfaits de la vie à la campagne en opposition avec la vie insalubre et trépidante de la ville, ou encore Maternité (1929) sur le bonheur de fonder une famille, illustré à travers le contre-exemple d’une femme qui décide de ne pas avoir d’enfant. Fidèle à ses principes, il continuera tout au long des années trente à réaliser des films dans le même esprit, dont les plus renommés restent aujourd’hui la Maternelle (1934) et la Mort du cygne (1936-37).

20Il théorisera d’ailleurs ses conceptions relatives aux fonctions sociales et éducatives du cinéma, dans un ouvrage au titre emblématique publié en 1944, les Grandes missions du cinéma. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’il s’adonne à l’écriture, puisque l’on retrouve sa signature au cours de l’entre-deux guerres dans quelques articles de revues spécialisées. Son esprit missionnaire se traduit aussi par de nombreuses participations à des conférences sur la question du cinéma éducatif, ainsi que par l’organisation de rencontres autour de la projection de ses films.

21Ce prosélytisme mis au service de l’éducation populaire et de l’élévation de l’humanité par la culture se manifeste aussi par une participation active à différents organismes internationaux, dont en particulier la Commission Nationale française de coopération intellectuelle, et le Comité français de l’Institut International du cinéma éducatif dont il occupe le poste de secrétaire général. D’une façon générale, il entretient de nombreux contacts avec les milieux de la cinématographie éducative étrangers, européens comme d’Outre-Manche.

22En 1940, frappé par les lois antisémites, il se réfugie en zone libre, avant que la fondation Rockefeller lui propose de quitter la France pour les États-Unis, où il commence à enseigner le cinéma au sein de la New School for Social Research.

23De retour en France, Jean Benoit-Lévy reprend son activité de réalisateur, n’oubliant aucunement ses objectifs éducatifs qu’il cherche à présent à appliquer au nouveau média qu’est alors la télévision. Il meurt en pleine activité, le 2 août 1959, à l’âge de 71 ans.

Filmographie

24Pasteur (co. Jean Epstein, 1922) ; Âmes d’enfants (1927) ; Peau de pêche (1928) ; Maternité (1929).

BERNARD Raymond (1891-1977)

25Fils cadet du célèbre humoriste et homme de théâtre, Tristan Bernard (1866-1947), Raymond Bernard a, au début de sa carrière, prolongé l’œuvre de son père au cinéma. Auteur des scénarios originaux des premiers films de son fils (le Ravin sans fond, 1917 ; le Traitement du hoquet, 1918 ; le Gentilhomme commerçant, 1919), Tristan Bernard marque naturellement de son empreinte boulevardière les récits de ces premières œuvres dont aucune copie ne subsiste aujourd’hui. Les protagonistes sont caractéristiques d’un théâtre à la mode : selon le quiproquo, baron, baronne, comte ou comtesse parlent mariage, héritage, adultère ou emprunt – thèmes et personnages omniprésents dans les films suivants de Raymond Bernard. Jusqu’en 1923, deux types d’œuvres se distinguent : d’une part, les adaptations des pièces de Tristan Bernard (le Petit Café, 1919 ; Triplepatte, 1922 ; le Costaud des Épinettes, 1923), de l’autre, les scénarios originaux du réalisateur lui-même (la Maison vide, 1921) ou de son père (le Secret de Rosette Lambert, 1920 ; l’Homme inusable, 1923 ; Décadence et grandeur, id.). En fait, la mise en scène de Raymond Bernard ne fait pas de différence entre les adaptations et les scénarios originaux et, ses films reprennent les thèmes et les personnages issus du vaudeville, son style adopte des principes cinématographiques enseignés par les films américains, notamment Forfaiture (The Cheat, Cecil B. DeMille, 1915), référence cinématographique pour la génération de jeunes réalisateurs qui émerge après la Grande Guerre. Raymond Bernard n’échappe donc ni à un héritage familiale ni à l’influence esthétique d’un cinéma très populaire ; deux enseignements classiques que le jeune réalisateur perpétuera avec maîtrise.

26Dès le Petit Café, qui sort en salles en décembre 1919, Raymond Bernard démontre ses capacités à mettre en scène, notamment grâce à des compositions spatiales soignées et à sa direction d’acteur. Celle-ci résulte non seulement de son apprentissage des techniques d’interprétation pour la scène dispensées par Marie Samary, mais aussi de la confiance qu’il témoigne en ses interprètes ; il dirigera Max Linder, Henri Debain, Charles Dullin, Armand Bernard ou Édith Jehanne avec succès. La qualité de ses films émane en outre de la faculté qu’a le cinéaste de s’entourer de collaborateurs talentueux : Robert Mallet-Stevens puis Jean Perrier pour les décors, Raoul Aubourdier, Marc Bujard ou Jules Kruger pour les prises de vue, enfin Henri Rabaud qui écrit spécialement la musique des films produits par la Société des Films Historiques. La première partie des années vingt verra cette concentration de talents trouver un des exemples les plus réussis dans Triplepatte. Ce film est d’ailleurs la première production de la Société des Films Tristan Bernard qui en produira quatre entre 1922 et 1923, tous réalisés par Raymond Bernard. En dépit de leur origine théâtrale ou de leur composition originale par l’homme de théâtre, l’art cinématographique de Raymond Bernard atteint sa maturité dans ses œuvres et ne doit plus rien à l’art théâtral de son père. Le comique de Tristan Bernard souvent issu du dialogue se convertit, au cinéma, dans la gestuelle particulière d’Henri Debain (interprète de Triplepatte, aristocrate ruiné, poussé au mariage par un usurier), soutenu par des gros plans quand le visage se fait plus expressif que le corps. De surcroît, le découpage des espaces se soumet à l’intimité du protagoniste afin de provoquer le rire : une entremetteuse poursuit le héros dans ses appartements, passant de la chambre à coucher à la salle de bain où le rideau de douche joue à la fois le rôle de paravent et celui de cloison derrière laquelle se réfugie Triplepatte pour y rechercher la tranquillité. En 1923, les films de Raymond Bernard reposent sur un comique de situation plus raffiné que le burlesque, il est en cela l’héritier du cinéma de Max Linder. Mais, si le cinéaste est un remarquable artisan, il n’a pas pour autant imposé un style particulier.

27Dans la seconde moitié de ces années vingt, Raymond Bernard est appelé à réaliser des drames historiques auxquels sa technique efficace et classique s’adapte parfaitement. Deux d’entre eux sont produits par la Société des Films Historiques (le Miracle des loups, 1924 ; le Joueur d’échecs, 1927). Créée dans le but de répondre aux productions étrangères qui, selon certains, dénaturaient l’histoire de France, cette société est née à l’initiative d’Henri Dupuy-Muzuel (1885-1962), journaliste et auteur des romans à l’origine des films. Le troisième titre (Tarakanova, tourné en 1929) est également adapté de l’un de ses ouvrages mais il est produit par Gaumont-Franco-Film-Aubert.

28Des trois, seul le Miracle des loups traite de l’histoire de France (les conflits opposant Louis XI à Charles le Téméraire), les deux autres ont lieu en Pologne et en Russie sous le règne de Catherine II. En revanche, tous trois mêlent des intrigues sentimentales et des événements spectaculaires. Le plus impressionnant est cependant le Miracle des loups dans lequel les reconstitutions de la bataille de Montléry, des combats du siège de Beauvais et de la séquence dont le film porte le titre, sont parfaitement dirigées. Celles-ci joignent aux combats de troupes sur de vastes espaces, des conflits individuels dans des remparts en feu tout en préservant le caractère humain de ces engagements. De même, le Joueur d’échecs et plus encore Tarakanova privilégient le caractère sensible des protagonistes au dépend des opérations de forces qui se réduisent progressivement à la portion congrue : dans Tarakanova le réalisateur s’applique essentiellement à peindre le très émouvant portrait sentimental d’une Bohémienne, interprété par Édith Jehanne, qui est manipulée par des opposants de Catherine II.

29C’est sans doute en préservant un peu de la sensibilité des personnages qui évoluent dans des espaces saturés d’apparat, que le cinéma de Raymond Bernard s’épanouira pleinement par la suite, avec des commandes réussies (les Misérables, 1934) ou des films plus personnels comme le méconnu mais pourtant admirable Cavalcade d’amour (1940).

Filmographie

30Le Secret de Rosette Lambert (1920) ; La Maison vide (1921) ; Triplepatte (1922) ; L’Homme inusable (1923) ; Le Costaud des Épinettes (id.) ; Décadence et grandeur (id.) ; Le Miracle des loups (1924) ; Le Joueur d’échecs (1927) ; Tarakanova (1930).

BERNÈDE Arthur (1871-1937)

31Figure montante de la littérature populiste du début du siècle, Arthur Bernède cherche à prendre pied dans l’industrie cinématographique peu avant 1914. Indépendant voire franc-tireur, il ne rallie pas la Société cinématographique des auteurs et gens de lettres (SCAGL) de Pierre Decourcelle comme la plupart de ses confrères mais appelle les industriels à « faire appel aux auteurs, qui ont pour métier de chercher et de trouver des idées nouvelles, et spécialement à ceux qui ont déjà écrit pour le peuple ».

32En 1916, la rencontre avec Louis Feuillade offre à Bernède la première opportunité de profiter de la vogue du « roman-cinéma » lancé en décembre 1915 par les Mystères de New York. Le metteur en scène des Vampires et le romancier conçoivent ensemble les douze épisodes de Judex et signent un contrat avec Le Petit Parisien, le quotidien au plus fort tirage, pour la publication d’un feuilleton en synchronie avec le passage du film sur les écrans. Judex, en janvier 1917, est le premier grand roman-cinéma français capable de concurrencer les serials américains distribués par Pathé et publiés parallèlement en feuilleton par Le Matin ou Le Journal. La collaboration de Bernède avec Feuillade sur les Judex est des plus fructueuses.

33Bernède l’abandonne pourtant pour participer à la fondation de la société des Cinéromans en septembre 1919. Il est l’un des pivots de l’entreprise, non seulement par sa célébrité, mais parce qu’il entraîne avec lui Le Petit Journal, dans lequel il publie habituellement ses feuilletons, et son éditeur Tallandier. Pendant la période René Navarre, il écrit Impéria (1920), l’Homme aux trois masques (1921) et l’Aiglonne (1922). Les deux premiers empruntent au fonds commun du roman populaire début de siècle : amour trompé, trahison, vengeance. L’Aiglonne tirerait plutôt son inspiration de l’ancien mélodrame : le film raconte l’histoire d’une fille illégitime de Napoléon, élevée chez les royalistes, qui participe à un complot contre l’Empereur avant de découvrir sa véritale identité. Par son sujet historique (inspiré du complot de Malet contre Napoléon), l’Aiglonne annonce le nouveau cours qu’adopteront bientôt les Cinéromans. D’après le témoignage de Pierre Gilles, c’est d’ailleurs Bernède qui aurait suggéré à Jean Sapène de se spécialiser dans le film à costumes pour se distinguer de ses concurrents.

34Lors de la réorganisation de la société en 1922, un service des scénarios est créé, à l’imitation des méthodes de production d’outre-Atlantique et d’outre-Rhin. Bernède en est la figure dominante. Henri Fescourt, jeune metteur en scène cultivé, rapporte dans ses mémoires que « la présence de Bernède à la tête de ce service entretenait une crainte : celle du maintien de vues populaires dans le sens que l’on donnait à ce terme en matière de librairie. Il n’en fut rien. Bernède conservait leur note aux films à épisodes, mais il fit rarement opposition au choix de sujets intéressants et même hardis. »

35Selon un témoignage de Jean-Louis Bouquet, l’un des principaux scénaristes de la société, chaque scénario résultait d’une « cuisine » dans laquelle Bernède pesait d’un poids prépondérant « en raison de son âge, de sa notoriété, de son ancienneté dans la maison ».

36Graphomane frénétique, ce dont témoignent ses manuscrits conservés, Arthur Bernède tire lui-même des feuilletons de ses scénarios pendant leur tournage. Les sujets d’aventures historiques se succèdent : Mandrin (1923), Vidocq (1924), Surcouf (1925). De sensibilité anarchisante, Bernède s’identifie à ces personnages à la fois frondeurs et justiciers. Dans Jean Chouan (1925), il n’opte pas clairement pour un camp mais pose en repoussoir le jacobinisme incarné par la citoyenne Fleurus. Belphégor (1926) marque la fin de la veine historique et un paradoxal retour au roman à mystères, à un moment où le film à épisodes connaît un reflux définitif. Bernède y ressuscite le détective Chantecoq, héros d’un feuilleton réalisé par Henri Pouctal en 1916. Le film à épisodes est en déclin, et pourtant Bernède se montre incapable de passer à des formes plus ramassées. Après Poker d’as (1927), il sera encore l’auteur malheureux d’un ultime essai pour adapter le genre au parlant (Méphisto).

37Plus que de grands talents de scénariste, il convient certainement de reconnaître à Bernède un rôle majeur dans le dépassement de la « crise du sujet » qui paralysait le cinéma français à la fin de la guerre. On doit à Maurice Dubourg la découverte, dans une œuvrette du romancier, d’un passage révélateur de la coïncidence de vues dans laquelle Bernède se sentait avec Sapène : « Le cinéma t’attirait parce que, tu me l’as souvent répété avec raison, c’est à la fois une industrie et un art… et que rien ne saurait tenter davantage un homme d’action qui a l’amour des belles choses… Mais tu as tout de même compris les difficultés de ce genre d’entreprise, au lieu, comme tant d’autres, de « faire joujou » et de dilapider des sommes considérables dans l’exécution de films destinés faute d’expérience et de soins à un fatal insuccès, tu t’es entouré de compétences nécessaires, tu as surveillé, contrôlé, assumé l’affaire à laquelle tu t’étais voué tout entier… et en moins de temps qu’un snob amateur aurait mis à se ruiner, tu as mis debout une œuvre qui, sous ton impulsion rigoureuse et éclairée, n’a pas tardé à devenir une des firmes les plus puissantes d’Europe. Grâce à toi, le cinéma français s’est relevé de la crise terrible qu’il traversait. »

38Des discours d’une teneur comparable se retrouveraient sous la plume d’Henri Fescourt ou de Jean-Louis Bouquet. On ne saurait mieux dire la part essentielle jouée par les Cinéromans dans la cristallisation, au cours des années vingt, d’un discours de l’artisanat responsable, opposé à l’avant-garde, et ce qu’il doit à la culture professionnelle des romanciers populaires.

BÉTOVE (1884-1965)

39Ce pseudonyme apparaît, mystérieux, en 1933, aux génériques de films sonores compilant des bandes muettes « primitives » pour s’en moquer. Bétove y est un bonimenteur déchaîné témoignant peut-être de ce que fut ce personnage récemment redécouvert du cinéma « des premiers temps » bien que ses activités alors fussent tout autres.

40Michel-Maurice Lévy était en effet compositeur de musique et chef d’orchestre avant la guerre de 1914. Prix de Rome, il dirige les grandes auditions wagnériennes au Trocadero. La guerre vient mettre un terme rapide à ces perspectives…

41« On ne voulait plus d’artistes sérieux, on voulait “rigoler”… », rapporte un chroniqueur à son sujet. Aussi notre homme, pour gagner sa vie, propose ce qu’il appelle des « pitreries musicales » et, depuis ce jour, sous le pseudonyme de Bétove, il se fait un nom par ces parodies « savantes » où il chante dans toutes les langues sans en connaître aucune, rencontrant en particulier le succès avec la valse de Faust. Les pastiches de musiciens connus sont également l’un de ses points forts, car, instantanément, il sait improviser une parodie qui donne de façon saisissante l’illusion de la musique des maîtres qu’il caricature.

42Telle est la biographie qu’on trouve de Bétove en 1923, à l’occasion de la création à Lyon de son opéra en trois actes, le Cloître, sur un livret d’Émile Verhaeren. Bétove tentait là de « revenir » à la musique sérieuse et d’échapper à son personnage de rigolo, sans y parvenir de toute évidence puisque la suite l’y ramène. Dans la Nouvelle Revue du 1er mai 1934, Paul Carrère, sous le titre « Bétove », évoque sa carrière et cite deux vers de Maurice Rostand à lui consacrés :

 « Digne de Beethoven, il s’appelle

Bétove

Et son éclat de rire est beau

comme un hélas ! »

43Par ailleurs, écrit Carrère, « il n’est pas de manifestation artistique de la vie moderne qui puisse laisser indifférent ce passionné de l’Art. Le cinéma devait donc le séduire, dans ses rapports étroits avec la musique. Il dirigea l’exécution musicale de films comme Civilisation à Paris, conçut des adaptations très remarquées pour des scénarios d’Abel Gance, de Diamant-Berger. Il écrivit aussi lui-même, de la musique pour de grands films… »

44Dans Les Cahiers du mois de 1925 consacré au cinéma, on l’interroge sur les rapports de la musique et du cinéma et sa réponse, brève et sous forme épistolaire, témoigne d’une exigence déçue voire désespérée : « Lorsque tous les gens de cinéma comprendront ce que c’est que le cinéma, ils se serviront de la Musique comme nous nous servons de l’oxygène pour vivre. Mais sectaires et veules comme la plupart des hommes qui construisent, ils désirent devoir tout à leurs efforts vers le néant momentané plutôt que de devoir une parcelle de millième de millimètre de triomphe à quelqu’autre chose (fût-ce de la Musique) qui leur soit apporté ».

45Parmi les films dont Bétove compose la musique, on trouve Vingt ans après de Diamant-Berger, 1922 (où il joue un rôle), Éducation de Prince de Diamant-Berger, 1927 (où il joue également aux côtés d’Edna Purviance, Albert Préjean et Pierre Batcheff) ; plus tard, Gosse de riche de M. de Canonge (1938).

BOUDRIOZ Robert (1877-1949)

46Robert Boudrioz, auteur d’une vingtaine de films sur une période que l’on peut situer essentiellement dans l’entre-deux guerres, a surtout marqué par son activité de scénariste. En effet, selon l’Enciclopedia dello Spettacolo, peuvent lui être attribués plus de trois cent cinquante scénarios à partir de 1907 pour Pathé où il est actif pendant une dizaine d’années. Il est difficile d’exprimer un jugement sur cette contribution copieuse, d’une part parce que la majeure partie de ces films a été perdue, d’autre part parce qu’il n’existe pas de documentation précise qui puisse établir quels sont effectivement les films qui sont sortis de l’imagination fertile de Boudrioz, dont il faut aussi rappeler qu’il fut le parolier de nombreuses chansons.

47« Homme chétif, candide et plein de courage » – ainsi le définit Henri Fescourt dans la Foi et les montagnes –, Boudrioz passe à la mise en scène en 1916. Son premier film Français ! N’oubliez jamais !, un pamphlet propagandiste tourné à quatre mains avec Roger Lion, fut considéré comme violent et la censure imposa quatre cents mètres de coupes. L’année suivante, chez Éclair, où Boudrioz est passé après avoir quitté Pathé, c’est le directeur de la Maison, Jourion, qui lui offre de mettre en scène l’Âpre lutte, un scénario que Boudrioz avait préparé pour Roger Lion. Il en résulte un bon film, avec Maurice Lagrenée et Renée Sylvaire. D’autres travaux suivent en 1919 : Fanny Lear qui adopte la formule du « drame mondain » et qui s’inspire de la pièce de Mailhac et Halevy, Zon une petite comédie et Un soir qui marque les débuts de Germaine Fontanes.

48C’est ensuite en 1920 le tour de l’Âtre, une œuvre qui compte dans l’histoire du cinéma français, même si la bêtise des distributeurs retarde de deux ans la sortie du film. Produit par Abel Gance, sur une idée et un scénario d’Alexandre Arnoux, interprété par les deux protagonistes virils que sont Charles Vanel et l’énergique Maurice Shutz, l’Âtre est heureusement parvenu jusqu’à nous. Le film a été restauré il y a quelques années par la Cinémathèque française. L’histoire se passe à la campagne et le film donne un aperçu des mœurs paysannes décrites minutieusement dans le texte d’Arnoux et portées à l’écran avec tout autant de soin par Boudrioz. À propos du film, dans leur Histoire du cinéma, Jeanne et Ford notent un « réalisme outrancier dont Émile Zola avait fait son unique loi », alors que René Clair s’exprime ainsi : « Voilà un film français où se manifeste un effort vers la simplicité. Réjouissons-nous. Le réalisateur qui a créé cette courte vision – et d’autres aussi sombres et directes – devrait dans l’avenir recourir uniquement à l’expression visuelle pure. Il en connaît le simple secret » (Théâtre et Comoedia illustré, 1923). Malheureusement, le souhait de Clair ne se réalisa pas.

49« O délicieux, ô chimérique Boudrioz – écrit encore Fescourt – qui gâche sa carrière à courir après des fumées de millions que lui avaient promis des groupes financiers internationaux », et qui malheureusement n’arrivèrent jamais. Les films qui suivent, Tempête avec Mosjoukine, Vivre une coproduction franco-allemande, le documentaire Record du monde et quelques autres, également au début du parlant, sont seulement des travaux corrects, correctement scénarisés, mis en scène et interprétés. Boudrioz signe son dernier film en 1935. Dix ans après, peu avant sa mort, il cherchait tenacement à réaliser une nouvelle version de l’Âtre.

Filmographie

50Zon (1920) ; Tempêtes (1922) ; L’Âtre (id.) ; L’Épervier (1924) ; La Chaussée des géants (terminé par Jean Durand, 1926) ; Trois Jeunes Filles nues (1928) ; Vivre/Der Schöpfer (id.) ; Record du monde (1930).

BOURGEOIS Gérard (1874-1944)

51Né à Genève de parents français, Gérard Bourgeois débute comme acteur de théâtre et aborde le cinéma comme directeur artistique pour la société Lux en 1908, où il tourne de nombreux films, se spécialisant dans le genre historique avec des titres comme Un drame sous Richelieu, le Conscrit de 1809, Dans la tourmente. En 1911, il passe chez Pathé où il dirige encore quelques films historiques (Latude, la Jacquerie, Cadoudal) avant de s’affirmer avec un long métrage, les Victimes de l’alcoolisme (1911), dont le sujet reprend un thème très en vogue à l’époque, déjà traité par Capellani dans l’Assommoir (1909) et par Griffith dans Drunkard’s Reformation (1909). De par sa longueur de mille mètres, le réalisme soigné des scènes et l’interprétation des acteurs, le film de Bourgeois représente un saut qualitatif dans la production Pathé, à tel point que Sadoul le définit comme : « le chef-d’œuvre du naturalisme cinématographique français d’avant 1914 ». Bien entendu inspiré du roman de Zola déjà adapté par Capellani, le film est présenté par la publicité comme une œuvre d’un « cru réalisme ». « Nous assistons à cause du redoutable poison, à la pénible décadence d’un père de famille, dont les fils mal éduqués et médiocrement nourris sont eux aussi condamnés à l’alcoolisme ou à la tuberculose. Cette forte leçon sociale s’articule dans un drame aux situations douloureuses et à la conclusion tragique ». Bourgeois utilise un découpage traditionnel fondé sur une scansion par tableaux, mais il réussit à le mettre en mouvement grâce à l’utilisation systématique de la profondeur de champ, à laquelle le jeu des acteurs donne sens. On retrouve le même procédé dans un remarquable long métrage de la même année, le Roman d’une pauvre fille, efficace mélodrame dont le réalisme est accru par diverses prises de vues en extérieur.

52Nick Winter contre Nick Winter (1911) scelle la rencontre entre Bourgeois et le feuilleton policier, un genre auquel il allait rester fidèle jusqu’à la fin de sa carrière. Après Chéri-Bibi, inspiré du personnage crée par Gaston Leroux et les Apaches, tous deux de 1913, en 1917, il dirige pour Éclair les six épisodes de Protéa IV, les Mystères de Malmort, titre de la quatrième série de la saga commencée par Victorin Jasset et interprétée par Josette Andriot. L’unique fragment con-servé de ce film aux aventures mirobolantes, témoigne d’une sensibilité à l’exemple du serial américain (il s’agit d’un cliff-hanger, un finale « en suspension » peu fréquent dans les films à épisodes français), conjuguée à la technique française de la composition en profondeur. Le résultat est une séquence étrange, amusante comme une bande dessinée, mais dérangeante comme les meilleurs moments de Louis Feuillade.

53Après la parenthèse de Christophe Colomb, une superproduction tournée en Espagne, qui malgré les efforts notables fournis pour la reconstitution des célèbres caravelles se traduit par un insuccès, Bourgeois se dédie à nouveau au serial d’aventure le Fils de la nuit (1919), une histoire qui se déroule au Maroc où le héros vengeur du titre se trouve à la tête d’une bande de Touaregs. La crise des films à épisodes le pousse à se replier sur les « films d’époque » pour lesquels il peut s’appuyer sur son expérience du genre des films historiques (Un drame sous Napoléon, 1921). Les derniers films sont un hommage à deux grands mythes du serial sensationnel : Terreur (1924), distribué aux États-Unis sous le titre The Perils of Paris, est la dernière interprétation de Pearl White après son départ d’Hollywood et son installation définitive en France, Face à la mort (1925) est interprété par Harry Piel dans une de ses célèbres compositions de détective sans peur.

Filmographie

54Un drame sous Napoléon (1921) ; Terreur (1924) ; Face à la mort (1925).

BRUNEAU Adrien (1874-1965)

55Atypique, la première confrontation d’Adrien Bruneau avec le cinéma détermina certainement son militantisme en matière d’enseignement, mais aussi, plus largement, sa volonté d’inscrire l’art cinématographique au cœur d’une éducation à la vie.

56Pendant la guerre, il est chargé d’établir les cartes des positions ennemies par l’étude des photographies aériennes. En superposant les calques, il réalise de véritables dessins animés.

57Cette expérience et la révélation des films de Comandon le conduisent à redéfinir le sens même du « voir ». Le film est le livre qui permet d’analyser rapidement l’essentiel, de développer la mémoire visuelle et de stimuler l’imagination. La compréhension du monde s’en trouve plus prégnante, la création plus innovante. Adrien Bruneau, professeur de dessin à l’École Boulle et aux Arts décoratifs, expérimenta sa méthode au sein de l’école libre, gratuite et ouverte à tous, « Art et Publicité », qu’il fonde en 1920. Un film qu’il édite chez Gaumont en 1921, l’Enseignement du dessin et le cinématographe, témoigne de sa pédagogie. Il y juxtapose extraits de films présentés à vitesse normale, accélérée ou ralentie, travaux d’élèves s’y rapportant et citations des grands maîtres de l’art occidental.

58Fort de cette relation au cinéma à la fois professionnelle et émerveillée, comme en témoigne Jean Epstein avec qui il travaille en 1921 à la mise en scène de Pasteur, Adrien Bruneau apporta un soin particulier à la conception d’une série de films mettant en valeur les écoles professionnelles municipales. Extrême attention au cadrage, fondus enchaînés, utilisation du ralenti, teintages, cartons-frontispices sont convoqués pour que l’esthétique s’allie au pédagogique. L’instrumentalisation du cinéma par l’enseignement ne peut se faire aux dépends des qualités propres au cinéma. Parti pris qu’il rendra manifeste en organisant la section consacrée au « Cinématographe au service de l’Enseignement de l’Art » de l’exposition l’Art dans le Cinéma Français, au musée Galliera en 1924, et qui le guidera dans la constitution des collections de la Cinémathèque de la Ville de Paris et de la Cinémathèque Nationale de l’Enseignement professionnel, (toutes deux réunies sous sa direction à partir de 1926). Bien que dévolue à la formation des enseignants, Adrien Bruneau ouvrit la salle de la Cinémathèque de Paris aux projections et conférences des « Amis du cinéma », manifestant par là même que pédagogie, cinéphilie et cinéma d’expérimentation œuvrent également à édifier « l’honnête homme » de demain.

BUÑUEL Luis (1900-1983)

59Luis Buñuel naît à Calanda, en Aragon. Peu après sa naissance, la famille s’installe à Saragosse, mais Luis retournera régulièrement au village. L’expérience de la brutale réalité aragonaise – paysage de rocs et de terre, caractère rude des habitants – constitue l’un des éléments majeurs de la formation du jeune garçon. C’est là que les animaux – notamment les insectes – lui révèlent un mode de vie qui le fascinera toute sa vie ; c’est là qu’il découvre la mort (la vision d’une charogne d’âne resurgira dans Un chien andalou) ; c’est là qu’il entend, chaque année lors de la Semaine Sainte, battre les tambours trois jours durant (ils apparaîtront dès l’Âge d’or).

60De 1906 à 1908, Buñuel fréquente le collège du Sacré-cœur de Saragosse, puis étudie chez les Jésuites jusqu’à l’âge de quinze ans, formation répressive qui le marquera durablement : « Les deux sentiments essentiels de mon enfance, qui perdurèrent avec force pendant l’adolescence, furent ceux d’un profond érotisme, tout d’abord sublimé dans une forte religiosité, et une constante conscience de la mort. »

61Il a le goût du sport, de la musique également – il étudie le violon dès l’âge de douze ans et accourt aux concerts de Wagner avec sa partition, goût qui ne déclinera qu’avec l’apparition de la surdité. Cette période, il l’évoquera à la veille de sa mort avec nostalgie : « J’ai eu la chance de passer mon enfance au Moyen Âge, cette époque « douloureuse et exquise », comme l’écrivait Huysmans. Douloureuse dans sa vie matérielle. Exquise dans sa vie spirituelle. Juste le contraire d’aujourd’hui. »

62En 1917, Buñuel entre à la Residencia de Estudiantes, où il restera jusqu’en 1924. Ce séjour sera décisif pour son orientation. La Résidence, institution bourgeoise et libérale, accueille étudiants et professeurs, lesquels cohabitent dans un climat d’ouverture culturelle et de tolérance. Buñuel a peu d’efforts à faire pour adopter le « style résident », désinvolte et inquiet, libre et provocateur. Il côtoie là de nombreuses personnalités espagnoles et étrangères du monde culturel, mais surtout il rencontre Federico Garcia Lorca et Salvador Dali, qui vont vite devenir des amis intimes. Sous l’influence de Lorca, il abandonne les études d’ingénieur que lui avait imposées son père pour éviter qu’il se consacrât à la musique, et s’inscrit en Lettres. Ses goûts le portent entre autres vers Cervantes, le récit picaresque, mais aussi Perez Galdos et, d’une façon générale, vers la tradition « noire » de la culture espagnole – dans laquelle s’inscrira son œuvre – de Quevedo à Goya. Quant à Dali, il sera son premier collaborateur et lui apportera sa grande capacité de création et son « aérodynamisme moral », selon sa propre expression. C’est aussi l’époque où Buñuel dirige le premier ciné-club espagnol à la Résidence, où il fréquente assidûment les « tertulias » littéraires, notamment celle de « l’ultraïste » Ramon Gomez de la Serna, inventeur des « greguerias », constamment à la recherche de nouvelles formes, et qui exercera une influence considérable sur toute cette génération. Tout en étudiant l’entomologie avec Claudio Bolivar, Buñuel se met à écrire des textes proches à la fois du style de Gomez de la Serna et du surréalisme. Attiré par la « capitale littéraire » et les horizons nouveaux, il part pour Paris, en 1925, avec une recommandation de la Résidence des étudiants pour la Coopération intellectuelle de la Société des Nations. Ni la SDN ni la France n’ayant d’argent, au lieu de s’initier à la politique internationale, il se consacrera au cinéma. Pour lors, il continue d’écrire des poèmes, « luxe de fils à papa » contre lequel, d’ailleurs, il s’insurge. Un chien andalou est le titre qu’il choisit de donner à un recueil de textes en vers et en prose. Avec le titre, nombre d’idées et d’images réapparaîtront à l’occasion de son premier film.

63Déjà, en Espagne, Buñuel était attiré par le cinéma. Il avait une prédilection particulière pour Méliès et le cinéma comique nord américain, et une dévotion marquée pour Buster Keaton (son goût pour le gag se manifestera dès ses deux premiers films). C’est à Paris que son intérêt pour le cinéma se transforme en vocation : « C’est en voyant les Trois Lumières de Fritz Lang que je sentis, sans l’ombre d’un doute, que je voulais faire du cinéma. » Il s’inscrit alors à l’Académie du Cinéma que vient de créer Jean Epstein, dont il devient l’assistant pour Mauprat et la Chute de la Maison Usher. Parallèlement, il rédige des critiques cinématographiques pour la Gaceta Literaria et les Cahiers d’art. C’est aussi l’époque où il découvre l’œuvre de Sade, qui exercera sur lui une influence considérable. Invité à Cadaquès par Salvador Dali, il écrit avec lui le scénario d’Un chien andalou, et le tourne avec l’argent que lui a donné sa mère. La projection du court métrage aux Ursulines en 1929 lui permet de s’intégrer au groupe surréaliste, enthousiaste et admiratif, et qui reconnaît en Buñuel l’un des siens. De la rencontre entre le cinéma français d’avant-garde et le surréalisme était déjà né, en 1926, une première tentative, la Coquille et le Clergyman, réalisé par Germaine Dulac d’après un scénario d’Antonin Artaud. Mais c’est Un chien andalou qui est reconnu aussitôt comme le premier chef-d’œuvre surréaliste, bientôt suivi de l’Âge d’or (1930).

64« Je n’étais pas surréaliste à mon arrivée à Paris, avoue Buñuel, je me figurais que c’était un truc de tapettes. Je lisais leurs trucs pour rigoler. » C’est donc à partir de sa première réalisation qu’il commence à côtoyer le groupe et sa doctrine. L’exploration du contenu latent de la vie à laquelle le surréalisme se livre, la quête d’une « surréalité » où cessent d’être contradictoires le rêve et la réalité, la raison et la déraison, la volonté farouche de délivrer l’homme de toutes les entraves morales, sociales, idéologiques qui musèlent son imagination et frustrent ses désirs, semblent trouver dans le cinéma leur langage adéquat, capable d’abolir, grâce à sa spécificité technique, les lois physiques, spatiales et temporelles : « Le cinéma a été pour nous une immense découverte, au moment où nous élaborions le surréalisme. […] Nous considérions alors le film comme un merveilleux mode d’expression du rêve. […] Plus encore que l’écriture, plus encore que le théâtre, le film, à mes yeux, conférait un pouvoir supérieur à l’homme. Tout semblait être permis au cinéma », déclare Philippe Soupault. « C’est là que se célèbre le seul mystère absolument moderne », écrit André Breton, qui exalte notamment le pouvoir du cinéma de « concrétiser les puissances de l’amour qui restent malgré tout déficientes dans les livres, du seul fait que rien ne peut y rendre la séduction ou la détresse d’un regard, ou certains vertiges sans prix » (L’Âge du cinéma, 1951).

65Il n’est guère étonnant, dans ce contexte, qu’Un chien andalou, qui apparaît comme une vertigineuse plongée dans les contrées mystérieuses de l’inconscient, soit reconnu immédiatement comme une production surréaliste, et que l’Âge d’or, qui prend violemment le parti de l’amour fou contre toutes les formes de l’aliénation, se voie accueilli avec la même ferveur enthousiaste par Breton et ses amis. Il serait toutefois inexact de réduire la rencontre entre Buñuel et les surréalistes à une idylle sans nuages. La position de ces derniers à l’égard du cinéma renfermait dès le début une ambiguïté qui peut en partie éclairer l’éloignement ultérieur. Breton raconte comment il s’entendait tout spécialement avec Jacques Vaché « pour n’apprécier rien tant que l’irruption dans une salle où l’on donnait ce que l’on donnait, où l’on en était n’importe où et d’où nous sortions à la première approche d’ennui – de satiété – pour nous porter précipitamment vers une autre salle où nous nous comportions de même, et ainsi de suite. » Un tel rapport au cinéma – qui nie la globalité du texte pour ne chercher dans un film que les brefs instants susceptibles de déclencher l’excitation ou la rêverie – ne va guère dans le sens d’un réel intérêt pour l’œuvre cinématographique. C’est d’ailleurs, au bout du compte, la déception qui l’emporte. En 1930, les surréalistes ont retenu peu de choses du 7e art, parmi lesquelles Un chien andalou et l’Âge d’or, « qui se situent au-delà de tout ce qui existe ».

66Buñuel, à cette époque, s’il considère le cinéma d’un autre œil, partage encore les comportements surréalistes, leur radicalisme, leur intransigeance, dont il est lui-même victime à propos du scénario d’Un chien andalou que Paul Éluard lui demande de publier dans un numéro de la revue belge Variétés, consacré au surréalisme. Buñuel l’ayant déjà remis imprudemment à la Revue du Cinéma, éditée par Gallimard, Breton le convoque à une « petite réunion » avec le groupe, lequel l’envoie à l’imprimerie de Gallimard casser les plombs au marteau. Buñuel obtempère (mais le numéro est déjà imprimé), lui-même capable de comportements similaires. Preuve en est la lettre – cosignée par Dali – qu’il adresse en 1929 à Juan Ramon Jiménez, écrivain consacré de la génération de 98, à propos de son célèbre et populaire récit : « […] Spécialement MERDE ! pour votre Platero y yo […] Et pour vous, pour votre funeste action, également MERDE ! »

67L’intolérance de Breton, les fréquents rappels à l’ordre et les « excommunications » finiront tout de même par lasser Buñuel, qui cesse de participer aux activités du groupe au début des années trente. Le surréalisme, en tant que vision du monde (Benjamin Péret est probablement le poète dont il est le plus proche), laissera toutefois des traces profondes dans son œuvre : « Ce qui m’est resté, c’est d’abord ce libre accès aux profondeurs de l’être, reconnu et souhaité, cet appel à l’irrationnel, à l’obscurité, à toutes les impulsions qui viennent de notre moi profond. Appel qui retentissait pour la première fois avec une telle force, un tel courage, et qui s’entourait d’une rare insolence, d’un goût du jeu, d’une vive persévérance dans le combat contre tout ce qui nous semblait néfaste. De tout cela, je n’ai rien renié. […] Ce qui m’est resté du surréalisme […] c’est une exigence morale claire et irréductible à laquelle j’ai tenté, à travers vents et marées, de rester fidèle. »

BUREL Léonce-Henri (1892-1977) et les opérateurs

68Dans les Coulisses du cinéma (1929) Georges-Michel Coissac présente les principales professions du cinéma. Il insiste notamment sur l’importance de l’une d’entre elles, trop souvent occultée, celle d’opérateur. En effet le travail d’éclairage et de prise de vue occupe une place centrale dans la création cinématographique tout en étant largement méconnue. Selon Coissac, en plus d’être ignorée du public, le travail de l’opérateur est souvent minimisé par les réalisateurs eux-mêmes. Trop fréquemment ceux-ci prennent les directeurs de la photographie comme de simples exécutants, au lieu de les considérer comme des partenaires à part entière. Pour Coissac, c’est grâce à une collaboration renforcée entre le réalisateur et l’opérateur, dès l’élaboration du scénario et du plan de tournage, que le niveau artistique du cinéma français s’élèvera. De plus, une meilleure préparation devrait permettre une rationalisation des tournages et provoquer ainsi une baisse des coûts de production.

69La relative indifférence dont pâtissent les professions cinématographiques dans les années vingt, notamment celle d’opérateur, s’explique, entre autres, par la structure éclatée de la production française. Loin de la division des tâches et de la spécialisation professionnelle des studios américains, le cinéma français travaille au coup par coup, en fonction des productions en cours. Engagés film à film, les opérateurs ne travaillent que rarement au sein de structures stables. Nombreux sont ceux qui restent inoccupés pendant de plus ou moins longues périodes. Le relatif anonymat découlant de ce système est encore renforcé par l’importance accordée alors avant tout aux metteurs en scène. Menant une lutte pour que les réalisateurs soient reconnus à part entière comme des créateurs, la critique célèbre des auteurs en négligeant souvent le caractère collectif de la création cinématographique. Seul le travail de quelques opérateurs est alors reconnu comme d’importance. Dans son Histoire du cinéma, Mitry cite les noms de Léonce Burel, Joseph Mundviller, Émile Specht, Gibory, ainsi que D. Johnstone, M. Bujard, M. Duverger, E. Pierre, R. Guychard, P. Guichard, P. Portier, J. Kruger, Bourgassoff, Toporkoff, R. Maté.

70Mais Léonce-Henri Burel est sans doute la principale figure des années vingt considérée comme digne d’attention, aux côtés de Jules Kruger, Fédote Bourgassoff.

71Après des études de Beaux-arts à Nantes, Burel exerce les professions de photograveur, phototypiste-portraitiste et finalement d’opérateur. Après un séjour à la société Éclair, il passe chez Cosmograph, au département scientifique, puis aux Films populaires. C’est au Film d’art qu’il éclaire ses premiers films importants, notamment Alsace de Pouctal en 1915. C’est dans une production de cette même société que Gance et Burel collaborent sur l’Énigme de dix heures (1915). Ils se retrouvent ensuite aux génériques de seize films. Parmi leurs premières collaborations, la Folie du Docteur Tube (1915) est le plus frappant par ses diverses déformations optiques. Mais ce sont les titres de la fin de la décennie qui retiennent avant tout l’attention des commentateurs : le Droit à la vie (1917), Mater Dolorosa (1917), la Dixième symphonie (1918) et J’accuse (1919).

72On convient de reconnaître dans ces films l’influence exercée par The Cheat de C.B. De Mille, sorti auparavant à Paris. Outre qu’ils suivent une structure mélodramatique relativement proche de celle du film américain, le Droit à la vie et Mater Dolorosa présentent des caractéristiques similaires. Le recours à des gros plans de visages illuminés par des éclairages directionnels très vifs, le fait qu’à plusieurs reprises les comédiens soient pris sur des fonds noirs tout en étant éclairés de côté, sont les principaux procédés permettant un tel rapprochement. La présence massive de gros plans et de plans moyens, à l’inverse de la plupart des films français de l’époque, sont la marque distinctive des bandes que signent Gance et Burel. Qualifiés de « rembrandtisme », ces éclairages sculptent les personnages en jouant du contraste entre des zones de grande obscurité et des parcelles de forte intensité lumineuse. Le recours à un éclairage directionnel puissant, grâce à des sources d’éclairage électriques, tranche avec les habitudes des plateaux de tournage français, dont l’appareillage est souvent considéré comme vétuste, en comparaison des studios allemands et américains.

73À ces procédés dont le caractère novateur est souligné par tous les historiens, J’accuse ajoute l’usage d’une série de plans symboliques, visualisations des poèmes composés par un des personnages. Ils forment une série de tableaux au sein du film qui lui confère un aspect particulièrement singulier, surtout en regard des plans de guerre, considérés alors comme d’un rare réalisme. On note en outre la présence de nombreux mouvements de caméra, souvent très rapides et dont l’élaboration dépend largement de l’habileté de l’opérateur.

74La collaboration entre Burel et Gance reprend sur le tournage de la Roue et de Napoléon vu par Abel Gance. Sur le tournage du premier, il semble que ce soit les scènes de chemin de fer, notamment près de Nice, qui peuvent lui être attribuées. Quant à Napoléon, il semble que ce soit le triptyque qui l’ait occupé au premier chef. Il aurait même tourné une partie en couleur et en 3D. Mais ces deux films doivent plus à leurs opérateurs principaux, Bujard et Duverger pour le premier, Kruger pour le second, à la tête d’une impressionnante cohorte d’opérateurs chevronnés.

75Entre la Roue et Napoléon, Burel collabore de manière régulière avec deux autres réalisateurs importants : André Antoine et Jacques Feyder. Pour Antoine, il réalise la photo de Mademoiselle de la Seiglière (1920, avec comme autres opérateurs : René Gaveau et René Guychard), la Terre (1921, avec Paul Castanet et René Gaveau) et l’Arlésienne (1922), voire l’Hirondelle et la mésange (1920) auquel Burel aurait peut-être participé. Les commentateurs soulignent le sens du paysage qui se dégage de ces films et insistent sur le pictorialisme de nombreux plans qu’ils rapprochent de certains peintres, en particulier Millet.

76Avec Feyder, Burel travaille sur trois films majeurs de la décennie : Crainquebille (1922), Visages d’enfants (1923) et l’Image (1925). Dans leurs recensions de Crainquebille, les critiques retiennent les nombreuses scènes tournées aux Halles, en extérieur, les parties nocturnes, ainsi qu’une séquence de procès et un cauchemar ayant nécessité un truquage compliqué, réalisé conjointement à la prise de vue et au tirage. Quant au second, ils louent avant tout le rendu des paysages alpins, cadre irréaliste de ce mélodrame. On peut relever la variété des procédés mis en œuvre, du cadrage en contre-plongée au mouvement de caméra qui suit un des personnages. La place centrale accordée à la subjectivité d’un enfant, selon lequel s’organise le point de vue, justifie, voire naturalise l’emploi de figures visuellement très marquées. Enfin dans l’Image, l’importance du regard est indiquée par le titre même du film. Le récit se construit autour de la recherche, par trois hommes, d’une même femme dont ils ont vu la photo. Ce type de mise en abyme place la photographie, donc le travail de l’opérateur, au cœur même du récit.

77À ces collaborations, menées avec trois réalisateurs parmi les plus importants du cinéma français muet, s’ajoute une série d’autres collaborations ponctuelles. Suite à Napoléon, Burel travaille sur quelques grosses productions comme le Casanova de Volkoff où abondent les prouesses visuelles, effets de transparence et d’ombres chinoises, ou le Michel Strogoff de Tourjansky (1926). Il photographie aussi l’Équipage (1928, M. Tourneur), Vénus (1929, L. Mercanton), etc. Burel s’adapte parfaitement au sonore et poursuit une carrière importante, alternant collaborations ponctuelles ou suivies. Il travaille notamment avec Rex Ingram pour trois films.

78On attribue à Burel la réalisation de trois films dont la Conquête des Gaules en 1922. Le film, signé Marcel Yonnet et Yan B. Dyl, relate un tournage dans lequel un opérateur est chargé de reconstituer l’épisode historique avec des bouts de ficelle. Film réflexif, s’il en est !

79Burel décède en 1977, ayant assuré la photographie de plus de 130 films, parmi lesquels des Bresson.

BURGUET Charles (1872-1957)

80Né Charles Lévy, Charles Burguet est le fondateur en 1912 des Films Azur à Nice, qui a duré jusqu’en 1914. Acteur de 1894 à 1906, directeur du Théâtre Réjane (1906-1908), directeur artistique des casinos de Nice, Vichy et Évian jusqu’en août 1914. Il entame une carrière de réalisateur par le biais du documentaire, en 1908 pour le Film d’art, mais on lui attribue une cinquantaine de films de 1912 à 1917, de courts-métrages de fiction aux genres variés. Pour Gaby Morlay, il tourne plusieurs titres à la Gaumont (avec Jacques Feyder pour autre interprète) avant de devenir l’un des personnages incontournables du cinéma français, tant du point de vue artistique que du point de vue associatif. En 1916-17, il entre au Film d’art, aux côtés de Vandal et Delac et signe plusieurs titres (les Yeux qui accusent, la Course au flambeau) pour lesquels il s’assure une solide réputation de technicien et de consciencieux réalisateur. Il se fait un nom et avec René Le Somptier, réalise l’une des plus célèbres bandes de l’art muet : la Sultane de l’amour en 1919. Cette œuvre ampoulée et coloriée au pochoir reconstitue des décors des mille et une nuits au milieu du Nice exotique du début du siècle. Ce film a de nombreux défenseurs, et non des moindres. Ce vrai triomphe permet à son jeune réalisateur, après un autre film très remarqué, l’Ours, de rejoindre la Phocéa à Marseille. Il y rencontre Suzanne Grandais, alors jeune ingénue, fraîche et souriante, surnommée « la Mary Pickford à la française ». Ensemble, ils tournent Gosse de riche (1920) une comédie enlevée, bien supérieure aux films français habituels et enchaînent avec l’Essor, un serial en dix épisodes et 10 000 mètres, chargé d’aventures et de riches inventions formelles qui en font une véritable réussite. Malheureusement, le film est plus connu pour le drame du 28 août 1920 : un grave accident de voiture, à la fin du tournage. Si Burguet en a réchappé, la belle Grandais et l’opérateur Marcel Ruette en sont morts. La jeune actrice avait pourtant reçu une lettre anonyme, mais n’y avait prêté aucune attention.

81Ce n’est que deux ans après que Charles Burguet revient au cinéma avec la troisième adaptation des Mystères de Paris, d’après Eugène Sue. C’est de nouveau un serial en douze épisodes aux qualités esthétiques indéniables et une kyrielle d’interprètes les plus renommés de l’époque : Huguette Duflos, Gaston Modot, le jeune Pierre Fresnay… et de véritables clochards parisiens pour la figuration. Son film suivant, la Bâillonnée (1922) est loin d’atteindre les qualités attendues. Tirée de Pierre Decourcelle, en sept épisodes, la bande est des plus académiques. Les films suivants sont du même format, sans invention ni originalité, et plutôt orientés vers le populaire et la recherche du public : la Mendiante de Saint Sulpice (1923) avec Gaby Morlay et Charles Vanel que produit sa jeune société « les films Charles Burguet », puis de nouveau une adaptation larmoyante de Xavier de Montépin, la Joueuse d’orgue (1924) suivi de Faubourg Montmartre (id.) d’après Henri Duvernois, et interprété de nouveau par Gaby Morlay. Ce film relève un peu la production d’un réalisateur aux confins du commercial. Barroco (1925) et Martyre (1926), tous deux interprétés par Charles Vanel achèvent la carrière de Charles Burguet qui termine sa carrière avec le Meneur de joies en collaboration avec René Navarre (1929) qui coproduit et interprète le film. Entre temps, ce proche de Camille de Morlhon sera donc président de la Société des Auteurs de Films de 1925 à 1940 et membre de la Commission de contrôle des films durant les années vingt. Durant cette période, son nom apparaîtra souvent dans nombre de revues professionnelles dans lesquelles il est un ardent défenseur de la production cinématographique française.

82À l’aube des années trente, il s’est retiré dans une magnifique maison moderne d’Auteuil, se reconvertissant dans la production jusqu’à la fin de sa vie. Il disparaît en 1957, mais où ? à Nice, à Paris ?

Filmographie

83La Sultane de l’amour (1919) ; L’Ours Gosse de riche (1920) ; L’Essor (id.) ; Les Mystères de Paris (1922) ; La Baîllonnée (id.) ; Les Mendiants de Saint-Sulpice (1923) ; La Joueuse d’orgue (1924) ; Faubourg Montamartre (id.) ; Barroco (1925) ; Martyre (1926) ; Le Meneur de joies (1929).

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Pour citer cet article

Référence papier

« B »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 33 | 2001, 48-70.

Référence électronique

« B »1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 33 | 2001, mis en ligne le 26 juin 2006, consulté le 30 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/1895/89 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1895.89

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